mardi 28 septembre 2021

Yoga, par Emmanuel Carrère, éditions P.O.L.

Un grand écrivain, c'est sans doute quelqu'un qui réussit à vous faire lire ce qu'autrement vous ne liriez jamais. Pour ma part, ça s'était déjà passé avec Karl Ove Knausgaard. Ça revient de se passer avec Carrère. Mon expérience a été agréable, je dois le dire, mais quelque chose est arrivé parce qu'à partir de maintenant, les auto-fictions, je commence à en avoir assez.

Premier tiers du livre: Emmanuel Carrrère nous raconte ses quelques jours dans un camp de méditation, dans la campagne française. Un peu septique mais motivé, il nous raconte son point de vue d'habitué du tai-chi et du yoga. Il observe ce qu'il ne devrait pas, nous partage ses impressions, bonnes et moins bonnes, bref, c'est le reportage commenté d'un endroit où silence et contemplation devraient être de mise. C'est divertissant, instructif, captivant. Mais son expérience s'arrête brusquement parce que quelque chose s'est passé à Charlie Hebdo où, entre autres, un ami proche a perdu la vie.

Au deuxième tiers, l'auteur nous annonce que tout ça, c'était le bon temps parce que pas longtemps après, il est terrassé par une profonde dépression, tellement qu'il en est hospitalisé. Il nous raconte: la montée du mal, le séjour à l'hopital, puis, la très lente rémission. Bien sur, on n'est pas dans Le lambeau, de Philippe Lançon, mais on y pense. L'auteur se raconte: le personel soignant, les médicaments, les bas profonds, les petites rémissions, les douleurs.

Dernier tiers: Emmanuel gagne sa résidence (secondaire?) sur une île grecque d'où il aura l'idée de se rendre sur une autre île où des migrants sont parkés dans l'incertitude. Il fera la connaissance de certains en s'impliquant dans une oeuvre charitable. Il nous raconte.

En fait, Carrère nous raconte, par flashbacks, une bonne partie de sa vie, avec, pour fil conducteur, la recherche du calme, de l'équilibre, gâché par un trouble bipolaire et une vie amoureuse compliquée. Alors à travers une anecdote (très drôle et ironique) où il était au Sri Lanka lors du tsunami de 2004, un séjour au salon du livre de Guadalajara, un voyage dans les Açores, une rando dans les Baléares, une retraite en Bretagne, et puis tout ça, il nous parle des siens, de ses amours, de ses échecs.

Bon. C'est certain que lorsque notre vie ressemble à un roman et qu'on a le talent pour la raconter, on met tout ça ensemble et ça donne un bon livre. C'est indéniable. Or, notre vie peut bien ressembler à un roman, ça ne nous empêche pas de pouvoir la vivre assez mal. Bien sur. Alors le lecteur, dans tout ça, qu'est-ce qu'on veut qu'il retienne? Que sa vie est romanesque? Que sa vie vie romanesque est difficile à vivre? Qu'on écrit si bien qu'on pourrait raconter n'importe quoi?

Pour ma part, c'est un peu tout ça que j'ai retenu. C'est bien de se mettre en scène, mais au bout du compte, j'ai eu le sentiment de lire un épisode moderne de "la misère des riches et célèbres" et bon, je n'en suis pas sorti transformé. Et vous savez quoi? Je me demande... si cette histoire avait été celle d'un personnage fictif, j'aurais peut-être développé un peu plus d'empathie.

Bref, c'est Emmanuel Carrère, donc, ça se lit tout seul, même si on se surprend à pousser parfois de longs soupirs. Pas d'ennui, non, de découragement, parce que parfois, je ne vous le cache pas, j'ai trouvé ça un peu chiant.

Vous aimez Carrère? Lisez-le. Vous ne perdrez pas votre temps... et vous aurez le droit d'en penser ce que vous voulez, vous aussi.

mardi 21 septembre 2021

Nos frères inattendus, par Amin Maalouf, éditions Grasset

Un homme se retire du monde pour aller vivre sur une petite île dans un archipel au large des côtes européennes. Il décide de prendre la plume pour raconter des événements étranges qui surviennent dans son environnement immédiat et qui, apprendra-t-il bientôt, concernent toute la planète.

C'est novembre, il pleut, l'île est battue par les vents, la maison est un refuge, bref, le décor romanesque est parfait, d'autant plus que les événements commencent par une interruption de service de tous les réseaux: électricité, ondes radio, communications, tout est à l'arrêt. Il envisage le pire puisque depuis quelques jours, un obscure dirigeant d'Un petit pays du Caucase menaçait de recourrir à l'arme nucélaire.

Au bout de quelques jours, la radio diffuse un discours du président des USA disant de ne pas s'en faire, qu'il était sur le cas, que rien ne laissait présager un désastre, mais que ça n'allait pas fort. Pendant ce temps, notre homme fait la connaissance de son unique voisine sur l'île, une romancière mysanthrope pas très sympa.

De fil en aiguille, on apprendra que la Terre l'a échappé belle et que le pire n'est pas arrivé grâce à l'intervention d'un groupe de gens jusqu'alors inconnus qui ont mis leurs services au secours de l'humanité en interrompant les communications et en intervenant directement auprès du président américain. Qui sont ces gens? Que nous veulent-ils?

L'auteur nous happe dès le début en racontant cette histoire qu'il situe dans un temps indéterminé mais avec des décors et des personnages de notre temps. Hormis ces curieux intervenants, tous sont "normaux". La vie de l'archipel fait figure de microcosme du reste du monde. Or, apparaît un nouveau personnage, ami d'enfance du narrateur, qui se trouve à être un proche conseiller... du président américain. Cet heureux hasard aidera bien sur notre homme à faire sa chronique des événements internationaux.

Puis, les événements s'accélèrent. On découvre que le groupe de gens intéressé au sort de l'humanité possède des connaissances très avancées en matière de médecine. On en viendra à des interventions qui pourront faire envisager aux humains d'éliminer toute maladie et de retarder la mort. C'est là où j'ai commencé à décrocher un peu.

Entre la fable et la science fiction, Nos frères inattendus a pour but de nous faire réfléchir sur notre avenir, nos relations avec les autres et avec le monde. Vers quoi tendons nous? Contre quoi nous battons-nous? Quel sens donner à la vie sinon de la vivre, tout simplement, le plus longtemps possible, en paix et sans conflit? C'est humaniste tout ça, et c'est fort bien. Seulement, plusieurs morceaux de ce conte ambitieux ne collent pas. La science fiction, aussi légère soit-elle, doit se tenir pour être crédible. Ici, Maalouf a mis l'accent sur le but à atteindre sans se soucier suffisamment de la cohésion de son histoire. Trop souvent, les caractéristiques de certains personnages, l'aboutissement de certaines scènes, les conséquences de certains actes n'ont pas de sens. Il n'y a rien de pire que de lire de la science fiction et de se dire: ça ne se tient pas, parce que s'il arrive ça, il aurait dû prévoir ça, ça et ça. Ce n'est pas le cas ici. Maalouf veut nous raconter une parabole de notre temps mais pour ma part, il n'y est pas arrivé.

Ajoutons à ça une fin assez convenue, quelques clichés sur les relations internationales (despotes caucasiens, diplomatie américaine, etc.) et un peu de machisme dans les réflexions du personnage principal, au final, on reste sur notre faim, en se disant que l'auteur du Premier siècle après Béatrice et du Rocher de Tanios a déjà fait beaucoup mieux.

dimanche 12 septembre 2021

Les cowboys sont fatigués, par Julien Gravelle, éditions Leméac

Un homme vit au fond d'un rang d'un village reculé du Lac Saint-Jean en exploitant un labo clandestin où il fabrique des drogues dures. Le chimiste de formation est d'origine française. C'est en fuyant d'autres crimes commis là-bas qu'il a abouti dans ce décor, en travaillant pour des caïds locaux.

Dans le village où ça se passe, à peu près tout le monde a un lien avec ce milieu. L'atmosphère est assez pourri, le temps aussi, et l'époque de la vie de notre bonhomme n'est pas la meilleure depuis que le meurtre d'un personnage relié au milieu attire trop l'attention sur des gens qui n'en veulent pas. S'en suivent des chasses à l'homme, quelques meurtres et pas beaucoup de possibilités d'avenir.

Dans les remerciement à la fin, l'auteur décrit son livre comme un roman noir. C'est sans doute ça, puisque pour tout dire, c'est pas jojo comme histoire. Mais le scénario est efficace, le décor, on ne peut plus campé, et les personnages, assez, disons... typiques.

Placer une histoire dans un tel coin de pays emmène le décor qui va avec. On est d'avantage en forêt qu'en milieux habités. L'auteur décrit subtilement les intérieurs, les chalets, les maisons mal entretenues, les personnages peu reluisants. C'est certain qu'on ne trouve pas ici de lumineux personnages du terroir. Non. On a plutôt des brutes mal dégrossies. Seul le narrateur est chimiste, les autres... disons qu'on est plutôt dans le diplôme du secondaire pas terminé. Cliché? Pas nécessairement. Ces personnages existent, et pour le bien d'une telle fiction, on comprend qu'ils prennent toute la place.

Le bât blesse un peu plus lorsque l'auteur leur donne la parole.
La langue française possède une richesse assez distincte en ce que la langue parlée diffère beaucoup de la langue écrite. Je ne parle pas ici d'accents, mais bien de discussions, de façons d'identifier les choses. Mon meilleur exemple est celui-ci: d'où qu'on soit dans la francophonie, l'expression "où est-il" se comprend par tout le monde lorsqu'elle est écrite, mais n'est pas dite dans la langue parlée. On dira par exemple "où il est" il est où" yé où" ou "où s'qu'y est". Comme on le voit, la transcription écrite du parlé demande souvent bien des appostrophes (ou des accents circonflèxes) mis aux bons endroits.

Certains écrivains réussissent à bien rendre cette langue parlée par écrit. C'est tout un art, et c'est très rare. Au Québec, Michel Tremblay est bien entendu le premier exemple qui nous vienne à l'esprir, pas seulement pour son théâtre mais aussi pour ses romans. D'autres, comme Benoit Côté ou Geneviève Pettersen ont aussi bien réussi là où un Jean-Paul Dubois s'est cassé la figure, ou, diront d'autres, peté la gueule.

Julien Gravelle donne souvent la parole à ses personnages et le plus souvent à son narrateur. Oui, le gars est Français et vit au Lac depuis une trentaine d'années, alors après quelques pages, on comprend les mélanges, mais à force, on sent que quelque chose se prend pas. Langage parlé et langue écrite se confondent parfois dans la même phrase, qu'elle soit narrative ou descriptive. Ailleurs, on soulève le sourcil. Par exemple, il faut avoir vécu là pour savoir que même aprèes presque 20 ans de fusions minucipales, personne ne parle de Saguenay "la ville" au Lac, pas même les habitants de Saguenay, qui parlent encore de Chicoutimi, de La Baie ou de Jonquière. C'est un exemple qui s'ajoute qux quelques clichés automobiles dont on aurait aussi pu se passer. Ah, on en a vu passer des "vieux Chevy" et des "vieux Ford" sous la plume d'écrivants français situant leur action en Amérique. On en a encore ici... même après tout ce temps.

Bref, de Julien Gravelle, j'espère un roman cadré autour de la psychologie des personnages, chose que j'ai apprécié dans ce livre. Les décors aussi sont dépeints sous leurs justes couleurs. Reste cet environnement à la limite du cliché qui peut peut-être nous faire décrocher, et des dialogues pas assez naturels pour nous faire pleinement y croire.

Bonne histoire, mais avec quelques "mais".

mercredi 8 septembre 2021

Tableau final de l’amour, de Larry Tremblay, éditions La Peuplade

Dans Tableau final de l’amour, Larry Tremblay donne la parole au peintre Francis Bacon, qui raconte sa vie et son oeuvre avec, pour fil conducteur, sa relation avec un homme qui marquera son existence.

En littérature, les histoires de couples gays masculins contiennent le plus souvent les mêmes caractéristiques: des scènes de sexe crues, des amours tordues et l’ostracisme ambiant. Écrits pour provoquer, choquer ou pour servir d’exutoire à des fantasmes, ces oeuvres se distinguent le plus souvent par leur auteur que par leur contenu. C’est ce qu’on a ici, avec un contenu, disons, « habituel » de sexe et de violence. Mais voilà qu’on a aussi une histoire spectaculaire et surtout, un auteur au talent exceptionnel qui, soulignons-le, ne parle pas de lui mais nous raconte l’histoire de la vie d’un autre.

Parce qu’il fallait du talent pour entrer dans la tête d’un personnage aussi grand que Francis Bacon sans tomber dans les clichés. Pas besoin d’avoir lu sa biographie pour comprendre, lorsqu’on découvre ses oeuvres, que Bacon était tourmenté. Larry Tremblay exploite ce trait avec une finesse ahurissante. Il donne à Bacon les pires tourments, ceux que l’on se porte à soi-même.

Le peintre se déteste, et ce sentiment tire son origine d’une enfance distordue. Privé d’écucation sentimentale, laissé face à lui-même en matière de relations, il en est sorti un homme blessé, perdu, trouvant son plaisir dans la douleur, sentiment qu’il connait le mieux.

Mais Francis Bacon avait du caractère. Il en fallait pour afficher son homosexualité dans les années 50 et 60. Tremblay exploite aussi ce filon pour en faire un personnage fort, flamboyant à sa manière, mais pas, vraiment pas, fier. N’empêche, l’homme est humain et cherche quand même à être aimé. C’est avec cette psyché blessée et ces besoins communs à tous qu’il entretiendra ses relations, dont celle avec l’homme qui deviendra son modèle principal au cours de sa carrière, racontée de superbe façon.

Création et destruction s’entremêlent, l’auto-sabotage est partout. Là où une vie publique s’élève, deux vies personnelles tombent au plus bas. Ces histoires parallèles et entremêlées sont fascinantes. On se demande pourquoi, mais, au fil des pages, on comprend.

Puis vient la fin, emmenée par une scène si forte qu’elle me bouleverse encore, une scène où quelque chose s’écroule et qu’une autre s’élève. C’est difficile à décrire tellement c’est puissant. Dans les dernières pages, le noir fait place à l’absence de noir, comme on regarde le désastre après la tempête, bien avant que le soleil ne revienne. Et le lecteur se rend compte qu’il est sur le point de terminer un grand livre.

Tableau final de l’amour désarçonne. Il plaira à qui sait faire la différence entre cruauté et victime de cruauté, décevra les misérabilistes, et ne rassurera personne. Toutefois, il rejoindra, j’en suis convaincu, tout lecteur qui a déjà connu, vraiment, l’amour.

Oufffff.