dimanche 27 juin 2010

L'horizon, de Patrick Modiano, Éditions Gallimard


Avez-vous parfois l'impression de "passer à côté d'un livre" même en l'ayant lu? Je me sens comme ça avec ce Modiano. En fait, peut-être s'agit-il d'un phénomène qui risque de prendre des allures de récurrence. Faudra le lire encore. Ce n'est que ma deuxième lecture d'un auteur ma foi très prolifique. Et comme la première fois (avec Dora Bruder) j'ai la persistante impression d'avoir lu quelque chose d'excellent sans l'avoir ressenti.

Et pourtant le style est là, la structure est parfaite. On passe d'un temps à l'autre en un paragraphe et si on est déstabilisé, on se remet aussitôt sur les pieds. Modiano sait tenir son lecteur, lui appliquer les ceintures de sécurité nécessaires à ses récits en montagnes russes. Et pourtant c'est tout en douceur, tout en formulations belles, aux accents d'un Dubois ou d'un Malkine, par exemple.

Alors bon, comment ça s'fait qu'en le refermant, je n'avais pas, comme ça m'arrive souvent, l'envie de vite me procurer un autre de ses ouvrages? Pourquoi je n'étais pas touché, ou à tout le moins envoûté par cette histoire qui traverse le temps, où deux personnages sont reliés par leurs fuites respectives de quelqu'un d'autre? Les deux sont fragiles, ils ont peur, n'osent à peu près rien et se replient à la moindre alerte. Discrets, c'est comme s'ils ne voulaient pas trop exister, juste un peu. Puis ils s'évaporent, comme ça allait de soi avec de si évidentes modesties sur deux pattes. Vous voyez? C'est franchement pas mauvais, mais pourtant...

J'ai toujours cru que lire était une question de temps. Un livre traversera une époque de notre vie et la marquera parce qu'il rejoindra une émotion comprise, vécue dans le moment où il arrive. Un autre passera plutôt inaperçu parce que l'émotion est lointaine, et pourtant, l'avoir lu 6 mois, un ans plus tôt ou plus tard, il aurait été percutant.

En tant que lecteur, je crois qu'il faut parfois s'avouer ces choses avant que de tomber dans la critique facile.

Tiens, c'est mon tour de tomber dans la modestie. Ah ben dis donc, chapeau Modiano. Ça n'a peut-être pas été si vain que ça, cet Horizon.

dimanche 20 juin 2010

Décès de José Saramago


Je viens d'apprendre le décès de José Saramago.

Ma tristesse vient de ce qu'il n'écrira plus.

J'ai découvert cet écrivain portugais sur le tard avec ses histoires métaphoriques, immenses, pleines de génie et d'ironie: la Lucidité, l'Aveuglement, les Intermittences de la mort, et plus récemment, le Voyage de l'éléphant.

Cet auteur est rapidement devenu l'un de mes préférés à cause de son intelligence, de sa faculté de nous faire rire et de nous retourner profondément en quelques pages. Ses histoires requestionnaient habilement l'organisation du monde en considérant la perspicacité du lecteur. Lire Saramago est bon pour l'esprit. Il l'aère.

À qui n'a pas connu cet auteur unique, je suggère de commencer par la Lucidité. Mais il y a d'autres avenues, quantité d'autres ouvrages. Quelques-uns dont énumérés dans cet article du Devoir, un quotidien québécois, où Odile Tremblay résume bien la carrière de José Saramago.

samedi 5 juin 2010

Invisible, de Paul Auster, éditions Actes Sud/Leméac


Le thème du roman dans le roman n’est pas nouveau, sauf s’il est amené par Paul Auster. Je ne vois pas de meilleure façon pour vous présenter Invisible.

Parlons d’abord d’un roman noir, pas tant dans sa forme que dans son esprit. Parce qu’il s’agit ici d’un noir luisant, réfléchissant, celui qui nous ramène à nos propres démons intérieurs. En terminant Invisible, le lecteur est en droit de se demander comment serait sa vie s’il laissait aller la sombre partie de lui-même. On en a tous une non?

La plupart des personnages des romans de Paul Auster nous réfèrent “au pire”, sans pour autant donner dans l’horreur. Or ici et plus que jamais, Auster provoque. Il provoque fort. J’en imagine plusieurs qui seront tentés de refermer ce livre à certains passages. Et pourtant je ne parle pas de sang et de tripes, ni de porno hard core. Non. Il ne s’agit que de scènes, d’idées en fait, considérées comme taboues. Là comme ailleurs, il nous ramène à nos principes, à nos fantasmes, à nos limites. Et pourtant, on ne peut que se rendre jusqu’au bout du livre, parce que si on est d’abord choqué, on devient rapidement fasciné. L’écriture, le monde de Paul Auster, tout ça nous enveloppe, nous prend et nous donne l’envie d’aller vite voir ce qu’il en ressort de cette histoire de poupées gigognes où tout ce qui arrive n’est peut-être pas arrivé, où tout ce qui est raconté pourrait pourtant être vrai... sans l’être.

Paul Auster est essentiel à notre temps. Géant de la littérature américaine, on ne sent pourtant aucune prétention à impressionner dans ses livres. Que de l’intelligence, vive, sournoise même, et cette intention manifeste de provoquer. Il est heureux que Paul Auster vive en Amérique: Il en décrit si bien les travers.

Bizarrement, les derniers récits de Paul Auster ne m’ont pas marqués. Jamais ne m’aura-t-il ennuyé ou même déçu. Seulement aurai-je oublié certaines de ses histoires. Or, celle-ci me restera en mémoire. Dans le genre du roman sombre, Invisible est, et de loin, l’un des plus captivants que j’aie lu jusqu’ici.

Ah, et surtout ne pas oublier de souligner l’excellente traduction de Christine Le Boeuf. Ayant vécu plusieurs frustrations en la matière ces derniers temps, je tiens à souligner la qualité de celle-ci. Traductrice fidèle à Auster depuis des années, Le Boeuf sait pertinemment comment rendre la langue de Paul Auster. Chapeau.

Procurez-vous le tout de suite.