mardi 29 décembre 2020

Lumière d'été, puis vient la nuit, par Jon Kalman Stefansson, éditions Grasset

J'avais les plus grandes attentes puisqu'il s'agit sans contredit de mon auteur préféré. C'est dire tout ce que j'espérais. Maintenant, comment expliquer simplement que mes attentes ont été largement dépassées? Je ne sais si Jon Kalman Stefansson fera encore mieux plus tard, mais déjà, avec toute son oeuvre, je ne pourrais lire que lui et j'en serais très heureux.

C'est l'histoire d'habitants d'un village islandais d'environ 400 habitants. Les petits bouts de vie de chacun s'entremêlent à ceux des autres. Il y a des amis, des amours, des solitudes, la mer qui borde le village, le comptoir de la poste, le magasin de la coopérative, des fermes éloignées. Chaque chapitre nous fait connaître un ou de nouveaux personnages, entourés, ou plutôt enrobés des autres qui font partie de leur vie.

Car ce livre raconte la vie de gens simples. Pour certain, il en va ainsi depuis leur naissance et pour d'autres, il s'agit d'un choix. Parce que certains reviennent chez-eux. Tous parlent d'un endroit où il ne se passe rien, ou rien ne vaut vraiment la peine d'être raconté, ou le ciel est la chose la plus vaste et le lever du soleil, un événement.

Il y a dans ce livre des descriptions de l'amour comme on en voit peu. Ici, prenez l'amour au degré qu'il vous plaira: celui d'un couple naissant, celui du désir inassouvi qui vous suit toute une vie, celui de la passion fugace et de ses conséquences, celui qui se montre, celui qui ne se voit pas, et celui qu'on ne soupçonne pas. Maintenant, ne pensez à rien de ce que vous avez lu avant. Cet auteur amalgame l'amour à la vie, car l'un comme l'autre peut-être aussi rude que tendre. Il en fait ici d'excellentes démonstrations.

Et puis il y a la signature d'un auteur immense: cette narration au "nous". Observateurs, auto-narrateurs, personnes fictives, c'est comme on veut. Ce "nous" est ouvert, et il laisse toute la place aux personnages dont il parle. C'est habile, et à mon sens assez unique. Une narration au "nous" habitait aussi le premier livre que j'ai lu de cet auteur, particularité qui a contribué à me le faire aimer à ce point.

Certaines scènes de ce livre vous soulèvent de terre. Le même frisson vous traverse le corps au coeur du livre, dans ce court chapitre, d'une puissance extraordinaire, où on découvrira le plaisir d'un homme à conduire son camion entre la ville et le village. Dit comme ça, ça n'a l'air rien, mais raconté par Jon Kalman Stefansson, c'est tout ce que vous n'auriez jamais pu imaginer. C'est simple, mais oui, croyez-le ou non, c'est beau.

Éloges aussi au traducteur, Éric Boury. Rien, absolument rien n'agace, ne dépasse ni ne fuit, bref, rien ne laisse supposer un éloignement de quelque langue que ce soit. Les mots sont savamment choisis, le style, impeccable. Superbe travail.

Si vous n'avez jamais lu Jon Kalman Stefansson, Lumière d'été... serait un excellent départ.

Attention, ce livre pourrait vous paraître exceptionnel.

vendredi 25 décembre 2020

Les spectres de la terre brisée, par S. Craig Zahler, éditions Gallmeister

Les deux soeurs de clan Plugford se sont fait enlever par de dangereux malfrats mexicains. Son père et ses frères quittent leur ranch du Texas avec quelques engagés, dont un as du révolver, pour aller les délivrer.

Dit comme ça, on dirait un gentil western diffusé à la télé pendant l'après-midi. Pourtant, c'est pas du tout ça. C'est un western, ça oui, mais la gentillesse est remplacée par des meurtres à la dizaine, et plus encore, avec force boyaux, tripes et séances de torture. La table est mise.

Parce que les cow-boys du Texas ont à faire avec un bien sinistre personnage, un Espagnol d'Espagne, par surcroit, qui tient une maison de jeu dans un pays étranger, le Mexique. Rien ne va plus. Et les Mexicains collaborent assez peu, sauf si on leur donne de l'argent. Quant aux filles...

Le livre commence d'ailleurs avec une scène de viol, ou plutôt la fin d'un viol où une femme retire un animal mort de ses organes génitaux. Vous en voulez plus? Pas besoin. Imaginez le reste: des cow-boys un peu rustauds, mais pleins de bonnes intentions, un Noir, engagé par la famille, considéré comme un ami, mais qui cuisine, coud, habille et s'occupe de tout pour tout le monde, des filles soit victimes, soit accessoires, des étrangers méchants, un "Indien" taciturne (la traduction n'a pas retenu le terme "amérindien") et même un cow-boy qui a des fantasmes homosexuels. 

Mêlez à tout ce beau monde force coups de fusils, des torturés attachés avec des barbelés, des membres coupés, des cerveaux qui explosent sous les balles et vous avez un grand gâteau à trois ou quatre étages, avec autant de clichés qu'il pourrait y avoir de sucre et de graisse.

Je ne vous gâcherai rien en vous disant que ça se termine par un grand carnage. La scène, interminable, a quand même l'avantage ne nous laisser nous demander qui, des personnages, en sortiront vivants.

À part ça, libre à vous de juger si le style vous plait. 

Quant à moi...

samedi 12 décembre 2020

Sabrina, par Nick Drnaso, Drawn & Quaterly éditeurs

C'est une bande dessinée, mais ça pourrait aussi être un roman, un film ou un podcast. Ça ne ressemble à rien et ça m'a soufflé tellement c'est bien fait.

Sabrina disparaît. Ses proches sont consternés. surtout son copain et sa soeur. Rendu apathique, vidé, presqu'une larve, le copain de Sabrina ira se réfugier loin de chez-lui chez un ami d'enfance qui travaille dans l'armée. Devenu seul à la suite d'une séparation, ce dernier accueillera son ancien ami le plus simplement du monde, en se sachant pas trop quoi en faire, mais avec beaucoup d'empathie.

Pendant ce temps, la soeur de Sabrina tente elle aussi de se vivre, mais c'est difficile.

Au fil du temps, un événement fait que tout dérape, pour tout le monde. L'événement en question est médiatique et s'ensuivent toutes les conséquences que vous pourriez imaginer.

Sabrina est une chronique de notre temps présent qui a l'originalité d'être racontée pudiquement. Il est facile de s'emporter lorsqu'on aborde les sujets décrits pas Drnaso dans cet incroyable livre. Mais pas là. La sobriété est telle qu'elle nous hypnotise, et le scénario est si efficace qu'on élabore les théories de ce qui a bien pu arriver au fil des pages.

Sabrina se termine comme il nous a porté: doucement. C'est en tournant la dernière page qu'on se rend compte combien on est sous le choc. Cet habile scénario oppose l'empathie et la démagogie. Il nous donne à réfléchir sur notre vie médiatique personnelle. Parce que oui, nous somme tous, de plus en plus, le produit de l'information que nous consommons. Ce que ça donne comme produit, c'est à chacun de nous, mais aussi à nos proches de le définir. C'est ça, Sabrina, et c'est absolument fascinant.

Le dessin est sobre. Je dirais même que les personnages sont dessinés avec vulnérabilité. La langue est simple et le sujet, passionnant.

Sabrina est aussi édité en français aux éditions Presque Lune.

À ne pas manquer. Quel livre réussi.