jeudi 20 septembre 2012

Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines, par William Burroughs et Jack Kerouac, éditions Gallimard

Ces deux noms sur une couverture récente ont d'abord attiré mon attention. Puis le titre on ne peut plus singulier, que je ne connaissais pas. Pas que j'aie tout lu de la Beat, mais quand même, les grands titres sont connus! J'ai alors constaté qu'il s'agissait d'un manuscrit trouvé récemment et donc, tout aussi récemment édité. Et les hippos... est en fait une oeuvre que les deux auteurs ont écrite quelque 10 ans avant qu'ils deviennent connus. Elle date de 1944 et raconte les pérégrinations d'une gang de jeunes adultes dans le New York d'alors. Attention, on est loin de Pleasantville et des jeunes gens proprets dont on se fait généralement une idée lorsqu'on parle des USA de l'époque. Ceux-là boivent, fument, volent, sortent et dorment jusqu'aux petites heures. En jeunes qu'ils sont, leurs petites histoires de flirt prennent d'énormes proportions et l'insouciance est carrément leur marque de commerce. Ils se foutent de tout sauf de faire de l'argent et de s'amuser.
Franc avec vous, au bout de quelques pages, on a beau lire deux géants de la littérature, on s'en tape un peu de leurs historiettes et on se fatigue pour eux de donner autant dans les psychotropes. Or voilà, tout ça se termine par un drame. Bon, c'est pas rien comme drame, mais ce n'est pas non plus la fin du monde, alors on termine le livre en restant sur sa faim... jusqu'à ce qu'on lise l'excellente postface de James Gravelholz. Cet homme qui a connu de près les acteurs de la Beat raconte l'histoire de l'écriture du livre, mais aussi celle du récit en tant que tel, qui est vrai, mais dont on a changé les noms et les personnages. Reste que pour l'essentiel, ces mêmes personnages, dans l'histoire vraie, ce sont les Kérouac, Burroughs, Ginzberg et consorts, et le drame final qui y est raconté se trouve à être carrément l'élément fondateur de la Beat Generation. Une fois qu'on sait ça, ma foi, le livre prend une toute autre signification et devient complètement intéressant. Je ne suis pas un fana de Burroughs et de Kérouac, mais ce qu'ils représentent me fascine. Ces auteurs ont contribué à créer non seulement un mouvement littéraire, une nouvelle littérature, mais ils sont aussi une importante figure des États-Unis, de ce côté qui attire, qu'on respecte sans trop savoir pourquoi, comme James Dean ou Marylin Monroe. Alors de lire quelque chose à l'écriture aussi simple, sans flaflas,de la part d'aussi grands noms, surprend. Et savoir qu'ils ont jugé que ce livre valait la peine d'être raconté, qu'il a ensuite été mis de côté et qu'il ressorte plus tard, alors qu'il en est maintenant temps, lui donne comme un aura. L'expérience, ici, n'est pas littéraire, mais historique, voir même sociale. La surprise, si elle déroute au premier abord, réjouit au second. Si l'époque et son contexte vous intéressent, je vous recommande la lecture de Et les hippos... et de sa postface.

samedi 15 septembre 2012

Rien ne s'oppose à la nuit, par Delphine de Vigan, éditions JC Lattès

Raconter sa vie, c'est une biographie. Raconter sa mère, et par le fait même une partie de sa vie à travers la relation qu'on a eue avec elle tombe ici dans le roman. Delphine de Vigan raconte une relation mère-fille. "Une autre", direz-vous. Oui, une autre, mais celle-là a tout du roman, et attention, l'histoire en question n'a rien d'épique ni de grandiose dans le sens de l'hommage auquel on devrait s'attendre dans un tel livre. Il ne s'agit pas non plus d'un règlement de comptes, ni d'un "vidage de sac", mais bien d'une histoire hallucinante dans son aboutissement. À lire Rien ne s'oppose à la nuit, on se demande tout simplement comment son auteur a bien pu réussir à l'écrire.



Car en même temps que le récit de la vie de sa mère, de Vigan raconte aussi la quête qui l'a mené à écrire ce livre. Elle raconte les témoignages reçus, accumule les impressions, juxtapose les différents points de vue. Si la quête est difficile et lourde comme l'histoire racontée, la lecture est loin de partager ces qualificatifs. La plume est vigoureuse et saine. On lit ce livre les yeux grands ouverts, comme devant une scène incroyable qu'on regarde à la télé. En fait, j'ai lu ce livre comme j'ai regardé des tours jumelles s'effondrer un certain 11 septembre, en n'en revenant tout simplement pas.



Cette vie de Lucile, mère de l'auteur, a tout du tragique, de théâtral même, sans pour autant mettre en scène un personnage qui a voulu sa vie comme tel. Lucile, en fait, est de nature plutôt modeste. La maladie mentale qui l'afflige fera d'elle le personnage principal de ce livre. Maintenant, d'où vient cette maladie? Comment a-t-elle été vécue tant par son porteur que ses proches? L'auteur tente d'y répondre en la racontant de son point de vue à elle.



Ce récit est celui de combattants, de gens qui ont vécu des crashs épouvantables mais dont la survie s'est avérée comme une grande victoire. Or, de "survie", il est ici précisément question. Comment vivre là-dedans, avec tout ce bagage, on se le demande tout au long du livre. De l'histoire de la famille nombreuse qui a tout pour être heureuse, on tombe bientôt dans une suite de chutes et de revers incroyables, et à travers tout ça, il y a ceux qui perdent et ceux qui restent, et parmi ces derniers, il y a l'auteur.



Un récit familial touche, concerne chacun d'entre nous. Combien de fois dans notre vie nous remémorons-nous, à l'occasion, des moments qu'on décide de mettre de côté, d'oublier volontairement pour toutes sortes de raisons. Ici, de Vigan confronte ces moments un par un jusqu'à la fin, qui est aussi tragique que tout ce qui pouvait arriver au terme d'une telle vie.



Ce livre est lourd, oui, mais on n'en ressort pas déprimé, juste abasourdi. Comme quoi, si elles sont bien racontées, même les vies les plus grises peuvent parfois donner des histoires aux couleurs fortes.



Vraiment, quelle histoire!

mercredi 12 septembre 2012

La rivière noire, par Arnaldur Indridason, éditions Métaillé Noir

Place au roman policier. Amateurs du genre, avez-vous déjà suivi une enquête en Islande?



Pour ma part, non, et ce d'autant plus que je ne suis pas un amateur du genre. Qui suit ce blogue assidûment le saura. Or j'ai choisi celui-ci d'abord parce qu'il s'agit d'un auteur d'Islande, un pays dont la littérature n'a cessé de m'étonner ces derniers temps, mais aussi parce qu'il est traduit par Éric Boury, traducteur de Jon Kalman Stefansson, dont les texte m'ont fait porter cet auteur au plus haut sommet de mes préférences à vie.



Pour la qualité de la langue, je n'ai pas été déçu bien qu'il ne s'agisse pas du tout du style unique de Stefansson. Ici, Indridason, est un auteur de roman policiers, qu'on se le tienne pour dit, et un roman policier, de ce qui ressort de ma courte expérience, c'est très rarement surprenant dans le style. Ce ne fut pas le cas ici en tout cas.



Quant à l'histoire... L'enquêteur vedette est une femme, fait plutôt rare, et quand même à souligner. L'action est contemporaine. Elle se passe principalement dans le Reykjavik de notre temps, mais aussi ailleurs en Islande, dans ce qu'on pourrait appeler "la région" ou "la province", c'est selon. Les personnages ne sont pas typés. En fait, tiens, je le remarque en écrivant ça, aucun personnage ici n'est cliché, pas même la meneuse de l'enquête. Tous sont vulnérables, sauf peut-être la victime, ce qui, finalement, à lieu d'étonner. L'action? Je parlerai plutôt de l'enquête. Pas de courses, de peurs, de descriptions pleines d'hémoglobine, de lames déchirant des boyaux. Que des gens qui se demandent ce qu'ils font dans cette histoire. Voilà sans doute pourquoi j'ai embarqué lentement quoi que je doive avouer que la lecture de La rivière noire n'a pas traînée en longueur. L'auteur réussit à nous faire nous poser toutes les questions qu'il faut nous poser sur chacun des personnages jusqu'à un dénouement étonnant sans être rocambolesque.



Particularité s'il en est une, l'atmosphère n'est pas noire, mais grise. Il flotte là-dedans un air de déception, pas la nôtre, mais celle des personnage face au monde, face à leur vie, et tout particulièrement face à un personnage en particulier soit, encore une fois, la victime. Intéressant.



Je crois bien que les amateurs de policiers seront bien servis avec La rivière noire. Vous ne trouverez pas là de blagues désopilantes d'enquêteurs blasés ni de policier mal dans sa vie qui risque sa carrière en s'en foutant un peu parce qu'on bout du compte, c'est un héros, quoi que...



Un brin flegmatique, donc, pas énervé, pas énervant, et bien ficelé. C'est moi qui tirerai donc un cliché de tout ça en disant qu'au bout du compte, La rivière noire est très scandinave.



Essayez ça.