mardi 26 mars 2013

Hollywood, par Marc Séguin, éditions Leméac

Un homme vit à New York. Il rencontre un femme. Après deux rencontres, elle tombe enceinte. Immigrante, elle a vécu la guerre à Sarajevo. Elle meurt d'une balle perdue en marchant dans une rue du New Jersey. La table est mise pour Hollywood. Pas que je n'aurai pas essayé, mais franchement, rien, de cette table qui avait pourtant l'air bien garnie, n'est passé.

Le narrateur est en deuil. Il errera une journée durant à travers les rues enneigées de New York. La neige, c'est qu'on est quand même le 24 décembre. En fait il ne le dit pas comme ça, mais bon... passons.

En deuil, donc. Le narrateur se rappelle la morte. Il la décrit, essaie de la placer dans sa vie, et il en parle. Et il en parle encore, la cite. Chaque page contient au moins une citation de la femme morte accidentellement. Pas qu'elle était exceptionnelle, ni lettrée, ni grandiose, mais le narrateur la cite, constamment, encore. Tiens, là, une autre autre fois. Comme elle disait... et c'est reparti. L'histoire? C'est un peu celle de la morte, mais attention, ce n'est pas tout, parce qu'en fait d'histoire...



Le narrateur avait un ami d'enfance dans son Québec natal. L'ami en question, d'origine ukrainienne, deviendra soldat, puis astronaute. Rendu dans les guerres yougoslaves des années 90, il violera une jeune fille et s'en voudra tellement qu'une fois rendu en orbite parce que devenu cosmonaute, il se détachera et se laissera mourir en flottant dans l'univers. Or, ça arrive ce 24 décembre. Les médias en parlent, Et l'autre qui est morte et voilà, la victime du repentant qui maintenant, flotte, c'était elle. Le narrateur savait tout ça, et le voilà doublement en deuil un même soir.

Parfois, pour x, y ou z raison, on passe à côté d'un livre. Hollywood est un de ceux-là. L'invraisemblable de l'histoire additionné à l'espèce de culte rendu par le narrateur à son ex assassinée en la citant sans arrêt, comme s'il se souvenait de chaque syllabe qu'elle avait prononcé de son vivant... tout ça m'a exaspéré. Je me suis rendu jusqu'à la fin où j'ai bien cru mourir moi aussi...



J'ai lu un livre qui m'a semblé inachevé parce que pas révisé. Drôle d'impression, je sais, mais c'est pourtant ce que j'ai ressenti pendant la majeure partie de ma lecture. Mais qu'est-ce qu'un éditeur peut invoquer pour laisser un livre comme ça, pour le prendre tel quel et l'envoyer dans l'espace? Mauvais jeu de mot? Ouais, sans doute. C'est ce qui me reste d'Hollywood. Du cynisme. S'il y avait quelque chose à comprendre, rien, de son scénario ou de son écriture, ne m'a incité à m'y plonger. L'écriture est saccadée. Pas mauvaise, mais elle ne coule pas. Peut-être colle-t-elle bien à la torture vécue par le narrateur. Mais pour le reste et dans l'ensemble, c'est une écriture sans distinction, sans épice pour relever la sauce. Simple, mais difficile, parce que grise.



Dommage, mais non. Pas du tout.

jeudi 21 mars 2013

Telegraph Avenue, par Michael Chabon, éditions Harper & Collins



Je ne sais s'il ne s'agit que de mes seuls choix, mais j'ai tendance à croire que la littérature américaine traverse une époque formidable. Avec un cinéma qui ne nous apprend plus rien sur ce grand peuple, avec un produit culturel populaire envahissant et désespérément répétitif, des romanciers se faufilent et se démarquent en utilisant ce que la plupart des "majors" américains n'ont plus: la liberté de dire.



Michael Chabon s'inscrit parmi ces électrons libres qui dressent des portraits de ce qui se passe en des endroits et des époques dont on ne sait rien ou très peu. Telegraph Avenue est une rue d'Oakland, une ville californienne dont les standards américains actuels ne se nourrissent pas vraiment. Or, dans les années 70, c'est là où ont milité les Black Panthers, qui a prônaient l'utilisation de la violence pour parvenir à la reconnaissance des droits des Afro-Américains. Si l'action de Telegraph... se passe de nos jours, elle puise beaucoup dans cette époque trouble, et c'est passionnant.



Or, si l'histoire est enlevante, le style de Chabon, lui, mérite d'être mentionné. Michael Chabon a une écriture que je décrirais comme "rococo". Avec lui, ouvrir une porte et entrer dans une pièce peut se faire pendant trois pages parce qu'un geste peut faire penser à un autre exécuté il y a quelques années où il y avait quelqu'un qui fait justement penser à ce personnage tiré d'un film où il faisait quelque chose qui... etc, etc. Vous voyez le genre? Au début, c'est exaspérant. Telegraph... n'est pas mon premier ouvrage de cet auteur et à chaque fois, je me fais prendre. Les 50 premières pages sont pénibles, c'est comme trop, on ploie sous les mots et les références à toutes sortes de choses. Puis, arrive une scène, un genre de miracle à mi-parcours, une phrase-fleuve de 10 pages où le vol d'un oiseau résume l'histoire, les ambiances, les enjeux, dans des mots truffés d'images qui vous font vous approprier tout ça et paf!, on est lancé, la table est mise, et on lit le reste sur le bout de notre siège.



En termes de personnages, ceux de Chabon ont quelque chose de balzacien: des gens du peuple, à première vue ordinaires, mais qui s'avèrent de plus en plus typés, voir carrément atypiques au fil de l'histoire. Ici, deux gars possèdent une échoppe de disques vinyles. Or, un développement commercial est prévu. Un bon vieux centre d'achat menace de les déloger. Leurs épouses respectives sont sage-femmes et travaillent ensemble. Le métier est respecté par la clientèle, mais pas particulièrement par la gent hospitalière... Ajoutez au tableau qu'un des deux couples est Noir, l'autre Blanc, que personne ne roule sur l'or, et que certains cachent des squelettes dans leur placard, et voilà: bienvenue à Telegraph Avenue.







Ce livre aborde plusieurs tabous dont celui des relations raciales, mais aussi du pouvoir de l'argent et de la sortie de l'enfance, de la découverte du "vrai monde". En fait, il est beaucoup question de justice, de qui la possède et surtout, de qui y tient, qui en profite, qui en est victime.



Si la fin n'est pas spectaculaire, certaines scènes du livre le sont. Vous serez choqués, très même, parce que rappelez-vous qu'il ne s'agit pas d'un film américain, mais du roman d'un auteur libre et sans contraintes. Exit le politiquement correct. Chabon écrit sans aucune retenue et s'il choque, il ne fâche pas, et ne raconte rien gratuitement.



J'ai lu Telegraph Avenue dans sa version originale en anglais. Si vous vivez du côté américain de l'Atlantique et que vous êtes familier avec l'anglais, je vous suggère de vous méfier d'une traduction en français qui risque d'édulcorer passablement l'ambiance, avec des mots d'un argot d'un autre continent. Mais quand même, je donne une chance à la version française à paraître, et qu'importe la langue que vous choisirez, je vous recommande Telegraph Avenue chaleureusement.

dimanche 17 mars 2013

L'art français de la guerre, par Alexis Jenni, éditions Gallimard

J'ai découvert que cet ouvrage s'est mérité le Goncourt en 2011 en préparant ce message. Heureux de constater qu'aucune publicité supplémentaire est venu altérer ma perception du livre avant même de l'avoir lu. Je n'en ai que plus de respect pour son auteur. Il s'agit effectivement d'un grand roman.

Ce livre possède deux voix. L'une est de notre temps. Un homme vit quelque chose comme une crise de la quarantaine et change sa vie, ou à tout le moins abandonne la sienne. Sa nouvelle errance le fera rencontrer la deuxième voix, celle d'un vétéran de quantité de guerres. Ce deuxième homme est à la fin de sa vie. Il aura vécu la 2e guerre, l'Indochine et l'Algérie. Il racontera son histoire. À travers celle-ci, le premier homme, narrateur du livre, racontera, lui son entrée dans sa nouvelle vie.

En fait, ce sont là deux personnages qui nous montrent combien il est facile de se laisser entraîner, pour une raison ou pour une autre, et vivre des événements, des aventures ou de simples situations dont se demande, en bout du compte, si on était vraiment destiné à les vivre. Le destin y est pour beaucoup, et aussi l'Histoire avec un grand H, qui peut nous emmener avec elle pour la faire. À moins qu'il ne s'agisse de son histoire à soi, celle avec un petit h, qui vaut bien, sinon plus, celle avec une majuscule.

Pour en arriver à ces constats, Jenni nous mène à travers les dernières guerres coloniales françaises. Le Nord-Américain que je suis en connaît peu de choses, hormis quelques causeries ou articles glanées ici et là à la radio ou sur le Web. Avec L'art français..., j'ai compris la portée de ces événements tant sur ceux qui les ont subis que sur ceux qui les ont faits. Et ces événements, comme tous ceux qui ont fait, font et feront l'Histoire, sont le fruit de la volonté de bien peu de gens, mais le propre de beaucoup plus d'acteurs qui y ont été entraînés. À leur escient ou pas? Là est la question. A-t-on le choix de changer sa vie? Pour certains comme le narrateur, oui. Pour d'autres, comme l'ancien militaire, on ne sait plus trop. N'empêche que j'aurais maintenant tendance à dire que oui, même le militaire les a choisies, ces vies vécues dans le combat, dans l'attaque. Reste à chacune de ces voix d'assumer ses propres choix. Ça, c'est une autre histoire.

Ce livre nous permet de faire le point sur nos voies, nos choix, notre opinion sur la société dans laquelle on vit. Êtes-vous inclusif ou exclusif? Avez-vous peur des différences ou vous en nourrissez-vous? Aimez-vous, généralement, ou si vous avez plutôt tendance à ne pas aimer?

Il fait bon, parfois, se poser de telles questions, et il est d'autant meilleur de s'y arrêter lorsqu'on le fait à l'aide d'un ouvrage bien écrit. Le lecteur Européen verra peut-être dans L'art français... plus d'un prétexte à réflexion. Pour ma part, j'en ai apprécié l'intelligence.

Un grand roman.