dimanche 5 novembre 2023

Le compte est bon, par Louis-Daniel Godin, éditions La Peuplade

Il arrive parfois que l'on décrit une oeuvre en soulignant qu'elle contient "un effet de style". Ce genre de critique exprime le plus souvent une opinion plutôt condescendante reprochant à l'auteur d'avoir utilisé un procédé hors de l'ordinaire pour un résultat qu'on trouve ordinaire. C'est souvent un prétexte pour dire qu'on n'a rien compris et que ça nous agace. "Effet de style" est une expression rarement positive. Mais attention. Lorsqu'un effet se produit, justement à la suite d'un style complètement champ gauche, on est soit interloqué, soit dérangé, soit emballé. C'est ce que je suis à la suite de ma lecture: emballé par l'effet d'un style hors pair.

La parole est d'abord donné à un enfant qui raconte sa vie compliquée avec des parents assez peu doués pour l'art d'être parents. Cette parole est nerveuse. Le narrateur parle en vrilles: il avance sur un sujet, revient un peu en arrière pour faire un lien avec quelque chose d'autre, puis revient à son histoire, pour revenir en arrière avec un autre prétexte, et ainsi de suite. Au début, on se demande quelle mouche a piqué cet enfant distrait et anxieux. Puis, l'enfant vieillit au fil de la narration et des anecdotes mais le style, lui demeure, et l'auteur se révèle peu à peu.
C'est l'histoire d'une vie pas si lointaine, passée dans des apparts de banlieue avec peu d'argent et une foule de préoccupations provenant de la mêre, bientôt séparée, et du fils qui se questionne sur tout et qui n'est jamais sur de rien. Alors il pense, et il fait des liens, il vit des anecdotes qu'il monte en épingle et à force, on entre dans sa tête et on suit le fil de ses pensées, jusqu'à ce qu'on découvre le fond de toute cette crainte de ne jamais être à sa place et de douter de soi.

On rit souvent, on est touché, aussi. L'écriture de Louis-Daniel Godin est presque mathématique tellement elle est étourdissante. Elle contient beaucoup de fragilité, qu'on ressent presqu'à chaque page. Et cette crainte, toujours. Louis-Daniel Godin a réussi à mettre par écrit la fameuse voix qui prend toute place pendant une nuit d'insomnie, cette voix aux allures de hamster qui n'arrête pas de courir. Pour moi, c'était exactement ça, et c'est complètement réussi d'avoir écrit un tel livre sans m'avoir épuisé. J'irais même jusqu'à dire que cette voix m'a bercé. Fallait le faire.

Une totale réussite, un beau et un grand livre.

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