mardi 29 décembre 2020

Lumière d'été, puis vient la nuit, par Jon Kalman Stefansson, éditions Grasset

J'avais les plus grandes attentes puisqu'il s'agit sans contredit de mon auteur préféré. C'est dire tout ce que j'espérais. Maintenant, comment expliquer simplement que mes attentes ont été largement dépassées? Je ne sais si Jon Kalman Stefansson fera encore mieux plus tard, mais déjà, avec toute son oeuvre, je ne pourrais lire que lui et j'en serais très heureux.

C'est l'histoire d'habitants d'un village islandais d'environ 400 habitants. Les petits bouts de vie de chacun s'entremêlent à ceux des autres. Il y a des amis, des amours, des solitudes, la mer qui borde le village, le comptoir de la poste, le magasin de la coopérative, des fermes éloignées. Chaque chapitre nous fait connaître un ou de nouveaux personnages, entourés, ou plutôt enrobés des autres qui font partie de leur vie.

Car ce livre raconte la vie de gens simples. Pour certain, il en va ainsi depuis leur naissance et pour d'autres, il s'agit d'un choix. Parce que certains reviennent chez-eux. Tous parlent d'un endroit où il ne se passe rien, ou rien ne vaut vraiment la peine d'être raconté, ou le ciel est la chose la plus vaste et le lever du soleil, un événement.

Il y a dans ce livre des descriptions de l'amour comme on en voit peu. Ici, prenez l'amour au degré qu'il vous plaira: celui d'un couple naissant, celui du désir inassouvi qui vous suit toute une vie, celui de la passion fugace et de ses conséquences, celui qui se montre, celui qui ne se voit pas, et celui qu'on ne soupçonne pas. Maintenant, ne pensez à rien de ce que vous avez lu avant. Cet auteur amalgame l'amour à la vie, car l'un comme l'autre peut-être aussi rude que tendre. Il en fait ici d'excellentes démonstrations.

Et puis il y a la signature d'un auteur immense: cette narration au "nous". Observateurs, auto-narrateurs, personnes fictives, c'est comme on veut. Ce "nous" est ouvert, et il laisse toute la place aux personnages dont il parle. C'est habile, et à mon sens assez unique. Une narration au "nous" habitait aussi le premier livre que j'ai lu de cet auteur, particularité qui a contribué à me le faire aimer à ce point.

Certaines scènes de ce livre vous soulèvent de terre. Le même frisson vous traverse le corps au coeur du livre, dans ce court chapitre, d'une puissance extraordinaire, où on découvrira le plaisir d'un homme à conduire son camion entre la ville et le village. Dit comme ça, ça n'a l'air rien, mais raconté par Jon Kalman Stefansson, c'est tout ce que vous n'auriez jamais pu imaginer. C'est simple, mais oui, croyez-le ou non, c'est beau.

Éloges aussi au traducteur, Éric Boury. Rien, absolument rien n'agace, ne dépasse ni ne fuit, bref, rien ne laisse supposer un éloignement de quelque langue que ce soit. Les mots sont savamment choisis, le style, impeccable. Superbe travail.

Si vous n'avez jamais lu Jon Kalman Stefansson, Lumière d'été... serait un excellent départ.

Attention, ce livre pourrait vous paraître exceptionnel.

vendredi 25 décembre 2020

Les spectres de la terre brisée, par S. Craig Zahler, éditions Gallmeister

Les deux soeurs de clan Plugford se sont fait enlever par de dangereux malfrats mexicains. Son père et ses frères quittent leur ranch du Texas avec quelques engagés, dont un as du révolver, pour aller les délivrer.

Dit comme ça, on dirait un gentil western diffusé à la télé pendant l'après-midi. Pourtant, c'est pas du tout ça. C'est un western, ça oui, mais la gentillesse est remplacée par des meurtres à la dizaine, et plus encore, avec force boyaux, tripes et séances de torture. La table est mise.

Parce que les cow-boys du Texas ont à faire avec un bien sinistre personnage, un Espagnol d'Espagne, par surcroit, qui tient une maison de jeu dans un pays étranger, le Mexique. Rien ne va plus. Et les Mexicains collaborent assez peu, sauf si on leur donne de l'argent. Quant aux filles...

Le livre commence d'ailleurs avec une scène de viol, ou plutôt la fin d'un viol où une femme retire un animal mort de ses organes génitaux. Vous en voulez plus? Pas besoin. Imaginez le reste: des cow-boys un peu rustauds, mais pleins de bonnes intentions, un Noir, engagé par la famille, considéré comme un ami, mais qui cuisine, coud, habille et s'occupe de tout pour tout le monde, des filles soit victimes, soit accessoires, des étrangers méchants, un "Indien" taciturne (la traduction n'a pas retenu le terme "amérindien") et même un cow-boy qui a des fantasmes homosexuels. 

Mêlez à tout ce beau monde force coups de fusils, des torturés attachés avec des barbelés, des membres coupés, des cerveaux qui explosent sous les balles et vous avez un grand gâteau à trois ou quatre étages, avec autant de clichés qu'il pourrait y avoir de sucre et de graisse.

Je ne vous gâcherai rien en vous disant que ça se termine par un grand carnage. La scène, interminable, a quand même l'avantage ne nous laisser nous demander qui, des personnages, en sortiront vivants.

À part ça, libre à vous de juger si le style vous plait. 

Quant à moi...

samedi 12 décembre 2020

Sabrina, par Nick Drnaso, Drawn & Quaterly éditeurs

C'est une bande dessinée, mais ça pourrait aussi être un roman, un film ou un podcast. Ça ne ressemble à rien et ça m'a soufflé tellement c'est bien fait.

Sabrina disparaît. Ses proches sont consternés. surtout son copain et sa soeur. Rendu apathique, vidé, presqu'une larve, le copain de Sabrina ira se réfugier loin de chez-lui chez un ami d'enfance qui travaille dans l'armée. Devenu seul à la suite d'une séparation, ce dernier accueillera son ancien ami le plus simplement du monde, en se sachant pas trop quoi en faire, mais avec beaucoup d'empathie.

Pendant ce temps, la soeur de Sabrina tente elle aussi de se vivre, mais c'est difficile.

Au fil du temps, un événement fait que tout dérape, pour tout le monde. L'événement en question est médiatique et s'ensuivent toutes les conséquences que vous pourriez imaginer.

Sabrina est une chronique de notre temps présent qui a l'originalité d'être racontée pudiquement. Il est facile de s'emporter lorsqu'on aborde les sujets décrits pas Drnaso dans cet incroyable livre. Mais pas là. La sobriété est telle qu'elle nous hypnotise, et le scénario est si efficace qu'on élabore les théories de ce qui a bien pu arriver au fil des pages.

Sabrina se termine comme il nous a porté: doucement. C'est en tournant la dernière page qu'on se rend compte combien on est sous le choc. Cet habile scénario oppose l'empathie et la démagogie. Il nous donne à réfléchir sur notre vie médiatique personnelle. Parce que oui, nous somme tous, de plus en plus, le produit de l'information que nous consommons. Ce que ça donne comme produit, c'est à chacun de nous, mais aussi à nos proches de le définir. C'est ça, Sabrina, et c'est absolument fascinant.

Le dessin est sobre. Je dirais même que les personnages sont dessinés avec vulnérabilité. La langue est simple et le sujet, passionnant.

Sabrina est aussi édité en français aux éditions Presque Lune.

À ne pas manquer. Quel livre réussi.

lundi 30 novembre 2020

Fantaisie allemande, par Philippe Claudel, éditions Stock

C'est Philippe Claudel, donc ça coule de source: c'est bien écrit. Ça vous happe, on ne perd rien. C'est un recueil de nouvelles, donc, on aime inégalement, mais au final, qu'on connaisse ou pas cet auteur formidable, on passe un bon, mais court, moment de lecteur.

Ça se passe en Allemagne, de nos jours ou dans un passé pas si lointain, ce passé si lourd de l'Allemagne, un passé qui semble bien difficile à contourner encore, surtout lorsqu'on plante un décor de fiction dans ce pays. Mais attention, ce n'est pas que ça. En fait, tout a à voir avec ce passé du peuple allemand, et chaque personnage y sera confronté, chacun à sa manière et en fonction de son époque.

Philippe Claudel est un auteur d'une sensibilité qui m'attire. J'aime ces personnes qui comprennent les autres et dont la vision du monde nous aide à faire abstraction de nos jugements. Comme dans ses autres oeuvres, il y a des bonnes et moins bonnes gens, mais aussi courtes que soient les nouvelles, chaque personnages en vient à révéler autant sa part d'ombre que de lumière.

En fan de l'auteur, je le préfère dans ses romans, où ils nous mène loin dans son imaginaire tellement agréable. Ici, les récits aboutissent rapidement, bien qu'un fil conducteur puisse faire en sorte qu'on fasse un trait entre chaque histoire. Oui, ça se passe en Allemagne et oui, ça réfère plus ou moins à son passé, mais il y a un élément de plus qui révèle l'habile romancier... dont j'ai bien hâte de lire la prochaine histoire plus costaude.

mercredi 18 novembre 2020

The Silence, par Don De Lillo, Scribner éditeur

Dans la catégorie "livres étonnants", on loge ici dans mon top 3 très certainement. Don De Lillo, le spécialiste des trames narratives "presque apocalyptiques" atteint son paroxysme dans ce court récit de 113 pages.


On est en 2022. Un couple est dans un avion. Ils atterriront bientôt pour ensuite aller rejoindre des amis pour écouter le match du Super Bowl avec eux. Tout va a peu près bien, leurs conversations sont plus ou moins intéressées, mais voilà que l'avion commence à avoir un drôle de comportement.

Pendant ce temps, les amis qui les attendent regardent la télé. Le match va bientôt commencer mais pouf!, on perd le match, l'écran devient blanc. Ils constatent bientôt que leurs téléphones et tout ce qui est technologique dans la maison ne fonctionne plus. Tout est déconnecté.

Alors ils se parlent. Comme souvent dans le monde de De Lillo, ils sont professeurs. Leurs propos sont pour le moins imagés, et au fil du temps de plus en plus erratiques. On dirait qu'eux aussi sont comme déconnectés des autres. En fait, ne l'ont-ils pas toujours été? Est-ce pire maintenant?

Puis, arrivent les amis qui étaient dans l'avion...

La force de cet auteur est de réussir à nous laisser nous imaginer une foule de choses. Mais qu'est-ce qui est en train d'arriver? Bien sur, les personnages se le demandent eux aussi et devisent là-dessus. Et on se questionne avec eux. Rien d'autre n'arrive que des dialogues, sauf un personnage qui sort à l'extérieur à un certain moment. Rien de violent ni de brutal à signaler, mais on se sent mal. 

Anxiogène, ce récit est fort bien ficelé. De Lillo est un maître de l'ambiance. Mais il fait travailler ses lecteurs. Il ne nous décrit rien que ce qui est essentiel. Une fois le cadre de l'histoire présenté, il utilise ses personnages pour nous faire une idée de ce qui leur arrive. La fin est ouverte, on imagine ce qu'on veut de ce qui est en train et de ce qui va arriver.

Étonnant, ça l'est. J'ai terminé ce livre en me disant qu'il faudrait que je le relise encore, pour m'imprégner encore plus de son ambiance étrange, et pour m'assurer de l'impression que j'avais en le terminant: et si la clé était dans le titre?

lundi 9 novembre 2020

La faim blanche, par Aki Ollikainen, éditions La Peuplade

Je termine mon second roman finlandais et j'ai le même sentiment qu'à la fin du premier, écrit pourtant par une autrice différente: il me semble être passé à côté. Et pourtant, il y a là beaucoup de choses à apprécier.

En 1867, des régions rurales de la Finlande vivent une famine causée par de mauvaises récoltes et une météo impitoyable. À cause de cette situation, des familles abandonneront leurs habitations pour prendre la route à la recherche de secours, en mendiant chez les plus riches, et en se dirigeant vers les villes. On verra un jeune couple avec deux enfants en bas âge se faire emporter par ce fléau. La mort d'un des membres de la famille entraînera les autres à prendre la route jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un seul des quatre personnages d'origine.

Bien sur, c'est un livre dur, et cette dureté provient d'abord de la nature, du temps. L'hiver est rugueux. L'auteur le décrit sous toutes ses coutures, toujours de très belle façon, mais dans ses traits les plus ténébreux, voir mortels. Puis, à travers le périple de ces nouveaux mendiants, il y aura les rencontres et là aussi, ils vivront certaines cruautés bien que la nature humaine est ici bien moins cruelle que celle dans laquelle elle évolue.

À travers cette histoire, la mort sera partout, tellement qu'elle hantera les rêves des vivants, qui prendront une part importante du roman. En fait, c'est là où j'ai été le plus déstabilisé. On y fait plusieurs passages entre la réalité vécue par les personnages et leurs visions, des images de rêves qu'ils font éveillé sous le coup d'une immense fatigue ou d'autres rêves que de mauvaises nuits de sommeil leur apportent. Ces rêves sont entre la vie et la mort, on le voit bien. Ce sont autant de transitions vers la mort pour quelques uns des personnages qui mourront.


Aux trois quarts du livre, on se retrouve chez un notable de la capitale qui y sera pour quelque chose dans la survie d'un seul des personnages d'origine. Bien portant, comme son entourage, ce notable n'en a pas moins perdu des amis, lui aussi, et il voit bien que le pays souffre. Politicien, il s'opposera à un projet de construction de chemin de fer qu'il verra comme une autre façon de mourir pour les miséreux qui donneront leur vie pour le profit. On se demandera avec lui si c'est bien ce dont ce pays a besoin dans ces circonstances...

Ces deux tableaux, celui de la famille et celui du notable, forment un roman facile à lire, mais avec certaines clés qu'il me reste encore à trouver. J'ai bien senti qu'il s'agissait d'un récit tiré d'une époque tragique qui a vraiment eu lieu, mais peut-être étais-ce trop peu pour que j'en ressente complètement toute la tragédie. Un Finlandais partira sans doute avec une longueur d'avance puisqu'il s'agit d'une époque qui a marqué ce territoire. Le lecteur étranger que je suis trouve qu'il a manqué de contexte. 

N'en demeure pas moins qu'on a là une ambiance rare par sa dureté silencieuse, où la famine devient aussi meurtrière et sordide qu'une guerre, et où l'hiver, sans vivres, se transforme en bourreau. Les amateurs de romans du Nord y trouveront leur compte.



dimanche 1 novembre 2020

Transcendant Kingdom, par Yaa Gyasi, Bond Street Books éditeur


Il y avait longtemps que je n'avais pas terminé un livre dans un tel état. C'est un sentiment proche du deuil, un genre d'anéantissement temporaire où on se retrouve replié sur soi à la suite d'un choc. Mais un tel choc, bien que violent émotionnellement, se révèle souvent salutaire et c'est souvent ça qui nous dépasse. On n'en revient pas, mais au bout du compte on en revient, justement, on en ressort transformé. Voilà l'histoire racontée par Yaa Gyasi de sublime façon.

La narratrice est née en Alabama de parents immigrants du Ghana. Dans son laboratoire dans une université américaine, elle travaille avec des souris à des recherches en neuro-sciences. Son sujet de prédilection est l'addiction et ce qui l'a mené là est un désir de se dépasser, pour oublier. Être la meilleure est ce qui la tient en vie.

Son père a quitté la famille alors qu'elle était très jeune. Quelques années plus tard, son frère ainé succombera à une surdose d'opioïdes. Elle reste seule avec sa mère, une aide familiale qui travaille sans relâche pour gagner une vie qui lui pèse de plus en plus et dont le seul mais puissant exutoire sera la religion.

La narratrice nous raconte la petite fille pieuse qu'elle a été, la petite afro-américaine qui découvrira au fil du temps que la seule personne si qui elle pourra se fier, ce sera elle. Rien ne viendra de la communauté évangélique sur laquelle sa mère comptait tant. Bigoteries et condescendance lui feront apprendre que le racisme qui l'entoure a contribué aux malheurs de ses parents, de son père parti, de sa mère qui se demande ce qu'elle fait dans ce pays, et de son frère, avalé par un système trop fort pour lui.

Gyasi crée une héroïne hors normes, introvertie, fragile, mais déterminée. Allumée, elle trouvera la force là où il a semblé en exister, comme dans les prières ou l'amitié, autant de refuges éphémères sur lesquels elle comptera lorsqu'il le faudra. Mais qui est vraiment dieu, et qui sont les vrais amis? On se le demandera avec elle.

Ce livre raconte une personne de notre époque qui se construit à travers les écueils de notre époque. De la fragilité, on verra surgir une force rare de ce personnage malmené pour qui le tunnel est d'une obscurité ahurissante, mais qui s'accroche à la petite lumière qu'elle y voit tout au bout. En fait, cette lumière, c'est peut-être un miroir.

Raconté sobrement mais vraiment efficacement, Transcendant Kingdom vous paraîtra parfois violent par les mots, et les attitudes, et salvateur par la résilience de ce personnage extraordinaire de Gifty. Ce livre est une autre découverte d'une société dont on connaît trop la superficialité et dont on s'étonne toujours de constater l'envers sombre, boueux, mesquin. Il n'en demeure pas moins que la société américaine produit, depuis quelques années, de grands auteurs de littérature. Yaa Gyasi figure parmi ceux que je compte suivre. Quel livre remarquable.

Transcendant Kingdom est paru en français sous le titre de Sublime royaume, aux éditions Calmann-Lévy.

dimanche 11 octobre 2020

La dernière déclaration d'amour, par Dagur Hjartarson, éditions La Peuplade


C'est l'histoire d'un long brouillard qui s'installe autour d'un narrateur, et des deux personnages au centre de sa vie. Tout ça accompagné d'un personnage absent, mais qui flotte au-dessus de tout ça, comme si, le brouillard, c'était lui.

L'ami d'enfance et la petite amie du narrateur, qui ne se connaissent pas, ont chacun de leur côté une fascination pour David Oddson, un politicien "de carrière" qui a longtemps roulé sa bosse dans toutes les sphères de l'administration nationale islandaise. D'abord maire de la capitale Reykjavik, puis premier ministre, il a ensuite été promu directeur de la Banque centrale islandaise. Figure de proue d'un parti de droite, on imagine facilement qu'il a fait partie de la vie de tout islandais qui se respecte. Pensez à un politicien qui a été longtemps au pouvoir dans votre coin du monde, et qui s'est ensuite recyclé dans une tour dorée de l'administration publique.  Vous êtes fixés sur la notoriété du personnage flottant.

À prime abord, on est un peu déstabilisé par cette omniprésence. On a l'impression que si c'était de lui, le narrateur n'en aurait rien à cirer de ce personnage qu'il juge assez sinistre. Or, ses deux pivots, son ami et son amour, l'invoquent chacun pour des raisons particulières, et dans le cas de son ami d'enfance, ça ira jusqu'à l'obsession.

Puis le temps avance, lentement. L'amour s'installe mais... avec toujours un espèce de brouillard autour. Du côté de son ami, un projet qui tourne lui aussi à l'obsession est en train d'hypothéquer sa santé mentale. La narrateur doute, de son amour, de son ami, de l'omniprésence de Davis Oddson et à force, on s'attache à lui à cause de ses doute, justement.

Cette histoire pourrait être celle de l'amour et de l'amitié mais c'est plutôt celle du temps qui passe. Dagur Hjartasson est un poète qui signe ici son premier roman, et c'est fort de ce background qu'il transforme chaque personnage en métaphore. Ce livre lent contient des passages à relire trois fois de suite tellement ils sont beaux. Les poètes ont ce don de savoir décrire l'intangible ou de faire entrer une ville comme un personnage secondaire. Si vous n'êtes jamais allé à Reykjavik, la lecture de La dernière déclaration... pourrait bien vous en donner envie.

Antithèse du roman d'aventures avec une ville, mais aussi les saisons comme personnages secondaires, ce récit porte sur l'inévitable fin de toute chose, même de la bienveillante enfance (le personnage de l'ami), de l'indescriptible amour (la petite amie) et de l'ordinaire indifférence du confort ordinaire (le personnage public, qui notons le, finira par donner sa démission de directeur de la Banque centrale d'Islande en 2009, dans un immense crash économique... le roman se déroule en 2008), tout ça raconté avec une douceur déstabilisante, mais tout à fait réjouissante. 

Dagur a quelque chose de Jon Kalman Stefansson pour les images, et d'Audur Ava Olafsdottir pour la narration. C'est un auteur à suivre, pour qui aime les brouillards. 

#lapeuplade

lundi 28 septembre 2020

Extases, tome 2 - Les montagnes russes, par Jean-Louis Tripp, éditions Casterman


C'est l'histoire de la vie de jeune adulte d'un gars intense et qui se définit par sa sexualité. Si, déjà, ce mot vous fait sourciller, sachez tout-de-suite que cette bande dessinée se définit très bien par ses deux composantes: "bande" et "dessinée". 

Si le jeu de mot est facile, le propos du livre ne l'est pas pour autant. Par "facile", je veux dire "léger" ou "superficiel". On n'est pas là. Tripp n'est pas le dernier venu en matière d'édition et ça paraît. S'il sait manifestement dessiner (j'adore ses dessins), il sait aussi raconter, d'autant plus que ce qu'il raconte, c'est lui.

J'ai encore le préjugé que la littérature érotique tombe presque toujours inévitablement dans la vacuité, ou même, j'y reviens, à une certaine facilité, ce qui a souvent pour effet de me lasser. Loin de me choquer, les propos érotiques faciles m'ennuient ou m'exaspèrent. Mais ici, j'ai souvent ri, et lorsque c'était le cas, ce n'était pas par dérision. C'était plutôt le ton, l'atmosphère. Tripp raconte ses aventures comme s'il s'adressait à un ami, sur un ton très décomplexé. Ça nous donne un livre très intérieur, où angoisses et remises en question chevauchent (encore un jeu de mot facile...) aventures sexuelles et relations sociales.

On raconte rarement la vie sous l'angle de la sexualité. Et pourtant, quoi qu'en diront les prudes, elle nous définit tous. Or, pour toutes sortes de raisons, on a utilisé cet aspect de la vie pour contrôler les consciences... avec les résultats que l'on sait. Le gars qui se raconte ici est manifestement "libéré", au sens où on l'entend lorsqu'il s'agit de vie sexuelle. Et pourtant, y'a quelque chose qui ne marche pas. Ses relations ne durent pas, et il ne peut se contraindre à vivre seul. Or, au fil de ses rencontres, il aura une épiphanie...


Bon, d'accord, cette fin ne vous chavirera pas. Ce qui vous touchera, et je pèse mes mots, c'est bien sur les planches hallucinantes parce que souvent tellement belles. Si vous n'aviez jamais vraiment vu par le détail des relations sexuelles dessinées, mais BIEN dessinées, Jean-Louis Tripp vous l'offre ici de la meilleure façon qui soit. Vous rougirez peut-être, mais ne serez pas dégoutés. 

Cet auteur est aussi un dessinateur hors pair et ce deuxième volume de sa série Extases (je ne savais pas qu'il y avait un premier, mais bon, c'est pas vraiment grave) est juste assez long pour qu'il vous fasse passer quelques heures d'un divertissement beau, bon, drôle, touchant, et surtout raconté avec une justesse rare en matière d'érotisme.

À lire et à regarder... si votre moi profond vous le permet.

mercredi 23 septembre 2020

Smith & Wesson, par Alessandro Baricco, éditions Gallimard

Il fallait seulement mon amour inconditionnel de Baricco pour m'emmener sur le chemin peu fréquenté de la lecture d'une pièce de théâtre. On est assez loin de Novecento, pianiste, son autre pièce puisqu'on a ici des dialogues. et non un monologue. On reste toutefois dans l'univers Baricco, avec des personnages décalés, à part du monde, trop ci ou pas assez ça, à qui il arrive des choses qui ne pourraient sortir que de l'imagination débordante d'Alessandro Baricco.

Ça se passe à Niagara. Smith, qui arrive en ville, va cogner à la porte de Wesson, un personnage local, connu pour sa relation particulière avec la tumultueuse rivière et ses chûtes. Le visiteur est un météorologue. Il fait des prévisions météorologiques en se basant sur des observations faites jour donné pendant les années suivantes. Il collectionne donc les mémoires des gens pour savoir quel temps il faisait un tel jour il y a x années. On reconnaît bien là une quête à la Baricco... 

Référé par une tenancière locale, il vient donc à la rencontre de Wesson, et les deux jasent, se présentent. Arrive un troisième personnage, lui aussi référé aux deux premiers, par la même tenancière locale. C'est par ce troisième personnage qu'on aura une autre présentation des deux personnages d'origine. Qui sont-ils vraiment? C'est en le découvrant que ce troisième personnage proposera aux deux autres d'embarquer dans un projet de fous.

Avec les mots de Baricco, c'est souvent drôle, du tac au tac. L'onirisme qui parfume ses romans s'exprime ici vers la fin de la pièce. Le dénouement a tout pour être tragique, mais guidé par les propositions de l'auteur, on sera mené doucement sur une route pourtant bien cahoteuse. Bref, quelle histoire.

J'ai toutefois lu ce texte comme je lis des romans. Je n'aurais peut-être pas dû. Peut-être devrait-on lire une pièce de théâtre tout du long, en un seul jet, comme on assiste au spectacle, ce que je n'ai pas fait. Si ça avait été le cas, j'aurais sans doute été aussi imprégné des décors incroyables de Baricco qu'à la lecture de ses romans. Dans cette pièce, où que les décors suggérés sont quand même assez nombreux, j'ai eu l'impression de manquer quelque chose, l'essence, même, de la pièce.

Tiens, par exemple, ce titre vous a inspiré un thème, avouez-le.  À moi aussi. Smith & Wesson, tout de même... Pourtant, à part une mention anecdotique à un certain moment, le nom des deux personnages apparaît comme une coïncidence. Voilà, c'est sans doute ça qui m'a échappé. Je devrais peut-être le relire. À vous de découvrir dans quelle direction Baricco, le tendre, voulait tirer.

mardi 15 septembre 2020

L'homme rouge et l'homme en noir, par Kim Leine, éditions Gallimard


Voici l'histoire de la relation entre les Européens venus coloniser le Groenland au début du 18e siècle et les premiers habitants de ce territoire. Cette histoire, imaginée par l'auteur, est basée sur des personnages qui ont vraiment existé. Maîtrisé, enlevant du début à la fin, hallucinant, ce roman est remarquable pour plusieurs raisons. Amateurs d'aventures, de sagas, d'histoire, de sociologie, d'anthropologie et de bonnes histoires bien écrites passeront des heures sur le bout de leur chaise à lire ces plus de 600 pages renversantes.

Kim Leine connaît manifestement son sujet. Il a habité plusieurs années au Groenland, en Norvège et au Danemark, les trois territoires couverts par ses personnages. On commence à Copenhague avec le roi Frederik IV du Danemark, et on termine avec un des descendants survivants d'une union entre indigènes et colonisateurs. Entre les deux, on suit les destins d'Européens qui se sont retrouvés là de leur plein gré ou totalement contre, et de Groenlandais spectateurs et acteurs d'une entreprise hasardeuse, risquée, et mortelle pour la plupart de ses protagonistes.

Le paysage a beau être froid, l'écriture de Leine n'en sont pas moins brûlante. Raconteur d'histoire, il se distingue des auteurs nordiques que j'ai lus jusqu'ici par un style moins onirique, voir même parfois carrément hyper-réaliste. Il nous décrira un paysage en quelques lignes, sans trop s'y attarder. Le froid, la rigueur, la dureté, on la ressentira plutôt à travers ses personnages, et c'est là le principal tour de force de ce livre. Il assimile carrément l'environnement aux êtres humains. Dites-vous bien qu'à ces latitudes, si les hivers sont froids, les étés, aussi courts soient-ils, sont fous et sans doute vécus bien plus intensément que nulle part ailleurs sur la planète. Ainsi sont les personnages de L'homme rouge et l'homme en noir: intenses.

Comme l'indique le titre, deux personnages sont au coeur de ce récit épique, mais ils sont loin d'être seuls. Autour d'eux (ils étaient pourtant bien peu dans la colonie danoise du Groenland), on comprend vite qu'en situation de danger constant, les survivants sont les plus forts. Mais d'où vient la force? Elle peut provenir du corps, oui, mais aussi de l'esprit, et ce, quelle que soit son intention. Croire fait vivre, et les premiers missionnaires présents en terre d'Amérique en sont la démonstration. Si eux ont survécu, combien ont dû mourir pour qu'ils parviennent à leurs desseins? Ici, c'est le luthérianisme qui fera figure de poison. Les catholiques et les puritains anglais ayant déjà beaucoup donné dans ces histoires, ça nous change quand même assez agréablement de ce qu'on a lu jusqu'ici.

Mais l'agréable, dans ce livre, c'est l'histoire, l'épopée, les ratées, les désastres. Et à travers tout ça, se faufilent des réussites, petites mais incroyables. 

Certaines scènes sont dures, très dures. Rappelez-vous seulement que l'époque a eu son lot d'épidémie et que la médecine était tout sauf efficace. Leine en décrit ici les résultats sans aucun filtres. Il le fait de la même façon en décrivant les intentions personnelles de personnages dont l'histoire n'a reconnu qu'une réussite sociale. Il est intéressant d'imaginer quelles fins personnelles ont motivé les plus grandes réalisations jugées comme publiques. 

Je trouve intéressant de préciser qu'il y a quelques semaines seulement, les statues d'un des personnages principaux de ce livre étaient vandalisées au Groenland et au Danemark. Comme quoi le phénomène est mondial, et qu'il est extrêmement intéressant, pour tout lecteur curieux, de comprendre ce qui aurait pu mener à de telles révisions des perceptions.

Ce troisième livre de Kim Leine est certainement son meilleur, bien que les deux précédents, dont Les prophètes du fjord de l'éternité, m'aient captivé tout autant. Cette fois, j'avoue avoir été subjugué par la force, la rigueur et l'habileté de ce conteur inspiré par l'Histoire mais aussi, et surtout, par l'humain, dans ce qu'il a de meilleur et de pire.

Le sujet vous rebute? C'est dommage, parce que dès les premières pages, vous seriez happé. Vraiment!


lundi 31 août 2020

Ta mort à moi, par David Goudreault, éditions Stanké


David Goudreau revient avec un personnage qui confirme sa signature: hors norme, atypique, inquiétant, rébarbatif, hyperactif et surdoué. Entre francs rires et gorges nouées, on suit maintenant la vie d’une autrice fictive dont les mésaventures traversent notre époque. 

Jumelle née dans une région rurale québécoise de parents immigrants, Marie-Maude a tout, absolument tout de différent. De son aspect physique jusqu’à ses capacités d’apprentissage exceptionnelles en passant par ses parents pas piqués des vers mais surtout son incapacité à trouver le bonheur, Marie-Maude se cherche, et la suivre est palpitant. Qui d’autre que David Goudreau pour parcourir le monde avec un personnage qui n’en a justement rien à foutre, du monde?

Ce gars-là a le talent requis pour réinventer ce qu’il veut sans que ça nous choque. Comme son personnage, il joue avec le temps, l’espace, les genres et le langage pour que tous puissent s’y retrouver. Avec ses références encyclopédiques et historiques, on reconnaît le geek derrière l'intelligence de la Bête. Avec ses références à l'éducation, l'ésotérisme, le monde littéraire, on reconnaît le critique social. Ce nouveau portrait d'un personnage hors-norme nous fait une nouvelle démonstration de tout l'ostracisme dont sont victimes ceux qui diffèrent. Il nous montre aussi combien ce sont eux qui colorent le monde, et qui le changent en le confrontant avec nos certitudes confortables.

À la fin on manque de souffle. On s’étouffe sous l’émotion alors que David Goudreau fait exploser à grands fracas son personnage plus grand que nature. Cette bombe explose à un endroit précis que l’auteur a su trouver, en fin stratège, exactement entre la tête et le coeur, dans une une zone d’éternel combat où il sait si bien manoeuvrer. Et c'est après cette déflagration, qu'on a inévitablement vu venir, qu'on s'étonne d'une fin après la fin. Et c'est là où réside tout le génie et le beau de cette histoire ô combien violente, souvent sordide, mais combien passionnante. J'ai vu dans les dernières pages du livre la marque d'un grand auteur. On le savait déjà, mais cette fois, pour moi, c'est maintenant confirmé.

Lisez Ta mort à moi. C’est exactement ça, un bon livre bien écrit.

jeudi 13 août 2020

Toutes les histoires d'amour ont été racontées sauf une, par Tonino Benacquista, éditions Gallimard

Ça va pas bien dans la vie de Léo. La talentueux mais modeste photographe est tombé bien bas. D'amoureux fou, il est devenu bien seul par un concours de circonstances... à la Tonino Benacquista. C'est un peu tordu, et on aime ça, parce que n'importe quoi raconté par Benacquista devient divertissant. 

Bref, rendu bien seul, Léo cherche à oublier son épouvantable condition. Il le fera en tombant dans la fiction, via le petit écran. On verra donc un personnage de roman s'évader... en vivant ses évasions avec lui, c'est à dire que tout ce que Léo regarde, Benacquista le décrit. 

Et nous voici passant du réel (l'histoire de Léo) au fictif (ses émissions) de chapitre en chapitre. Série historique, aventures conjugales d'un écrivain, téléréalité d'alcooliques anonymes, tout intéresse Léo que sa vie n'intéresse plus. Alors on le suit, on ne le suit plus, et avec lui, on devient un peu mélangé. 

Voilà bien Tonino Benaquista. Ses "vieux" fans verront même apparaître Saga, une référence à un de ses plus grands succès. Donc,j usqu'ici c'est très "télé", très scénarisé, très gros. On navigue entre réel et fiction, on a plein d'histoires racontées en même temps. 

Les autres histoires, celles des personnages des émissions suivies par Léo, sont rocambolesques. Chacune pourrait faire l'objet d'un roman. Parmi eux, il y a le célèbre écrivain dont j'ai parlé un peu plus haut. C'est par lui qu'arrive le titre ambitieux de ce roman... et c'est aussi par là que j'ai fini par m'égarer. Pas que j'étais perdu, non. Les histoires qui s'entremêlent sont bonnes, sauf que pour raconter ce qui pourra ressembler à une espèce de rédemption de Léo, on finira par se demander qu'est-ce qui est réel et qu'est qui est fictif, oui, mais surtout, la fameuse histoire d'amour en question fera figure d'ovni. On s'attend à un feu d'artifice final, on termine avec quelques bulles de savon qui virevoltent un peu avant d'éclater. D'où mon désir d'en finir avec ce livre.

Ajouté à cette fin étonnante, on a un monologue où l'auteur fait raconter par un de ses personnages ce qui fait de la bonne fiction, et ce qui fait qu'on aime ou pas une histoire. Bon, oui, c'est une façon de voir les choses. On entend souvent de tels arguments alors que l'auteur est en entrevue, ou devant un public. Mais là, dans un roman, raconté comme ça, ça donne la plate impression qu'on a voulu nous passer un message, un genre de legs, une épitaphe. Au fil de ces dernières pages, j'ai eu la désagréable impression que Benacquista voulait nous montrer la recette de son succès, théoriser sur lui, sur ses histoires, sur tout. 

Ce qui a eu pour effet que j'ai trouvé la fin du livre interminable et qu'au bout du compte, ce qui semblait se dessiner pour être un grand "wow" c'est terminé par un petit "bof".

Je ne sais pas ce qui lui a pris, mais c'est dommage. Y'a quelque chose, dans ce livre, qui n'a pas fonctionné.

lundi 3 août 2020

Paul dans le Nord, par Michel Rabagliatti, éditions La Pastèque


Je me demande si les histoires autobiographiques d'adolescence où l'auteur découvre la vie, les premières libertés et les premières amours existent depuis toujours... enfin, depuis qu'on écrit. Ça doit. 

Certain que la lecture d'un tel récit vous touche encore plus lorsque le décor est campé dans votre propre environnement géographique et culturel, à moins, bien entendu, que l'univers en question vous fasse rêver bien qu'il vous soit étranger.Rabagliatti poursuit ses récits d'un Montréalais grandi dans les années 70/80. Là, c'est l'adolescence en 1976. À Montréal, ce sont les jeux olympiques, épouvantables et fantastiques, et chez Paul, c'est l'éveil du désir amoureux, avec les deux mêmes qualificatifs.

On ne se lasse pas des "Paul". Je me surprend encore à pousser des éclats de rire devant certaines scènes et à sortir profondément ému d'autres. Le dessin reste simple, le scénario, impeccable et certaines planches sont tout bonnement grandioses. 

Dans cette épisode, outre les références historiques, il nous fait la démonstration que les habitants des villes et ceux des campagnes continueront toujours à s'invectiver, s'envier, se dénigrer et que malgré les différences, il y a des choses beaucoup plus grandes qui réunissent tout ce beau monde. L'Histoire qui suit son cours y est pour beaucoup, la culture, les amours.

Si tout Québécois, Montréalais ou pas, se reconnaît dans Paul, qui sait si tout Terrien qui se respecte ne se reconnaît pas aussi dans ce personnage sensible, un peu naïf, mais tellement à ouvert sur tout ce qui l'entoure. Lire Paul, c'est avoir envie de raconter un scénario à Rabagliatti pour qu'il vous l'intègre à sa sauce, parce que quoi qu'il arrive, on ne s'ennuiera pas.

Bref, après, quoi, cinq ou six albums, j'ai beau chercher, et non, je n'arrive toujours pas à lui reprocher quelque chose.

lundi 20 juillet 2020

Le Ghetto intérieur, par Santiago H. Amigorena, éditions P.O.L.

Wincenty émigre à Buenos Aires en 1928. Comme plusieurs juifs polonais mais aussi d'ailleurs en Europe, il fuit un continent où ça commence à se scléroser.
<\br> Parti seul, il a laissé au pays une mère accaparante, un peu typique, un frère et une soeur. Seuls des amis d'enfance l'entourent dans ce nouveau pays. Ils deviennent ses plus proches repères. En Argentine, il devient Vincente, tombe amoureux, fait des enfants, bref tout va.

Arrivent les années 1940. Des lettres de sa mère restée à Varsovie l'informe que ça va beaucoup moins bien de ce côté du monde, qu'elle st sa famille vivent maintenant dans un ghetto. Puis une seconde lettre parlera de la faim, de survie. C'est à partir de là que Vincente se mettra à supposer, à imaginer, à vivre en imagination ce que sa mère peut vivre. I se dira qu'il aurait pu les faire venir avec lui, qu'il n'a rien fait pour eux, tout en espérant qu'ils s'en sortent.

D'Argentine, les nouvelles d'Europe sont sporadiques, mais chaque fois, elles confirment que ce que Vincente est en train d'imaginer... est aussi bel et bien en train d'arriver. Alors il perdra progressivement la raison, lentement, doucement, sous les yeux de ceux qui l'aiment et qui ne peuvent rien faire pour lui.

Le plus tragique dans cette histoire, c'est que l'auteur raconte la vie de son grand père, et par le fait même des conséquences qui on rejailli sur toute la famille, et sur lui. Rarement titre n'aura aussi bien été choisi. On en vient à étouffer avec Vincente. L'auteur entre dans la tête de l'homme de 40 ans qu'a été son grand-père pour raconter son désarroi, son impuissance. On en conclut avec lui qu'il reste la mémoire et que comme les gênes, elle se transmet, qu'on le veuille ou non.

C'est une écriture d'une douce puissance. Amigorena rend le drame historique archi-connu en quelque chose de très actuel. Dans les dernières pages, il décrit combien le drame de Vincente fait maintenant partie de lui, qui n'a pourtant à peu près pas connu son grand père. En ce sens, il démontre magistralement combien l'Histoire définit notre présent.

Le Ghetto intérieur raconte aussi le Buenos Aires de ces années-là, cette autre Amérique où tout a semblé possible pour ceux qui décidaient de s'y installer. Il raconte tout ce que que ça implique de changer de patrie, de vie, d'amours, tout ce qu'on peut endurer en tant qu'humain, et tout ce qu'il nous est et nous sera toujours impossible d'endurer, malgré tout.

Un livre extrêmement puissant.

jeudi 16 juillet 2020

Comme il pleut sur la ville, par Karl Ove Knausgaard, éditions Denoël

C'est la cinquième fois que je me fais prendre, la cinquième fois que je n'en reviens pas d'avoir lu ça, d'avoir trouvé ça vraiment très bon à plusieurs passages et la cinquième fois de m'être quand même dis que "là, c'est terminé, je n'en peux plus". Bref, j'ai lu le cinquième tome de la série "Mon combat" de Karl Ove Knausgaard, c'est à dire 836 pages supplémentaires de la vie à peu près ordinaire de cet auteur norvégien. C'est fou, mais ça fonctionne... encore.

Cette fois, Knausgaard raconte sa vie de jeune adulte passée à Bergen, en Norvège. Arrivé "en ville" pour suivre un cours à l'Académie d'écriture, une école où les cours sont donnés par d'illustres écrivains locaux dont Jon Fosse (tout ce que j'ai lu de lui était excellent) et Jan Kjaerstad (Son livre Le séducteur était assez particulier), il ira ensuite à l'université, puis, il tentera de devenir écrivain.

Ce nouvel épisode de la vie de l'auteur se résume en deux thèmes: - de l'utilisation de l'alcool pour oublier ses problèmes - de l'auto-dénigrement pour expliquer sa difficulté à écrire.

Tout tourne plus ou moins autour de ça. Ajoutons-y l'éternelle fixation du jeune Karl Ove pour la séduction et le sexe, sa relation trouble avec son père, mais aussi, cette fois, de celle importante avec son frère, et on a un Knausgaard classique.

N'empêche. J'ai beau en parler ironiquement, n'en demeure pas moins que, comme les quatre livres précédents, Comme il pleut... se lit bien. Pas choquant mais parfois exaspérant, ce gars-là a su se mettre en scène. Que ses histoires soient vraies ou pas importent peu... enfin, rendu au cinquième livre, disons que je m'en fous un peu. Reste qu'il y est aussi question de sa relation avec une célèbre journaliste norvégienne, et qu'il est intéressant de savoir qu'elle a cru bon de rectifier certains faits la concernant à la suite de la parution de ce livre. Cette rectification ayant été faite par une émission de radio, on s'imagine assez facilement que ça devait être fort divertissant.

En conclusion, lire Karl Ove Knausgaard, c'est ça: se rendre compte qu'on lit un équivalent de télé-réalité littéraire et qu'on se laisse prendre, même si le gars nous est totalement inconnu au départ. Qu'on le veuille ou non, il y a quelque chose de très réussi là-dedans. On dit de lui qu'il n'écrit pas de la grande littérature. Je crois que c'est le cas. Mais je crois aussi que je me rappelle chacun de ses livres par le détail et qu'il en sera ainsi longtemps. Quand même!

jeudi 28 mai 2020

La gouteuse d'Hitler, par Rosella Postorino, éditions Albin Michel

Voici un livre tout à fait étonnant, d'abord par son titre. D'abord, on ne parle pas d'une mais de plusieurs gouteuses, ensuite, non, Hitler n'est pas un personnage de ce livre et enfin, le croiriez-vous, il y est question principalement du désir.

Jeune mariée à Berlin, Rosa voit son époux partir à la guerre. Rendue seule, elle décide de quitter la ville pour aller vivre à la campagne chez ses beaux parents. Ensemble, ils attendent le retour du soldat. Or la bourgade qu'habitent les beaux-parents est adjacente au bunker où Hitler et sa suite se sont réfugiés. On est en 1943-44.

Un bon jour, une rafle rassemble dans un bus un groupe de jeunes femmes du village. Rosa en fait partie. Elles deviendront les gouteuses d'un Hitler rendu de plus en plus parano.

La plupart de ces femmes se connaissent. Elles sont célibataires ou mères de famille, amies ou connaissances, mais personne ne connaît Rosa, qui, elle, veut bien s'en faire des amies. Mais voilà, l'époque n'est pas facile, et on est dans un petit village, et il y a la mort toujours possible par poison, bref, les circonstances de la promiscuité forcée du groupe sera prétexte à toutes sortes d'échanges, de suspicions, de craintes, mais aussi de relations. Même que les relations prendront un cours particulier lorsque Rosa connaîtra des gens a l'extérieur de leur cercle fermé.

C'est de là que viendra le désir. Le charnel, mais aussi celui apparenté au temps d'avant. Parce que la nostalgie est aussi du désir, on le comprendra. C'est en tout cas ce que j'en ai retenu.

On en aura lu des histoires tirées de la Deuxième guerre mondiale. Tellement qu'à force, on ne s'attend plus à une très grande originalité. Et pourtant oui, il y a encore des angles différents pour en parler, et celui-là est tout à fait original. La promiscuité forcée, la compétition entre pareils, le manque de la personne absente, ressenti tant par le coeur que par le corps, tout ça vous fait un melting pot de sentiments que Rosella Postorino aborde avec une grande dextérité, de beaux personnages et une intrigue qui vous retient jusqu'à la fin.

Pour tout vous dire, ce livre est demeuré longtemps à portée de vue sans que je l'ouvre. Plusieurs mois. Ni son titre ni son thème ne me tentait. Il s'est pourtant avéré excellent. En tout cas, voilà un bon divertissement. À lire en vacances... ou pour oublier le temps présent.

mercredi 15 avril 2020

Les ravins, par Philippe Girard, éditions Mécanique générale

En sous-titre: "Neuf jours à Saint-Pétersbourg".

C'est le récit de l'auteur et d'un collègue auteur lui aussi qui vont participer à un festival de bande-dessinée à Saint-Pétersbourg. Rien d'abracadabrant, sauf une perte de passeport et des préjugés à débâtir. Autrement, Les ravins incarnent ce que la bd a de miraculeux pour un néophyte comme moi: divertir, même avec un court scénario.

C'est toujours ce qui m'a tenu à l'écart de la bd: cette peur de me retrouver avec une histoire assez mince ou des dessins qui me laissent pantois. Peu visuel, j'ai peur que l'image endorme mon imaginaire. Mais pourtant non. Ici, Philippe Girard a réussi à me rendre les deux compères tout à fait sympathiques. Le dessin simple en noir et blanc permet de faire ressortir un trait de caractère, un relief ou un détail dans le décor que trop de couleurs ou d'images m'auraient fait manquer. Je n'ai pas connu l'angoisse de rater quelque chose mais bien au contraire, le plaisir de l'identification au personnage. Ces deux Québécois en séjour dans un pays inconnu traversent les paysages et découvrent les gens comme l'auraient fait n'importe quel lecteur des Ravins. Loin de la bd éclatée, on pourrait peut-être parler ici de bd hyper-réaliste. On me l'aurait décrit de cette façon que ça ne m'aurait pas tenté de le lire, mais je me surprend à avoir apprécié.


Le temps passé en l'agréable compagnie d'une bande dessinée qui nous rejoint semble passer plus vite encore que celui à lire un livre sans images. Peut-être parce qu'on sait qu'on arrivera à la fin dans la journée, je sais pas. Mais j'aime. En tout cas, ce récit de voyage m'a donné le goût d'aller en Russie... et de plonger dans d'autres bd.

jeudi 2 avril 2020

Miroir de nos peines, par Pierre Lemaitre, éditions Albin Michel

C'est le dernier d'une trilogie et la fin d'un épisode fabuleux de ma vie de lecteur. Après Au revoir là-haut et le récit épique de personnages sortis de la Grande guerre, de Couleurs de l'incendie et d'autres encore qui vivent la Grande Dépression, Miroir de nos peines aborde la Deuxième guerre mondiale.

On n'est pas tout à fait dans la guerre, en fait elle s'en vient. On est à Paris en 1940. Un personnage tiré d'Au revoir là-haut (les lecteurs des livres précédents fonderont de plaisir en réalisant de qui il s'agit) vit un événement incongru dans sa vie personnelle alors dans son environnement, on parle beaucoup de la possibilité d'une guerre. Pendant ce temps, des soldats s'ennuient dans leur camp militaire de la ligne Maginot alors qu'ailleurs au pays, un mystérieux personnage accumule les boulots de ville en ville, mais aussi des identités différentes à chaque fois.

Encore une fois, Lemaitre crée des personnages forts avec des histoires incroyables dans un décor bien réel. Avec lui, l'époque est le prétexte pour créer des personnages. Toujours dans le désarroi mais jamais dans le misérabilisme, les trois histoires parallèles finiront bien par se rejoindre, chacun non sans avoir traversé des situations incroyables, rocambolesques mais toujours possibles. On ne parle pas de science fiction ici, pas du tout. Je dirais plutôt d'histo-fiction, où l'Histoire est parfois l'ombre, parfois la lumière qui recouvre les personnages.

À travers ses histoires, Lemaire évoque des personnages tirés des deux tomes précédents, et nous fait vivre encore de grandes scènes qui vous tiennent au bout de votre siège et qui vous font réfléchir. Dans Miroir de nos rêves, tout le monde fuit. Soit un parent, soit une erreur commise, soit la guerre. Et par-dessus tout ça, il y a toute la population de la ville qui fuit Paris. Ajoutez à ça l'irrésistible envie d'attacher tous les fils que ce spécialiste du récit épique vous tend, et vous avez... la trilogie la plus incroyable qui soit.

Je n'hésite pas à comparer Pierre Lemaitre à Michel Folco pour l'esprit, l'atmosphère, ou à Jean Echenoz pour l'écriture, son audace, ses dialogues savoureux, ses portraits de personnages tellement attachants, et si souvent tordus.

Enfin, il faut souligner que l'atmosphère dégagé par ce livre: la fin d'un monde, l'inconnu devant nous. C'est, sans contredit, exactement ce que nous sommes en train de traverser. Bref, si vous avez lu les deux premiers Pierre Lemaitre, ne manquez pas celui-là. Si vous ne connaissez pas encore cet auteur, je recommande de commencer par Au revoir là-haut, mais àa lui seul, Miroir de nos peines vaut tous les voyages que vous ne ferez pas dans les prochains mois.

mardi 17 mars 2020

Traverser l'autoroute, par Sophie Bienvenu et Julie Rocheleau, éditions La Pastèque

C'est l'autrice Sophie Bienvenue qui m'a donné le goût de cette bande dessinée. Tellement touché par son dernier roman, j'ai voulu voir jusqu'où irait mon appréciation de ses écrits. J'ai bien fait parce que maintenant, j'aime encore plus Sophie Bienvenu et je connais les dessins de Julie Rocheleau.

C'est l'histoire ordinaire de personnages ordinaires dans un décor ordinaire. Un père de famille constate l'état de sa vie tranquille en banlieue, de son couple, et de son ado. Tout lui parait ordinaire, son constat est désolant. En parallèle, l'enfant de ce souple dresse à peu près le même portrait de sa famille. Dans un univers où on se parle peu, qu'est-ce qui pourrait bien changer la triste opinion que l'ado a de son père et vice versa?

Ce n'est pas nécessairement le scénario qui a capté mon attention dans les deux premiers tiers de ce si bel ouvrage, mais les dessins de Julie Rocheleau. N'ayant pas une culture hyper développée des bandes dessinées, je dirai juste que l'ambiance m'a happé. Vivant, touchant et subtilement onirique dans certains tableaux, l'intelligence m'a souvent fait sourire de contentement.

Quant à l'histoire, que dire d'autre que Sophie Bienvenue a ce don d'aller chercher des émotions enfouies profondément. En tout cas, c'est ce qui m'arrive chaque fois que la lis. Ici, j'ai avancé tranquillement, sans trop savoir ce qui pourrait bien arriver, jusqu'à ce que je tourne les dernières pages les yeux dans l'eau. Il a fait bon être touché de façon aussi subtile, lorsque l'ordinaire devient extraordinaire.

Traverser l'autoroute est une belle heure à passer, un beau moment privilégié.

jeudi 20 février 2020

Corps conducteurs, par Sean Michaels, éditions Alto

Du Leningrad des années 20 au New York des années 30, Corps conducteurs offre un voyage exceptionnellement réussi entre fiction, histoire, amour, espionnage mais surtout, la découverte d'un personnage tellement charmant qu'il en est rare.

Léon Termen a existé. Tout comme le thérémine, son invention la plus connue. Clara Rockmore, celle à qui Léon écrit ce roman formidable a aussi existé. Tout comme Lénine, Staline, Béria, Gershwin, Glen Miller et tous les personnage fabuleux qui feront leurs entrées et leurs sorties sur la scène fabuleuse de la vie de Léon.

Fabuleuse, sa vit le fut, mais pas heureuse pour autant. Inventeur russe menant une vie tranquille à Petrograd, bientôt renommée Léningrad, Léon est catapulté dans le monde par son invention qui mélange champs électriques et musique. Fascinées par l'objet, mais aussi par le talent de cet inventeur hors pair, les autorités russes font du bonhomme un ambassadeur du génie créatif soviétique. Ce succès l'emmène jusqu'à New York où sa carrière prends un essor à la mesure du développement de la ville et du pays où, finalement, il passe un certain temps.

Mais malgré tout l'époque est trouble et Léon est russe, et par le fait même, toujours un ambassadeur de son gouvernement... même si ça ne parait pas toujours. Célébré pour ses succès dans son pays d'adoption, Léon sera rattrapé par la réalité, en fait, par sa réalité propre, celle de son origine russe, et celle de son intelligence, deux réalités que son état lui remettra en pleine face de façon assez brutale.

À travers les aventures incroyables de Léon, se trame l'histoire de deux décennies où années folles et préludes de guerre se sépareront entre deux mondes mythiques du temps: le New York du swing et des boîtes de nuit et le Léningrad des laboratoires et des chimères du communisme. Aussi décevants l'un que l'autre, le capitalisme des uns et le communisme des autres contribueront à la descente de Léon.

Car c'est l'histoire d'une victime, une vraie victime: d'un homme de talent qu'on a utilisé, d'une naïveté immense dont on a profité sans scrupules. ON est loin, ici, du misérabilisme ou de la victimisation. Le personnage de Léon est attachant, c'est là une remarquables réussites de Sean Michaels. Le scénario est parfait. Il dose tous les genres littéraires avec un équilibre qui rendra cette histoire captivante pour tous les types de lecteurs. Corps conducteurs est l'histoire de quelque chose de tragique adouci par l'humanité d'un créateur. Comme quoi au-delà de la technique et des politiques, il y a le talent brut qui, lui, demeure indestructible.

Chapeau bas à la traductrice Catherine Ledoux. La sensibilité, l'humour et la dureté des personnages et des situations se rendent jusqu'à nous sans filtre. Sean Michaels nous offre un hommage au talent créatif, à une époque, mais aussi à la musique et aux sons, et que vos affinités ne rejoignent qu'un seul de ces éléments, vous apprécierez le mélange de chacun dans cette belle histoire. Certaines scènes sont lumineuses, particulièrement dans la dernière partie du livre, là où pourtant le fil de l'histoire ne nous laisse pas deviner de telles scènes.

Qui est Clara Rockmore? Qu'arrivera-t-il de si tragique à l'inventeur Léon Thérémine? À lire à tout prix, et à offrir à quelqu'un qui ne lit pas souvent et à qui ont veut faire découvrir les joies de la lecture. Et ah, tiens, que pensez-vous d'un petit avant goût... vidéo? Le son, l'allure... et le personnage tiré du roman, tout ça donne un excellent avant goût de Corps conducteurs.

mercredi 12 février 2020

Les abysses, par Biz, éditions Leméac

Le hasard m'a fait lire deux livres de suite où le personnage principal est en prison. Avec Jean-Paul Dubois, on était à la prison de Bordeaux, à Montréal. Avec Les abysses, on se retrouve à Port-Cartier, sur la Côte-Nord. Il faut dire que le crime présumé du personnage créé par Biz est autrement plus lourd que celui du Goncourt 2019. Et il y a plus: pas de Montréal ici. On est à Baie-Comeau, et par extension, sur la Côte-Nord, une région québécoise trop peu connue. Vous vouliez changer de décor? Biz vous en donne l'occasion. Et pas juste un peu.

Comme pour les dernières choses que j'ai lues de lui, Biz nous entraîne dans les profondeurs de l'âme humaine et du désarroi avec des personnages qui n'ont pourtant rien de menaçant. Ici, une jeune fille vit avec son père à Baie-Comeau, la mère étant décédée à la naissance de l'enfant. Bien sur, les deux ne l'ont pas eu facile, mais leur vie a, jusqu'ici, été somme toute ordinaire. Mais qu'est-ce qui a pu mener le père dans un pénitencier à sécurité maximum? Sa fille, rendue seule et dont la vie dépérit à force d'avoir à endurer les conséquences de ce qui lui a enlevé son père, va lui rendre visite de temps à autre en prison. Elle aussi le voit dépérir. Les deux vont mal. Autour d'eux, la société d'une petite ville suis son cours avec tout ce que ça implique de vivre en région... ce qui aura inévitablement un impact sur ce qu'il leur reste à vivre, comme sur ce qu'ils ont vécu, d'ailleurs.


À peu près au milieu du livre, on retourne dans le passé pour vivre ce qui les a mené là. Avec un des personnages en prison, on devine assez aisément qu'on aura affaire à un drame. À ce drame, Biz ajoute une enquête policière. Sans prendre toute la place, cette enquête occupera un espace du récit que j'ai moins aimé, parce que plus classique avec ses policiers classiquement sagaces et les concours de circonstances qui meublent toujours une enquête policière. Là n'est pas la force du livre.

Les abysses de Biz, c'est d'abord un environnement, comme d'ailleurs tout ce qu'il décrit. Cet auteur a justement le talent de décrire. Ses mots sont efficaces, tranchés. Québécois jusqu'aux tréfonds, Biz a un total contrôle sur l'environnement qu'il décrit. Sa documentation est vivante et pas seulement didactique. On sent que s'il nous parle d'un endroit, c'est qu'il l'a vécu en même temps que de l'avoir senti. Quant à sa nationalité et tout ce que ça concerne de politique et de social, il y a toujours une petite référence à tout ça dans ses récits, référence parfois subtile, qui fait la signature du personnage public qu'est devenu cet auteur intelligent.

Si on sourit en lisant Biz, c'est par la vérité criante de ses personnages qui nous ramènent souvent à des faits qu'on a souvent vécu. Il n'est pas donné à tous les auteurs de savoir décrire le réel. Biz le fait bien.

Plus je lis Biz, plus je l'aime, même si je sais qu'il ne plaira pas à tous. Son écriture est très crue. Ici, avec Les abysses, le fond auquel il touche, c'est celui des choses les plus simples, des gens qui nous entourent, du monde apparemment immobile qui peut déraper. Comme nous, d'ailleurs. On a l'air de rien, comme ça, mais on a tous, autant que nous sommes, le potentiel pour se retrouver dans les abysses comme aux plus hauts sommets. L'éventualité de se retrouver à l'aune ou l'autre de ses extrémités est effrayante, et c'est ce qu'il nous raconte ici.

dimanche 2 février 2020

Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, par Jean-Paul Dubois, éditions de l'Olivier

J'ai lu la presque entièreté de ce livre en me demandant si je me trompais. Ce questionnement est devenu intéressant lorsque je me suis rendu compte qu'il m'avait permis de me terminer le livre.

"C'est un Goncourt, me disais-je. Alors pourquoi plus je le lis, moins je l'aime?" Je crois avoir compris une fois le livre terminé. Voici pourquoi.

L'histoire ici racontée se passe en majeure partie au Québec. L'écrivain français raconte l'émigration d'un Français qui traversera l'Atlantique pour retrouver son père, qui a suivi le même chemin avant lui. L'expat en question s'enracinera aisément dans sa terre d'accueil. On remarque là les atomes crochus que l'auteur nourrit envers ce bout de terre où, dit-on, il passe beaucoup de temps.

Mais tout ça se terminera plutôt mal parce que le narrateur raconte son histoire de la prison de Bordeaux, à Montréal, où il purge sa peine. Ce livre est donc le récit de ce séjour en prison en même temps que celui de la vie du narrateur où on passera de Toulouse à Montréal via le Danemark et Thetford Mines, au Québec. Un famille franco-danoise, une conjointe amérindienne (bien que l'auteur en parle plutôt comme une indienne), des personnages québécois avec ces noms de rues de Montréal (Lorimier, DuLaurier) et d'autres anglos-canadiens avec des noms exotiques construiront le récit.

Bon. Voilà pour l'essentiel de l'histoire. Quand à la façon dont c'est raconté...

J'ai mis plus de temps qu'à l'habitude entre le moment où j'ai terminé ce livre et mon article de blogue où j'en parle. Je me suis dit qu'avec le temps, je me remettrais de ma première impression, que j'aurais oublié les clichés enjolivés par l'écriture fine de Jean-Paul Dubois. J'ai pensé qu'avec le temps, un sentiment désagréable que je n'avais pas vécu depuis longtemps tant en littérature qu'en toute autre forme de rapports, s'évaporerait. Ce sentiment, c'est celui de se faire raconter des généralités bancales par un Européen débarqué chez-vous comme dans une ancienne colonie, cette petite condescendance cousue de fil blanc qui vous fait vous demander si on se moque de vous ou si votre interlocuteur est tout bonnement naïf, bref, ce malaise, cette déception... ben voilà, tout est dit.

Le narrateur de Jean-Paul Dubois est en prison au Québec. Il partage sa cellule avec un Hell's Angels amateur de motos. Au Québec, ce personnage est bien connu. C'est le truand par excellence, l'incarnation du hors-la-loi, du tueur, de tout ça. Or, lui donner la parole dans une langue qui n'est pas la sienne, comme le fait Dubois, fait décrocher tout lecteur ayant déjà vu défiler ce type de personnage sur son écran de télé ou dans son journal quotidien. Pour un lecteur Européen, comme parallèle, essayez d'imaginer un film comme la Haine ou Les misérables avec un casting s'exprimant avec un phrasé de Neuilly... Bon oui, bien sur, il y a quelques expressions "typiques" ici et là et puis ouais, fallait que tous les lecteurs comprennent, bien entendu...

Mais ce seul personnage est bien peu si on pense à tous ces éléments préfabriqués qui ont réussi à éblouir le jury du prix Goncourt 2019. Que la conjointe du narrateur soit amérindienne, bon, ok, pourquoi pas. Ç'auait pu être un pesonnage riche, fort. Mais vu du côté ouest de l'Atlantique, on se demande un peu pourquoi Dubois parle "d"indiens" lorsqu'il parle du peuple de ce personnage. Est-ce intentionnel ou simplement une image qui colle encore aux fameux grands espaces que le livre traversera régulièrement en hydravion? Ah, les grands espaces canadiens... Tiens, parlant d'espace, allons à Thetford Mines, où se déroule une partie de l'histoire. On est à la fin des années 70, début 80. Un épisode marquant de l'Histoire de cette partie du monde passe d'ailleurs par là en trois coups de cuillère à pot, bref en un ou deux paragraphes. Bon, disons que ce n'est pas là la spécialité de l'auteur. Dubois excelle plutôt dans les descriptions d'un orgue électronique, d'un moteur d'avion ou de l'architecture d'un édifice patrimonial. Bon, c'est vrai que sa description d'une église de Thetford Mines ressemble étrangement à celle du Répertoire du patrimoine culturel du Québec, mais bon... coïncidence, il faut croire.

Et le Danemark. Même là, y'a quelque chose du même ingrédient... Le père du narrateur est Danois. Alors pour coller à l'esprit de l'auteur, sa ville d'origine est... tout au bout du Danemark, là où y'a pas plus danois. Regardez bien sur la carte du pays, allez tout au nord, c'est Skagen. Ben voilà, ÇA, c'est danois, non? Eh bien notre personnage vient tout droit de là! Bon. Vous me direz que j'exagère, mais pris dans le contexte des autres coins tournés rondement de cet ouvrage, celui-là m'a tout autant exaspéré.

Une importante tempête de verglas? Ah oui, c'est très canadien, ça. Il faut du froid. Alors voilà, on en a une, une tempête de verglas, dans ce livre, à la suite de laquelle d'importantes coupures de courant auront de graves conséquences sur les habitants et les bâtiments. Ça tombe bien, parce que le Québec a justement vécu la même chose à la fin des années 90. Bon, ici, ça se passe une dizaine d'années plus tard, mais c'est pas grave. Le jury du Goncourt doit pas connaître cet autre épisode tragique de ce pays si pittoresque... C'est un détail...

Je pourrais en dire plus, d'un livre finement écrit par un écrivain brillant qui m'a pourtant donné l'impression d'un ouvrage bâclé et truffé de facilités charmantes pour un public déjà fan de l'auteur. Il y a là soit beaucoup de naïveté, soit une incompréhension choquante qui me laissent toutes deux pantois. Les injustices vécues par les personnages, leurs luttes, je les ai bien vues, mais niet, nada, rien: je n'ai pas été touché. Quelle tristesse.

Je n'ai pas envie de recommander cette oeuvre de Jean-Paul Dubois et ne comprends pas qu'on lui ai attribué le prix le plus prestigieux du monde littéraire francophone. Oui, certains passages, principalement ceux vécus dans la France des fameuses années autour de 1968, sont captivants, mais au final, on a aussi une flopée de petites imprécisions sur d'autres parties de l'histoire qui m'ont outrageusement agacé. Mis ensemble, ces bémols discréditent toute l'oeuvre. C'est vraiment très, énormément, immensément décevant.

jeudi 2 janvier 2020

MIss Islande, par Ava Audur Olafsdottir, éditions Zulma

Chaque fois je me demande si je devrais encore lire Ava Audir Olafsdottir, qu'elle finira bien par écrire quelque chose d'ordinaire. Eh bien c'est pas pour cette fois. C'est même à se demander si elle a déjà écrit quelque chose d'aussi beau avant.

Pourtant, j'avoue que le titre n'avait rien pour me plaire. J'imaginais quelque chose de mièvre et de pathétique comme les concours de miss. Ava Audur nous emmène à l'exact opposé, dans une histoire campée dans les années 60, une époque où la brume qui recouvrait encore le monde commençait tout juste à se lever. Ce livre raconte les premiers rayons de soleil qui l'ont percé.

Hekla est une jolie fille qui quitte son petit village pour aller vivre en ville. Oui, ça se passe en Islande, parce que oui, l'autrice est islandaise. Mais ça pourrait se passer à Montréal, Lyon, New York ou chez-vous, ne voyez surtout pas un effet de style sur le lieu.

Dans le bus, Hekla n'est pas déjà rendue en ville qu'elle se fait offrir de participer au concours de Miss Islande par un fervent protagoniste de l'événement, amateur de belles femmes. Mais voilà, Hekla n'en a rien à foutre. Elle, ce qu'elle veut, c'est écrire, ce qui est déjà pas mal weird en soi parce que que de ça non plus, personne n'en a rien à foutre. Sauf peut-être...

En ville, Hekla connait deux personnes. Une vit dans son petit appart à attendre son mari et à élever sa petite fille. L'autre vit dans une chambre entre deux voyages en bateau parce qu'il est marin, un métier qui ne lui apporte que des misères parce que son rêve est de devenir couturier. Ces deux personnages sont des amis d'enfance de Hekla. Ils ont le même âge, les mêmes espoirs, les mêmes angoisses mais surtout la même envie de devenir ce qu'ils sont, de faire ce qu'ils veulent. Les deux sont malheureux et voient dans Hekla une force, un vent contraire qui leur fait du bien. L'amie féminine se voit recluse à vie, et mère de plusieurs enfants malgré elle. Lui se voit comme le pire des humains parce qu'il se sait homosexuel. Et entre eux, avec eux, il y a Hekla qui poursuit sa vie contre vents et marées, à force de petits boulots mal payés et de remarques salaces sur son physique.

Et je ne saurais oublier son père, resté dans son coin de pays, loin, mais plein d'une foi rare pour sa fille, une foi en l'autre qu'on appelle "confiance", quelque chose d'aussi rare que précieux.

Il serait tentant de raconter ce qui se passe ensuite. Essayons seulement de vous faire ressentir combien Miss Islande est lumineux. À un moment donné, un des personnages se retrouve en Europe, bien au sud de l'Islande, où il (ou elle) constatera que là-bas, "il fait nuit à tous les jours". Note personnelle: amateur de l'Islande, j'ai toujours trouvé particulier qu'on me dise "qu'il doit être difficile d'aller là, écoute, y fait nuit la moitié de l'année". Personne ne m'a jamais laissé supposer que l'autre moitié de l'année, il faisait seulement jour... C'est justement ça, Miss Islande: la lumière qui perce la nuit.

Mention spéciale, pour une ixième fois sur ce blogue, à Éric Boury, traducteur de l'Islandais, pour la beauté de la langue. Quant à Ava Audur Olafsdottir, espérons-la encore aussi inspirée pour ces livres à venir. De toute évidence, cette autrice sait voir les couleurs dans les tableaux lex plus gris, pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.

Encore!