jeudi 3 janvier 2013
Variétés Delphi, par Nicolas Chalifour, éditions Héliotrope
Encore un auteur dont je lis le deuxième ouvrage. Notons d'entrée de jeu que je me procurerai son troisième.
Variétés Delphi aurait pu me renverser, n'eut été de sa fin. N'empêche que la littérature s'est entichée, avec Nicolas Chalifour, d'un animal bien particulier qui a su trouver un ton unique qu'il sait fort bien utiliser.
Avec Variétés Delphi, on croit d'abord à une suite de son premier ouvrage, Vu d'ici tout est petit. Or oui, il y a continuité, et ce qui réjouit est que cette continuité réside dans le décor... et le ton. Dans son premier ouvrage, Chalifour décrivait le monde grouillant d'un établissement hôtelier champêtre. L'originalité du point de vue résidait dans la narration qui provenait d'un être dont on pouvait suspecter une quelconque nature magique. Son "parler" avait ceci de naïf et d'unique qu'il permettait de décrire des situations parfois tragiques avec un ton presque loufoque, prétexte à toutes sortes d'interprétations, de dédramatisation et d'ironie, même. Avec son deuxième ouvrage, l'auteur campe un nouveau narrateur dans le même décor et un ton qui frôle celui du quasi-farfadet de son premier livre. Osé, mais réussi.
Dans Variétés Delphi, le narrateur est un serveur de l'hôtellerie en question. Plutôt déglingué lui-même, ce personnage multiplie les infâmies. En fait c'est une espèce de beau mais gentil salaud, un petit con juste assez intelligent pour cacher efficacement tous ses méfaits. Or, pourquoi tant de méchancetés? C'est là la trame principale de Variétés Delphi.
Dans sa narration, Chalifour fait s'exprimer son personnage principale tant à la première qu'à la troisième personne dans la même phrase. D'abord incongrue, cette narration s'avère efficace et très pertinente. Quoi de mieux, en effet, que le "on", le fameux pronom impersonnel, pour dépersonnaliser, voire déresponsabiliser quelqu'un? Parler de soi à la troisième personne, c'est se distancer de soi, alors que se désigner par le "je" responsabilise. Voilà tout l'univers du narrateur, personnage aux personnalités plus ou moins diverses, mais certainement capable d'assumer tant ses actes responsables qu'irresponsables. C'est en effet un livre qui tourne autour de ce thème: suis-je, ou non, responsable de ce qui m'arrive?
Chalifour utilise l'univers de l'hôtellerie de la meilleure façon qui soit. Prétexte à toutes les situations "service-client", les tableaux désopilants sont nombreux. J'ai ri comme rarement en lisant cet ouvrage, bien que certaines scènes aient une charge émotionnelle tout aussi efficace. Et que dire des personnages hilarants et rendus pathétiques par un auteur qui sait décrire les "régionaux" avec une méchanceté juste assez grinçante. Certaines scènes de bars "de région" sont franchement succulentes.
Reste un gros "mais". À la fin, les péripéties du narrateur le font se retrouver à New-York. C'est le prétexte pour que l'auteur donne la parole aux personnages locaux dans leur propre langue. Pour une raison qui lui est propre, Chalifour nous sert ainsi de pleines pages écrites en anglais, et d'autres parfois "créolisées" où phrases et paragraphes passent allègrement du français à l'anglais. Figure de style ou acte politique? N'en demeure pas moins que cette portion du livre devient désagréable à la lecture, et on ne peut que s'en décevoir. Si vous déchiffrez mal l'anglais, tenez-le vous pour dit: vous risquez de vous perdre à la fin d'un livre qui avait pourtant tout pour nous épater jusqu'à la fin.
Tic ou provocation? Je sais pas. N'en demeure pas moins que Variétés Delphi est un excellent divertissement. Maintenant, vivement un autre Chalifour, pour voir si...
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