dimanche 3 juillet 2011

Le sablier des solitudes, par Jean-Simon Desrochers, éditions les Herbes rouges


Après La canicule des pauvres... j'ai découvert, parce que je n'avais rien su de sa sortie, ce nouveau titre de Jean-Simon Desrochers en réprimant une forte envie de battre des mains en pleine librairie. Je rencontrais une autre occasion de me plonger dans l'atmosphère de Desrochers, j'étais prêt pour une autre dégelée du type de La canicule...

Bon.

Après quelque 10 pages, je retrouvais l'oeuvre "chorale" qui marquait La Canicule...: plusieurs voix, plusieurs personnages, un montage serré, des chapitres courts. Après quelque 20 pages, je me suis dit qu'il était sans doute trop tôt pour être déçu. Le temps m'a à peu près donné raison.

Jean-Simon Desrochers écrit comme de la dynamite. Sa langue, ses formulations, en fait, tout ce qu'il exprime avec des mots m'apparaît encore unique. Il y a quelque chose dans cette écriture d'aussi marquant qu'un Michel Tremblay, pas tant dans le style que dans la portée. Desrochers dérange, j'en suis absolument certain, pas tant par ses histoires que par sa façon d'écrire, connectée directement sur la langue parlée, ou plutôt la langue pensée, celle qui sort directement de la tête de n'importe quel parlant français né et vivant en Amérique du Nord (on ne me reprochera quand même pas de manquer de rectitude politique... ). Avec Le sablier..., Desrochers nous ramène à d'autres réalités aussi crues qu'une photo prise en pleine rue, qu'une caméra cachée chez son voisin. Les portraits de personnage, lorsqu'on les lira dans 20 ans, deviendront des références pour se remémorer notre époque. Cet écrivain est vraiment très, très fort.

Ceci dit, hormis le style, il y a l'histoire. Alors que dans La canicule... le lien entre les personnages était un lieu, avec Le sablier..., il s'agit d'un événement. Les amorces sont efficaces, oui, les personnages divers, mais voilà... vous dire combien certains m'ont tapé, ... OK. On dira que l'auteur m'a eu, que c'est lui qui a provoquée mon exaspération. Or je ne crois pas, et voici pourquoi: il y a, parmi les personnages du Sablier... un Américain qui se retrouve mêlé à l'événement. Or, dans chaque chapitre qui lui sont consacrés, Desrochers marque les dialogues et les pensées en anglais. Ce tic d'écriture se retrouvait aussi dans La canicule... à un moindre degré. Dans Le sablier..., cette récurrence est assez fortement présente pour en parler ouvertement. Maintenant, suis-je un méchant nationaliste borné, un inconscient volontaire de la mondialisation ambiante, un puriste du français dans le genre "Académicien"? Pas du tout. Je suis un amateur de littérature et d'histoires de partout. Je lis l'anglais et le français, et si je le pouvais, je lirais certainement dans d'autres langues. En lisant un bouquin, j'aime percevoir le plaisir de l'auteur d'utiliser la langue, les mots, comme le ferait un peintre avec ses couleurs. Or, pour moi, l'utilisation de l'anglais, dans n'importe quelle littérature nationale non-américaine qui soit, relève de la paresse intellectuelle. Oui, cette culture est partout, plus encore dans certaines contrées que d'autres. Oui, elle nous entoure. Oui, elle détermine beaucoup de choses, en commençant par des manières d'être et de penser. Est-ce une raison pour la magnifier, lui donner une place qu'elle n'a jamais offerte aux autres cultures? Lui donner autant de place, est-ce courber le dos devant elle? Si le personnage avait été Danois, les dialogues auraient-ils été en danois? Qu'on me permette d'en douter. Mais comme les personnages sont Américains...

Je ne peux taire ma déception. Jean-Simon Desrochers demeure un auteur au sommet de mes préférences et je ne vois pas comment il pourra en redescendre. Je ne le veux pas parfait. En fait, comme tous ceux que j'aime, auteurs, amis, proches, je le veux imparfait, provoquant et libre. Surtout libre. J'espère Jean-Simon Desrochers libre. Le tic d'écrire des dialogues en anglais ressemble à un lien, un boulet. C'est pas laid, c'est juste triste. Me fallait le dire.

Je noterai enfin un autre personnage, une militaire, que Desrochers a fait donner dans le cliché du bon soldat dont la mort violente mérite description sur plusieurs page", alors qu'à côté de ça, de méchants talibans meurent par dizaines en 3 seuls mots. Histoire de rester digne, je ne ferai ici aucune référence aux influences d'une certaine culture sur non seulement le divertissement, mais aussi l'information...

Vous voyez? Jean-Simon Desrochers n'a pas fini de me faire réagir. J'avoue qu'y faut l'faire.

Ah bah. Continues, mec. Dérange-moi encore.

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