dimanche 27 janvier 2013

Les deux messieurs de Bruxelles, par Éric-Emmanuel Schmitt, éditions Albin Michel

J'ai manqué plusieurs rendez-vous avec Schmitt ces dernières années. Peut-être qu'à s'être trop vus précédemment, je me suis lassé. Peut-être. J'ai oublié... Quand j'ai connu Schmitt, avec l'Évangile selon Pilate et La part de l'autre, il était parfait, j'en voulais encore. Ont suivi de plus courts ouvrages, Oscar..., l'enfant de Noé, etc. C'était encore parfait, ça allait. Pour les recueils de nouvelles aussi, c'était pareil: parfait. Alors bon, cette fois, j'avais entendu dire que certaines nouvelles de ce dernier recueil se démarquaient particulièrement. Alors je me suis demandé si c'était encore pareil... Bizarrement, je l'avais un peu oublié... Schmitt est devenu un lieu commun. D'aucuns dirait plutôt "un classique". C'est une référence. Un livre d'E-E Schmitt sera bon parce qu'on glissera dessus comme une route bien balisée, qu'il nous ennuiera peut-être un peu au départ pour venir nous happer après quelques pages et finir dans une grande finale qui aura l'heure de nous surprendre. L'auteur écrit bien, sans fioritures, sans trop de ci ni pas assez de ça. Le français écrit de 2013, c'est celui d'É-E Schmitt. Il est simple et beau. Avec de courtes nouvelles, ça fonctionne, soyez-en certains. Qu'il soit question d'un couple gay ayant vécu en parallèle, par un genre de procuration volontaire, la vie d'un couple hétéro, d'une histoire avec un enfant mort et un autre malade dans la tragique Islande, d'un rescapé de la Shoah qui aura trouvé le goût de vivre à travers des chiens... toujours, ce sera parfait. Oh parfois, si on est le moindrement critique et qu'on lit beaucoup, on trouvera qu'il pousse un peu fort la mise en scène, mais quand même, c'est É-E Schmitt, donc, c'est bon. Les idées, les mots: tout est bon.
Revenir à Schmitt est un peu comme retourner voir ses parents après une longue absence. Ils nous rassurent, on les comprend, ils nous comprennent. Oh, bien sur, ils ne nous émeuvent pas de la même façon que nos amours, que ces événements vécues loin d'eux; ils ne représentent plus la nouveauté, la découverte de nouveaux horizons, bref, ils ne nous jettent plus par terre depuis longtemps, mais ils nous réconfortent, définitivement. Pour moi, c'est ça, maintenant, lire Schmitt. Ce recueil de nouvelles se lit tant sur le bout de son siège que confortablement appuyé sur son siège. J'ai parfois frissonné, quelques fois souri, mais pas trop. Jamais trop. C'était parfait, ça a fait du bien, mais maintenant, on passe à autre chose. Je reviendrai à Schmitt, c'est sans doute certain, j'irai le chercher encore, mais je l'attendrai bien sagement, en lui donnant une tendre accolade à son arrivée, sans me jeter dans ses bras comme s'il m'avait manqué depuis des siècles. Et si je manque un autre rendez-vous avec lui, eh bien tant pis. Il reviendra bien.

dimanche 20 janvier 2013

Le yoga, c'est pas zen; par Isabelle Gaul, éditions Pierre Tisseyre

L'occasion m'a été donnée de lire un livre "littérature jeunesse". Il ne s'agit pas ici d'un ouvrage destiné aux jeunes enfants. Disons plutôt qu'en termes de "degré de l'âge d'un lecteur", on est au stade du "juste avant l'adulte". On est tous passé par là, oui, mais s'y replonger, c'est comme entrer dans une société inconnue, un cercle d'intimes, ou, pour être plus à propos, une classe peuplé d'ados. Au début, on est inévitablement déstabilisé, mais l'expérience en vaut la peine, surtout lorsque le livre est particulièrement bien fait, comme celui-ci. J'ai fait cette lecture sans comparatifs. Si j'ai plus ou moins feuilleté de petits livres pour les jeunes enfants auparavant, jamais n'avais-je entrepris la lecture d'un roman destiné à un jeune public. Or voilà, j'ai été surpris à non seulement être captivé par ce qui s'y déroule, mais aussi à sourire et à opiner du chef devant les bonnes idées. Est-ce le cas de tous les Harry Potter et autres Amos d'Aragon de ce genre, je ne sais pas, ces derniers ne m'ont jamais attiré. J'ai toutefois constaté à la lecture du Yoga... que peut importe le flacon, l'important, c'est l'ivresse... que procure la lecture.
L'héroïne a 16 ans. Elle vit avec sa mère, une dame au tempérament changeant. L'héroïne vit entre les deux mondes de ses deux parents séparés, et l'amitié est à la base de son réel équilibre. Or voilà, ça bascule sérieusement à cause d'un coup de tête de la mère, alors qu'un travail académique sera prétexte à d'autres apprentissages. Le plus surprenant dans tout ça, c'est qu'on sera à la recherche d'une quête spirituelle, mais dans un contexte tout à fait actuel, avec aussi des faits, des lieux et des références on ne peut plus fidèles aux jeunes et à cette époque. Tout ça est très habile. L'auteur fera sourire tant les parents que leurs grands enfants, certaines remarques sur la société, les relations et même certaines professions en interpelleront plusieurs. Les constats tirés de la lecture de ce livre provoqueront très certainement de belles et bonnes discussions de famille ou entre amis. Je ne sais si je le devrais, mais je recommande Le Yoga... tant aux parents qu'à leurs adolescents. Quant à l'âge de ces derniers, je le recommanderais à qui est prêt à se forger une pensée critique, ou est carrément en plein en train de s'en préparer une. On ne parle pas ici d'une lecture vide, mais de quelque chose de riche de sens. Absolument à découvrir! Comme je ne connais pas trop les processus de distribution des livres jeunesse, je me permets d'ajouter ici un lien vers la maison d'édition pour faciliter vos commandes.

dimanche 13 janvier 2013

Allers simples, par Frédérick Lavoie, éditions la Peuplade

Comme son sous-titre l'indique, Allers simples rassemble les récits "d'aventures journalistiques en post-soviétie". Le territoire décrit et parcouru par Lavoie, journaliste indépendant, va du Bélarus à Vladivostok en passant par les républiques centre-asiatiques et celles du Caucase. Le terme "post-soviétie" témoigne du regard bien personnel de l'auteur sur un coin de monde que je ne connaissais que peu avant d'avoir lu ce livre. Je rêvais secrètement d'y aller et je n'irai pas. Ce livre, recueil de ce que sont de vrais, de réels textes journalistiques, de quelqu'un qui observe, pose des questions et vie réellement ce qu'il décrit, est tout bonnement passionnant. L'amateur d'histoires que je suis a fait un voyage incroyable avec ce reporter naturel qu'est Lavoie. Je dis "reporter naturel", dans le sens de libre, d'aller où il veut et sans contraintes d'heures de tombée et de politique éditoriale. De tels reportages sont maintenant rares dans un monde de grosses entreprises de presse. En fait, les récits de Lavoie sont si complets, si étoffés et vivants qu'ils en ont l'air nouveau, si on les compare aux reportages qui se comptent en minutes dans les médias électroniques, et en pages truffés de grosses photos des journaux imprimés. Tout, du séjour de Lavoie dans cette région du monde, nous fait découvrir une époque, un contexte historique et social à travers un récit. Loin du simple récit de voyage, le journaliste explique les pourquoi et les comment de situations actuelles, de réactions prises sur le vif, d'événements trop mal expliqués par les médias traditionnels. Excellent conteur, il nous fait vivre avec lui un court espoir de révolution au Bélarus, les désenchantements des Tchétchènes, les prisons quotidiennes des peuples Turkmènes et Ouzbèques, les rêves de Russes et de Chinois de Vladivostok, bref, une série de tableaux complets et captivants. Je n'en énumère là que quelques uns.
À mille lieux des images montées et choisies des Grands Explorateurs ou autres produits marketing du genre, Allers simples permet de nous faire une idée d'une importante partie du monde et avec elle, du reste de ce monde dont nous faisons partie, nous aussi, comme ces personnages rencontrés au long des périples de l'auteur. Du grand journalisme qu'on espère pouvoir relire tant au mêmes endroits qu'en d'autres contrées. Rafraîchissant et essentiel.

jeudi 3 janvier 2013

Variétés Delphi, par Nicolas Chalifour, éditions Héliotrope

Encore un auteur dont je lis le deuxième ouvrage. Notons d'entrée de jeu que je me procurerai son troisième. Variétés Delphi aurait pu me renverser, n'eut été de sa fin. N'empêche que la littérature s'est entichée, avec Nicolas Chalifour, d'un animal bien particulier qui a su trouver un ton unique qu'il sait fort bien utiliser. Avec Variétés Delphi, on croit d'abord à une suite de son premier ouvrage, Vu d'ici tout est petit. Or oui, il y a continuité, et ce qui réjouit est que cette continuité réside dans le décor... et le ton. Dans son premier ouvrage, Chalifour décrivait le monde grouillant d'un établissement hôtelier champêtre. L'originalité du point de vue résidait dans la narration qui provenait d'un être dont on pouvait suspecter une quelconque nature magique. Son "parler" avait ceci de naïf et d'unique qu'il permettait de décrire des situations parfois tragiques avec un ton presque loufoque, prétexte à toutes sortes d'interprétations, de dédramatisation et d'ironie, même. Avec son deuxième ouvrage, l'auteur campe un nouveau narrateur dans le même décor et un ton qui frôle celui du quasi-farfadet de son premier livre. Osé, mais réussi. Dans Variétés Delphi, le narrateur est un serveur de l'hôtellerie en question. Plutôt déglingué lui-même, ce personnage multiplie les infâmies. En fait c'est une espèce de beau mais gentil salaud, un petit con juste assez intelligent pour cacher efficacement tous ses méfaits. Or, pourquoi tant de méchancetés? C'est là la trame principale de Variétés Delphi. Dans sa narration, Chalifour fait s'exprimer son personnage principale tant à la première qu'à la troisième personne dans la même phrase. D'abord incongrue, cette narration s'avère efficace et très pertinente. Quoi de mieux, en effet, que le "on", le fameux pronom impersonnel, pour dépersonnaliser, voire déresponsabiliser quelqu'un? Parler de soi à la troisième personne, c'est se distancer de soi, alors que se désigner par le "je" responsabilise. Voilà tout l'univers du narrateur, personnage aux personnalités plus ou moins diverses, mais certainement capable d'assumer tant ses actes responsables qu'irresponsables. C'est en effet un livre qui tourne autour de ce thème: suis-je, ou non, responsable de ce qui m'arrive?
Chalifour utilise l'univers de l'hôtellerie de la meilleure façon qui soit. Prétexte à toutes les situations "service-client", les tableaux désopilants sont nombreux. J'ai ri comme rarement en lisant cet ouvrage, bien que certaines scènes aient une charge émotionnelle tout aussi efficace. Et que dire des personnages hilarants et rendus pathétiques par un auteur qui sait décrire les "régionaux" avec une méchanceté juste assez grinçante. Certaines scènes de bars "de région" sont franchement succulentes. Reste un gros "mais". À la fin, les péripéties du narrateur le font se retrouver à New-York. C'est le prétexte pour que l'auteur donne la parole aux personnages locaux dans leur propre langue. Pour une raison qui lui est propre, Chalifour nous sert ainsi de pleines pages écrites en anglais, et d'autres parfois "créolisées" où phrases et paragraphes passent allègrement du français à l'anglais. Figure de style ou acte politique? N'en demeure pas moins que cette portion du livre devient désagréable à la lecture, et on ne peut que s'en décevoir. Si vous déchiffrez mal l'anglais, tenez-le vous pour dit: vous risquez de vous perdre à la fin d'un livre qui avait pourtant tout pour nous épater jusqu'à la fin. Tic ou provocation? Je sais pas. N'en demeure pas moins que Variétés Delphi est un excellent divertissement. Maintenant, vivement un autre Chalifour, pour voir si...