lundi 20 février 2017

Le plongeur, par Stéphane Larue, éditions Le Quartanier

D'un côté on a une dépendance, un travail sans reconnaissance, le manque de confiance en soi, d'un autre on a l'esprit de groupe, l'amitié, la loyauté. Autour de ça on a Montréal, la nuit, la musique, aimer des choses, s'haïr, en vouloir plus, se donner à fond. Tout ça mis ensemble donne le roman québécois le plus punché, à mon sens, depuis La canicule des pauvres, de Jean-Simon Desrochers en 2010.

Le narrateur a un problème de jeu. Il hante les machines à loterie vidéo de bars miteux ou louches de secteurs moins favorisés de la ville. Les conséquences vont plus loin que le manque d'argent: il ment à ses proches. Embarque la honte. Pour palier son problème, il se trouve un boulot de plongeur dans un resto branché. Arrive l'apprentissage. Pendant ce temps, il abandonne des études en graphisme que des talents en dessin auraient pourtant pu soutenir. Ici, c'est l'espoir.

Ce plongeur nous fera vivre des scènes très fortes de ce vers quoi mène une dépendance, de crises, d'adrénaline et de dépit. À travers ça, on découvrira l'arrière-scène de la restauration. Le monde des cuisines, les tâches, le rythme, mais aussi et surtout, les gens, leur vie aux rythmes des coups de feu, la libération apportée par la nuit. Le narrateur a 19 ans, beaucoup de naïveté, de l'énergie, mais aussi une petite lueur, quelque part derrière, qui lui permettra de garder la tête hors de l'eau malgré tout ce qu'il est en train de vivre.

Sur la jaquette du livre, l'éditeur décrit le livre comme un "roman noir". Je ne suis pas d'accord. Bien sur, on parle ici d'un bout de vie difficile, d'un genre de descente aux enfers, mais il n'y a pas là que des personnages glauques ou que des rues sales. Ce livre contient des moments de beauté où brillent des anti-héros, où surgissent des souvenirs de shows enlevants, où un coucher de soleil d'hiver donnera le goût d'aller marcher dans les rues. Larue porte bien d'ailleurs son nom: il connaît son décor, les rues, le monde. De tels romans deviennent captivants grâce à l'Histoire qu'ils racontent, oui, mais plus encore grâce au fin regard que leurs auteurs portent sur leurs personnages, leur environnement. Dans les scènes de resto, on sent les odeurs, on entend les bruits. On ressort d'autres scènes fatigués, tendus, parce qu'on s'y croirait tellement c'est précis.

Le livre contient plusieurs courts dialogues qui sont écrits dans une langue parlée bien tournée. En fait, y'a pas mieux qu'une langue parlée bien écrite. Ce n'est pas donné à tous. Larue a trouvé le bon dosage. Bon, c'est certain que d'aucuns parmi les puristes n'aimeront pas ça. On sort ici de certaines conventions. Pourtant, les descriptions et la narration ne méritent aucun reproche non plus. Ça coule bien, ça se lit bien, et ça imprègne l'esprit.

Ceci dit, Le plongeur ne plaira pas à tous. Si pour vous l'idée de sortir saoul d'un bar a quelque chose d'incompréhensible ou pire, de répressible, si aller au resto ne vous intéresse pas et si, aussi surprenant que ça puisse paraître, vous n'aimez pas la musique, vous risquez d'embarquer un peu moins fort que je l'ai fait.

C'est le genre de livre qui nous fait perdre un ami lorsqu'on le referme, un peu comme l'expliquera le narrateur en parlant du monde de la restauration dans lequel il gravite. J'ai eu mal pour lui lors de ses descentes aux enfers et aimé autant que lui ceux qui l'ont ménagé. Si la même chose vous arrive, vous aurez hâte, vous aussi, au prochain bouquin de Stéphane Larue. Complètement réussi.

lundi 13 février 2017

Le continent de plastique, par David Turgeon, éditions Le Quartanier

Le garçon est tout frais sorti d'études littéraires à l'université. Ses amis proches et lui forment encore un petit cercle de lettrés dont ils sont fiers. Chacun de ses amis va son chemin plus ou moins bien tracé dans le milieu, qui dans l'enseignement, qui dans l'écriture. Lui, plutôt désoeuvré, assez peu motivé, paresseux et pas vraiment fier de sa nonchalance, accepte un boulot "en attendant": il devient l'assistant d'un écrivain célèbre.

Le temps passe. Le gars n'est toujours pas beaucoup tellement fier de son boulot dans l'ombre, mais son patron s'avère fascinant et son entourage l'est tout autant. Amis, proches collaborateurs et membres de la famille de l'écrivain deviendront autant de prétexte à l'épanouissement de l'employé qui trouvera là des sources de motivation pour prendre place dans la vie, refaire la sienne et se bâtir une nouvelle estime de soi.

Chronique fort divertissante de la vie d'un personnage qui se trouve ennuyeux, Le continent de plastique avait pourtant tout pour me taper sur la rate. Bien que bien écrit, on dirait de l'auteur qu'il emprunte parfois un style très littéraire parce que référant justement à des personnages de ce milieu. N'ayant rien lu des oeuvres précédentes de David Turgeon (qui sont, ma foi, nombreuses), je ne sais trop s'il s'agit de son style habituel ou s'il a ici utilisé de tournures grammaticales à la limite de l'ironie. Si tel est le cas, c'est réussi... mais c'était dangereux. Je réfère ici à l'utilisation de l'imparfait du subjonctif. Vous n'êtes par certain de ce que ça veut dire? C'est normal. Votre site de conjugaison de verbes préféré vous montrera qu'il s'agit là d'un temps de verbe à peu près pas utilisé. Bon, les puristes nous diront qu'il existe, alors pourquoi pas. Oui, mais quand même. Imaginez que vous me jugeassiez sur l'utilisation de verbes que vous vous plûtes à conjuguer comme je viens justement de le faire. Vous me diriez peut-être un peu... prétentieux, ou emprunté? Ça pourrait. Dans son Continent de plastique, David Turgeon en fait parfois usage avec juste assez de retenue pour donner l'impression que l'exercice de style porte ici tout son nom. Enfin, c'est à vous de juger.

Livre fort sympathique, Le continent... contient plusieurs belles scènes. Le déroulement de son action dans des villes aux noms inconnus laisse la place à l'imagination et à l'implantation des décors de votre choix. Ça aussi c'est habile. Seul petit reproche: une fin en point d'orgue qui m'a laissé un peu dubitatif, quoi qu'il y a sans doute là un lien à faire avec le titre, Le continent de plastique, qui référera, tout au long du livre, à une utopie du narrateur. Ce livre tourne justement autour de tout ce qu'on peut bâtir sur pourtant pas grand choses, qu'il suffit d'y croire et se faire confiance pour que surviennent les bons moments, qu'apparaissent les bonnes personnes, et que la vie suive son cours de la meilleure façon qui soit.

Un livre heureux et sans tapage.

dimanche 5 février 2017

Purity, par Jonathan Franzen, éditions Anchor Canada

Purity, c'est une fille dans la vingtaine qui se trouve au centre d'un roman dont elle n'est pas nécessairement... le centre. Élevée par une mère monoparentale dans une petite ville reculée des montagnes de Californie (oui, ça existe des coins perdus en Californie...), cette dernière a toujours tout fait pour cacher à sa fille l'identité de son père. Quant à Purity, elle st gentille mais un peu trash, intelligente mais avec aucune confiance en soi. Bienvenue chez Jonathan Franzen.

Parallèlement à l'histoire de Purity, il y a Andreas Wolf qui poursuit son projet de produire toujours plus de fuites via internet pour que des médias choisis diffusent de bonnes et vraies informations (ça vous dit quelque chose?). Plus connu et admiré que Julian Assange, Wolf est un Allemand de l'Est qui dirige maintenant son affaire à partir d'une vallée bolivienne où travaillent pour lui une armée de jeunes filles recherchistes et de jeunes geeks chevronnés.

On comprendra que ces deux histoires se croiseront. Je ne dévoilerai rien de l'intrigue, vous m'en voudriez, car pour faire se croiser deux personnages qui partent de tels antipodes, il faut être sacrément tordu. Voilà encore Jonathan Frenzen: un écrivain tordu qui écrit des choses tordues... sur une société tordue. Et pourtant, plus qu'une autre critique de la société américaine, il dresse ici un portrait d'une bonne majorité de la population, disons... universelle: il y a les tortionnaires, et il y a les torturés. Mais voilà, on ne parle pas ici de gros méchants despotes et de leurs contestataires. Non. On parle plutôt de relations... parents-enfants.

Dans Purity, il est question de control-freaks et de chantage émotionnel où les plus mauvais rôles sont joués par... des mères. En ce seul sens, ce livre est extrêmement tordu. Oui, on en a vu des portraits de mères dominantes, du style Jewish-Mother ou mère italienne envahissante. Ici, c'est autre chose. On parle plutôt d'égoïsme, d'égos surmultipliés et de pouvoirs qu'ont certains sur les autres, et ce sans aucune légitimité légale que ce soit. Dans une certaine scène, un des personnages se sent comme si un autre lui mettait une cuillère de bois dans le cerveau pour lui triturer les méninges, et ce au vu et au su des deux protagonistes, tant du porteur de la cuillère que du propriétaire du cerveau. Et si on avait tous quelqu'un qui cherchait à nous contrôler, que ce soit dans notre vie personnelle ou professionnelle? Tous? Peut-être pas. Mais alors qui s'en sort? Qui sont les plus libres d'entre nous? Comment se libérer de quelqu'un qui nous connaît trop? Nos faiblesses sont autant d'aimants qui attirent les contrôleurs. Et pourtant, ces contrôleurs agissent ainsi parce qu'eux aussi, justement, ont des faiblesses encore bien plus grandes que les nôtres.
L'intrigue est digne des polars psychologiques les plus enlevants. À la façon des grands romans américains, Purity contient des dialogues extrêmement savoureux et des moments forts tant dans la cruauté que dans le presque burlesque. Fort, Franzen connaît son matériel: l'humain. Bon, maintenant, devrait-t-on préciser la nature de l'humain en question en précisant son américanité? Pas certain puisqu'il nous propulse entre l'Allemagne de l'Est d'avant 1989 et les USA de l'ère numérique. Alors, l'américanité est-elle seulement propre à l'auteur? Peut-être. Les étrangers ont-ils les mauvais rôles? Les femmes seraient-elles dépeintes comme plus viles que les hommes, qui seraient d'éternelles victimes dont on pourrait, à la limite, excuser les crimes?

Ça fait beaucoup de questions, et il y a de quoi. Purity est étonnant et complètement captivant, tout américain qu'il est, avec ses forces (le récit) et ses... disons... particularités (ses personnages). Et si le titre/nom du personnage vous faisait peur, voyez ça comme un leurre. C'est, en fait, tout aussi tordu que ce que ce livre raconte, et ce qui en fait un grand livre. S'il n'est pas aussi grinçant que Freedom, le lire précédent de Franzen, Purity le rejoint en termes de structure, parce que ce livre est comme constitué de plusieurs livres qui, mis ensemble, en créent un excellent qui se lit avec plaisir.

Purity est aussi paru en français aux éditions Boréal.