lundi 4 décembre 2017

Les inquiétudes, par Jean-Simon Desrochers, éditions Les Herbes rouges

Lorsqu'ils parlent de ses romans, la plupart des chroniqueurs parlent de "romans chorals". Les histoires parallèles de multiples personnages réunis par un même thème demeurent la spécialité de Jean-Simon Desrochers. Le lire, c'est un peu comme regarder une websérie en rafale, avec des épisodes courts. Ça change constamment. On ne s'ennuie jamais. Ça c'est la forme. Ça demeure, à mon sens, irréprochable. Le talent que j'ai découvert avec La canicule des pauvres, en 2010, demeure.

Maintenant, il y a aussi le fond.

Comme dans ses romans précédents, Desrochers peint des personnages qui, pour la plupart, la jouent dure. Ici, le thème commun est un quartier où, comme prémisse de départ, un enfant est porté disparu. Comme dans La canicule..., on se situe dans l'est de Montréal. D'ailleurs, à un certain moment donné, apparaissent des personnages de La canicule des pauvres. Pour qui l'a lu, le moment est jouissif. On retrouve de vieux amis et on ne peut que s'en réjouir. Qui n'a pas lu ce précédent roman ne sera toutefois pas perdu. En tout cas, pas à cause de ça.

La signature Jean-Simon Desrochers, c'est aussi beaucoup de sexe. Beaucoup. Et comme tout ce qu'il écrit, ça se tient, c'est pertinent, et surtout c'est différent d'une scène à l'autre. Très différent, du torride au plus glaçant, et ici plus que jamais. Loin du roman érotique, on sourit parfois à ces scènes et à d'autres, eh bien, j'ai déposé mon livre un peu. Parce qu'avec Les inquiétudes, un auteur aura réussi à me choquer. Je pense qu'il faut le faire. C'est en soit une réussite. Et c'est, à ma grande surprise, en matière de scène sexuelle que j'ai frappé mon mur.

Je crois que pour être choqué, il faut d'abord être surpris par quelque chose de nouveau. Ici, j'ai lu des scènes dont je n'avais jamais rien lu de tel avant. Et pourtant j'ai beaucoup lu, il me semble. Or voilà, l'auteur va loin dans l'horreur. On ne parle pas ici de fantastique ni de tripes et boyaux, enfin, pas trop, mais plutôt dans les tabous. Il nous les jette en pleine face, sans trop qu'on ne les voit venir. Vraiment, il faut le faire. Bien écrit, ça passe, mais une fois choqué, on redevient difficilement indulgent. C'est ce qui m'est arrivé. Après avoir été sérieusement dérangé (je ne décrirai pas les scènes en question, ça serait trop en dire du livre), j'ai lu le reste du livre avec appréhension, craignant de revivre un sentiment désagréable. Or oui, ça revient parfois, cette violence crue mais pas gratuite pour autant. Et pourtant, il y a d'autres scènes qui sont bien loin de là dans Les inquiétudes. Bien sur, le titre l'indique, ça ne va pas trop bien pour les habitants des environs, mais il y en a qui vivent d'heureuses découvertes, une rédemption, un amour, même. C'est là où la multitude des tableaux fait son effet on change d'air au fil des pages, fort heureusement, parce que parfois, ça sent vraiment pas très bon...

Pour le reste, j'ai remarqué de petites choses comme le fait que de ses personnages, plusieurs sont reliés au monde des médias. On croise en effet une animatrice télé, un ex-animateur de radio, une journaliste. Pas de critique sociale ici, enfin, pas sur ce milieu en particulier. Une seule constatation: eux, comme les autres, vivent des vies ordinaires.

Alors voilà, les Inquiétudes est le premier d'une série de deux livres, la série ayant pour titre : L'année noire. Le deuxième livre est déjà sorti. Si ça avait été le cas en 2010 après la sortie de la Canicule des pauvres, je me serais jeté sur une deuxième partie alors que cette fois, je vais attendre. Combien de temps? Je l'ignore. Et pourquoi? Parce que même si Jean-Simon Desrochers écrit des livres unique dans un style unique, cette fois, il a poussé mon bouchon trop loin. Dans le domaine du sordide, j'ai atteint ma limite. Je ne lui en veut pas. Enfin, c'est dommage parce que je l'aimais beaucoup. Mais bon, j'imagine que lui et son éditeur assument qu'en sortant d'un tel livre, on risque de ne pas avoir nécessairement envie d'y retourner. Mais si vous avez aimé ses autres livres, franchement, vous devriez aussi essayer celui-là.

jeudi 12 octobre 2017

À la mesure de l'univers, par Jon Kalman Stefansson, éditions Gallimard

Retour en Islande, mais de la plus belle façon que j'aie trouvée: avec Jon Kalman Stefansson. Suite de D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds, À la mesure de l'univers poursuit le lent parcours d'Ari, éditeur islandais exilé au Danemark qui revient chez-lui voir son père mourant.

Ari est à Keflavik, une petite ville qu'il décrit comme un vrai trou, un endroit qui ne vaut rien.

En parallèle à son histoire, il y a celle de Jakob, son père, plus particulièrement l'histoire de sa rencontre avec la mère d'Ari et de l'époque qui suivra. Jakob se décrit comme un vrai couillon.

Puis, il y a l'histoire de Margret, la grand-mère d'Ari, mère de Jakob, qui a évolué entre les amours et les déceptions les plus profondes. Comme ceux qui la suivront, Margret est pleine de remords.

Stefansson tisse ces trois fils ensemble pour dresser un tableau où les plus belles scènes d'amour au quotidien côtoient la mort et la violence qui l'entoure parfois, ou l'autre violence, celle de l'absence et des regrets. Écrit par Stefansson, tous ces tableaux déjà vus prennent une toute autre perspective. Cet auteur a le don de donner la place la poésie en nous la faisant comprendre. Pour qui, comme moi, ne lit pas de poésie, je retrouve dans les descriptions de Stefansson des émotions, des sentiments forts, qui viennent de loin. On passerait 50 pages dans un désert avec lui qu'il réussirait à nous le faire trouver beau. Quelle incroyable écriture.

Comme dans son dernier livre, celui-ci est aussi rempli de musique. On passe de Manuel de Falla interprété par Pablo Casals à REO Speedwagon et ça se termine majestueusement avec Elvis. Si, comme moi, vous prendrez la peine d'écouter quelques unes de ces pièces pendant votre lecture, vous frôlerez l'expérience 3D.

Présenté comme une chronique familiale, À la mesure... donne aussi un portrait d'une époque qui se cherche. À travers les personnages qui se transmettent leurs défauts comme leurs tares, on se demande, comme eux, si nous menons notre vie comme il fallait qu'elle soit. Qui, de nous ou d'autres, on fait ce que nous sommes devenus?

J'ai terminé ce livre avec un profond sentiment d'injustice. Je trouve en effet injuste que Jon Kalman Stefansson ne soit pas plus connu. Ce gars est de la la trempe d'un Garcia Marques ou d'un Milan Kundera. Une écriture aussi belle et accessible est rare. Tellement de gens apprécieraient.

dimanche 3 septembre 2017

Snjor, de Ragnar Jonasson, éditions Points

Ce n'est pas la première fois où je commence en disant que le roman policier est vraiment un monde à part. Conventionnel, le polar classique comme celui-ci contient des référents qui, j'imagine, réconfortent le fan du genre. Ici, l'enquêteur est un jeune apprenti-policier de 25 ans. Je note une originalité dans le fait qu'il ne mène pas une vie personnelle pathétique, embuée par l'alcool ou quelque dépendance du genre. Non. Celui-là mène une vie rangée avec sa copine. Mais voilà, ça se dérèglera un peu parce que pour ce livre, le gars en question ira travailler loin de chez-lui (Reykjavik), dans une bourgade éloignée du nord de l'Islande. Sa copine ne le suit pas. Leur liaison deviendra téléphonique avec tous les questionnements que ça apporte.

Voilà pour la vie personnelle de l'enquêteur.

Quand à l'enquête, on sera fixé assez rapidement avec deux décès apparemment non-reliés dans la-dite petite bourgade où tout le monde se connaît. Tous les personnages deviendront rapidement suspects. Là encore, le cadre bien défini du roman policier est respecté. L'originalité réside dans l'atmosphère: c'est l'hiver, il neige sans discontinuer et le personnage, seul parce que ne connaissant personne dans son nouveau lieu de travail, sentira le monde se refermer sur lui, jusqu'à étouffer. L'angoisse qui l'assaille remplace l'habituelle peur ou le danger. S'il est un malaise, dans Snjor, il réside définitivement dans l'angoisse.

Quant au reste, c'est bien écrit et bien traduit. L'intrigue est efficace, on ne s'ennuie pas. Si les personnages sont peut-être un peu clichés, on en vient à bien les connaître grâce à de bonnes descriptions psychologiques. Le lieu est exploité à fond dans sa géographie et un peu dans son histoire, mais malheureusement, on ne fait aucune référence au titre. Les férus de langues scandinaves verront peut-être un lien avec le personnage principal si on prononce le mot d'une certaine façon, mais rien, dans le livre, ne peut confirmer ces dires, et c'est bien dommage. En fait, on se demande un peu comment l'éditeur en est venu à choisir ce titre.

On décrit Ragnar Jonasson comme une découverte dans le monde du roman policier. Tant mieux. C'est donc dire que les amateurs de ce genre littéraire y trouveront leur compte. Pour ma part, j'ai passé un bon moment, oui, mais sans grande émotion. Je ne mets pas la faute au livre. C'est juste que moi, le roman policier...

lundi 21 août 2017

N'essuie jamais de larmes sans gants, par Jonas Gardell, éditions Gaïa

Vous connaissez sûrement un scénario qui commence avec un groupe de gens, généralement entre 1 et 10. À la fin, un ou deux de ceux-ci survivront. Qui seront-ils? Des Dix petits nègres à Alien, on tombe la plupart du temps dans l'action, ou à tout le moins, l'enquête. Avec ce livre, si la prémisse de base est la même, le contour est tout à fait différent. On parle plutôt de relations parents-enfants, entre amis, et amoureuses. Il n'y a pas de meurtre, et si la violence est extrême, elle ne se fait qu'avec des mots. Secoué, vous le serez. En fait le mot est faible. J'ai attendu deux bonnes semaines avant d'être capable d'en parler, ne serait-ce que sur ce blogue.

On sait donc dès les premières pages à quoi on fera face. Un jeune d'homme de 26 ans est sur son lit de mort et son amoureux est à son chevet. On est à la fin des années 80, à Stockholm. Autour d'eux, gravite un petit groupe d'amis. Ils sont sept. Qui survivra?

J'ai, comme vous sans doute, beaucoup lu sur la 2e Guerre mondiale et la Shoah. Je trace ici un parallèle sur les tragédies que ces événements ont représenté pour l'Humanité. L'épidémie de sida a été, et est toujours, jusqu'à un certain point, équivalent à la Shoah. Plus récent dans l'Histoire, on en a jusqu'ici moins parlé que de la Shoah. Si le sida est présent dans certains livres, rarement occupera-t-il autant de place qu'ici. En fait, "N'essuie jamais de larmes..." est littéralement le roman qui explique cette épidémie.

Au début du livre, j'ai cru à une chronique d'où l'auteur sortirait son propre personnage, mais tel n'est pas le cas. J'ose deviner qu'il s'agit plutôt de récits entendus par lui, vécus par d'autres. Ils sont Suédois, oui, mais ils auraient bien pu être Québécois, ou Français.

La plupart des personnages vivaient dans de petites communautés loin de la grande ville. Puis, vient cette réalité de leur existence qui devient intenable. Il leur faut être eux-mêmes et cesser de se mentir et de mentir aux autres. Il faut dire qu'ils sont d'une époque où on parle déjà d'homosexualité, qu'on sait que "ça existe" parce que certains ont déjà pavé la voie en s'ouvrant publiquement. Outre les Harvey Milk, chaque nation a eu ses leaders. Ils ont ouvert une première porte. Puis sont arrivés les autres, cette génération née dans les années 60, encore prise dans plusieurs carcans sociaux, mais inspirée par un vent d'ouverture d'esprit. Mais voilà, arrive une épidémie qui touche, pour l'instant cette seule communauté dont ils se réclament. Suivront les commentaires des médias, les réactions du public, la violence des mots et des non-dits. Honneur, fierté sont au programme mais aussi, et surtout, amour, L'amour filial, surtout, mais aussi celui de la vie, de l'autre, et même l'amour de l'amour. Quel qu'il soit, en manquer fait toujours mal, mais dans certaines circonstances comme celle-là, son manque fait encore plus mal.

Bref, on le devine, plusieurs y laisseront leur vie avant 30 ans. L'auteur raconte tout ça dans le détail, tant par ce qu'on voit que ce qu'on dit ou pense. Il s'agit du genre de livre avec lequel il faut parfois prendre une pause. L'idée de le lire dans un endroit public est mauvaise. L'apporter en vacances aussi. Il ne gâchera pas votre journée, ni le moment où vous le lisez, mais il teintera votre imaginaire de quelque chose que vous n'auriez pas souhaiter vivre.

Dur jusque dans son titre, ce livre ne peut laisser personne indifférent. À sa lecture, j'ai parfois eu terriblement peur que son auteur tombe dans le misérabilisme. Certains passages décrits avec un certain tragique qui n'était pas nécessaire, mais plus on avance dans le livre, plus on comprend son auteur de s'être laissé aller. Parce que peut-être comme lui, vous aurez la bizarre sensation de lire quelque chose qui aurait bien pu vous arriver si..., ou encore, de se rendre compte de quelque chose que vous aviez, jusqu'ici, plus ou moins volontairement réussi à éviter, pour toutes les raisons que vous voulez... Disons que si ces gens ont souffert, ce n'est pas nécessairement la douleur physique qui a été la pire. Il y a là une solitude la plus lourde qu'on ne vous aura jamais décrite. Et ça aussi ça nous ramène beaucoup à nous et à notre époque...

Je note enfin une particularité du livre: il n'y a pas de linéarité temporelle. On se transporte parfois, d'un paragraphe à l'autre à 15 ans plus tôt, puis, pouf, on est 5 ans plus tard, puis on revient en arrière. Or, ce n'est pas difficile à lire. Ces divagations dans le temps rapellent ces moments où on est tellement fatigué que plusieurs pensées nous viennent en même temps. On devine aisément que ce fut le lot de plusieurs des personnages de ce livre à la fin de leur vie, et voilà, on est totalement bouleversé.

Et pourtant, il faut lire ce livre. Vous n'en lirez pas souvent des comme ça, heureusement, mais ça vous donnera un bon portrait d'une époque et aussi, qui sait, de celle qu'on est peut-être en train de (re)vivre.

Pas besoin d'être gay pour lire une telle histoire. En fait, si vous avez des enfants, j'oserais croire que vous êtes particulièrement le public cible.

mardi 11 juillet 2017

La grande embrouille, par Eduardo Mendoza, éditions du Seuil

D'abord, pour les fans ou pour qui connaît l'auteur: c'est la quatrième aventure de son personnage "enquêteur" sans nom, et c'est digne des histoires précédentes. Tout à fait dans la lignée.

Ensuite, pour qui le connaît pas Mendoza: cet auteur espagnol (ou catalan, je ne saurais comment il se définit lui-même) a écrit plusieurs livres dont certains contiennent un personnage récurrent qui se retrouve toujours un peu malgré lui au coeur d'intrigues qui ont tout du polar mais dont le rocambolesque n'a pas d'égal. Ce personnage apparaît pour une quatrième fois, à mon grand plaisir. Toujours aussi particulier, on ne sait toujours pas ni son nom ni d'où il vient. Ce qu'on sait, c'est qu'il est présentement exploitant d'un salon de coiffure pour dames sans clients, un endroit d'ailleurs assez pourri, et qu'un de ses amis, connu jadis-naguère en prison et en institution psychiatrique, est potentiellement dans le pétrin. Qui ira aider l'ami potentiellement dans le pétrin? Je vous le donne en mille.

Le génie de ce personnage, c'est son invention même, un genre de clodo opportuniste, fainéant au grand coeur, enquêteur par curiosité. Naïf à l'extrême mais brillant par son propos, le mec raconte ses histoires un peu comme le ferait Woody Allen, avec un certain dégagement sur les conséquences de ses actes mais avec beaucoup d'emphase sur certaines choses. Idiot sympathique mais pas con, c'est, à ma connaissance, un des personnages les plus attachants que je connaisse, et ses histoires sont immanquablement abracadabrantes.

Comme son auteur, le personnage habite le Barcelone contemporain. Si certaines références font référence à des pans de la culture espagnole qu'on ne connait pas, on devine aisément le sarcasme et l'ironie. Les personnages qui l'entourent sont tous tiré d'un genre de catalogue de la Cour des miracles: artistes de rue, ex-prostituées, bandits repentants, etc. À la limite du cliché, tous exposent leurs lacunes culturelles à travers les descriptions de leur compère narrateur, mais tous ont aussi une forte tendance à se faire aimer. Mendoza joue avec ses personnages comme il se joue de nos émotions à nous, bien qu'il sache surtout nous faire rire. Entre un film de Louis de Funes et La Conjuration des imbéciles, cette Grande embrouille nous fait valser du yoga aux statues vivantes en passant par le terrorisme et la mondialisation. Tout un menu digne du merveilleux personnage de Mendoza.

Pour les amateurs d'action, d'humour fin mais très politiquement incorrect.

mardi 6 juin 2017

Le gouvernement Lévesque, tome 1, par Jean-Charles Panneton, éditions du Septentrion

Pour un amateur de fiction comme moi, lire un essai me sort de ma zone de confort. Le sujet est d'autant plus dépaysant qu'il traite de l'Histoire récente qui, à mon sens, est moins sujette aux interprétations et à l'imagination puisque les décors et même quelques protagonistes sont connus. Pourtant, cet ouvrage m'a justement fait réaliser qu'il existe un temps à partir duquel des pans de l'Histoire tombent dans l'imaginaire, ou qu'à tout le moins ils deviennent un peu plus flous. Je prends pour exemple la Grande guerre dont on a beaucoup parlé ces dernières années, étant donné son centième anniversaire. L'époque est maintenant propice à tous les types d'histoires, voir à toutes les interprétations. À mon souvenir, il y a quelque 40 ans, tel n'était pas le cas puisqu'on pouvait encore entendre des gens ayant vécu l'époque. On traitait donc encore le sujet avec un certain respect, une certaine retenue.

L'époque ici racontée est une époque charnière de l'Histoire récente du Québec. Souvent galvaudée, récupérée à raison ou à tort par des analystes sérieux et des gérants d'estrade publiques, cette époque, comme toutes les autres avant elle, devient de plus en plus opaque avec le temps. Un tel ouvrage la débrouille avec l'oeil objectif de l'historien. Pour raconter le moment fort d'une élection particulièrement remarquée en 1976, Jean-Charles Panneton a eu la bonne idée de remonter aux origines du parti politique et de son chef et fondateur. Qu'est ce qui a mené à ça, par quelles associations, et avec quelles idées? On se surprend à constater qu'à cette époque, comme aujourd'hui d'ailleurs, tout n'était pas aussi noir et blanc qu'on aurait bien voulu le croire. Alors que depuis quelques années on ramène tout sous le seul partage des pensées de gauche et de droite, on gagne à savoir qu'il ne s'agit pas là d'une panacée en matière d'avancement de la société. Les buts qui ont mené certaines têtes fortes, dont les Robert Bourassa et René Lévesque, à se lancer dans la vie publique allaient bien au-delà de ce clivage. Et c'est inspirant. Et rafraichissant.

Écrit simplement, avec de courtes sections traitant chacune d'un sujet différent, on se surprend à en apprendre sur de grands noms dont les réputations, les frasques ou les faits d'armes ont occulté les pensées, les réalisations et même toute la vie. Un tel ouvrage aurait-il dû contenir cartes et photos? Peut-être, à partir du moment où ces éléments visuels auraient contribué aux connaissances que nous apportent le texte. Pourtant, même sans ces éléments visuels, on passe d'agréables moments à en apprendre plus sur ce bout de l'Histoire et des gens qui l'ont fait.

Heureuse alternative au documentaire, l'essai, même pour un fervent amateur de fiction, fait donc du bien.

À lire pour qui la période intéresse, et pour les amateurs d'histoire québécoise.

dimanche 23 avril 2017

Chercher Sam, par Sophie Bienvenu, éditions Cheval d'août

Il fait toujours du bien de tomber sur une exception. Parce que les exceptions font que le monde change et se poursuive. Sans elles, tout resterait tel quel. Avec Chercher Sam, et sans doute aussi, grâce à Sophie Bienvenu et quelques autres auteurs québécois, la littérature québécoise évolue, et pour le mieux. Violent coup de poing au plexus, j'ai reçu ce livre un peu comme ce que d'aucuns disaient de la musique de Chopin: des canons enfouis sous les fleurs. C'est une histoire dure, hyper dure, mais racontée tellement finement!

Mathieu s'est retrouvé à vivre dans les rues de Montréal. Son seul choix a été son quartier: Rosemont. Pas le centre-ville, pas ailleurs. Il migre autour de la rue Masson. Et là, pour l'instant, il cherche Sam, son chien.

Comment il en est arrivé là, pourquoi il cherche Sam, d'où ils viennent lui et Sam: pour le savoir, il faut lire ce livre. C'est raconté en quelque 160 pages, pas plus, et c'est complètement captivant. La langue de Sophie Bienvenu est si vivante que vous entendrez Mathieu vous parler à l'oreille. Ici encore, un peu comme avec Le plongeur de Stéphane Larue, la langue parlée est retranscrite à l'écrit avec beaucoup de succès. Je crois toujours que ce n'est pas donné à tous de réussir à le faire, comme il n'est pas donné à tous d'apprécier cette forme écrite du langage parlée. Certains puristes demeurent réfractaires. Et pourtant, l'émotion ressentie ici est brute, d'où le coup de poing. On passe d'expressions "cutes" aux pires tragédies en quelques paragraphes, un peu à l'image de la vie de Mathieu, un personnage immense qui, pourtant, n'a qu'une piètre opinion de lui-même.

Le tour de force de tels écrits, c'est de peindre des tableaux réalistes en fiction. Je ne sais pas si cette histoire a déjà été vécue, mais j'imagine assez facilement que plusieurs des gens que je croise quotidiennement ont peut-être déjà vécu quelque chose qui y ressemble. Or c'est divertissant, oui, mais aussi tragique, mais aussi beau, immensément beau parce le méchant de cette histoire, on l'identifie difficilement. Bon, sans vendre trop la mèche, j'avancerai quand même que le personnage de la mère de Mathieu n'a pas grand chose pour se faire aimer. Mais quand même, est-ce seulement sa faute à elle? N'empêche, Chercher Sam humanisera les résidents de la rue même pour les coeurs les plus durs qui croient encore qu'ils n'ont "qu'à se donner un coup de pied au cul et à se chercher une job". Mon dieu, si tout était aussi facile...

Une telle voix, celle de Sophie Bienvenue, équivaut à l'avènement d'un Michel Tremblay quelque 40 ou 50 ans plus tôt: on nous parle de nous dans une langue qu'on connaît mais d'une façon dont on ne s'était pas fait raconter de telles histoires avant. C'est absolument à lire. Oh, mais, précisons: les tenants de la dictature du bonheur n'aimeront pas. Parce que c'est dur. Mais les amoureux des mots aimeront parce que comme dans plusieurs grandes oeuvres noires, les quelques couleurs qui s'y profilent deviennent majestueuses et prodigieusement belles.

Bon, pas besoin d'en ajouter plus pour dire combien j'ai aimé Chercher Sam... et que j'espère lire encore Sophie Bienvenu. Ah aussi: l'édition que j'ai lue est la deuxième de ce livre. Elle contient une préface vraiment sympathique de Marie-Hélène Poitras. Ça ajoute.

mardi 11 avril 2017

L'opossum rose, de Federico Axat, éditions Calmann-Lévy

De la part de quelqu'un qui ne court pas après les polars pour en lire, il me semble que ce blogue commence à en contenir pas mal. Presque chaque fois, il s'est agit de recommandations et presque chaque fois, je me suis surpris en tant que lecteur. Tout ça se vérifie une fois encore, et c'est bien, parce qu'un des plaisirs de lire, c'est justement de se surprendre soi-même: de se voir aimer quelque chose ou pas, de se voir touché par quelque chose... ou pas, ou de découvrir encore des choses sur soi-même, sur l'art d'écrire et sur celui de lire.

Ici, j'en appris sur moi et sur le genre. Un polar, c'est bon lorsque ça nous appelle d'une séance de lecture à l'autre, lorsqu'on a hâte d'en savoir plus. Tel est le cas avec ce bouquin: l'histoire est hyper bien ficelée, et très originale. Mais une chose demeure avec le polar: ça ne me touche pas, dans le sens d'être touché de l'intérieur, d'être retourné, de se sentir heureux ou bouleversé. Ce livre est froid, mais efficace. Il ne suscite pas l'émotion, mais stimule l'esprit cartésien. Les amateurs de polars sauront en tirer leurs conclusions.

Un homme qui est sur le point de s'enlever la vie s'en fait empêcher à la toute dernière minute. Bizarrement, les circonstances liées à cet événement l'emmèneront à commettre lui-même un meurtre... mais c'est pas clair, parce que quelques pages plus tard, on reprend l'histoire à zéro. Ça commence de la même façon, mais ça s'enchaine différemment. Pourquoi?

Ce qui ressemble un peu à du Agatha Christie s'avère totalement différent. Il est difficile d'en dire plus, question de ne rien divulguer de l'histoire, mais je soulignerai qu'une bonne partie du livre, plus de la moitié, en fait, se déroulera ensuite dans un hôpital psychiatrique. J'ajouterai enfin que l'auteur est argentin. Or, en lisant ce livre, je me suis rappelé avoir déjà lu quelque part que l'Argentine était le pays avec le taux de psys par habitants le plus élevé au monde. Je dirais que ça paraît dans l'Opossum rose, et pas à peu près. Ceci dit, encore une fois, c'est très bien fait. À croire que l'auteur s'y connaît, justement, en matière de relation patient/clinicien.

Bon, j'arrête là. En résumé, pour un bon polar enlevant: oui à L'Opossum rose. Bien traduit, sa lecture est facile bien qu'un peu confondante au départ. La fin est, pour le non-spécialiste du genre, un peu "trop", en ce sens que ça m'a semblé peut-être un peu trop spectaculaire à mon goût. Ça n'en demeure pas moins surprenant, et lorsqu'on lit un polar, n'est-ce pas ce qu'on veut, au fond: être surpris?

lundi 20 mars 2017

Le garçon, par Marcus Malte, éditions Zulma

Une des premières scènes du livre le verra marcher avec le cadavre de sa mère sur le dos. C'est encore un enfant. Puis il prendra la route où il découvrira la survie. Le presque enfant sauvage fera ensuite la découverte des autres par quelques rencontres formatrices, jusqu'à ce qu'advienne celle qui le définira, le remettra au monde, et l'achèvera, en quelque sorte.

Ce livre est l'histoire d'une vie, celle du garçon, d'un territoire, celui de la France, qu'il parcourra du sud au nord, et aussi, et surtout, d'une époque. Né un peu avant le début du 20e siècle, le garçon traversera une époque qui fascine beaucoup la France depuis quelques années: le début du 20e. Après Règne animal, de Jean-Baptiste Del Amo, dont l'histoire passe par la Grande guerre, mais aussi et surtout Au revoir là-haut, de Pierre Lemaître, qui raconte le pendant et le juste après de l'époque, Le garçon, de Marcus Malte, pivote, lui aussi, autour de ce qu'on pourrait facilement appeler "l'événement destructeur".

La particularité tient ici dans le personnage principal. Ce garçon ne parle pas. Il ne sait pas parler. En fait, on ne lui a pas appris grand chose. Seulement sait-il comment se débrouiller pour survivre. Autrement, il a tout à apprendre de la vie en société et des relations avec les autres. C'est ce qu'on le verra faire au fil de ses rencontres. Produit de la vie à l'état brut, il découvrira tout avec la naïveté d'un enfant et la pureté d'un être on ne peut plus naturel, sans éducation, mais aussi sans influences. Là réside l'originalité de ce livre: la pureté d'un personnage qui traverse une époque tout sauf propre. N'empêche que la vie lui fera souvent des faveurs, surtout au début de sa vie. On aura alors droit à des scènes vraiment jolies, parfois drôles et de plus en plus émotives. De plus en plus. Parce qu'émotions, il y a dans Le garçon. On y passera d'un érotisme frôlant la pornographie aux scènes de guerre avec tripes et boyaux. Sans mauvais goût mais hyper intense, on vivra de vraies montagnes russes d'émotions, des plus belles aux plus sombres.
Intense, c'est le mot. Galvaudé, depuis quelques années, il reste quand même un sens profond à ceet adjectif qui définit totalement ce livre. Certains épisodes de la vie de ce garçon sont vraiment très intenses. Tellement que parfois, on se demande si c'est pas un peu trop. Parce que voilà, en plus de la guerre, il y est aussi question d'amour, et les deux extrêmes vont jusqu'au bout de ce qu'un personnage peut en vivre. C'est in-ten-se, et ma fois, c'est souvent très beau.

Pas un roman d'amour, ni un roman de guerre, Le garçon en est un où on dirait que l'auteur s'est fait plaisir. Tout y est clair et direct. À l'image de son personnage principal, ce roman a le mérite d'être sincère et sans fioritures. Il plaira aux amateurs de grands romans qu'on pourrait qualifier de "classiques", aux passionnés du début du 20e siècle, et à ceux ayant besoin d'un roman sans prises de tête, aux sentiments aussi purs que durs.

Un beau roman français.

lundi 20 février 2017

Le plongeur, par Stéphane Larue, éditions Le Quartanier

D'un côté on a une dépendance, un travail sans reconnaissance, le manque de confiance en soi, d'un autre on a l'esprit de groupe, l'amitié, la loyauté. Autour de ça on a Montréal, la nuit, la musique, aimer des choses, s'haïr, en vouloir plus, se donner à fond. Tout ça mis ensemble donne le roman québécois le plus punché, à mon sens, depuis La canicule des pauvres, de Jean-Simon Desrochers en 2010.

Le narrateur a un problème de jeu. Il hante les machines à loterie vidéo de bars miteux ou louches de secteurs moins favorisés de la ville. Les conséquences vont plus loin que le manque d'argent: il ment à ses proches. Embarque la honte. Pour palier son problème, il se trouve un boulot de plongeur dans un resto branché. Arrive l'apprentissage. Pendant ce temps, il abandonne des études en graphisme que des talents en dessin auraient pourtant pu soutenir. Ici, c'est l'espoir.

Ce plongeur nous fera vivre des scènes très fortes de ce vers quoi mène une dépendance, de crises, d'adrénaline et de dépit. À travers ça, on découvrira l'arrière-scène de la restauration. Le monde des cuisines, les tâches, le rythme, mais aussi et surtout, les gens, leur vie aux rythmes des coups de feu, la libération apportée par la nuit. Le narrateur a 19 ans, beaucoup de naïveté, de l'énergie, mais aussi une petite lueur, quelque part derrière, qui lui permettra de garder la tête hors de l'eau malgré tout ce qu'il est en train de vivre.

Sur la jaquette du livre, l'éditeur décrit le livre comme un "roman noir". Je ne suis pas d'accord. Bien sur, on parle ici d'un bout de vie difficile, d'un genre de descente aux enfers, mais il n'y a pas là que des personnages glauques ou que des rues sales. Ce livre contient des moments de beauté où brillent des anti-héros, où surgissent des souvenirs de shows enlevants, où un coucher de soleil d'hiver donnera le goût d'aller marcher dans les rues. Larue porte bien d'ailleurs son nom: il connaît son décor, les rues, le monde. De tels romans deviennent captivants grâce à l'Histoire qu'ils racontent, oui, mais plus encore grâce au fin regard que leurs auteurs portent sur leurs personnages, leur environnement. Dans les scènes de resto, on sent les odeurs, on entend les bruits. On ressort d'autres scènes fatigués, tendus, parce qu'on s'y croirait tellement c'est précis.

Le livre contient plusieurs courts dialogues qui sont écrits dans une langue parlée bien tournée. En fait, y'a pas mieux qu'une langue parlée bien écrite. Ce n'est pas donné à tous. Larue a trouvé le bon dosage. Bon, c'est certain que d'aucuns parmi les puristes n'aimeront pas ça. On sort ici de certaines conventions. Pourtant, les descriptions et la narration ne méritent aucun reproche non plus. Ça coule bien, ça se lit bien, et ça imprègne l'esprit.

Ceci dit, Le plongeur ne plaira pas à tous. Si pour vous l'idée de sortir saoul d'un bar a quelque chose d'incompréhensible ou pire, de répressible, si aller au resto ne vous intéresse pas et si, aussi surprenant que ça puisse paraître, vous n'aimez pas la musique, vous risquez d'embarquer un peu moins fort que je l'ai fait.

C'est le genre de livre qui nous fait perdre un ami lorsqu'on le referme, un peu comme l'expliquera le narrateur en parlant du monde de la restauration dans lequel il gravite. J'ai eu mal pour lui lors de ses descentes aux enfers et aimé autant que lui ceux qui l'ont ménagé. Si la même chose vous arrive, vous aurez hâte, vous aussi, au prochain bouquin de Stéphane Larue. Complètement réussi.

lundi 13 février 2017

Le continent de plastique, par David Turgeon, éditions Le Quartanier

Le garçon est tout frais sorti d'études littéraires à l'université. Ses amis proches et lui forment encore un petit cercle de lettrés dont ils sont fiers. Chacun de ses amis va son chemin plus ou moins bien tracé dans le milieu, qui dans l'enseignement, qui dans l'écriture. Lui, plutôt désoeuvré, assez peu motivé, paresseux et pas vraiment fier de sa nonchalance, accepte un boulot "en attendant": il devient l'assistant d'un écrivain célèbre.

Le temps passe. Le gars n'est toujours pas beaucoup tellement fier de son boulot dans l'ombre, mais son patron s'avère fascinant et son entourage l'est tout autant. Amis, proches collaborateurs et membres de la famille de l'écrivain deviendront autant de prétexte à l'épanouissement de l'employé qui trouvera là des sources de motivation pour prendre place dans la vie, refaire la sienne et se bâtir une nouvelle estime de soi.

Chronique fort divertissante de la vie d'un personnage qui se trouve ennuyeux, Le continent de plastique avait pourtant tout pour me taper sur la rate. Bien que bien écrit, on dirait de l'auteur qu'il emprunte parfois un style très littéraire parce que référant justement à des personnages de ce milieu. N'ayant rien lu des oeuvres précédentes de David Turgeon (qui sont, ma foi, nombreuses), je ne sais trop s'il s'agit de son style habituel ou s'il a ici utilisé de tournures grammaticales à la limite de l'ironie. Si tel est le cas, c'est réussi... mais c'était dangereux. Je réfère ici à l'utilisation de l'imparfait du subjonctif. Vous n'êtes par certain de ce que ça veut dire? C'est normal. Votre site de conjugaison de verbes préféré vous montrera qu'il s'agit là d'un temps de verbe à peu près pas utilisé. Bon, les puristes nous diront qu'il existe, alors pourquoi pas. Oui, mais quand même. Imaginez que vous me jugeassiez sur l'utilisation de verbes que vous vous plûtes à conjuguer comme je viens justement de le faire. Vous me diriez peut-être un peu... prétentieux, ou emprunté? Ça pourrait. Dans son Continent de plastique, David Turgeon en fait parfois usage avec juste assez de retenue pour donner l'impression que l'exercice de style porte ici tout son nom. Enfin, c'est à vous de juger.

Livre fort sympathique, Le continent... contient plusieurs belles scènes. Le déroulement de son action dans des villes aux noms inconnus laisse la place à l'imagination et à l'implantation des décors de votre choix. Ça aussi c'est habile. Seul petit reproche: une fin en point d'orgue qui m'a laissé un peu dubitatif, quoi qu'il y a sans doute là un lien à faire avec le titre, Le continent de plastique, qui référera, tout au long du livre, à une utopie du narrateur. Ce livre tourne justement autour de tout ce qu'on peut bâtir sur pourtant pas grand choses, qu'il suffit d'y croire et se faire confiance pour que surviennent les bons moments, qu'apparaissent les bonnes personnes, et que la vie suive son cours de la meilleure façon qui soit.

Un livre heureux et sans tapage.

dimanche 5 février 2017

Purity, par Jonathan Franzen, éditions Anchor Canada

Purity, c'est une fille dans la vingtaine qui se trouve au centre d'un roman dont elle n'est pas nécessairement... le centre. Élevée par une mère monoparentale dans une petite ville reculée des montagnes de Californie (oui, ça existe des coins perdus en Californie...), cette dernière a toujours tout fait pour cacher à sa fille l'identité de son père. Quant à Purity, elle st gentille mais un peu trash, intelligente mais avec aucune confiance en soi. Bienvenue chez Jonathan Franzen.

Parallèlement à l'histoire de Purity, il y a Andreas Wolf qui poursuit son projet de produire toujours plus de fuites via internet pour que des médias choisis diffusent de bonnes et vraies informations (ça vous dit quelque chose?). Plus connu et admiré que Julian Assange, Wolf est un Allemand de l'Est qui dirige maintenant son affaire à partir d'une vallée bolivienne où travaillent pour lui une armée de jeunes filles recherchistes et de jeunes geeks chevronnés.

On comprendra que ces deux histoires se croiseront. Je ne dévoilerai rien de l'intrigue, vous m'en voudriez, car pour faire se croiser deux personnages qui partent de tels antipodes, il faut être sacrément tordu. Voilà encore Jonathan Frenzen: un écrivain tordu qui écrit des choses tordues... sur une société tordue. Et pourtant, plus qu'une autre critique de la société américaine, il dresse ici un portrait d'une bonne majorité de la population, disons... universelle: il y a les tortionnaires, et il y a les torturés. Mais voilà, on ne parle pas ici de gros méchants despotes et de leurs contestataires. Non. On parle plutôt de relations... parents-enfants.

Dans Purity, il est question de control-freaks et de chantage émotionnel où les plus mauvais rôles sont joués par... des mères. En ce seul sens, ce livre est extrêmement tordu. Oui, on en a vu des portraits de mères dominantes, du style Jewish-Mother ou mère italienne envahissante. Ici, c'est autre chose. On parle plutôt d'égoïsme, d'égos surmultipliés et de pouvoirs qu'ont certains sur les autres, et ce sans aucune légitimité légale que ce soit. Dans une certaine scène, un des personnages se sent comme si un autre lui mettait une cuillère de bois dans le cerveau pour lui triturer les méninges, et ce au vu et au su des deux protagonistes, tant du porteur de la cuillère que du propriétaire du cerveau. Et si on avait tous quelqu'un qui cherchait à nous contrôler, que ce soit dans notre vie personnelle ou professionnelle? Tous? Peut-être pas. Mais alors qui s'en sort? Qui sont les plus libres d'entre nous? Comment se libérer de quelqu'un qui nous connaît trop? Nos faiblesses sont autant d'aimants qui attirent les contrôleurs. Et pourtant, ces contrôleurs agissent ainsi parce qu'eux aussi, justement, ont des faiblesses encore bien plus grandes que les nôtres.
L'intrigue est digne des polars psychologiques les plus enlevants. À la façon des grands romans américains, Purity contient des dialogues extrêmement savoureux et des moments forts tant dans la cruauté que dans le presque burlesque. Fort, Franzen connaît son matériel: l'humain. Bon, maintenant, devrait-t-on préciser la nature de l'humain en question en précisant son américanité? Pas certain puisqu'il nous propulse entre l'Allemagne de l'Est d'avant 1989 et les USA de l'ère numérique. Alors, l'américanité est-elle seulement propre à l'auteur? Peut-être. Les étrangers ont-ils les mauvais rôles? Les femmes seraient-elles dépeintes comme plus viles que les hommes, qui seraient d'éternelles victimes dont on pourrait, à la limite, excuser les crimes?

Ça fait beaucoup de questions, et il y a de quoi. Purity est étonnant et complètement captivant, tout américain qu'il est, avec ses forces (le récit) et ses... disons... particularités (ses personnages). Et si le titre/nom du personnage vous faisait peur, voyez ça comme un leurre. C'est, en fait, tout aussi tordu que ce que ce livre raconte, et ce qui en fait un grand livre. S'il n'est pas aussi grinçant que Freedom, le lire précédent de Franzen, Purity le rejoint en termes de structure, parce que ce livre est comme constitué de plusieurs livres qui, mis ensemble, en créent un excellent qui se lit avec plaisir.

Purity est aussi paru en français aux éditions Boréal.