lundi 30 juillet 2018

4321, de Paul Auster, éditions Actes Sud

C'est l'histoire de Ferguson, un Américain né au New Jersey, dans la banlieue newyorkaise dans les années 40. Ses parents se rencontrent, se marient, le conçoivent. Il naît, grandi, vieillit... quatre fois. Chapitre 1.2: première histoire de Ferguson. Chapitre 1.2: seconde histoire, et ainsi de suite. Puis ça se poursuit à 2.1, 2.2, etc. À chaque histoire, c'est le même Ferguson avec les mêmes parents, mais l'histoire de chacun différera légèrement. Les personnages les entourant différeront aussi un peu d'une histoire à l'autre, leurs destins prendront des directions différentes d'un Ferguson à l'autre.

Chaque Ferguson proviendra du même terroir, à proximité de New York, vers lequel tendra chacun des Ferguson adolescents. Chacun traversera la même époque, avec les mêmes bouleversements, les mêmes espoirs, le même environnement. La banlieue, les amis, le baseball, les livres, les années 50, puis 60. Kennedy, MLK, mai 68. Tout ça quatre fois.

Pourquoi? Tout le livre est dans cette question qui contient la réponse dans les dernières pages. Comment? En 1018 pages.

D'habitude, de telles briques ne m'attirent pas nécessairement. Dans ce cas précis, c'est plutôt Paul Auster qui m'a attiré. Pourtant, j'ai eu beau essayer de me rappeler tous ses derniers livres que j'avais lu, je n'ai pas réussi. Seuls quelques une me revenaient en tête, par bribes. Si peu m'ont marqué, m'est resté une atmosphère. Les livres de Paul Auster laissent toujours une impression de beauté étrange, de meilleur à venir. Ces 1018 pages me semblaient prétentieuses. Je ne voyais pas pourquoi, outre son âge avancé, Auster se permettait une telle fantaisie. Avec autant de pages, je m'attends généralement à ce que plusieurs soient de trop. Inévitablement. Lire un tel livre, c'est comme entrer en relation à long terme, enfin, si on le compare aux autres: il y aura des longueurs, mais il faudra au moins de l'amour pour que ça tienne.

Ça a tenu. Le début est fascinant. Puis on avance et on constate qu'on vivra, avec ce personnage reproduit quatre fois, dans un décor qu'on devra aimer parce qu'il sera lui aussi un des personnages principaux. Ce décor, c'est l'histoire de cette partie du monde dans les années 50 et 60, principalement, l'histoire d'une époque où tout semblait permis jusqu'à ce que ça se mettre à sérieusement déraper. On sentira le désir de vie de banlieue des parents et celui d'en sortir des plus jeunes. On sentira le New York disparate, riche et pauvre, bigarré, sous tension. On vivra les émeutes raciales d'alors, mai 68 à l'université Columbia, Kennedy se fera assassiner plus d'une fois.

Pendant ce temps, Ferguson vivra entre sport et littérature. On croira voir la naissance d'un écrivain, ou d'un journaliste, ou d'un intellectuel raté. On visitera des appartements d'étudiants, on ira même à Paris. C'est Paul Auster: non seulement on se divertit, mais on apprend, aussi.

À force, on devient accro. On est contaminé par ce livre qui nous donne envie d'aller au cinéma, voir de vieux films, lire des classiques, écouter le baseball à la radio... même si le baseball ne nous dit rien, qu'on connaît peu les classiques de cinéma... ou qu'on ait eu une enfance sans histoire.

J'aime que 4321 ne soit pas recommandable aux plus politiquement corrects. Parce que Paul Auster ne donne ni dans les licornes, ni dans le maquillage épais. On y fume à presque chaque page et à partir d'un moment, on y baise allègrement. On va même dans des directions qu'on n'aurait pas cru qu'Auster prenne. Mais justement c'est Paul Auster, et encore une fois, c'est étrangement beau, jamais trop, toujours bien tourné, et on tourne les pages en espérant toujours mieux, on se demande toujours où on ira avec lui. Puis paf! Il nous sort de notre enchantement d'un grand coup en pleine gueule. On perd le souffle... et on recommence, et on repart pour une autre centaine de pages.

Ce livre me suivra longtemps. Sa fin est sublime parce que crédible, intelligente. Oui, c'était prétentieux de sa part. c'était risqué aussi. Plusieurs n'aimeront pas et abandonneront à force de pincer les lèvres ou de soulever les sourcils. Mais si on aime, on rira avec lui, on s'essuiera parfois les yeux, et à la fin, on déposera ce livre, pour longtemps, au rayon de ceux qu'on a préféré depuis qu'on lit.

Toute une expérience!

mardi 24 juillet 2018

L'ombre des chats, par Arni Thorarinsson, éditions Points

Voici un roman policier islandais qui ravira les amateurs d'élucidation d'intrigues où il est question d'au moins trois crimes majeurs: deux morts simultanées suspectes, une agression grave et un cas de cyber intimidation. Tout ça gravite autour du journaliste d'un quotidien local, qui enquêtera, parfois malgré lui, sur tous ces fronts à la fois.

Comme pour la quantité de crimes commis (j'omets aussi un vol et des détournements de fonds), il y a beaucoup de monde dans la vie du journaliste, dont un enquêteur de la police, une ex-conjointe et des collègues de travail. Et bien que tout ce beau monde soit islandais pour la plupart, tous proviennent de milieux différents. C'est là où l'intrigue devient intéressante. D'une communauté gay plutôt bobo en passant par la société politique locale et les employés d'un snack bar, Arni campe l'action loin de certains clichés du style polar comme des lieux sordides, policiers ou teintés de maladies psychiques. Ici, tout le monde est banal au premier rapport, mais voilà que les événements qui impliquent ces gens ne sont pas banals. C'en est même un peu surprenant, et on ne peut pas accuser l'auteur de manquer d'originalité. Mais, me direz-vous, c'est un roman policier. On ne peut quand même pas faire comme si la vie y était un long fleuve tranquille! C'est pourtant ce que je peux apprécier dans ce type de roman que je n'apprécie toujours pas tant que ça: l'absence d'absurdités. On n'en est pas là avec L'ombre des chats, enfin, pas trop. Si les situations autour desquelles gravitent les crimes sont parfois incongrues, elles n'en sont pas pour autant loufoques.

Chose certaine, l'amateur de résolution d'énigmes sera ravi. Les prétextes pour se poser des questions comme: Qui? Pourquoi? Comment? ou Quand? pullulent. Il me semble qu'un crime ou deux en moins auraient pu tout aussi bien faire l'affaire, mais bon...

Avec des personnages sympathiques, dont un issu d'une aventure antérieure à ce roman du personnage principal (qui ne l'a pas lu se demandera un peu ce que cette personne fait là), un environnement adéquat et des intrigues à profusion, on dirait bien qu'il s'agit là d'un bon polar... ceci dit de la part d'un blogueur qui préfère ne pas en lire trop souvent.