dimanche 27 novembre 2022

Le chemin d'en haut, par J. P. Chabot, éditions Le Quartanier

Ce roman d'un nouvel auteur québécois m'a ravi. C'est superbement écrit, avec des dialogues efficaces et des ambiances finement décrites.

Un habitant de Montréal revient dans sa région natale, le Bas-St-Laurent, pour le décès accidentel de ses deux parents qu'il n'avait pas fréquenté depuis longtemps. En plus de la mort absurde de ses parents, le personnage principal se questionnera sur leur héritage, sur ce qu'il reste d'eux, mais aussi, de lui.

Habilement menés, l'histoire raconte en même temps le présent et le futur du personnage, à travers un autre personnage qui lui fait d'étranges prophéties. Mais si ces visions de l'avenir étaient une évidence? Est-ce qu'une prophétesse exerce son pouvoir en ressentant le désir de son client, et par le fait même, lui raconte ce qu'il veut bien qu'il entende? C'est en tout cas l'impression que j'en ai tirée.

Fataliste, cette histoire en est surtout une qui raconte bien ces contrées de plus en plus étrangères que sont les régions éloignées des grands centres. Ici, rien d'extraordinaire, sauf, si on gratte un peu, des douleurs qui n'ont jamais été dites et qui ont été plus ou moins devinées. Les vies y sont simples, comme les gens, ce qui les rend extraordinaires pour qui n'en soupçonne plus vraiment l'existence, comme quelqu'un qui revient.

En fait, Chabot raconte ici les conséquences du laisser-aller, qu'il soit vécu personnelement ou socialement. On le devinera, ces conséquences sont rarement positives, à moins qu'on l'assume. Laisser aller, c'est tout lâcher, souvent tout arrêter, sans qu'il soit question de faire confiance à qui que soit, ni même à soi-même. Mais raconté à la façon de J. P. Chabot, on se laisse facilement porter.

La langue parlée est particulièerement bien rendue, sans chichis et sans fioritures. Cet auteur maitrise les mots et rend une histoire somme toute triste en quelque chose de captivant.

On pourrait se perdre un peu aux trois-quart du livre jusqu'à ce qu'on s'aperçoive qu'on est en train de vivre les histoires prédites quelques pages plus tôt. Le procédé est périlleux, mais l'auteur s'en sort bien avec une fin touchante qui nous confirme ce dont on se doutait bien, mais qu'on ne voulait pas qui arrive à des personnages devenus sympathiques.

Belle réussite, donc, qui plaira à plusieurs, Le chemin d'en-haut se lit facilement et avec plaisir. Maintenant, on attend quelque chose d'autre de J. P. Chabot.

dimanche 20 novembre 2022

Les marins ne savent pas nager, par Dominique Scali, éditions La peuplade

Voici un roman d'aventure de plus de 700 pages dont la lecture est une aventure. Long et périlleux, original et brillant, c'est un livre qui étonne à plusieurs égards, envoute souvent et déçoit assez pour qu'il vaille la peine d'en parler.

L'histoire se déroule dans un temps passé, celui des grands bateaux à voile, dans un pays fictif au système politique et social inédit. C'est là toute l'originalité de ce livre. L'autrice a inventé une société avec des codes sociaux étonnants, parfois avangardistes, parfois originaux parce qu'ils évoquent les inégalités sociales d'une manière nouvelle, basée sur la géographie, les genres, et même l'âge. Véritable livre geek, on est presque dans un jeu de rôle, avec des réglements inventés mais efficaces, une fiction organisée. L'autrice joue habilement avec ces codes, qui bâtissent l'histoire de la vie de l'héroïne, une citoyenne du pays qui vivra toutes les possibilités, victoires et défaites, que sa société puisse offrir.

Ajoutons que le pays fictif est une île, ce qui est prétexte à la forte présence de la mer, du maritime, de l'océan. En fait, l'eau est pratiquement le personnage principal de ce livre. Là encore, le côté geek ressort, avec une connaissance fine de la navigation, du temps, des mouvements de l'eau, etc. De ce côté, c'est totalement réussi. Fictif ou pas, historique ou pas, Les marins... est d'abord un roman de la mer. Les amateurs de houle et de tempêtes seront ravis.
Je sais pas pour vous, mais pour moi, parfois, un geek, ça s'égare un peu tellement c'est dans son monde. C'est ce qui arrive parfois ici, parce qu'il arrive souvent que les descriptions de codes sociaux, d'événements historiques fictifs ou de technnicalités du monde marin durent trop longtemps. C'est là mon premier hic.

Mon deuxième concerne le côté historique, puisque l'autrice fait souvent parler ses personnages... en vieux français. S'il s'agit de mots qui ne sont plus d'usage, parce qu'oubliés abev le temps, j'aime, c'est pertinent. Mais lorsqu'arrivent des dialogues avec des expressions vaguement empruntés à une ancienne "parlure", c'est beaucoup moins efficace, voir agaçant. Des expressions comme "z'avez" ou "z'êtes" sont saupourées inégalement dans les dialogues. Si la phrase commence ainsi, elle se termine souvent sans autre expression du genre, en donnant l'impression que le personnage emprunte une façon de parler qui fait plutôt penser a Mistinguette et Aristide Bruant à Montmartre. C'est caricatural et trop inégal pour être efficace. On n'avait pas besoin de ça.

Bref, enlevez des effets de style et quelques descriptions trop détaillées et vous aurez un roman de 400-500 pages enlevant, original et réjouissant. Sinon, on a un roman de 700 pages original, souvent enlevant, avec une chute brillante, une page couverture épatante (il faut le dire), mais parfois agaçant et lourd. Peut-être qu'un petit travail d'édition supplémentaire aurait pu faire l'affaire.