dimanche 12 septembre 2021

Les cowboys sont fatigués, par Julien Gravelle, éditions Leméac

Un homme vit au fond d'un rang d'un village reculé du Lac Saint-Jean en exploitant un labo clandestin où il fabrique des drogues dures. Le chimiste de formation est d'origine française. C'est en fuyant d'autres crimes commis là-bas qu'il a abouti dans ce décor, en travaillant pour des caïds locaux.

Dans le village où ça se passe, à peu près tout le monde a un lien avec ce milieu. L'atmosphère est assez pourri, le temps aussi, et l'époque de la vie de notre bonhomme n'est pas la meilleure depuis que le meurtre d'un personnage relié au milieu attire trop l'attention sur des gens qui n'en veulent pas. S'en suivent des chasses à l'homme, quelques meurtres et pas beaucoup de possibilités d'avenir.

Dans les remerciement à la fin, l'auteur décrit son livre comme un roman noir. C'est sans doute ça, puisque pour tout dire, c'est pas jojo comme histoire. Mais le scénario est efficace, le décor, on ne peut plus campé, et les personnages, assez, disons... typiques.

Placer une histoire dans un tel coin de pays emmène le décor qui va avec. On est d'avantage en forêt qu'en milieux habités. L'auteur décrit subtilement les intérieurs, les chalets, les maisons mal entretenues, les personnages peu reluisants. C'est certain qu'on ne trouve pas ici de lumineux personnages du terroir. Non. On a plutôt des brutes mal dégrossies. Seul le narrateur est chimiste, les autres... disons qu'on est plutôt dans le diplôme du secondaire pas terminé. Cliché? Pas nécessairement. Ces personnages existent, et pour le bien d'une telle fiction, on comprend qu'ils prennent toute la place.

Le bât blesse un peu plus lorsque l'auteur leur donne la parole.
La langue française possède une richesse assez distincte en ce que la langue parlée diffère beaucoup de la langue écrite. Je ne parle pas ici d'accents, mais bien de discussions, de façons d'identifier les choses. Mon meilleur exemple est celui-ci: d'où qu'on soit dans la francophonie, l'expression "où est-il" se comprend par tout le monde lorsqu'elle est écrite, mais n'est pas dite dans la langue parlée. On dira par exemple "où il est" il est où" yé où" ou "où s'qu'y est". Comme on le voit, la transcription écrite du parlé demande souvent bien des appostrophes (ou des accents circonflèxes) mis aux bons endroits.

Certains écrivains réussissent à bien rendre cette langue parlée par écrit. C'est tout un art, et c'est très rare. Au Québec, Michel Tremblay est bien entendu le premier exemple qui nous vienne à l'esprir, pas seulement pour son théâtre mais aussi pour ses romans. D'autres, comme Benoit Côté ou Geneviève Pettersen ont aussi bien réussi là où un Jean-Paul Dubois s'est cassé la figure, ou, diront d'autres, peté la gueule.

Julien Gravelle donne souvent la parole à ses personnages et le plus souvent à son narrateur. Oui, le gars est Français et vit au Lac depuis une trentaine d'années, alors après quelques pages, on comprend les mélanges, mais à force, on sent que quelque chose se prend pas. Langage parlé et langue écrite se confondent parfois dans la même phrase, qu'elle soit narrative ou descriptive. Ailleurs, on soulève le sourcil. Par exemple, il faut avoir vécu là pour savoir que même aprèes presque 20 ans de fusions minucipales, personne ne parle de Saguenay "la ville" au Lac, pas même les habitants de Saguenay, qui parlent encore de Chicoutimi, de La Baie ou de Jonquière. C'est un exemple qui s'ajoute qux quelques clichés automobiles dont on aurait aussi pu se passer. Ah, on en a vu passer des "vieux Chevy" et des "vieux Ford" sous la plume d'écrivants français situant leur action en Amérique. On en a encore ici... même après tout ce temps.

Bref, de Julien Gravelle, j'espère un roman cadré autour de la psychologie des personnages, chose que j'ai apprécié dans ce livre. Les décors aussi sont dépeints sous leurs justes couleurs. Reste cet environnement à la limite du cliché qui peut peut-être nous faire décrocher, et des dialogues pas assez naturels pour nous faire pleinement y croire.

Bonne histoire, mais avec quelques "mais".

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