lundi 20 juillet 2020

Le Ghetto intérieur, par Santiago H. Amigorena, éditions P.O.L.

Wincenty émigre à Buenos Aires en 1928. Comme plusieurs juifs polonais mais aussi d'ailleurs en Europe, il fuit un continent où ça commence à se scléroser.
<\br> Parti seul, il a laissé au pays une mère accaparante, un peu typique, un frère et une soeur. Seuls des amis d'enfance l'entourent dans ce nouveau pays. Ils deviennent ses plus proches repères. En Argentine, il devient Vincente, tombe amoureux, fait des enfants, bref tout va.

Arrivent les années 1940. Des lettres de sa mère restée à Varsovie l'informe que ça va beaucoup moins bien de ce côté du monde, qu'elle st sa famille vivent maintenant dans un ghetto. Puis une seconde lettre parlera de la faim, de survie. C'est à partir de là que Vincente se mettra à supposer, à imaginer, à vivre en imagination ce que sa mère peut vivre. I se dira qu'il aurait pu les faire venir avec lui, qu'il n'a rien fait pour eux, tout en espérant qu'ils s'en sortent.

D'Argentine, les nouvelles d'Europe sont sporadiques, mais chaque fois, elles confirment que ce que Vincente est en train d'imaginer... est aussi bel et bien en train d'arriver. Alors il perdra progressivement la raison, lentement, doucement, sous les yeux de ceux qui l'aiment et qui ne peuvent rien faire pour lui.

Le plus tragique dans cette histoire, c'est que l'auteur raconte la vie de son grand père, et par le fait même des conséquences qui on rejailli sur toute la famille, et sur lui. Rarement titre n'aura aussi bien été choisi. On en vient à étouffer avec Vincente. L'auteur entre dans la tête de l'homme de 40 ans qu'a été son grand-père pour raconter son désarroi, son impuissance. On en conclut avec lui qu'il reste la mémoire et que comme les gênes, elle se transmet, qu'on le veuille ou non.

C'est une écriture d'une douce puissance. Amigorena rend le drame historique archi-connu en quelque chose de très actuel. Dans les dernières pages, il décrit combien le drame de Vincente fait maintenant partie de lui, qui n'a pourtant à peu près pas connu son grand père. En ce sens, il démontre magistralement combien l'Histoire définit notre présent.

Le Ghetto intérieur raconte aussi le Buenos Aires de ces années-là, cette autre Amérique où tout a semblé possible pour ceux qui décidaient de s'y installer. Il raconte tout ce que que ça implique de changer de patrie, de vie, d'amours, tout ce qu'on peut endurer en tant qu'humain, et tout ce qu'il nous est et nous sera toujours impossible d'endurer, malgré tout.

Un livre extrêmement puissant.

jeudi 16 juillet 2020

Comme il pleut sur la ville, par Karl Ove Knausgaard, éditions Denoël

C'est la cinquième fois que je me fais prendre, la cinquième fois que je n'en reviens pas d'avoir lu ça, d'avoir trouvé ça vraiment très bon à plusieurs passages et la cinquième fois de m'être quand même dis que "là, c'est terminé, je n'en peux plus". Bref, j'ai lu le cinquième tome de la série "Mon combat" de Karl Ove Knausgaard, c'est à dire 836 pages supplémentaires de la vie à peu près ordinaire de cet auteur norvégien. C'est fou, mais ça fonctionne... encore.

Cette fois, Knausgaard raconte sa vie de jeune adulte passée à Bergen, en Norvège. Arrivé "en ville" pour suivre un cours à l'Académie d'écriture, une école où les cours sont donnés par d'illustres écrivains locaux dont Jon Fosse (tout ce que j'ai lu de lui était excellent) et Jan Kjaerstad (Son livre Le séducteur était assez particulier), il ira ensuite à l'université, puis, il tentera de devenir écrivain.

Ce nouvel épisode de la vie de l'auteur se résume en deux thèmes: - de l'utilisation de l'alcool pour oublier ses problèmes - de l'auto-dénigrement pour expliquer sa difficulté à écrire.

Tout tourne plus ou moins autour de ça. Ajoutons-y l'éternelle fixation du jeune Karl Ove pour la séduction et le sexe, sa relation trouble avec son père, mais aussi, cette fois, de celle importante avec son frère, et on a un Knausgaard classique.

N'empêche. J'ai beau en parler ironiquement, n'en demeure pas moins que, comme les quatre livres précédents, Comme il pleut... se lit bien. Pas choquant mais parfois exaspérant, ce gars-là a su se mettre en scène. Que ses histoires soient vraies ou pas importent peu... enfin, rendu au cinquième livre, disons que je m'en fous un peu. Reste qu'il y est aussi question de sa relation avec une célèbre journaliste norvégienne, et qu'il est intéressant de savoir qu'elle a cru bon de rectifier certains faits la concernant à la suite de la parution de ce livre. Cette rectification ayant été faite par une émission de radio, on s'imagine assez facilement que ça devait être fort divertissant.

En conclusion, lire Karl Ove Knausgaard, c'est ça: se rendre compte qu'on lit un équivalent de télé-réalité littéraire et qu'on se laisse prendre, même si le gars nous est totalement inconnu au départ. Qu'on le veuille ou non, il y a quelque chose de très réussi là-dedans. On dit de lui qu'il n'écrit pas de la grande littérature. Je crois que c'est le cas. Mais je crois aussi que je me rappelle chacun de ses livres par le détail et qu'il en sera ainsi longtemps. Quand même!