jeudi 25 juin 2015

Les deuxièmes, par Zviane, éditions Pow Pow

Les trois tômes de l'Osti d'chat, coécrit avec Iris, m'avaient ramenés à la bédé. Avec ces Deuxièmes, je suis devenu un fan, pas tant de la bédé que de Zviane. Parce qu'outre le dessin, il y a les bulles, mais aussi, et surtout, dirais-je, il y a tout ce qu'on ne voit ni ne lit mais qu'on ressent précisément à la lecture de ce (trop) court ouvrage. Vous avez dit "émotif"? Oui, ce l'est. Pas moi, le livre. Quoi qu'en refermant la dernière page, on n'a pas nécessairement le goût de parler tout de suite...

Une femme et un homme partagent une résidence bâtie dans une forêt. Là se trouvent deux grands pianos à queue. Ils en joueront, aussi bien que de leurs corps. Reste à savoir pourquoi ils sont là. Le titre expliquera tout. Complices, confortables, mais sans doutes vraiment cons, ces deux-là vivront quelques heures tellement belles qu'on se dira à la fin que tant pour eux que pour nous, lecteur, ça ne pouvait pas être vrai, c'était presque trop beau, eux, le lieu, la musique, tout ça. Rarement ai-je vu une aussi belle transcription du plaisir, tant du simple que de l'intense. Parle-t-on d'amour? Ah ça, c'est à vous de le dire.
Noirs et blancs, les dessins de Zviane conviennent au petit lecteur de bédé que je suis. Noirs et blancs mais précis, chaque case exprime des sentiments connus, précis, encore une fois. J'insiste sur ce mot. Les deuxièmes sont absolument sans ambiguïtés. Parce que oui, si vous le feuilletez ne serait-ce que 2 secondes et quart, vous apercevrez des scènes sulfureuses. Les prudes s'y bruleront les yeux alors que les amateurs de scènes lubriques seront servis, mais mon dieu, si là réside votre seule raison de lire ce livre, vous serez passé à côté de quelque chose de tellement beau que ça en sera encore plus triste que les dernières cases de cette histoire.

Habile scénariste, la Québécoise Zviane fait très finement alterner les mots avec les dessins. On a parfois l'impression que si on avait seulement soit l'un soit l'autre, on ne vivrait pas l'émotion transmise aussi fort. C'est cet équilibre entre les cases avec et sans bulles qui m'a le plus impressionné. À certaines occasions, j'avais l'impression de regarder un excellent film muet, et à d'autres, une vidéo avec de la musique.

Remarquable parce que très fort et très juste, Les deuxièmes me semble un incontournable pour toutes sortes de raisons. Et oh, un petit conseil: lorsqu'ils jouent, écoutez la pièce qu'ils interprètent en même temps que vous les regardez jouer. Plaisir garanti!

Beau. Très beau livre de bédé. Vraiment très beau.

mercredi 24 juin 2015

Six degrés de liberté, par Nicolas Dickner, éditions Alto

C'est d'abord l'histoire d'un geek agoraphobe de quinze ans et de son amie d'enfance qui poursuivront leurs rêves malgré tout ce que la vie aura pu leur mettre comme bâtons dans les roues. Or à cet âge-là, il y a peu pour nous arrêter.

C'est aussi l'histoire d'une ex-fraudeuse de presque quarante ans maintenant employée par les forces policières qui ne croit plus tellement à une vie meilleure, telle qu'elle se l'était imaginée avant.

Et, dans le plus pur style de Dickner, ces vies se rencontrent dans des circonstances et des lieus qu'on n'aurait jamais imaginées au début de ce livre. Parce que cet auteur québécois écrit des romans d'aventure. Il s'en passe, des choses, dans ces Six degrés de liberté, même qu'on se demande, en refermant le livre, si c'était vraiment plausible tout ça. Théoriquement, oui, mais pratiquement, ça frôle le rêve hollywoodien. Pas grave...

Loin du roman contemplatif, Six degrés... donne quand même à penser. Cet auteur est intelligent. Je le soupçonne même d'être lui-même un geek du plus pur acabit. Entre Huntingdon, à la frontière Québec-USA, Copenhague et la stratosphère, il nous emmène à travers un labyrinthe d'abord confus qui devient de plus en plus clair au fur et à mesure que se placent les morceaux de son puzzle.

Commencer un livre de Dickner est exigeant. Ses personnages sont peu flamboyants, voir même timides, plutôt asociaux. Ses décors vont d'endroits quasiment trop communs comme un magasin Ikea, à d'autres de prime abord plutôt trash comme un quartier de maisons mobiles. Bref c'est généralement gris. Puis, de scène en scène, se dessine un fil conducteur qui intrigue. Ce fil est tracé par des descriptions savoureuses où les couleurs s'amènent par l'entremise d'accessoires, de lieux secondaires ou de situations incongrues qui, le plus souvent vous font sourire. Puis on est happé et on se demande quel bateau il a bien pu nous monter.

Parlant de bateaux... Si vous avez lu d'autres commentaires sur ce livre, vous avez sans doute remarqué qu'on y parle beaucoup de conteneurs, ces grosses boîtes de couleur transportées par bateau qui contiennent tout ce qui se consomme en ce bas monde. Oui, les conteneurs prennent une bonne place, mais pas toute. Outre ce monde organisé de la consommation humaine, il y a celui, désorganisé, des vies humaines. C'est là un autre parallèle que Dickner nous montre avec son histoire et ma foi, c'est efficace. La liberté se trouverait-elle en dehors "du système"? Disons que ça ressemble à ça...

S'il ma d'abord vu septique, ce roman m'a vite rattrapé, puis conquis. Nicolas Dickner est un excellent conteur, un fin interprète des sentiments humains et un habile manipulateur de l'attention de ses lecteurs. Qui ne l'a jamais lu pourrait très facilement commencer par cet ouvrage. J'avoue candidement ne pas avoir gardé un souvenir très précis de ses deux précédents, dont Tarmac, mais j'ai sans doute été assez charmé pour avoir le réflexe instantané de sauter sur ce livre dans ma librairie préférée, ce qui était une bonne idée.

Pour un bon roman d'aventure, écrit avec beaucoup d'intelligence: valeur sure!

dimanche 7 juin 2015

La lettre à Helga, par Bergsveinn Birgisson, éditions Zulma

Alors qu'il se sent près de la fin de sa vie, un vieil homme adresse une lettre à la seule amante qu'il n'a jamais eue. Il lui racontera, en même temps qu'à nous, ce que fut sa vie dans sa ferme après la saison de leur rencontre Parce qu'il ne s'est agit que d'une saison, à la suite de quoi une rupture qui semblait inévitable a fait se suivre les années par dizaines.

Or, les amants étaient voisins, loin en Islande, et sans lui avoir jamais,enfin,presque jamais reparlé, l'amant a vécu le reste de sa vie dans le seul souvenir de cette saison. Tout ça se passe quelque temps après la 2e Guerre, dans une époque où le monde changeait, mais où peu importe ce qui aurait pu arriver, un seul espoir pouvait faire vivre le scripteur de cette missive.

Dans la lignée des romans scandinaves où les éléments et la nature marquent autant les vies que les mots, cette histoire raconte un monde dur, mais lent, où le travail est difficile mais les gens, simples. C'est une très belle langue que celle de cet auteur que je découvre et que je me promets de surveiller. Encore faudra-t-il qu'on le traduise une autre fois. Ici, mention plus qu'honorable à la traductrice Catherine Eyjólfsson.

J'évite de tomber dans le cliché de celui qui tombe dans l'amour inconditionnel de la littérature d'un pays qui lui est étranger. Oui, je trouve celle d'Islande différente, mais notez bien que je n'oserais affirmer que tout me plait. Les polars, par exemple, sont bons, oui, mais bon... c'est différent. Ce roman est un bon exemple de cette particularité qui me frappe tant, et qui voudrait oser lire quelque chose d'un auteur islandais pour la première fois pourrait fort bien commencer par cette Lettre à Helga. Touchant, mais absolument pas mièvre, mais pas du tout, cette lecture porte au calme et nous donne à penser à nos passions à nous. Comment les vivons-nous? Et lorsque nous ne les vivons pas, qu'est-ce ou qui nous empêche de le faire? Nous, ou les autres?

Ouvrage court, la Lettre... se termine d'une façon très poignante, qui laissera une impression durable et belle. À lire, pour le calme qu'il procure et la beauté des mots. Plus qu'une lecture de vacances, un tel livre est un cadeau à se faire n'importe quand.