dimanche 27 décembre 2009

La trilogie berlinoise, par Philip Kerr, Éditions du Masque


Non mais à quoi à pensé l'éditeur? Le livre est le plus lourd que j'ai jamais acheté. J'ai des dicos plus légers. Bon, vous me direz, j'aurais pu attendre l'édition de poche ou en chercher une autre, sachant que la Trilogie... a d'abord été publiée à la fin des années '80. Mais voilà, y'avait que cette édition chez mon libraire. Impossible à trainer dans son sac, beaucoup trop lourd. Et à la maison, y'avait pas 36 façons de le manipuler, en se coupant les paumes ou ressentant une fatigue au bras après quelques minutes. Un livre, c'est quelque chose qui bouge, faut se le rappeler. Et oui, y'a des ouvrages de plus de 800 pages qui sont beaucoup plus légers.Infiniment plus légers. Allez voir dans une librairie anglo! Non mais vraiment, il faut le dire. Ces modèles sont vraiment trop. À quoi pensent les éditeurs francophones?

Ceci dit du contenant, voyons le contenu. Du policier, dans tout son sens, toute sa splendeur et dans tous ses clichés. Un maître de jeu: inspecteur privé, bien entendu. Rien n'arrête ce cher Bernie, rien ne lui fait peur. S'il se retrouve dans quelque situation impossible, il saura toujours pousser une bonne craque. Buveur, célibataire tombeur de ces dames, s'allume une cigarette à toutes les deux pages ou à peu près, Bernard Gunther n'a rien à envier à tous les personnages qui peuplent les policiers depuis que le genre existe.

Non, je ne suis pas un fan de policier, mais il valait la peine de se taper celui-là pour une raison particulière: l'ambiance, le décor, celui du Berlin de juste avant et de juste après la 2e guerre. Après avoir lu Les Bienveillantes, j'avoue avoir eu la sensation de retourner dans un endroit connu, glauque comme nulle part ailleurs, mais décrit dans le moindre détail, dur mais fascinant.

La Trilogie... ce sont trois histoires, trois enquêtes de Bernard Gunther. Ses personnages sont souvent des noms connus: Himmler, Nebe, Müller. Quant aux fils de l'intrigue, n'étant pas un amateur, j'ai souvent été perdu, parce que pour aller d'un point "a" à un point "b", dans le policier, c'est rarement la ligne droite... Rien à redire, toutefois, sur l'écriture et la traduction. C'est efficace, froid, teinté de l'humour noir du genre, mais encore une fois, qu'il me soit donné de souligner la recherche, la connaissance d'une ville qui n'existe plus telle que décrite. Et pourtant on la traverse de bord en bord, rues par rues, pièces par pièces. Excellent voyage dans le passé, original par sa mise en situation, mais pas par son propos. Essentiel pour les amateurs, belle curiosité pour les autres.

lundi 21 décembre 2009

Vu d'ici tout est petit, par Nicolas Chalifour, Éditions Héliotrope


Il me semble qu'on se complet à trop rester chez-soi. On est bien, tout nous appartient, on peut tout prévoir et tout ce qui nous entoure nous est compris, facile, confortable... mais peut-être un peu anesthésiant à la longue. Aussi, après une longue période de réclusion, lorsqu'on sort, l'ordinaire des autres devient un choc. On redécouvre tout. Et si même on va plus loin que sa rue, alors là c'est la totale.
Vu de ce que je lisais depuis un bon bout de temps, tout était quand même assez petit, simple, replet. Avec Nicolas Chalifour, j'ai carrément pris l'avion après des années d'hibernation. Son premier roman ressemble à quelque chose comme mon meilleur livre de l'année.
L'histoire vous semblera peut-être banale: c'est celle d'un manoir construit il y a longtemps, abondonné puis retapé en hôtel. Le personnage principal, enfin le second personnage, c'est le manoir lui-même. Les personnages secondaires sont ceux qui l'habite puis, qui y travaillent. Véritable hommage à tous les métiers de l'hôtellerie, on y voit serveurs, maîtres d'hôtel, chefs, sous-chefs, femmes de chambre et consorts s'y affairer. Mais voilà, l'originalité tient ici de là où on les voit.
Le personnage principal, c'est le narrateur. Difficile d'en dire plus parce qu'il est impossible de le décrire. Quelqu'un raconte, à moins que ce ne soit quelque-chose qui observe. "Vu d'ici tout est petit" est la chronique d'un personnage impossible. Et le coup de génie dans tout ça, c'est d'avoir transposé cet inconnu dans la forme même de sa narration: tout est raconté au "on". Pas de "je" ni de "il", mais le "on", partout, toujours. Déroutante aux premières pages, cette narration s'apprivoise au fil des pages, jusqu'à ce qu'on se constate complètement charmé par cette voix venue d'on ne sait où. Ici plus que jamais, le pronom impersonnel prend tout son sens. Quelle excellente idée!
Et ce ton passe rapidement de charmant à loufoque, voire hilarant à certaines reprises. Du bon temps, vous dites? Absolument.
S'il me fallait faire un seul reproche à l'auteur, ce serait la fin, qui fait s'achever ce qui était une longue et incroyable description d'un lieu en une série de scènes qui font de tout ça une histoire, un drame. Même sans les 20 dernières pages, pas mauvaises pour autant, "Vu d'ici tout est petit" m'aurait quand même majusculement plu. Cette voix unique me suivra longtemps. Quel excellents moments. Bravo pour ce premier roman!

jeudi 10 décembre 2009

Une année sous silence, par Jean-Paul Dubois, Éditions Points


Me fallait un format léger pour le voyage, quelque chose de bon pour la détente, alors j'ai vite fait et opté pour une valeur sure, comme on appelle un vieil ami lorsqu'on a l'impression d'avoir tout perdu.

Je ne me suis pas trompé. Je n'ai pas tout lu de Dubois, loin de là, mais quand même assez pour avoir développé un lien. Et avec le temps, un tel lien, ça devient un besoin, alors on craque.

C'est justement ce qui est arrivé au personnage principal de ce bouquin sorti en 2005. C'est l'histoire d'une lente descente, d'une perte de tout, de ce qu'il aimait, même de lui. Non, ce n'est pas là l'histoire la plus jojo qu'ait écrit Jean-Paul Dubois, mais on retrouve malgré tout son ton "sympatique" même si les sentiments décrits ne le sont pas. Ce qui pourrait, chez d'autres auteurs, devenir une série de scènes gores et presque télévisuelles devient matière à penser, chez Dubois. Rien de lourd, non, juste les bons mots pour décrire un malaise, exactement comme on l'a déjà ressenti nous aussi en d'autres situations.

Toujours de curieux de constater qu'un auteur vous fait du bien même s'il vous raconte quelque chose de triste. C'est là, sans doute, le pouvoir de l'enchanteur.

Je sais que son dernier roman est sorti dernièrement, et qu'il se passe en partie chez-moi, au Québec. Ça peut attendre. Comme c'est maintenant un vieil ami, Dubois reviendra un jour à l'improviste. D'ici là, je vous recommande vivement de faire sa connaissance. Moi j'ai commencé par "Une vie française". Je dis ça comme ça...

samedi 24 octobre 2009

Piazza d'Italia, par Antonio Tabucchi, Éditions Folio


J'ai toujours eu un penchant pour les livres à images, ceux écrits par des peintres du verbe, des auteurs dont les formulations tiennent des plus fameux coups de pinceaux. Alors imaginez une tisserande de filets de pèche qui "tissait des filets de distraction", de son amoureux "qui la regardait avec adolescence", imaginez un vol de fenètres pour fuir les temps troubles qui s'en viennent, des fenètres qui ne veulent pas voir.

Antonio Tabucchi peint plus encore qu''il écrit. Cet homme perçoit le monde autrement, du fond du coeur. Cette histoire d'une famille à travers trois générations aurait pu s'étendre sur plusieurs centaines de pages, mais non. Tabucchi en a fait un portrait plutôt qu'un récit. Portrait de famille à travers celui de l'Italie naissante de Garibaldi jusqu'après la deuxième guerre, Piazza d'Italia emmène le lecteur à Borgo, petite ville traversée par le temps, par des personnages parfois felliniens, parfois hyper-réalistes, universels dans leur vision des gens et des événements.

L'écriture d'Antonio Tabucchi berce. Je ne saurais en dire quelque mal qui soit. J'oserai une petite comparaison avec Baricco en ce que tous les deux savent mettre en scène l'événement le plus anodin en magnifiant la perception d'un personnage. Qu'une cloche fonde sous l'effet d'un brasier, elle aura fondu de malheur. Qu'un homme attende cinquante années pour que la femme qu'il aime concède à lui accorder sa main: on comprendra. Mettre en scène des images autour des personnages et des décors les plus banals relève du grand art. Tabucchi le fait sans peine. Ses descriptions sont essentielles sans pour autant être interminables.

D'abord paru en 1975, Piazza d'Italia a le bonheur de se retrouver sur les tablettes sous un nouveau format. Belle initiative qui donne l'envie folle de re découvrir l'oeuvre de Tabucchi. J'avais déjà été charmé par "Tristano meurt". Cette fois, je suis accro.

dimanche 20 septembre 2009

Tarmac, par Nicolas Dickner, Éditions Alto


Un conteur, un vrai, c'est rare. Un vrai conteur saura capter votre attention en saupoudrant l'histoire la plus ordinaire de succulentes incises, d'expressions imagées, de mots insérés juste aux bons endroits. Si on identifie plus souvent le conteur à la tradition orale, on le repérera aussi en littérature. Il s'agira plus souvent d'une plume narrative. Vous aurez l'impression qu'on vous parle, vous entendrez la voix de l'auteur. Il vous fera sourciller et rire. De toute évidence, Nicolas Dickner est de ceux-là.

Tarmac, même s'il couvre un vaste territoire géographique (bien que concentré en majeure partie à Rivière-du-Loup, au Québec, une ville qui, de toute évidence, ne paie pas de mine), n'est pas de la trame "road movie" de Nikolski, le premier ouvrage de Dickner. Avec ce dernier, on suivait un périple. Là, on est plutôt immobile. Plutôt que d'avancer, on observe, ou plutôt, on écoute car l'auteur sait donner du coffre aux personnages qui pourraient de prime abord nous sembler bien ordinaires.

Il est ici question de fin du monde, dans tout ce que le thème a de caricatural, souvent de grotesque, voir de pathétique. Mais voilà que l'obsession devient touchante, autant que Michel et Hope, les personnages principaux. Raconté au "je", Tarmac séduit comme un conte de Dickens ou d'Andersen en version moderne. Il happe.

Si au début j'ai cru à un roman sans trop d'éclat, je me suis vu embarquer dans son bateau. Il est de ces romans sans trop d'images qui nous bercent par la seul voix de l'auteur, par ces mots pétillants, ces petites remarques ou exclamations qui viennent épicer le récit, un peu comme le font un Échenoz ou un Jean-Paul Dubois.

Nicolas Dickner a, avec Tarmac, confirmé à ses fans qu'il est de l'étoffe de ceux dont on attend déjà impatiemment le prochain ouvrage. Encore!

lundi 7 septembre 2009

Cercle, par Yannick Haenel, Éditions Gallimard


L'envie de tout lâcher, de laisser là sa vie, son conjoint, son boulot. Laisser passer le train ou l'autobus un bon matin et s'en aller, lancer sa serviette dans le fleuve et errer ça et là. Se sentir libre. Voilà ce que suggérait la quatrième de couverture de Cercle. Tentant. Or, l'expérience fut diffficile, pour l'auteur comme pour moi, bien que concluante à certains points.

L'histoire commence à Paris, se continue à Berlin et aboutit en Pologne. Le mec se promène, vagabonde, rencontre un peu de monde et ô Lueur, découvre l'écriture. Alors le mec raconte son histoire, celle de son errance, de ses amours et surtout, mais alors là surtout, de ses pensées profondes. Loin de moi l'idée de reprocher à un auteur d'exprimer ses pensées, mais celles-ci peuvent devenir lourdes si elles sont accompagnées de tics d'écriture. Sur les deux cent pages et quelques du livre, de quarante à cinquante fois ai-je lu "Je me disais...". Il marche, pense à quelque-chose: "Je me disais...". Il est malade, ça va mal: "Je me disais...". À la longue, ça tappe un peu. Et c'est sans compter les quelques scènes de baise du style "tu la sens ma queue". Bon, ok, l'érotisme a sa place, mais dans Cercle, ça sonne un peu mal.

Et pourtant, le parcours du bonhomme est intéressant. Sa quête est celle de sa vraie vie, de la liberté au sens le plus personnel. Le narrateur cherche le bonheur, la voie, SA voie. Si sa quête est noble, sa façon d'y arriver est bonne parce que souvent anecdotique, mais la façon de la raconter laisse supposer une écriture en apprentissage. On dirait une bonne chanson, mais avec quelques accords faux. Intéressant, certes, foisonnant d'idées, absolument, mais peut-être un peu trop lourd dans sa forme.

Digeste, mais à petites doses à la fois.

dimanche 6 septembre 2009

The Road, par Cormac McCarthy, Éditions Vintage


Fréquentez-vous parfois les librairies anglophones? C'est un autre monde. On dirait un club vidéo. Les couvertures de livres y sont souvent affichées en format poster et les bouquins eux-mêmes exposent des illustrations aux titres immenses avec des images aux couleurs criardes qui rendent les rayons étourdissants. On dirait qu'on incite le consommateur à faire son choix en fonction de l'image. Curieux marketing.

En main, le bouquin, même s'il est énorme, est plus souvent qu'autrement incroyablement léger, d'une reliure toute simple et imprimé sur un support qui fait souvent penser au papier journal. Dernière chose qui surprend: le prix. En moyenne, un bouquin en langue anglaise coûte près de la moitié d'un équivalent (en notoriété) en français. On a entendu toutes les raisons de la part des éditeurs francophones pour invoquer ces différences, mais qu'il me soit permis de questionner le format. Oui, un bouquin de Gallimard, c'est joli, imposant, littéraire jusque dans sa parure. Mais si les formats étaient, dès la sortie, comparables à ceux des éditions en anglais, paierait-on un peu moins cher? Intéressant débat. En fait, j'espère qu'il s'agit toujours d'un débat. Le sujet semble tabou dans le monde de l'édition francophone. Vivement un nouveau débat public sur le prix des livres.

Ceci dit, prenons The Road. Il m'a fallu lire cet ouvrage, paru il y a deux ans, dans sa langue originale. Raison principale: rarement m'en a-t-on autant parlé dans mon entourage. Tant de gens l'ont lu avant moi, et autant m'en ont parlé avec tant de ferveur que je ne voulais pour rien au monde en manquer l'essence. Mon choix fut excellent, les références de mes amis aussi. Ce livre fera sans doute l'Histoire.

Un homme et son fils marchent sur une route. Ils sont seuls. Vraiment seuls. Il n'y a plus rien autour d'eux, de vivant, ou si peu. Quelque chose s'est passé dans le pays traversé par les deux personnages. Jamais McCarthy n'en fera mention. Il laisse à l'intelligence et a l'imagination du lecteur le loisir de mettre en scène les scènes précédant son récit. Parce que ce vide, ce rien, cette fin que l'homme et son enfant parcourrent, c'est tout simplement le personnage principal. Ici, espoir et désespoir se chevauchent, un faisant la place à l'autre, et nous transportent en montagnes russes. On atteint parfois lentement un sommet et survient l'espoir. Puis, on descend rapidement jusqu'au désespoir, l'estomac tordu, les doigts appuyés fort sur les pages aussi grises que la cendre qui recouvre tout.

Certaines scènes vous font fermer les yeux de tant de cruauté, d'autres vous bercent de tant de tendresse. Cette écriture est majeure, majuscule, dure, mais polie.

Il n'y avait pas besoin d'en faire un film. Les bandes annonces laisser présager une adaptation faisant fi de tout ce qui stimule, dans le livre, l'imagination et le désir d'avancer avec eux. Mais bon, j'imagine que si les paroles, et avec elles les images, s'envoleront, les écrits, eux resteront.

Époustouflant.

dimanche 2 août 2009

Les aventures miraculeuses de Pomponius Flatus, par Eduardo Mendoza, Éditions Seuil


Un officier romain est à la recherche d'une source d'eau miraculeuse. Sa quête le fait traverser l'Empire romain et de fil en aiguille, il se retrouve en Galilée, à Nazareth, où des locaux l'emmèneront à réaliser une enquête sur une curieuse histoire de meurtre. Encore faut-il préciser que les recherches du bonhomme trainent leur lot d'inconvénients. Gouter à des eaux de qualité douteuse occasionnent de désabréables troubles intestinaux. Détail, me direz-vous. eh non. Pas avec Mendoza. Ici, flatulences et glouglous ont leur importance.

Car c'est (souvent) ça, Mendoza: de l'ironie, du cynisme et du désopilant. Avec des personnages qu'on a déjà vus ailleurs : un enfant nommé Jésus, son père Joseph condamné à la crucifixtion et frustré par les cancans au sujet de sa famille, son cousin Jean au caractère anti-social, Mendoza brasse une soupe juste assez épicée. J'ai retrouvé là le ton pompeux et les personnages caricaturaux du "Dernier voyage d'Horatio II" et de "L'artiste des dames". Meilleur que son dernier, "Mauricio ou les élections sentimentales", mais pas aussi grandiose que "La ville des prodiges", "Les miraculeuses aventures..." procurent tout de même de bons moments, iconoclastes et tordus. Mendoza a le don de faire passer les grosses têtes pour de pauvres cons, ce qui a toujours l'heure de nous réjouir.

Bon, ok, le dénouement laisse à désirer et semble un peu facile, reste qu'il fait plaisir de suivre le personnage "woody allenien" se dépatouiller dans ce qui ressemble à un genre de Da Vinci Code trash.

Lecture d'été? Oui, peut-être, en ce qu'on ne s'y prend pas la tête et qu'on ne s'y ennuit pas. Bon pour découvrir Mendoza, bon pour faire sourire, parfois rire, et bon surtout pour imaginer que cet auteur prolifique serait fort bien avisé de nous livrer une suite des aventures de son personnage sans nom qu'on a suivi dans trois de ses oeuvres précédentes, dont l'inégalé "Artistes des dames".

lundi 13 juillet 2009

La trahison de Thomas Spencer, par Philippe Besson, Éditions Julliard


Sachez d'entrée de jeu que j'aime Philippe Besson, que je l'ai toujours aimé et que je l'aimerai encore.

La lecture de Philippe Besson m'a toujours souri. Même si c'est pas drôle, même si c'est souvent triste. J'aime ses personnages tirés de l'ordinaire. On dirait que cet auteur a fait sien le modèle américain du personnage qui pénètre l'écran par la salle, à qui on s'identifie facilement, ou qu'on pourrait confondre avec son voisin. De vies communes, il tire une tare, un souvenir, un attribut qui fera toujours souffrir. Parce que non, les histoires de Besson ne sont pas jojos mais voilà, absolument pas misérabilistes. Elles sont belles comme ces brumes qui les recouvrent souvent, ces coups de chaleur qui immobilisent tout, ces gens qui en viennent toujours à se déchirer quelque-part parce mal soudés, ou trop, c'est selon.

Ici, le titre dit tout et laisse présager de l'issue de l'histoire dès le début. C'aurait pu être frustrant, et pourtant non. Besson amène l'action à travers des traits de caractères connus: des hommes aux allures dures, mais immensément fragiles en dedans. Ne décrit pas qui veut la sensibilité. Ça peut tomber dans le mièvre, la littérature de gare ou le semblant de thérapie. Pas avec Besson. Il vous la décrit comme s'il vous la retirait pour l'étendre là, juste devant vous, en vous faisant constater que même lorsqu'on ne se croit pas sensible aux choses ou aux gens, on l'est quand même, malgré soi.

"La trahison..." n'a pas la force de "Un instant d'abandon" qui restera pour moi une des plus belles histoires de désir que j'aurai jamais lue. N'en reste pas moins qu'il happe aussi efficacement que toute son oeuvre et encore une fois, c'est réussi. C'est écrit simplement, on y respire bien. C'est sans incises interminables, c'est hachuré, et c'est beau.

Dernier petit constat: l'histoire poursuit la trame des années '60, aux États-Unis, en relatant les grands instants tragiques alors vécus. Est-ce moi ou y'a là comme un thème, cette année? On dirait qu'on sort beaucoup les années '60, ces derniers temps. Syndrôme de l'épouvantail? On veut pas que ça arrive encore? Ou alors on en sublime les événements pour les provoquer maintenant, dans notre temps? À vous de vous faire une idée. Quant à moi, les années '60 ne sont pas référentielles, ni elles ni aucune autre du siècle dernier. Du passé, me semble-t-il, restent de belles images, mais pas de beaux exemples à suivre. Enfin, rarement.

dimanche 28 juin 2009

Le ciel de Bay City, par Catherine Mavrikakis, Éditions Héliotrope

Le Prix des libraires 2009 (Québec) - Meilleur livre francophone - donne la parole à une jeune femme née et grandie dans un bungalow d'une petite ville minable du Michigan. Élevée par une mère célibataire et sa famille immédiate, des immigrants français ayant fui l'Europe peu de temps après la guerre, la narratrice découvrira sa judéïté, les membres de sa famille morts à Auschwitz, et n'en reviendra pas. En voulez-vous du tragique, en voilà. Une presqu'ado mal aimée de sa mère, un passé familial horrible qu'on tente de lui cacher, une ville sans âme au ciel pollué et sans avenir, vraiment, rien pour rire.

Catherine Mavrikakis s'est sans doute mérité son prix pour la qualité de sa plume. Bien que dur, le récit coule bien. C'est, à ma grande surprise et mon aussi grande déception, tout ce qui m'a plu. Du reste, cette voix qui crie, qui hurle à presque chaque page des "Je suis morte", "Je veux mourir", "Je n'aime pas la vie", cette voix, donc, ne m'a pas transporté. Oui, on en a lu des histoires sur ou découlant de la Shoah, de ses horreurs, de ce que ça a engendré. On en a vu des films sur le même sujet. Après 60 ans, ce sujet inspire encore et sert encore, avec raison, d'exemple à ne plus suivre. Mais voilà, après tout ce qui en a été dit et écrit, il faut une voix, un propos foutrement original, franchement démarqué, pour attirer l'attention, ou à tout le moins la mienne. Après Paul Auster, Jonathan Littel, Michael Chabon, Woody Allen, Steven Speilberg, et j'en passe et des mille et des cent, qu'on ne se surprenne pas qu'un lecteur comme moi ait poussé un :"Ah non, pas encore", en constatant le propos du livre. Oui c'est bien écrit, oui on ressent une colère profonde, un mal de vivre dérangeant, mais je regrette, j'en ai marre.

Et c'est sans compter les quelques clichés qu'on y retrouve parfois, du gentil patron compréhensif et original qu'on soupçconne original, et des personnages "cachés" qui sortent à un moment donné de nulle part et qui traînent les métaphores avec eux comme autant de boulets. dur.

Les doélances de nombreux peuples me rejoignent, soient-ils juifs, bantous, afghans, ou tout autres, mais si on m'assome trop, je me prends la tête ou à tout le moins je regarde à chaque page que je tourne combien il en reste à lire.

Je n'ai rien lu de Mavrikakis avant et on en dit beaucoup de bien. J'attendrai donc son suivant en prenant bien soin, cette prochaine fois, de m'informer sur son sujet. Car je ne parle pas ici d'un mauvais livre, mais juste d'un récit qui ne m'a pas touché du tout. Mauvais timing? Peut-être. Je crois encore que certains livres nous touchent particulièrement parce qu'on les a lus à un certain moment de notre vie. Mais je crois que les plus forts nous atteignent à tout moment, nous attrapent par surprise soit en nous faisant rire dans une époque nuageuse, soit en nous touchant dans un moment de bonheur simple. Or ici, rien. Je comprends même difficilement le prix accordé. Si la voix est juste, elle n'apporte rien de nouveau sous le soleil des délaissés, des laissés pour contre, des tristes et des mal nés.

Triste, donc, mais c'est comme ça. Dommage pour le ciel de Bay city.

lundi 8 juin 2009

Toute la nuit devant nous, par Marcus Malte, Éditions Zulma

Premier contact avec cet auteur prolifique. "Toute la nuit devant nous" contient trois nouvelles qui toutes mettent en scène soit des enfants, soit des ados. Si je l'avais su avant, ça m'aurait rebuté. Pas que je n'aime pas les enfants, bien au contraire, mais je n'avais pas envie d'histoires dites "touchantes" où des enfants décrivent une version naïve de drames avec, au bout, une morale douceureuse. Tel n'est pas le cas ici.

Malte situe ses actions en France, ses personnages sont carrés, découpés et s'ils côtoient la mort (ce qui survient incidemment dans les trois histoires racontées), celle-ci ne se résume à rien d'autre que la fin de quelque chose. Mais si les histoires sont dures, l'écriture ne l'est pas. Malte manie les mots comme un fin escrimeur: les mouvements sont adroits, souvent remarquables, le touché sans pitié. Il fait bon retrouver le "bien écrit".

Des trois nouvelles, celle qui m'a le plus touché résulte en une hécatombe qu'on devine dès le début du récit, mais la façon de l'auteur d'amener le "pourquoi" de tout ça m'a particulièrement transportée. Les autres histoires, si elles n'ont rien d'exceptionnelles, captivent efficacement. On termine chaque partie du livre avec un sain recueillement.

Trois petites nouvelles, c'est bien peu pour faire le tour d'un auteur. Ma curiosité étant piquée, je voudrai bien, une autre fois, retomber dans l'univers assez glauque mais brillament ficelée de Marcus Malte. Je noterai enfin que je ne ferais pas de "Toute la vie devant nous" une lecture de vacances, mais une de chevet, à lire dans le calme ou à tout le moins dans la pénombre. Ben quoi, vous trouvez pas, vous, qu'à force de lire, on en développe des envies de mise en scène?

dimanche 7 juin 2009

Le club des policiers yiddish, par Michael Chabon, Éditions Robert Laffont


Après la 2e guerre, des Juifs sont allés se battre pour reconquérir la terre d'Israël. Or ça a raté. Le peuple juif se retrouvant une autre fois sans terre, le gouvernement américain lui concède une partie de son territoire pour s'y installer provisoirement. C'est ainsi que se bâtit Sitka, une ville de 3 millions d'habitants... en Alaska. Les Juifs de de toutes les communautés qui soient s'y retrouvent mais voilà, il leur faut partir car le territoire sera bientôt rétrocédé à l'Alaska. Jusqu'où iront les plus extrémistes pour tenter de débarquer à Jérusalem?

Voilà, la table est mise pour "Le club des policiers yiddish". Le contexte est original, les personnages aussi. Sitka est une ville préfabriquée, laide, où la criminalité cotoie les divisions religieuses et le pouvoir y est partagé entre gros durs et rabbins.
Le bouquin est policier. S'y démarqueront deux inspecteurs appelés à élucider un meurtre à première apparence banale. Les deux protagonistes sont du crû, un juif, l'autre mi-juif mi-autochtone de l'Alaska. Colorés, leurs vies le sont aussi et comme tout bon personnage de roman policier américain qui se respecte, y'a de l'alcoolisme, des couples qui vivotent et de petites blagues lancées aux moments normalement jugés les plus stressants ou dangeureux, genre "Hasta la vista baby".

Je ne suis pas un grand fan de romans policier et ce livre-là ne m'a pas réconcilié avec le genre. Si la mise en scène est excellente, le traitement, lui, ne m'a pas soulevé. Et pourtant, Chabon m'avait fait rugir de plaisir il y a quelques années avec "The Incredibles Adventures of Kavalier and Klay". Bon ok, l'auteur est manifestement d'origine juive et sa judaïté se manifeste dans toutes ses histoires. Faut se se le tenir pour dit. Mais le positionnement de ses personnages en Amérique leur donne une allure un peu cartoonesque. C'était le cas avant, mais là, avec "Le Club...", ça donne allègrement dans le cliché. Mais peut-être qu'un amateur de romans policiers saura me dire que je me trompe.

Soulignons enfin la très discutable qualité de la traduction. Par exemple, personnellement, un "soda cerise", ça me semble très loin d'un "Cherry Coke". Eh, Robert Laffont, y'a plein d'excellents traducteurs pour des romans américains de ce côté de l'océan!

dimanche 26 avril 2009

Paul à Québec, par Michel Rabagliati, Éditions La Pastèque


Une bande dessinée comme un roman, un objet qui devient un ami: j'en aurais trop à dire sur l'oeuvre de Rabagliati. Il y avait pourtant longtemps que j'avais lâché la bande dessinée lorsque j'ai découvert Paul, présenté par une amie libraire. Depuis, chaque apparition d'un nouvel album est prétexte à un grand bonheur.

Ce ne sont pas tant les dessins que les histoires de Rabagliati qui touchent. Tirées du quotidien d'un Québécois ordinaire, on pourrait qualifier les scénarios des planches de Rabagliati de "hyper-réalistes". Les aventures vécues par Paul sont communes, simples mais si vraies qu'elles en deviennent automatiquement sympatiques. Paul est un "soi" qui pense tout haut. Il va à l'épicerie, se bat avec des modes d'instructions, aime, observe. Ici, il vivra la maladie de son beau-père, et avec lui les 3 filles du malade. C'est un voyage à travers des souvenirs d'enfance des années 70, des congés passés chez ses parents vieillissants, l'accompagnement d'une personne malade. Et ça reste une bande dessinée. J'avoue avoir bien ri à certaines occasions et avoir été bouleversé à la fin du livre qui se termine de si belle façon. En fait, Rabagliati utilise ses dessins pour donner à la réalité une bonne part de rêve. Ainsi les 2 dernières pages de cet album grandiose, mais aussi quelques scènes, dont le rêve d'un des personnages qu'on se dit presque j'avoir déjà rêvé nous aussi.

J'ai parcourru Paul à Québec dans mon lit, me l'offrant à petites doses avant de me coucher pendant quelques jours. Il me manquera cruellement. Aussi ai-je la ferme intention de décréter les bandes dessinées comme lectures de chevet pour l'été qui vient. Qui sait si je ne viens pas de me découvrir une nouvelle habitude.

Pour qui est curieux, a envie de changement dans ses lectures sans pour avoir l'impression de perdre son temps, je suggère fortement tous les livres de la série "Paul" de Michel Rabagliati. Et pour qui a entendu dans les médias québécois que "Paul" est en voie de devenir le Tintin québécois, je dis de ne pas vous en faire, ça n'a aucun rapport. Tintin est un produit international, généraliste tant par son propos que par ses aventures. paul, lui, est plus particulier parce qu'intrinsèquement Québécois, mais si ouvert et sans prétention qu'il constitue une des meilleures façons de découvrir cet endroit d'où il nous vient.

Chapeau bas à Michel Rabagliati, pour l'intelligence et pour les bons moments, et vivement un prochain Paul!

mardi 7 avril 2009

Nouvelle grammaire finnoise, par Diego Marani, Éditions Rivages


Je lis rarement deux fois le même livre. J'ai eu l'occasion de relire celui-ci, et c'est avec joie que je l'ai revécu, parce qu'il s'agit d'une histoire qui se vit, qui se ressent très fort.

Fin de la 2e guerre, un homme est retrouvé presque mort, en Italie, par un médecin Finlandais. L'homme en question portait la veste d'un bateau de guerre finlandais, d'où l'attachement du docteur. Or, l'homme a complètement perdu la mémoire. Son sauveur aura vite fait de lui ré-apprendre da langue et de le retourner en Finlande. Or, le médecin avait-il raison de tout faire ça?

C'est un récit sur l'identité et sur la fierté. Un bel hymne à l'appréciation de ce que l'on est intrinsèquement en tant qu'humain: quelqu'un avec une histoire, des souvenirs, une langue et un lieu de naissance. La "re-découverte" de son nouveau pays par le personnage principal passera par les tons du ciel, les voix entendues, les gens à regarder, mais aussi et surtout, à travers un autre personnage très fort, la découverte de la langue comme une partie de soi. De là où je vis, au Québec, cette histoire est particulièrement touchante. D'Italie en Finlande, elle parle des peuples et des individus, chacun ayant droit aux fiertés et aux caractéristiques de l'autre sans pour autant choquer quiconque. À une époque où, au Québec, la fierté nationale est reléguée au rang de folklorisme vaguement fascisant par des alter-mondialistes qui n'ont rien compris au monde, il fait bon se faire dire dans une belle histoire qu'on a droit d'être tel qu'on a été fait, et non tel qu'on voudrait que l'on soit.

Nouvelle grammaire finnoise est court, écrit doucement mais clairement, sans fioritures. Écrit et paru il y a quelques années déjà, j'espère pouvoir trouver un autre ouvrage en français de cet autre auteur italien inspiré. Chaleureusement recommandé.

dimanche 29 mars 2009

Telle mère, quelle fille? de Sophie Thibault et Monique Larouche-Thibault, Éditions de l'Homme


Chère madame Thibault,

J’ai 43 ans, je vis à Montréal. Originaire du Saguenay, mes parents âgés de 71 et 73 ans y vivent toujours. Lorsque j’avais 7 ans, ma mère, à son réveil, c’était un dimanche, ne voyait plus rien. Après des mois de va et vient entre des hôpitaux du Saguenay et de Québec, le diagnostic de sclérose en plaques et tombé. Le reste n’est qu’histoire, vous la connaissez, c’est celle que vous racontez dans votre livre.

Jamais n’avais-je lu ni même entendu ailleurs que dans ma propre expérience tous ces questionnements tirés de la tête d’un enfant dont la maman ne sera jamais semblable aux autres. Avoir 12 ans et être déjà si vieux parce qu’on l’a déjà relevé si souvent après une chute, qu’on l’a aidée à couper ses aliments, qu’on lui a servi de canne pour se déplacer. Avoir 17 ans et en avoir assez, hésiter entre le remords et la liberté, puis partir et toujours être hanté par cette culpabilité qui provient de soi, d’elle, des autres...

Votre mère avait son caractère, la mienne aussi. Vous lui reprochez sa froideur... moi aussi pour la mienne. Et pourtant ça ne s’est pas exprimé de la même façon pour moi. Votre mère a écrit, elle s’est taillé une carrière publique, et vous aussi. Vous, madame Thibault, vous avez voulu sauver le monde, sauver des gens, vous oublier comme vous tentiez d’oublier ce qu’il y avait, là-bas, chez vos parents. À force, vous avez chassé votre désarroi en fonçant dans votre carrière, en vous cherchant dans vos amours. Je sais d’où vous est venue cette énergie qui a fait de vous la chef d’antenne d’un réseau de télévision national. À chaque jour, comme vous, je trouve des raisons d’accomplissement pour oublier, pour me porter ailleurs que là bas, dans ce passé toujours présent. Il me semble parfois que peu de choses ne m’atteigne, et d’autres fois, je me retire parce que trop sensible à ce qui se passe autour de moi. Je veux plus ça, des souffrances, des plaintes, j’en veux plus, j’en peux plus.

Nos mères ont fait nos vies, même si elles n’ont pas pu être là. Encore, mon père est le soutient de maman, et encore, elle renâcle et se rebiffe contre lui. Elle aussi. Mais ma mère, comme la vôtre, a choisi de vivre. Je fais pareil, et j’en fais mon idole. Comment elle fait?

Ça a été difficile de vous lire à certains moments, vous et votre mère. Lorsque vous racontez le décès de votre père, j’ai souhaité de tout mon coeur que ça ne m’arrive jamais. Et pourtant, un jour...

Vous avez eu une mère qui, comme la mienne, n’a toujours été là qu’à moitié sans qu’elle n’ait désiré cette situation. Mais voyez-vous, madame Thibault, ce qui me porte, maintenant, ce sont des histoires comme la vôtre, qui me montrent que rien n’est jamais perdu, et aussi une image, bien vivante. Je parle ici d’une scène que je ne vis plus depuis plus de 20 ans, celle où ma maman me prend dans ses bras. Elle ne le peut plus. Ça me manque, et lorsque je la vois, je lui parle, la fait rire et quand je quitte la maison, à chaque fois, dans l’auto, environ 1 kilomètre après la maison, je fais ce que vous avez fait après avoir lu le premier livre de votre mère. C’est jamais bien long, je le fais seul, dans l’auto, pour que personne ne le sache, puis j’ouvre les fenêtres, fait entrer l’air, et je retrouve ma liberté provisoire. Rien d’autre, maintenant, n’arrive à me faire pleurer.
Merci pour ce livre. Qu’importent les critiques, sachez que si vous espériez ne rejoindre qu’une seule personne avec votre histoire, ça c’est réalisé avec moi.

dimanche 15 mars 2009

À juillet, toujours nue dans mes pensées, par Benoit Quessy, éditions Québec Amérique


Entre érotisme, science-fiction et candeur, quel est, d'après-vous, l'intrus parmi les trois? Pour bien répondre, définissons chacun des mots d'un point de vue littéraire.

Érotisme: stade entre l'éveil du désir (l'étincelle) et la pornographie (le brasier). Plus souvent associé en littérature aux sentiments féminins, on le conjugue rarement au masculin. Si tel est le cas, le féminin prendra alors des tournures au pluriel qui laisseront suggérer des scènes effectivement peu singulières.

Science-fiction: mot fourre-tout dans laquelle la langue française inclut deux déclinaisons de l'anglais: "fantasy" et "sci-fi". Le premier donne plutôt dans l'onirique et la transposition dans le futur de situations envisageables, alors que le second dépasse la fiction en ce qu'il propose des images et des procédés encore inconnus dont l'existence n'a pour seul prétexte que leur positionnement dans le futur. Dans le cas présent, je retiendrais la première déclinaison anglo-saxonne du mot.

Candeur: mot généralement mal utilisé parce qu'associé à une certaine naïveté non-coupable. Pourtant, la candeur est un sentiment nobre trop souvent oublié dans la littérature. Premier stade de l'optimisme, il laisse pré-supposer un certaine affabilité prête à tirer le bon côté de toutes choses, même mauvaises.

Réunis, ces trois attibuts donnent un ensemble que je ne saurais définir par la forme, mais dont il est facile de percevoir toutes les couleurs, du noir au blanc, en passant par les tons les plus forts. Court mais dense, cet ouvrage est un court-métrage qui nous surprend agréablement: on ne savait qu'en penser, et sans pouvoir bien le définir, il nous laisse une excellente impression.

Comment définir de jeunes personnages versés dans le terrorisme mortel, l'érotisme ludique, le désabus du monde dans son ensemble et l'amour des gens en particulier? En lisant À Juillet, toujours nue dans mes pensées. Les morceaux sont nombreux et souvent disparates, mais l'ensemble a très bon goût, autant pendant qu'après. À lire, pour changer de l'ordinaire.

jeudi 5 mars 2009

Les Bienveillantes, par Jonathan Littel, Éditions Gallimard


Tout a été dit et écrit sur le prix Goncourt 2006, aussi n'ai-je pas la prétention d'en ajouter. J'utiliserai plutôt cet ouvrage qui aura tôt fait de devenir un classique identifié à notre époque pour pousser un peu quelques réflexions sur ce qu'on nous donne à lire ces derniers temps.

Les Bienveillantes ont été primées du plus prestigieux prix littéraire français. Or son auteur est Américain et vit à Barcelone. Si je classais ms livres par la nationalité des auteurs, je ne saurais où le déposer, mais sans doute, à force, le ferais-je reposer avec les auteurs Américains plutôt qu'Européens.

La 2e guerre mondiale est devenue, avec le temps, un sujet traité par l'Amérique parce que nulle part ailleurs dans l'Histoire récente les Bons se sont autant distingué des Méchants: du bonbon pour tout scénariste de cinéma et pour un habitué des best-sellers. Je ne sais pas ce qui a poussé Littel à labourer ce vaste champ déjà traversé à maintes et maintes reprises, mais il ne l'a pas fait à l'Américaine, sauf pour une seule chose. Je m'explique.

Pas à l'Américaine: la 2e guerre mondiale de Littel n'est pourvue d'aucune lutte entre Bons et Méchants. Elle est vue de l'intérieur et d'un seul côté. Tous ici sont soit victimes, soit bourreaux. Le point de vue du narrateur est original en ce qu'il est totalement noir mais n'a rien d'abject. Cru sans être vulgaire, Littel peint un immense tableau de la cruauté et de l'horreur sans coupures au montage et sans parti pris. L'horreur vient de ce qui était, et non de ce qu'on aurait voulut que ce soit. La recherche, la précision sont si précises qu'elles dépassent toute mise en scène. Jamais n'aura-t-on eu l'occasion de vivre le siège de Stalingrad ou les bombardements de Berlin aussi précisément. Aucun coin rond ici, que des angles droits et très durs.

À l'Américaine: Littel donne à l'horreur un tournant personnel. Le remords et le passé paraissent plus lourds à porter que les scènes les plus abominables décrites au présent. Comme plusieurs autres auteurs Américains actuels, il a recours au vocabulaire freudien pour expliquer l'humain: profusion de description de rêves, histoires d'inceste, relations parents-enfants conflictuelles, tout y est. On dirait qu'à l'ère Bush et à l'avènement de la "religiosité" extrème dans toutes les sphères de la société américaine, les écrivains et rares esprits libres du temps qui ont osé prendre la parole ont porté leurs prières du côté de la psychothérapie. Démons, repentir et prière sont remplacés par remords, analyse et introspection. Cas d'espèce s'il en est un qui nous permettra de dire des Bienveillantes qu'il a été écrit au début des années 2000 par un citoyen Américain lettré.

J'ai traversé les Bienveillantes comme on passe un mois sur un bateau en pleine mer. J'ai vécu des mers d'huiles, des moments de grâce, des vagues inimaginales et les nausées qui les accompagnent. À l'arrivée, j'étais épuisé, mais totalement fasciné.

dimanche 1 février 2009

Le fait du prince, par Amélie Nothomb, éditions Albin Michel


Ah, l'ironie de Nothomb. Que serait la littérature sans ses sarcasmes? En fait, que serait une année sans un Nothomb? "Depuis qu'on la connait, on ne s'ennuie jamais" disait la chanson de Mini-Fée. Ouais, c'est à peu près vrai avec Nothomb. À peu près...
Fan de Nothom pour ses fictions (vaguement?) autobiographiques comme Stuper et tremblements, la Métaphysique des tubes et Antéchrista, je lui ai été un peu moins fidèle pour ses fictions "fictions". Aussi je ne saurais juger l'ensemble de sa production. Mais reste un préjugé favorable, cette vision que j'ai d'elle d'une fille étrange, lucide au point d'analyser froidement actions et idées comme une personne de tête plutôt que de coeur. Attention, ce n'est pas là un défaut, surtout pas. N'est pas fin observateur de notre temps qui veut. Nothomb l'est, avec sa façon à elle d'en parler, une façon captivante.

"Le fait du prince" c'est... tiens c'est drôle, mais j'arrrive pas à trouver les mots. Nothomb manie tellement bien les mots et la pensée que je me retouve à éprouver comme une peur de ne pas en parler adéquatement. Un peu comme si je craignais qu'elle ne me lise et qu'elle ne discute chacun de mes arguments et que du coup, mon commentaire devienne inutile, voir naïf. Partant de là, comment oser dire que je n'ai pas été autant transporté par ce huis-clos autant que par ce que j'ai lu d'elle jusqu'ici? Pourtant, Le fait du prince se situe exactement dans la lignée de tout ce qu'elle a écrit: juste, rocambolesque, tordu et ironique.

OK. je passe alors. Disons seulement que je l,ai lu d'un trait, comme les autres, et que j'attends le prochain, comme toujours.

mardi 13 janvier 2009

Presque 39 ans, bientot 100, par Fred Dompierre, Éditions Boréal


Est-ce un crime que d'avouer qu'un livre nous a d'abord attiré par sa couverture? En tout cas, fameux choix des éditions Boréal. Les couleurs de la peinture de Nicolas Grenier m'ont non seulement fait me retourner mais ont aussi donné le ton au "récit" de Dompierre. "Récit", oui, sans doute parce qu'écrit sous la forme d'un journal.

Celui-ci s'étend sur environ deux ans. Un gars s'y raconte. Bon OK, avouons aussi qu'en quatrième de couverture, on parlait du récit d'un heureux membre de la génération X. Ce me concerne ouais, sauf qu'on sait déjà qu'on a toujours écrit le pire sur cette fameuse génération, rarement le meilleur. Cet ouvrage le confirme, bien que Dompierre ne s'appitoie pas sur le sort de toute une génération mais bien sur le sien. On est fixés d'entrée de jeu: l'auteur nous dit qu'il n'aime pas la vie. Pas que la sienne seule, mais la vie en général. Puis on ne tarde pas à constater que de verres en alcools, le gars se vautre aussi dans les anti-dépresseurs. Pas jojo, absolument pas.

Mais voilà, est-ce par voyeurisme ou par attrait de la comparaison, je ne saurais dire, mais j'ai facilement traversé le spleen de Dompierre. Bien écrit, sans fla fla, avec assez de franchise pour qu''il se laisse aimer et détester au fil des pages. Que je le veuille ou non, j'y ai vu des épisodes vécus dans mon entourage et même chez-moi. Dieu merci, il faut le dire, j'ai lu ça pendant les Fêtes. L'atmosphère bonenfant qui régnait autour de moi a sans doute tamisé la noirceur qui se dégage du livre. Vous dire franchement, si j'avais lu ça l'été passé, je me demande quelle opinion j'aurais pu en avoir: soit sublime, soit le contraire.

Quoi qu'il en soit, lire les tourments d'un adulte mal dans sa peau, qui vit dans la même ville que soi avec à peu près les mêmes ressources, ça touche. Faut-il être courageux pour publier un tel bouquin? Peut-être, je ne saurais dire. Moi, en tout cas, j'ai ressenti que Fred Dompierre a dû faire, en achevant la rédaction de son livre, exactement la même chose que j'ai fait en terminant de le lire: pousser un grand soupir.

"Presque 39 ans, bientôt 100" peut être une curiosité pour qui ne se sent pas concerné par le contexte et un prétexte à réflexion pour qui s'y identifie ne serait-ce qu'un peu. À déconseiller aux dépressifs, mais certainement pas à dénigrer pour autant.

dimanche 11 janvier 2009

La deuxième vie de Clara Onyx, par Sinclair Dumontais, éditions Hamac


Agréable de parler d'un cadeau! Celui-là m'a été offert par une amie dont une des infinies qualités est d'être très près des éditions du Hamac... un filiale (?) des éditions du Septentrion.

J'ai "découvert" le livre sur mes étagères à la veille des Fêtes, attiré par sa minceur physique et par sa quatrième de couverture.

Un événement cosmique fait en sorte que la Terre se met à tourner de l'autre côté, ce qui a pour effet de remonter le temps. Il n'avance plus, il recule. Les gens rajeunissent, les morts revivent. Clara Onyx était une artiste majeure, chanteuse, morte assassinée à 24 ans. Or voilà que comme tous les trépassés, elle revient. Le livre relate sa "revenue" par les témoignages de gens de son entourage. Tous sont interrogés par un inconnu, tellement inconnu en fait que jamais on ne le connaîtra... ni même le lira. Les interventions de l'intervieweur sont relatés par la très stoïque expression suivante: (...). Cette forme interrogatoire a ceci d'original qu'on a l'impression de lire un rapport de police. Au début, ça laisse perplexe. On se demande bien qui a intérêt à poser toutes ces questions. Puis à force, on se rend compte qu'on a terminé le livre sans pour autant s'ennnuyer et qu'on a oublié la nature de l'intervieweur (dont on aurait quand même aimé qu'il prrenne un peu plus de place).

Je me dois de souligner une anecdote amenée par le temps, comme quoi les hasards forgent parfois non seulement les vies, mais aussi les opinions. Pendant que je lisais "La deuxième vie...", je suis allé au cinéma voir "The Curious Case of Benjamin Button". Stupéfaction: l'histoire de Benjamin Buton est exactement la même que celle vécue par les personnages du livre de Sinclair Dumontais. Hasard ou inspiration? Sais pas. Reste que la nouvelle de Francis Scott Fitzgerald est arrivée avant. On a beau croire qu'elle aura inspiré plusieurs histoires, dont celle dont il est ici question. Qu'en penser?

En musique, lorsque j'entend quelque chose de nouveau, je sais pas pour vous mais moi, j'ai toujours tendance à faire des rapprochements avec des trucs que je connais pour "cataloguer" la nouveauté au sein de la discographie de mes préférences. Je croirais que c'est la même chose en littérature. On compare souvent un auteur à un autre par son style, et parfois, on a l'impression qu'une certaine scène d'un bouquin a été tiré d'un tel autre dont on se souvient. C'est ce qui est arrivé ici. Reste que dans une histoire où le temps joue un rôle principal, c'est quand même bizarre qu'une "question de timing" nous fasse inévitablement comparer l'histoire à une autre semblable dans la forme.

Si le genre vous intéresse, si les comparaisons sont votre tasse de thé et si vous désirez découvrir un auteur québécois peu connu, mettez donc la main sur "La deuxième vie de Clara Onyx".

mardi 6 janvier 2009

Ce que le jour doit à la nuit, par Yasmina Khadra, éditions Julliard


Déjà, avec un aussi joli titre...

Je n'avais rien lu de Khadra, mais une entrevue entendue à la radio m'a donné envie de le lire. Déjà intrigant de savoir que le mec a pris le nom de sa femme comme nom de plume. Caractéristique qui m'a d'abord laissé perplexe, redoutant les charges féministes ou autres trucs du genre. Mais rien de tel. Ce livre est la chronique d'un homme né en Algérie française. En toile de fond: la guerre d'Algérie, avant, pendant et après.

C'est loin d'un Québécois la guerre d'Algérie, si loin. Cette histoire nous fait vivre une époque mouvementée de l'intérieur. Le narrateur est un homme, pas nécessairement l'auteur, qui raconte sobrement et efficacement. Les mots sont simples, les personnages aussi. En fait, à un certain moment, j'ai cru avoir affaire à une simple histoire d'amour difficile et tristounette, et plus j'ai avancé, plus j'ai embarqué, jusqu'à être totalement envouté par cet univers.

Lire, c'est bien souvent voyager, autant géographiquement que temporellement. Ici, les deux ont compté. En refermant "Ce que le jour doit à la nuit", j'ai longtemps ressenti la terre sèche d'Algérie, ces gens pris dans quelque chose qui a déterminé leurs vies sans qu'ils sachenent vraiment ce qui leur arrivait.

Ça vaudrait bien la peine de lire quelque chose d'autre de Khadra. En fait j'en ai bien envie.

Franchement, depuis quelques mois, mes choix de lecture ont été tellement bons que j'ai juste envie de tout lire, de tout prendre. Je dois être dans une phase où je me laisse facilement emporter, voir mener en bateau. Lire c'est â aussi: décrocher, ne pas voir ni sentir le paysage qui défile pendant qu'on est plongé dans le bouquin.

Jusqu'ici, franchement, j'ai pas trouvé mieux comme activité!