Le deuil de personnages, je veux bien. Celui d'un livre aussi. Mais celui d'une époque que je n'ai pas connue et d"endroits où je ne suis jamais allé, c'est presque trop fort. Je suis sorti d'Au revoir là-haut il y a quelques heures et je crains y rester encore longtemps. Ce livre fut marquant à plusieurs égards. Voici pourquoi.
Les cinquante premières pages sont sans aucune doute les cinquante premières pages les plus enlevantes que j'aie lues jusqu'ici. On est à la fin de la Première guerre mondiale, c'est une question de jours, voire d'heures avant que ça ne s'achève. Le champ de bataille est quelque part en France. On est du côté des soldats Français. Un officier frustré par la fin incessante d'un travail qui lui allait comme un gant terrorise ses troupes en les impliquant dans une dernière bataille. Cette attaque ne changera pas le cours de l'Histoire, mais ses conséquences marqueront certains y ayant participé.
Le ton, la façon de raconter cette histoire est très à propos. Lemaitre est un raconteur. Il y a là du Echenoz, du Teulé, enfin un peu, car l'écriture est somme toute unique. Lemaitre s'adresse à nous. Il nous raconte quelque chose bien plus encore qu'il ne nous l'écrit. Ce ton sympathique et très juste convient à toutes les situations. La description d'un général qui ronfle m'a fait rire bien fort et celle du désarroi et de la peur d'un ancien soldat nous ferait lui tendre la main s'il était juste en face de nous. Lemaitre sait jouer des émotions en les liant toutes par une histoire tragique, immensément tragique, en fait, celle de la petitesse de l'humain devant ce qui le dépasse. Les réflexes naturels de défense sont ici mis en exergue. "Chassez le naturel...", disait quelqu'un... En fait, acculez n'importe qui au pied du mur et vous en verrez la vraie nature. Certains fonceront dans ce mur, d'autres se pisseront dessus. Tout ça se retrouve dans Au revoir là-haut.
Parce qu'il est ici question d'escroqueries, et elles sont très viles. Les gens, comme l'époque, étaient alors très vulnérables. Des personnages restés intacts en ont profité. De bonne ou de mauvaise façon? Je vous en laisse juger. Bien entendu, le mauvais se démarque toujours d'une façon particulière, mais au bout du compte, on en viendra à se demander si, de tous les tricheurs qui évoluent dans ce livre, certains n'avaient pas raison d'agir ainsi.
Les récits de guerre ne m'attirent pas. Si tel est le cas, faites comme moi et passez par-dessus votre appréhension. Parce que de la guerre, il n'en est question qu'au début, et comme je le mentionnais plus haut, croyez-moi, cette portion du livre est loin d'être ennuyante. Le reste met en scène les conséquences de la guerre. C'est un pan de l'Histoire que l'on connaît moins, surtout celui de la Grande guerre de 14-18. Celui raconté a pour toile de fond un phénomène qui a bien existé en France: les exhumations des corps des soldats morts au combat. La table est mise: c'est sordide, très bas, triste au possible, mais raconté par Pierre Lemaitre, c'est une histoire incroyable, par moments rocambolesque, que vous dévorerez d'une page à l'autre.
Je ne parlerai pas des personnages, à mon sens parfaits parce que fortement typés. Les sympathiques deviennent vils et les truands... mais qui sont les bons et les méchants? Voilà le bon côté de la littérature: on nous laisse en tirer notre propre conclusion.
Pour terminer, une anecdote incroyable qu'il me faut vous partager. C'est la première fois que ça m'arrive, que je suis témoin d'une telle chose: la fin d'un des personnages principaux d'Au revoir là-haut est exactement la même que celle du personnage principal d'un livre que j'ai terminé tout récemment, soit Le fil des kilomètres, de Christian Guay-Poliquin. Et croyez-moi, cette fin n'est pas banale du tout, mais forte symboliquement. Les personnages mis en cause, dans ces fins, le contexte, l'instrument utilisé... c'est la même scène, mais revisitée dans chacun de ces deux ouvrages. Oui, j'y vois le fruit du hasard. Les deux livres ont sans doute été écrits dans la même période et je serais surpris que ces auteurs se soient téléphonés pour préparer ensemble une bonne blague. Si vous avez lu ces deux livres, s'il vous plait partagez votre impression de ce phénomène étrange avec moi. La coïncidence est trop incroyable pour être passée sous silence.
Reste qu'Au revoir là-haut est un grand livre. Le jury du Goncourt 2013 a réussi un grand coup. Je n'ai pas lu les autres ouvrages mis en candidature mais celui-là figurera très certainement parmi mes plus grands plaisirs de lecture... à vie. Merci, Pierre Lemaitre!
Vous voulez en savoir plus? Pierre Lemaitre vous décrit, sur vidéo, son roman et sa motivation en deux minutes et demie.
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