mercredi 26 décembre 2012

Chroniques de Jérusalem, par Guy Delisle, éditions Delcourt

Avide et presque exclusif lecteur de romans, je m'empêche souvent de me procurer une bande dessinée. Pourquoi? Par peur, pas par snobisme. Peur de ne pas aimer, peur de perdre mon temps, peur de ne pas en avoir pour mon argent. Je sais, c'est con. La lecture des Chroniques de Jérusalem me l'a confirmé. J'ai mis la main sur cet imposant recueil parce qu'on en a beaucoup parlé. C'est sa notoriété qui m'a intrigué, pas le dessin, puisque je n'y connais pas grand chose. En fait, j'avoue qu'après le premier quart, je n'étais pas encore tellement convaincu. Je voyais se dérouler des scènes de la vie quotidienne d'un expatrié occidental installé à Jérusalem-Est avec sa petite famille. Raison: sa conjointe y était pour employés par Médecins sans frontières pour une période d'un an. Ce dessin, qui m'a semblé sommaire à première vue s'est ensuite ouvert au même rythme que mon esprit. J'ai fini par comprendre que plus qu'un recueil d'historiettes, j'avais là la transposition d'un regard. Sans aucune autre prétention, le personnage principal cherche les paysages sujets à croquis. Or, il faut bien vivre, et c'est là ce que raconte le chasseur d'images. Son oeil n'est pas celui du journaliste de guerre, du travailleur humanitaire, du diplomate ni même du Palestinien ou de l'Israélien. C'est celui d'un fin observateur qui nous rend compte de ce qu'il voit à partir de valeurs qu'il partage avec moi, occidental qui ne connaît rien d'autre du Proche-Orient que ce qu'on m'en raconte dans les médias.
Mille fois plus que tout diaporama de voyage, j'ai compris, avec ces Chroniques, le quotidien d'une partie du monde complètement étouffée. Le regard de Guy Delisle ne porte pas de jugement. Il rend compte. Et à force de pages, à force d'en apprendre à chaque épisode de deux à trois pages, on a hâte au prochain, et on continue, et on est bien heureux que le bouquin fasse 334 pages. En fait, dans une telle bédé, les images qui nous restent d'Hébron, de Naplouse, de Ramallah, de Jérusalem, ou de tous ces endroits que Delisle et sa famille traversent, ne sont pas nécessairement celles qu'on voit, et c'est la ce qui fait la force d'un tel ouvrage. Si le croquis d'une rue d'Hébron surplombé d'une grille jonchée de détritus m'a fait grand effet, comme celui de l'esplanade des mosquées de Jérusalem, ou encore des situations vécues par le proprio de l'immeuble où habite l'auteur/personnage principal, c'est l'impression de découvrir enfin ce qui se passe vraiment dans cette région qui m'a marqué. Ce que Deliste raconte, tant par ses propos que par ses images, nous permet de nous faire une idée de la Palestine et d'Israel qu'aucun reportage de deux minutes à la télé n'a jamais réussi à nous offrir. Ce livre divertit et renseigne. C'est rare, je dirais même que c'est essentiel.

dimanche 23 décembre 2012

14, de Jean Echenoz, éditions de Minuit

Jean Echenoz reste un de mes auteurs préférés. Sa façon de raconter est unique. son écriture est carrément une voix qui parle, quelqu'un qui raconte et qui crée le silence autour de lui, qui sait attirer l'attention en plaçant les intonations aux bons moments, qui vous regarde doit dans les yeux en vous parlant. Ses mots sobres sont toujours les bons. Aussi, les portraits qu'il nous avait préalablement servis sortaient-ils de l'ordinaire par leur traitement. Rarement se fait-on raconter l'histoire de quelqu'un aussi bien que par Echenoz. Cette fois, avec 14, terminés les portraits de figures connues. Plutôt qu'un Ravel, un Zatopek ou un Tesla, Echenoz nous présente plutôt une poignée d'inconnus d'une petite ville française. Bientôt, ils iront à la guerre. Reste voir qui en reviendra, et dans quel état. C'est là l'essentiel de 14. Comme ses derniers livres, Échenoz a fait de 14 quelque chose de court. Traverser quatre ans de guerre en 124 pages, ça surprend. J'avoue ne pas y être habitué parce que habituellement, les histoires de guerre, c'est long. Bon, toute la littérature de guerre ne se résume pas aux Bienveillantes, mais quand même. L'expérience que nous propose Echenoz, est celle de suivre un personnage caméra à l'épaule. Les plans ne sont pas très larges. On se concentre sur l'action qui survient là maintenant. Pas de survol historique. Que l'histoire crue, sans trop de fioritures, de la traversée de la guerre par ces natifs d'une même contrée. C'est du Echenoz, donc c'est bon, c'est bien dit, écrit, senti, mais voilà, c'est court. Peut-être est-ce le choc de sortir de ses trois derniers livres qui proposaient une facture commune, peut-être est-ce la surprise de se faire parler d'un conflit dont on parle peu, si on le compare à celui qui a suivi, et de façon aussi brève. Peut-être aussi est-ce, sujet oblige, le gris qui entoure une histoire ou rien, ou si peu, est prétexte à sourire. Reste une impression bizarre, à la fin du livre, un genre de frustration, quelque chose qui fait que j'en aurais voulu plus, ou que j'aurais espéré autre chose. 14 est un livre triste et beau. Comme pour une personne humaine qui posséderait les mêmes qualificatifs, il m'a touché et m'a retourné un peu, sans toutefois me laisser une bonne impression. 14 est un livre dur. Mais, je le répète, c'est du Echenoz. Les habitués apprécieront.

jeudi 13 décembre 2012

L'embellie, par Audur Ava Olafsdottir, éditions Zulma

Le deuxième livre qu'on lit d'un auteur est sans aucune doute celui sur qui repose les plus grandes attentes, et ce d'autant plus si on a particulièrement aimé le premier. Rosa Candida m'est apparu comme une nouvelle saveur du rayon des livres étrangers. Frais, rempli d'une sage naïveté comme on en avait peu vu jusque là, l'Islandaise a ravi les coeurs et les prix, et c'était bien mérité. Elle nous revient cette fois avec une histoire dont le décor est beaucoup plus rude que le jardin de rose de son ouvrage précédent. Avec l'Embellie, on traverse plutôt la rude Islande sous la nuit pluvieuse de novembre. Donc, côté décor: du nouveau. Côté narration, le personnage principal est une femme qui quitte mari et amant pour aller se vider la tête de l'autre côté du pays, dans sa région natale. On la suit sur une route pas facile où divers personnages pimenteront son périple. Comme pour Rosa Candida, on a donc un autre voyage plus ou moins initiatique. C'est différent quand à la route, mais moins quand au traitement. Restent les personnages. Si Rosa Candida finissait par être éclairé par la venue d'un enfant, on a le même phénomène avec l'Embellie. Le petit personnage arrivera de façon originale dans la vie du personnage principal et la suivra à travers le reste de son histoire. Encore là, même lumière. Comment, en fait, ne pas s'enticher d'un enfant, surtout s'il est affligé d'un handicap... Il faut dire que dans le premier tiers du livre, avant l'arrivée de l'enfant, la dame quitte son amant puis son mari... et moi foi, c'est interminable. Alors lorsqu'elle embarque avec l'enfant de son amie pour un voyage de quelques semaines, on ne peut que s'en réjouir. Et comme l'enfant n'apportera que du bon... Bon d'accord, on est heureux pour elle. En fait, ce livre est heureux, tellement qu'à la fin on se dit: "Ah? Encore?". De toute évidence, la formule du livre positif sied bien à Audur Ava Olfasdottir. Son style sans méchanceté fait réfléchir et porte à l'introspection, ce qui n'est pas donné à toutes les histoires. Toutefois, le vent frais qui m'a transporté avec son premier livre a un peu tiédi avec son second. L'Embellie porte bien son nom, oui, mais je ne crois pas qu'elle dure autant que la quête de Rosa Candida. Peut-être aurait-il fallu une ou deux surprises, un retournement, enfin, quelque chose de plus pour dire qu'il s'agissait d'un livre différent de son premier. Trop de bons sentiments? Peut-être même trop féminin? Je ne saurais dire. L'Embellie est belle, mais ne dure pas. Vivement un autre, juste pour voir...

lundi 12 novembre 2012

Les lois fondamentales de la stupidité humaine, par Carlo M. Cipolla, éditions des Presses universitaires françaises

Si vous trouvez ce titre rébarbatif, c'est soit qu'il vous inspire quelque thèse illisible du genre de l'essai long et verbeux, soit qu'il vous interpelle. S'il n'appartient qu'à vous seul de répondre à la seconde hypothèse, je puis certifier que vous n'avez rien à craindre de la première puisque l'ouvrage fait à peine une cinquantaine de pages. Rédigé il y a une vingtaine d'années et imprimé en 2012, on imagine que cette récente édition aura été suggérée par l'époque. Ce qui, en terme d'édition, pourrait s'appeler "un bon timing" a sans soute déjà évoqué chez-vous une ou des références à des personnages connus de votre région. Qu'à cela ne tienne, Cipolla ne nomme personne. Il fait seulement une démonstration intéressante que notre monde puisse être régit par quatre types de personnalités: les personnes intelligentes, les crétins, les bandits et les personnes stupides. Chaque type est défini en fonction de l'effet de ses actions sur lui-même et sur les autres. Par exemple, une personne intelligente posera des actions aux effets positifs pour lui et pour les autres. Je vous laisse maintenant déduire ce qu'il pourrait en être pour les trois autres types.
Si l'ouvrage fait sourire, il fait aussi sérieusement réfléchir. Si toutes les thèses se valent en matière de définition du genre humain, certaines se démarquent parce qu'en plus de nous suggérer des modèles, elles nous divertissent. C'est ce qui m'est arrivé avec Ces Lois fondamentales... On n'en sort pas déprimé, bien sachant que les personnes stupides se déclinent de plusieurs façons et sont férocement dangereuses. On en tire toutefois une source supplémentaire de réflexion si l'on se prend à observer, ne serait-ce que de temps en temps, la scène sociale dans laquelle nous gravitons, de gré ou de force. Pas fou du tout.

dimanche 4 novembre 2012

Les frères Sisters, par Patrick De Witt, éditions Alto

Si on ne m'avait pas offert Les frères Sisters, je ne l'aurais jamais lu. Quoi, moi, lire un western? Non mais, je suis un lecteur sérieux! Du fin fond de mon snobisme non-avoué de lecteur qui prétend chercher le meilleur de la littérature, j'aurais utilisé tous les prétextes pour éviter un roman qui se dit "western". Or, j'aurais manqué une expérience absolument fantastique. Les frères Sisters quittent l'Oregon pour San Francisco. Leur mission: éliminer un homme que leur patron veut éliminer. On ne pose pas de question. Les deux truands enfourchent leur cheval et partent. Le narrateur est l'un des deux frères. Il nous raconte leur épopée. La route est longue, donc les arrêts nombreux, les rencontres aussi et par le fait même, les péripéties. Au fur et à mesure qu'ils avancent, on est témoins de leurs aventures, mais aussi, grâce au narrateur, on connaît de plus en plus les deux protagonistes, et on s'étonne que le narrateur soit celui-là des deux. Bien sur, ils se connaissent bien puisqu'ils sont frères, et qui plus est, ils ont toujours été ensemble. Pareils, différents, les frères Sisters sont liés par leurs obligations et leur histoire. Ils partagent la même vie, les mêmes antécédents, et aussi le même boulot. Si la fatalité de leur vie les touche tous les deux de la même façon, il n'en est pas nécessairement de même pour ce qui est de leur boulot. Ont-ils le même but? Vivent-ils chacun de leur côté les mêmes histoires de la même façon? D'un western raconté par un cowboy, on s'attendra à force clichés et situations déjà vues. Tel n'est pas le cas avec Les frères Sisters qui sont très près des personnages de Beckett. Rustres, animaux dans leur violence et naïfs dans leurs rapports aux autres, les frères sont dotés, par leur auteur, de la faculté de "réfléchir à ce qu'ils font", ce qui mène ce livre à travers des scènes superbes. Le ton de ce livre, tant dans la narration que dans les dialogues fait penser à Beckett, un Beckett de ce siècle parce que crû, très crû même. Certaines répliques vous feront crouler de rire, alors que des scènes pourraient choquer des âmes sensibles. Et pourtant, il flotte au-dessus de cette histoire une aura d'intelligence hors du commun. Pourquoi, se dit-on tout du long, ceci est-il en train d'arriver? Alors on continue, on veut savoir. Un cowboy qui se lave les dents, un cheval borgne, une comptable, des hommes aux pieds violets: quantité de personnages parsèment cette histoires incroyable. Quant à la trame narrative, elle se déroule sur fond de ruée vers l'or avec des scènes fortes ou drôles ou belles. À un moment donné, je vous garantis que vous entendrez une pièce d'Ennio Morricone, c'est certain à 99%, et ce même si aucune allusion n'y est faite. Cette scène où supposées victimes et prétendus bourreaux se rencontrent fait déjà partie des plus belles scènes que j'aie jamais lues. Et à la fin, je suis certain que plusieurs d'autres auront, comme moi, la gorge serrée. La fin est symphonique. Les frères Sisters termineront plusieurs choses, ce qui sera prétexte à plusieurs choses qui rendront les dernières pages de ce livre particulièrement fantastiques.
Les frères Sisters traitent de la liberté, des choix qui s'imposent dans nos vie, de ces chaînes qu'on s'impose toujours sciemment et des conséquences qui s'en suivent. Qui, au bout du compte, sont les être les plus libres? Et que sommes-nous vraiment si nous ne sommes pas libres? Les gros durs cowboys, les fluets intellos, les maîtres et leurs valets, qui, de tous ceux-là, sont vraiment les plus forts? Ce roman est absolument réussi, parce que très original. Et surtout, ne pas oublier de souligner l'excellente traduction D'Emma et Philippe Aronson. Le ton employé est tout à fait le bon, très juste et rend parfaitement crédible les personnages, leur époque et leurs aventures. Seulement s'étonnera-t-on qu'on calcule les distances en kilomètres... mais bon, rien n'est parfait... En terminant le livre de Patrick De Witt, auteur canadien résidant aux États-Unis, j'ai rapidement réalisé que les personnages des frères Sisters me manqueront énormément. C'est là le signe indéniable d'un grand livre. Si vous avez envie de quelque chose de totalement nouveau qui décoiffe, lisez absolument Les frères Sisters. Très chaudement recommandé.

dimanche 21 octobre 2012

Avenue des géants, par Marc Dugain, éditions Gallimard

On est dans la région de Santa Cruz, près de San Francisco à la fin des années 60, en pleine période hippie. Al fait 2.20 m, on lui a trouvé un QI supérieur à celui d'Einstein. Il a 21 ans lorsqu'il sort de prison pour meurtre. Il essaiera de réapprendre à vivre avec ce qu'il a: une mère alcoolique à peu près folle et un père qui s'est enfui.

On a donc une période mythique de l'histoire américaine, la Californie, un personnage hors norme, une histoire plutôt sordide, et un auteur Français. Dans Avenue des Géants, tout est plus grand que nature: le personnage, sa famille, son QI et ses crimes. Or, il faut ajouter à ce menu déjà impressionnant: l'époque et le lieu, parce que Dugain les magnifie autant que le reste. C'est la Californie dans tout ce que vous en avez rêvé à cette époque, avec ses mouvements migratoires de jeunes peace & love, ses communes. Et si vous prenez une loupe et regardez plus loin vous aurez une famille avec un gap generation dû au passé militaire du père (2e guerre mondiale oblige), un alcoolisme latent venu d'aussi latentes histoires d'abus à l'enfance, bref plusieurs terrains connus.

Parce qu'il est une chose commune, dirait-on, à plusieurs auteurs Français qui situent leurs histoires aux USA: les clichés. Bien sur, un Français n'écrira pas sur les États-Unis comme un Américain le fera. On est loin ici des Frey, McCarthy, DeLillo, Auster. On est loin des chroniques réalistes du regard froid que pose un auteur sur son peuple, sur ses gens. On a plutôt celui d'un auteur qui veut nous raconter une histoire avec un décor de cinéma. Le résultat n'est pas mauvais, en ce sens que l'histoire est bien racontée. On se rend compte à la toute fin du livre qu'il y a de quoi lorsqu'on constate la source de l'inspiration de l'auteur. N'en demeure pas loin que les lieux communs peuvent apparaître, pour un lecteur Nord-Américain, à tout le moins, un peu redondants.

Ajoutez à ça de longues scènes qui tombent dans l'analyse psychiatrique, la présence d'un chef enquêteur de la police qui a tout d'un shérif d'un autre siècle, un personnage qui se saoule régulièrement avec... du vin (dans les USA des années 60, on a beau être en Californie, c'est assez surprenant), et vous avec là votre histoire classique de personnages freaks placés dans l'environnement halluciné de la fameuse "Amérique" mythique et rêvée.

Avenue des géants, je le répète, n'est pas mauvais. Son personnage de jeune géant mal dans sa vie est original. Son parcours est raconté en deux temps, à deux époques différentes, l'une au "je", l'autre, à la troisième personne. La langue est bonne et l'origine de l'auteur permet d'éviter les tristes traductions trop souvent héritées de traductions quelconques. Bref, le ton est bon, les personnages sont forts, l'action divertit mais le décor laisse une impression de déjà vu qui laisse un peu sur sa faim. J'aurais aimé ce décor plus minimal et près des personnages que gros et si tant tellement Californie du Nord des années '60.

jeudi 20 septembre 2012

Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines, par William Burroughs et Jack Kerouac, éditions Gallimard

Ces deux noms sur une couverture récente ont d'abord attiré mon attention. Puis le titre on ne peut plus singulier, que je ne connaissais pas. Pas que j'aie tout lu de la Beat, mais quand même, les grands titres sont connus! J'ai alors constaté qu'il s'agissait d'un manuscrit trouvé récemment et donc, tout aussi récemment édité. Et les hippos... est en fait une oeuvre que les deux auteurs ont écrite quelque 10 ans avant qu'ils deviennent connus. Elle date de 1944 et raconte les pérégrinations d'une gang de jeunes adultes dans le New York d'alors. Attention, on est loin de Pleasantville et des jeunes gens proprets dont on se fait généralement une idée lorsqu'on parle des USA de l'époque. Ceux-là boivent, fument, volent, sortent et dorment jusqu'aux petites heures. En jeunes qu'ils sont, leurs petites histoires de flirt prennent d'énormes proportions et l'insouciance est carrément leur marque de commerce. Ils se foutent de tout sauf de faire de l'argent et de s'amuser.
Franc avec vous, au bout de quelques pages, on a beau lire deux géants de la littérature, on s'en tape un peu de leurs historiettes et on se fatigue pour eux de donner autant dans les psychotropes. Or voilà, tout ça se termine par un drame. Bon, c'est pas rien comme drame, mais ce n'est pas non plus la fin du monde, alors on termine le livre en restant sur sa faim... jusqu'à ce qu'on lise l'excellente postface de James Gravelholz. Cet homme qui a connu de près les acteurs de la Beat raconte l'histoire de l'écriture du livre, mais aussi celle du récit en tant que tel, qui est vrai, mais dont on a changé les noms et les personnages. Reste que pour l'essentiel, ces mêmes personnages, dans l'histoire vraie, ce sont les Kérouac, Burroughs, Ginzberg et consorts, et le drame final qui y est raconté se trouve à être carrément l'élément fondateur de la Beat Generation. Une fois qu'on sait ça, ma foi, le livre prend une toute autre signification et devient complètement intéressant. Je ne suis pas un fana de Burroughs et de Kérouac, mais ce qu'ils représentent me fascine. Ces auteurs ont contribué à créer non seulement un mouvement littéraire, une nouvelle littérature, mais ils sont aussi une importante figure des États-Unis, de ce côté qui attire, qu'on respecte sans trop savoir pourquoi, comme James Dean ou Marylin Monroe. Alors de lire quelque chose à l'écriture aussi simple, sans flaflas,de la part d'aussi grands noms, surprend. Et savoir qu'ils ont jugé que ce livre valait la peine d'être raconté, qu'il a ensuite été mis de côté et qu'il ressorte plus tard, alors qu'il en est maintenant temps, lui donne comme un aura. L'expérience, ici, n'est pas littéraire, mais historique, voir même sociale. La surprise, si elle déroute au premier abord, réjouit au second. Si l'époque et son contexte vous intéressent, je vous recommande la lecture de Et les hippos... et de sa postface.

samedi 15 septembre 2012

Rien ne s'oppose à la nuit, par Delphine de Vigan, éditions JC Lattès

Raconter sa vie, c'est une biographie. Raconter sa mère, et par le fait même une partie de sa vie à travers la relation qu'on a eue avec elle tombe ici dans le roman. Delphine de Vigan raconte une relation mère-fille. "Une autre", direz-vous. Oui, une autre, mais celle-là a tout du roman, et attention, l'histoire en question n'a rien d'épique ni de grandiose dans le sens de l'hommage auquel on devrait s'attendre dans un tel livre. Il ne s'agit pas non plus d'un règlement de comptes, ni d'un "vidage de sac", mais bien d'une histoire hallucinante dans son aboutissement. À lire Rien ne s'oppose à la nuit, on se demande tout simplement comment son auteur a bien pu réussir à l'écrire.



Car en même temps que le récit de la vie de sa mère, de Vigan raconte aussi la quête qui l'a mené à écrire ce livre. Elle raconte les témoignages reçus, accumule les impressions, juxtapose les différents points de vue. Si la quête est difficile et lourde comme l'histoire racontée, la lecture est loin de partager ces qualificatifs. La plume est vigoureuse et saine. On lit ce livre les yeux grands ouverts, comme devant une scène incroyable qu'on regarde à la télé. En fait, j'ai lu ce livre comme j'ai regardé des tours jumelles s'effondrer un certain 11 septembre, en n'en revenant tout simplement pas.



Cette vie de Lucile, mère de l'auteur, a tout du tragique, de théâtral même, sans pour autant mettre en scène un personnage qui a voulu sa vie comme tel. Lucile, en fait, est de nature plutôt modeste. La maladie mentale qui l'afflige fera d'elle le personnage principal de ce livre. Maintenant, d'où vient cette maladie? Comment a-t-elle été vécue tant par son porteur que ses proches? L'auteur tente d'y répondre en la racontant de son point de vue à elle.



Ce récit est celui de combattants, de gens qui ont vécu des crashs épouvantables mais dont la survie s'est avérée comme une grande victoire. Or, de "survie", il est ici précisément question. Comment vivre là-dedans, avec tout ce bagage, on se le demande tout au long du livre. De l'histoire de la famille nombreuse qui a tout pour être heureuse, on tombe bientôt dans une suite de chutes et de revers incroyables, et à travers tout ça, il y a ceux qui perdent et ceux qui restent, et parmi ces derniers, il y a l'auteur.



Un récit familial touche, concerne chacun d'entre nous. Combien de fois dans notre vie nous remémorons-nous, à l'occasion, des moments qu'on décide de mettre de côté, d'oublier volontairement pour toutes sortes de raisons. Ici, de Vigan confronte ces moments un par un jusqu'à la fin, qui est aussi tragique que tout ce qui pouvait arriver au terme d'une telle vie.



Ce livre est lourd, oui, mais on n'en ressort pas déprimé, juste abasourdi. Comme quoi, si elles sont bien racontées, même les vies les plus grises peuvent parfois donner des histoires aux couleurs fortes.



Vraiment, quelle histoire!

mercredi 12 septembre 2012

La rivière noire, par Arnaldur Indridason, éditions Métaillé Noir

Place au roman policier. Amateurs du genre, avez-vous déjà suivi une enquête en Islande?



Pour ma part, non, et ce d'autant plus que je ne suis pas un amateur du genre. Qui suit ce blogue assidûment le saura. Or j'ai choisi celui-ci d'abord parce qu'il s'agit d'un auteur d'Islande, un pays dont la littérature n'a cessé de m'étonner ces derniers temps, mais aussi parce qu'il est traduit par Éric Boury, traducteur de Jon Kalman Stefansson, dont les texte m'ont fait porter cet auteur au plus haut sommet de mes préférences à vie.



Pour la qualité de la langue, je n'ai pas été déçu bien qu'il ne s'agisse pas du tout du style unique de Stefansson. Ici, Indridason, est un auteur de roman policiers, qu'on se le tienne pour dit, et un roman policier, de ce qui ressort de ma courte expérience, c'est très rarement surprenant dans le style. Ce ne fut pas le cas ici en tout cas.



Quant à l'histoire... L'enquêteur vedette est une femme, fait plutôt rare, et quand même à souligner. L'action est contemporaine. Elle se passe principalement dans le Reykjavik de notre temps, mais aussi ailleurs en Islande, dans ce qu'on pourrait appeler "la région" ou "la province", c'est selon. Les personnages ne sont pas typés. En fait, tiens, je le remarque en écrivant ça, aucun personnage ici n'est cliché, pas même la meneuse de l'enquête. Tous sont vulnérables, sauf peut-être la victime, ce qui, finalement, à lieu d'étonner. L'action? Je parlerai plutôt de l'enquête. Pas de courses, de peurs, de descriptions pleines d'hémoglobine, de lames déchirant des boyaux. Que des gens qui se demandent ce qu'ils font dans cette histoire. Voilà sans doute pourquoi j'ai embarqué lentement quoi que je doive avouer que la lecture de La rivière noire n'a pas traînée en longueur. L'auteur réussit à nous faire nous poser toutes les questions qu'il faut nous poser sur chacun des personnages jusqu'à un dénouement étonnant sans être rocambolesque.



Particularité s'il en est une, l'atmosphère n'est pas noire, mais grise. Il flotte là-dedans un air de déception, pas la nôtre, mais celle des personnage face au monde, face à leur vie, et tout particulièrement face à un personnage en particulier soit, encore une fois, la victime. Intéressant.



Je crois bien que les amateurs de policiers seront bien servis avec La rivière noire. Vous ne trouverez pas là de blagues désopilantes d'enquêteurs blasés ni de policier mal dans sa vie qui risque sa carrière en s'en foutant un peu parce qu'on bout du compte, c'est un héros, quoi que...



Un brin flegmatique, donc, pas énervé, pas énervant, et bien ficelé. C'est moi qui tirerai donc un cliché de tout ça en disant qu'au bout du compte, La rivière noire est très scandinave.



Essayez ça.

lundi 20 août 2012

The Cello Suites, par Eric Siblin, éditions Anansi

L'accord musique et littérature est tentant. En fait, j'ai commencé ce blogue il y a quelques années avec cette idée d'amalgamer les deux. Il y a tant de livres que j'associe à une musique en particulier qu'il me semblait intéressant de partager mes "recettes". Or, le temps m'a démontré qu'il s'agissait d'une entreprise aussi périlleuse que prétentieuse. Comme partager ses goûts, dans un sens ou dans l'autre est une entreprise toujours trop rare (on voudrait que tous aiment les mêmes livres que nous, mais non... On voudrait que tous apprécient les mêmes musiques que nous, mais... non plus), je me suis attardé à ce que je connaissais le mieux: les livres.



N'empêche que l'idée de lire un livre qui réfère tant aux mots qu'aux notes me plaît. Si, dans un livre, un passage mentionne un air ou une pièce à l'occasion d'une certaine scène, alors l'ambiance me semble encore plus claire, plus complète.



Ici, Siblin nous fournit un essai sur de la musique, oui, mais aussi sur son auteur et sur un de ses interprètes, et pas n'importe lequel avec celui qui a "remis au goût du jour" les pièces en question.



Siblin, un chroniqueur de musique d'un quotidien montréalais, prends pour prétexte un coup de foudre pour l'interprétation des Suites pour violoncelle seul de J.S. Bach. Son écoute des pièces en question le mènera à en savoir l'histoire, donc jusqu'à Bach puis à Pablo Casals, le violoncelliste catalan qui a redécouvert ces pièces et dont le talent a fait de lui un prodige en son temps (il est mort dans les années 70 à plus de 90 ans).



Trois histoires se chevauchent donc, celle de Bach, celle de Casals et celle de Siblin qui, dans sa quête, ira jusqu'à apprendre le violoncelle et à voyager là où des originaux des manuscrits de Bach ont pu se trouver.
Je ne connaissais que peu de choses sur la vie de Bach. J'ai ai toujours apprécié la musique sans trop pouvoir comprendre le caractère génial que plusieurs lui accordent. Maintenant, je comprends mieux, mais aussi et surtout, j'ai totalement apprécié l'histoire de Casals, le musicien hors norme, nationaliste et farouche. Quelle vie incroyable, menée dans la superbe et aux détriments des attentes, des jugements. Sans attende qu'on le suive, Casals a mené ses causes d'une façon digne, emportée. Quel excellent travail de recherche de la part de l'auteur.



Bel ouvrage que celui d'Eric Siblin. À écouter avec ou sans Bach, il raconte à tout le moins de fort belles histoires et donne envie de pousser nos connaissances encore plus loin ce qui, à on sens, justifie amplement que je le vous recommande.



Lu dans sa version anglaise, le livre est maintenant disponible en français sous le titre Les suites pour violoncelle seul, aux éditions Fides.

lundi 23 juillet 2012

Chaque automne j'ai envie de mourir, par Véronique Côté et Steve Gagnon, éditions du Septentrion, collection Hamac

"Secrets", indique la page couverture. Si on feuillette le livre, on s'attends à un recueil de nouvelles. Ce sont pourtant bel et bien des secrets.



Tirés d'une expérience théâtrale où les habitants de Québec étaient appelés à suivre un parcours qui les menaient à assister à différentes manifestations à travers toute la ville, "Chaque automne..." rassemble des textes qui étaient dits dans une mise en scène particulière dans un endroit tout aussi particulier. Les comédiens y racontaient des secrets que des habitants de la ville avaient envoyés aux créateurs de l'expérience, par un précédent appel à tous. En résultent des petits récits, des impressions, des aveux. L'ensemble est hétéroclite, multicolore et formidablement vivant. Drôle, à vous faire rire bien fort, il vous forcera d'autres fois à prendre une pause parce que l'émotion sera forte. C'est le genre de recueil qui ne laissera personne indifférent. J'appelle ça une réussite.



Vraiment, quelle surprise! J'ai beaucoup donné dans le court ces derniers temps. Cet autre amalgame de petits textes avait pourtant tout pour me plaire par la longueur égale de chacun des titres qu'il contient, et par sa cohésion. Un travail sans doute colossal de réécriture a été superbement réussi. J'imagine difficilement que chacun de ces textes ait été reproduit intégralement, aussi l'âme avec laquelle on a agencé cette jolie collection de secrets s'est trouvée très près de celle de chacun des auteurs. Bravo! Chaque histoire est une aventure où on risque fort de se reconnaître ou d'y percevoir quelqu'un qu'on connaît. Ces secrets pourraient fort bien être les nôtres ou ceux des nôtres.
Là des souvenirs d'une maman malade, ici les aveux d'un chaud lapin, là l'expression d'une angoisse que seule son auteur connaît. Des souvenirs, des espoirs, des réussites, des ratées, tout y passe. Si recueillir un secret équivaut souvent à la découverte d'un trésor, eh bien quel bel écrin!



Je ne ferai toutefois qu'un seul reproche à l'éditeur ou aux auteurs: le titre. Oui, cette parole est citée dans un des secrets que le livre contient. C'est d'ailleurs tiré d'une histoire particulièrement belle, mais si cette même phrase est touchante, elle est à des kilomètres de l'idée qu'on devrait se faire de ce livre. Son seul titre m'a fait bien hésiter avant de l'ouvrir (on m'en a fait cadeau!) et en découragera peut-être plusieurs de le choisir. On ne s'attend pas à un amalgame vraiment joyeux avec un titre comme ça. Aussi, j'ai peur que ce choix en ait empêché plusieurs de mettre la main dessus. Dommage, parce qu'il faut absolument passer par-dessus ce titre. "Chaque automne..." est un livre particulièrement lumineux.



Chaudement recommandé!

dimanche 1 juillet 2012

Malgré tout on rit à Saint-Henri, par Daniel Grenier, éditions Le Quartanier, collection Polygraphe

Ce blogue a la nouvelle heureuse ces jours-ci. Voici un autre recueil québécois qui mérite beaucoup d'attention.



Saint-Henri est un quartier de Montréal. Qu'importe la description qu'on pourrait vous en faire, il devient ici prétexte à plein d'histoires de ses habitants. Certaines sont courtes et fort anecdotiques. En deux ou trois pages, on a fait le tour d'un commentaire, d'une image recueillie au hasard d'un coin de rue, d'une attente du métro, d'une pièce de musique. D'autres sont un peu plus longues et racontent des épisodes, voir des aventures qui, chaque fois, vous laissent sur une impression forte.



Jusqu'ici, je me surprend à constater combien les nouvelles peuvent devenir prétexte à un certain voyeurisme. Celles de Daniel Grenier en sont un bon exemple. Sans tomber dans l'onirisme ou le superlatif, comme l'a fait Samuel Archibald, dans Arvida, Grenier décrit des scènes, dirait-on, plus encore qu'il ne les invente, et toutes sont teintées d'une émotion claire et souvent très forte qui nous fera parfois rire, ou qui nous gonflera le coeur.



Mention spéciale pour la virée au Brésil d'un Montréalais dont la vie se trouvera intimement mêlée à celle d'un couple d'immigrants. Grenier arrive ici à nous faire sentir tant le désir mêlé de curiosité du Montréalais qui s'éprend d'une culture étrangère, que le désarroi teinté de reconnaissance des nouveaux arrivants qui découvrent un désenchantement. Les rêves de chacun les mènent tous ailleurs, mais avec des lendemains qui ne chantent pas de la même façon. Captivant.



Et aussi et surtout cette histoire d'un couple dont on assistera à la dernière conversation. Pas triste, pas joyeux, mais pas léger ni trop lourd,juste assez dosé pour qu'on termine cette histoire de rupture un peu à l'envers, comme si on l'avait vécue nous-même.
La langue de Daniel Grenier est très Montréalaise, vivante, teintée de couleurs locales fort bien dosées, ce qui est rare. Dans toutes les langues, croirais-je, l'inclusion du "parler populaire" représente toujours un défi. Au Québec, la plupart du temps, les résultats sont plus ou moins heureux. Or, celui-là est très bien maîtrisé et fait de ce bouquin une excellente introduction au quotidien d'une ville dont on a peut-être aimé les contours mais dont on ne connaît pas encore le coeur.



Ne vous fiez pas au titre, ce recueil n'en est pas un ni d'humour d'un couvert à l'autre ni d'une tristesse insondable. C'est plutôt un excellent portrait de non seulement un quartier, mais aussi de ce qui est peut-être en train de devenir un style littéraire qui fait le bonheur des amateurs de bons ouvrages québécois: les nouvelles "cartes postales" avec des images de villes, de gens et de leurs émotions. Mention spéciale aux éditions Le Quartanier dans sa collection Polygraphe qui nous a servi dans la même année deux excellentes surprises avec Samuel Archibald et Daniel Grenier. Puisse ce flair vous suivre encore longtemps.



Quant à Daniel Grenier, attention, auteur à suivre.

samedi 30 juin 2012

X Mas, par Mario Cyr, éditions Les Intouchables

Ça pourrait contrarier de lire des histoires de la veille de Noël en plein été. Et pourtant non. Comme pour celles d'espace, les contraintes de temps n'existent pas en littérature si les histoires sont bonnes, si les mots font le travail. Aussi je recommande ce X Mas tout spécialement pour cet été. Paru en 2010, ce court recueil de nouvelles dépeint des portraits de personnages pour qui le 24 décembre sera soit déterminant, soit pas.



Dans un jour donné, pris comme ça, il en arrive des choses, et si certains sont prétextes à des ambiances précises, les événements en question prennent des couleurs mieux définies. Ici, on renaît, on tente de renaître et on meurt. Le style n'a rien de tapageur. On a ici un excellent conteur. Mention spéciale pour cette nouvelle où le personnage mourra à la fin, sans pleurs, sans violons, sans sang ni drame, mais de la façon dont nos voisins meurent, simplement. En fait, c'est si bien raconté qu'on se croira presque se faire raconter notre mort.
Certains auteurs ont ceci de tellement humain que leurs histoires semblent nous concerner. Or, décrire la réalité n'est pas facile, enjoliver le quotidien non plus. mais faire en sorte qu'on porte attention sur des bouts de rue jugés ordinaires, sur des personnages qui nous croisent sans qu'on porte habituellement notre regard sur eux, c'est là tout l'art de quelqu'un qui sait raconter.



Ces histoires se déroulent au Québec, à Montréal pour la plupart, dans une époque de l'année où, s'il n'y avait pas quelques lumières multicolores, l'ordinaire prendrait le dessus. Voilà ce que nous raconte X Mas, sans prétention, et de belle façon . Belle découverte.

dimanche 10 juin 2012

Le Christ obèse, par Larry Tremblay, éditions Alto

Larry Tremblay a écrit ce qui me semble une des pièces de théâtre les plus fortes du répertoire québécois, le Dragonfly of Chicoutimi. D'autres pièces ont suivi que je ne connais pas. Des romans aussi. Mais le Dragonfly était suffisant pour que je lance dans ce livre avec des attentes au mois aussi fortes que les émotions ressenties pendant la pièce. Tel ne fut pas le cas.



Le Christ obèse est un genre de Misery québécois où le soignant, sordide dans sa solitude, fera payer le prix de ses peurs à qui se mettra en travers du premier chemin qui semble donner uns sens à sa vie. C'est un huis clos où trop d'intimité tombera inévitablement dans l'excès, tant d'un côté que de l'autre. Le soignant est encore en deuil d'une mère dominante, le soigné est mêlé à une histoire toute aussi sordide que celle où il se trouve plongé. Les deux personnages sont théâtraux, si je puis me permettre le terme. Tremblay amène l'histoire avec de grosses images, beaucoup d'ombre, du glauque. On se dit que ça va déménager, qu'un coup de théâtre suivra l'autre, alors on continue. Un personnage se confie beaucoup, l'autre pas. Chacun est très tordu, on le découvre avec le temps. Des personnages secondaires passeront, certains en mourront. Ce livre n'est pas ennuyant. C'est glauque, oui, c'est plein de travers, personne n'est beau. Mais rien ne lève. J'ai suivi le bourreau dans son histoire, dans ses angoisses, je me suis mis à sa place autant que j'ai pu, mais trop d'incongruités m'ont fait perdre mon attention. Cette histoire n'est pas nouvelle son traitement est inventif, mais quelque chose fait que je n'y ai pas cru. Un autre exemple de huis clos, le film La jeune fille et la mort. Un a le dessus sur l'autre, mais les deux sont tordus. Et puis? Malheureusement, Tremblay de réinvente pas le genre.



Les personnages du Christ obèse auraient dû se retrouver sur une scène. Je suis certain que cet excellent auteur aurait pu les y placer dans un air de fin du monde, dans autant de laideur que le fade puisse en créer, comme son roman le montre. Mais là, les mots n'ont pas suffi. Pas indigeste, mais une certaine sauce n'a pas pris. Je m'explique mal, parfois, pourquoi un livre pourtant prometteur ne me rejoins pas. En voici un bon exemple. C'est toujours un peu triste.

samedi 5 mai 2012

Une bonne raison de se tuer, par Philippe Besson, éditions Julliard

Los Angeles ou sa région. Deux vies en parallèle. L'un est un homme dans la quarantaine qui va enterrer son fils qui vient de se suicider. L'autre est une femme du même âge qui s'est levé ce matin-là avec l'intention de se suicider. On ne pourra certainement pas reprocher à Philippe Besson un titre qui porte à confusion. Los Angeles. La Californie. Bon, déjà vous avez planté le décor. Vous avez une idée mythique de la Californie? Ou télévisuelle? Eh ben c'est ça. Besson aussi. L'homme vit près de la mer. C'est un artiste bohème, et quand on vit sur le bord de la mer en Calif on fait quoi? Eh oui, du surf! Mais attention, on a beau être bohème et fauché, ça nous empêche pas de rouler en... Mustang! La dame est une mère de famille divorcée. Elle vit maintenant seule à West Hollywood et travaille quelques heures par semaine dans un dinner. Dans le personnel, y'a donc des... gays! Mais attention, on a beau être une petite serveuse fauchée, ça nous empêche pas de rouler en... Prius! Et le pire, c'est qu'en tout début de livre, on apprend qu'une des raisons du désespoir de la dame, c'est de n'avoir pas réussi à vivre le... rêve américain. Non, ne vous en faites pas, il n'est pas ici question de grands espaces. Mais peu s'en faut, on n'en est pas à un cliché près. Tant de clichés ne peuvent qu'être exaspérants. Pourtant, j'aime Philippe Besson de tout coeur. Il a écrit un des plus beaux livres qui parle d'amour, un thème qui ne m'allume pas tant que ça d'ordinaire. Avec "Un instant d'abandon", il m'avait carrément eu, alors je l'ai suivi. Toujours, Besson écrit bien. Son écriture est très serrée, droite, efficace. Les mots sont justes, jamais flous, aussi ses descriptions sont claires et les émotions toujours fortes, très à fleur de peau. Sensible et dur, j'aime vraiment. On retrouve tout ça dans Une bonne raison pour se tuer, mais quelle mouche a piqué Philippe Besson d'aller planter son décor à L.A.? La facilité des clichés m'a irritée, oui, mais aussi cette histoire de la dame qui a décidé de se tuer en fin de journée. Oui, bien sur, elle passera par plusieurs types d'émotions dans sa journée, mais elle la fera de bout en bout, sa journée, ira travailler, fera un peu de ménage, fera en sorte que rien ne paraisse. Quand même, c'est là une belle façon de parler du faux-semblant Américain, des formules anônées quotidiennement, des "Hi How are you?" obligés. Mais n'empêche. Il y a plusieurs façons de parler des tares de notre société, de la guerre, du racisme, du sexisme, du manque de respect, du suicide, etc. Toutes ne sont pas bonnes. Or, cette façon de parler du suicide, à mon sens, n'est pas bonne. Cette histoire banalise un geste que d'aucuns n'arriveront jamais à expliquer. L'histoire de la dame est plutôt bête, facile. Ah et oh... on atteint la quintessence du cliché lorsqu'arrive, pour une page ou deux, "l'écrivain français", un client du dinner qui observe les comportements des gens à la ronde de son oeil fin. Un caméo littéraire... Fallait le faire, mais franchement, était-ce bien nécessaire, monsieur Besson?
Pourtant, l'autre histoire, celle de l'homme en deuil de son fils est du pur Besson. Touchante et forte, toute en vagues tant vers le haut que vers le bas. Ces personnages sont beaux, le père, le fils, la mère. On les croit, on comprend leur désarroi. Ce suicide-là, justement, ne sera pas expliqué. Il reste pudique. L'autre, celui de la dame, tenter de l'expliquer est vain. On n'y croit pas. C'est prétentieux. Bien sur les deux personnages se croiseront. Comme dans toutes les histoires de ce prolifique auteur, ça consistera en de très belles scènes. Clarté, c'est le mot qui me vient le plus facilement en parlant des histoires racontées par Besson. D'une lumière forte, malgré la tristesse. Comme quoi même les auteurs qu'on préfère peuvent nous décevoir. Oh, je ne le suis pas ici au point de l'abandonner. Mon exaspération tient peut-être ici du fait d'une certaine référence culturelle, en ce que l'auteur utilise des concepts jugés clichés de ce côté-ci de l'Atlantique, mais qui passeront peut-être inaperçus du côté européen. J'aimerais pouvoir comparer avec ces lecteurs européens. N'empêche, j'espère que son trip californien a pris fin. Comme les vêtements, les décors ne vont pas à tous. Là, Philippe Besson s'est trompé de placard... tout en sachant rester lui-même.

samedi 14 avril 2012

Hongrie-Hollywood Express, par Éric Plamondon, éditions Le Quartanier


Un livre est un étrange objet. Il vous suit pendant une période de votre vie, intensément. Il vous impose de vous concentrer sur lui en même temps qu'il stimule vos pensées et votre imagination. Ces derniers prétextes font en sorte qu'il est difficile de l'oublier ou de le mettre de côté pour un temps. Il s'impose.

Gérer un livre ressemble souvent à la gestion d'une relation, fut-elle courte. Elle est intense, vous donne beaucoup et demande souvent tout autant. Or certains livres pèsent plus lourd que d'autres pour toutes sortes de raisons, alors que d'autres ne font que passer. On les oublie vite malgré le temps passé avec eux. Alors quoi, est-ce que je lis trop? Est-ce qu'un certain trop plein pourrait faire en sorte que parfois, j'aie raté une bonne rencontre? Possible. Je me sens ainsi avec Hongrie-Hollywood.... Je sens bien que y'avait quelque chose, mais la sauce n'a pas pris.

Bon peut-être que de penser à un autre en étant avec un livre n'aide pas. Ça aussi c'est comme pour les humains... En lisant cette biographie romancée de Johnny Weissmuller, je pensais trop à celles écrites par Jean Echenoz, surtout celle d'Émile Zatopek dans l'excellent Courir. Mais pourtant j'ai tout fait pour passer par-dessus ça. Ne me reste qu'un mot: la déroute.

L'histoire racontée est celle, déroutante, d'un acteur qui fut le plus brillant d'Hollywood pendant un temps puis qui finit complètement déchu. À travers ça, y'a un narrateur qui se raconte au temps présent. C'est déroutant. En fait, la vie de l'ex-Tarzan l'est aussi, déroutante. Ça en fait déjà beaucoup... Or la narrateur, ou l'auteur, enfin le livre exprime une obsession sur un personnage. Une fascination. Ça c'est beau, une fascination, une passion, mais elle ne m'a pas embarquée.

Plamondon écrit très serré. Chaque ligne est juste, chaque chapître est court. Certains font 10 mots. D'autres une ligne. Puis ça repart. Là on a l'acteur avec sa 3e femme à 40 ans. Puis un petit chapître, une comptine. Là on a Weissmuller enfant. Et là le narrateur. Petit chapître. On reprend Tarzan à 30 ans, et ainsi de soute. C'est anecdote après anecdote. C'est déroutant.


J'ai souvent souri. Plusieurs passages sont beaux, des pensées sont jolies. Mais y'a une sauce qui... sans dire qu'elle n'a pas pris... que manque-t-il? Quelque-chose dans le style, on dirait, m'a empêcher de plonger. J'avancerais peut-être que j'aurais aimé aller plus loin, creuser ce dont on me parlait. Ce livre n'est pas superficiel, mais il m'a effleuré plutôt que carrément touché.

Je n'ai pas de raisons de ne pas avoir aimé Hongrie-Hollywood Express. Aucune raison de le déconseiller. Et pour faire en sorte que ça reste ainsi, je n'irai pas plus loin. J'ai bien vu, dans les dernières pages, que ce livre annonçait déjà le suivant, dont j'ai appris la sortie récente. Ah tiens, y'a bien un petit quelque chose là qui m'a dérangé, un genre d'auto-promo, mais bon, est-ce bien le cas? Qu'importe. Je me laisserai raconter son second ouvrage, Mayonnaise, sans me le procurer. Faudra me convaincre, faudra en discuter, je sais pas, mais une chose est sure...

... je suis dérouté.

lundi 9 avril 2012

Arvida, par Samuel Archibald, éditions Le Quartanier


Certains livres, et c'est rare, sont propices à émousser le chauvinisme du lecteur. Les raisons sont généralement géographiques, comme en ce cas. J'avais tout pour m'accaparer l'Arvida de Samuel Archibald puisque sans être le mien, ce fut celui de ma mère et j'ai grandi juste à côté. Or voilà, je le lui laisse. Parce que son Arvida à lui est mille fois plus beau que le mien. Et c'est très bien ainsi.

J'ai hésité longtemps avant de me le procurer. Je craignais un truc folklo-nostalgique racontant les clichés de mon coin de pays, jusqu'à ce que j'aperçoive ce petit mot un peu excentré: "histoires". Son pluriel m'a charmé, l'audace du mot aussi. Les nouvelles ne m'attirent pas spécialement. Mais les histoires, oui. C'est tout à fait le mot qu'il fallait utiliser.

Les critiques de ce recueil qui a connu, à juste titre, beaucoup de succès au Québec parlent de l'auteur comme d'un conteur. Pourtant, il n'est pas question ici de contes. Ni de nouvelles. Ce sont bel et bien des histoires. Une histoire, c'est souvent ce qu'on reproche à quelqu'un de nous raconter, c'est souvent ce dont on qualifie une anecdote particulièrement remarquable. C'est aussi ce que les mamans racontent à leurs enfants avant de s'endormir. Pas que Samuel Archibald, m'ait endormi. Loin de là. Je l'ai juste lu comme on écoute quiconque nous raconter quelque chose.

L'histoire, dans le contexte géographique du titre de ce livre, laisse entendre que ce qui est raconté l'est par quelqu'un d'habile avec les mots et bien souvent avec les gestes. Une histoire, pour autant que je m'en rappelle, ne nous laisse pas indifférent parce qu'elle nous laisse pantois. On se demande si elle peut être vraie, parce que ça se pourrait, et d'un autre côté, il est fort possible qu'elle ait été inventée. Donc, ne raconte ni n'écrit pas une histoire qui veut. C'est un art.

Le prétexte d'Arvida ajoute à l'atmosphère. Dans un coin de la planète sans trop d'histoire, Arvida représente l'élément mal aimé, mais tout aussi fantasque, presque mythique. Arvida n'a pas cent ans mais est déjà prétexte à plusieurs histoires parce que la sienne propre se distingue. Archibald y met en scène des gens du cru, dans ce qu'ils ont de plus actuels, de plus vrais, en mettant en valeur leur côté "personnage". À chaque histoire, un "je" ou un "il" prend la place principale et autour de lui ou d'elle virevoltent d'autres personnages soit aussi forts en gueule que le narrateur, soit suffisamment délurés ou fous pour qu'on leur porte attention. Parce qu'Archibald le sait, une histoire, c'est souvent prétexte à exagération, aux racontards et aux suppositions. Quel beau matériel pour exciter l'imaginaire.


Dans un tel recueil, on préfère toujours certaines portions à d'autres. Pour ma part, une se démarque particulièrement; "Chaque maison double et duelle", ou le narrateur est tellement vrai que je l'entendais parler, je le voyais me regarder en racontant son histoire de maison ou de vie hantée, c'est selon. Cet auteur fait si bien parler ses personnages qu'on les croit même s'ils nous racontent des histoires. C'est là, précisément là, où mon chauvinisme entre en jeu. Arvida et ses environs pullulent de gens comme ça, et la photo rendue par Samuel Archibald en est très claire. J'aime ces histoires, même celles à dormir debout.

Que dire de cette histoire où un groupe de gars pas vraiment fiables essaient de faire passer la frontière canado-américaine à une une pauvre immigrée colombienne. Doù viennent les gars en question? Je vous le donne en mille... Ça ajoute à une histoire pareille, croyez-moi. Et cette entrée dans la vie adulte, toute en beauté, toute en silence, sur les monts bleus et blancs qui surplombent Arvida et sa région.

Je vois là une voix de la trempe d'un Nicolas Dickner. Le style est différent, mais la force et la souplesse sont les mêmes. Arvida charmera tant les Arvidiens que ses visiteurs d'outre-mer. C'est là le genre d'ouvrage qui nous donnerait l'envie de lire d'autres auteurs québécois, mais aussi de relire Samuel Archibald, dont j'espère un roman à venir, que j'imagine déjà excellent.

Encore!

lundi 2 avril 2012

Le blogue d'Éric Boury

Il me faut ajouter ce lien et vous le suggérer fortement. C'est le blogue d'Éric Boury, traducteur de l'islandais vers le français de nombreux ouvrages dont les deux derniers chefs-d'oeuvre de Jon karman Stefansson.

On y découvre entre autre un excellent article sur les devoirs du traducteur mais aussi, et surtout, que ces deux premiers livres de Stefansson sont les deux premiers tiers d'une trilogie et qu'on aura droit à la troisième partie en 2013. J'en crierais de joie!

J'ajoute enfin que le travail d'Éric Boury. Ses traductions sont des oeuvres en soi, des architectures très habilement tendues entre deux langues avec des mots justes, beaux, choisis. Les articles de son blogue en témoignent.

samedi 31 mars 2012

Le dôme, par Stephen King, éditions Albin Michel


On se souvient tous du premier Stephen King qu'on a lu. Et sans doute des autres qui ont suivi. Pourquoi on a cessé de le lire, ça, on l'a un peu oublié. C'est que bon, hein, la vie continue, quoi. On vieillit, on passe à autre chose. En pensant à ça, il me semble que j'ai bien vieilli. Mais pas lui. Pas Stephen King.

L'occasion était belle de se taper un bon vieux Stephen King. Y'avait longtemps. Mais on dirait que le nom de l'auteur s'est Disneyifié, c'est devenu une marque, bien au-delà de l'homme. déchirez les 20 premières pages, donnez-les à un quelqu'un et demandez-lui de quel auteur il s'agit. Les chances sont bonnes qu'il le devine. Stephen King est à peu près aussi prévisible que le lever du jour.

Rien n'a changé. Le héros entre en scène assez tôt. Non, mais non, voyons, il ne mourra pas. Et les méchants... ah eux. Ils sont laids, du genre un peu défaits, tendent vers la folie... Non, ce n'est pas un film américain. Mais c'est comme si.

Une petite ville du Maine (y'a vraiment des choses qui ne changent pas...) se retrouve soudainement recouverte d'un dôme. Pas moyen de le traverser ni d'un côté ni de l'autre. Alors les habitants deviennent prisonniers de leur bled alors que de l'autre côté, on s'inquiète.

Oui, l'idée est bonne. C'est prétexte à métaphore, à porter une loupe sur une micro-société, à observer le comportement animal. En fait tout ça arrive. Imaginez quelque chose qui pourrait arriver si un dôme recouvrait votre ville. Stephen y a pensé lui aussi. Alors c'est pas trop long que ça gicle, ça s'en veut et ça se déploie l'instinct de survie à qui mieux mieux.


C'est dommage. Stephen King a été une institution. Ses histoires ont fait le tour du monde, sa renommée a été amplement méritée. Son style a été maintes fois imité, tant en termes de romans que de sénarii de films. les formules ont plus ou moins marché, les siennes ont fait quantité de tabac puis, avec le temps, ça s'est étiolé, comme si la marque de commerce avait pris le dessus sur le talent. Divertissant, oui ça l'est, mais comme un hit de boysband à la radio, ça ne reste pas. Les clichés font leur effet, et tiens, ah oui, il y a bien quelque chose de nouveau avec le Dôme: les méchants sont religieux, control freaks et maniaques de sécurité. Ah, la démonisation du bon vieux modèle du conservateur de droite. Toujours efficace.

Bon ça va. À tant ironiser sur une ancienne idole de jeunesse, ça devient déprimant. Car oui, j'ai déjà aimé Stephen King à attendre ses nouveaux titres avidement. Christine, It, Les Tommynockers, le Cimetière des animaux, tout ça a joué fort sur mon imaginaire de jeune lecteur. Mais plus maintenant.

Fin d'une époque, j'imagine.

lundi 26 mars 2012

Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute, par Maurice G. Dantec, éditions Albin Michel


Lire un second bouquin d'un auteur qui vous avait royalement tapé sur les nerfs représente un beau défi. Faut être mentalement en forme. Mais bon, faut dire que j'aimais beaucoup le titre au départ. Y'a une audace, là, dans la longueur "non-réglementaire" si on peut dire. Puis, le livre m'a été chaudement conseillé. Or donc voilà...

C'est du Dantec. Donc c'est un thriller et ça science-fictionne solide. Et y'a le "ton" Dantec. Lui, ses héros, il les aime du genre trop intelligents, geeks, malaimés, mésadaptés sociaux. Alors quand on est tout ça, on en sait des choses. Des choses que les autres savent pas, et si on sort de la tête de Dantec, c'est fort possible que ces choses soient reliées au monde de la neuro-science et de la physique quantique. Et y,a plein de méga-choses et d'ultra-autres-choses, d'epsilon et de gamma. Vous n'y connaissez rien? Ne vous en faites pas, lui non plus, enfin, jusqu'à preuve du contraire. N'en demeure pas moins que visiter des mondes inconnus, ça crée un bel enrobage et ça vous campe un thriller dans un décor original qui sort du commun. Ici, pas de personnage plus ou moins enquêteur un peu alcolo mais vachement brillant. Non. Les personnages sont des outsiders, des genre d'incompris qui font, bien souvent, des trucs incompréhensibles. Pas inintéressant.

Ok. Pas tellement positif, quand même, jusqu'ici. Pourtant, l'écriture est solide. Dantec écrit bien. Pas verbeux, rythmé, le thriller lui va bien. Mais là où je décroche, c'est dans le contenu. la science-fictio. Le futur, oui, je veux bien, en fait pourquoi pas, mais y'a, avec Dantec, comme quelque chose de pas achevé, de pas paufiné, lorsqu'il s'agit de science-fiction. Les mondes décrits tiennent plus de trips de dope que de mondes futuristes. Ça m'énerve que parfois, il coupe les coins ronds. Ici, deux types partent en cavale. ils ont des passeports multifonctions, des cartes bancaires hyper-modernes, mais ils écoutent encore de la musique sur cd et regardent des guides de voyage sur cédérom. Détail vous me direz? Moi ça m'a énervé.

Pourtant, il y a là de belles idées, des images de villes et de quartiers qui font très Blade Runner. Mais quand même... Partis de Paris, les deux cavaleurs iront jusqu'à Abidjan. je vous décrit même pas les villes africaines traversées. Dans l'esprit de Dantec, ça s'est pas arrangé, en Afrique, dans le futur. Et je ne vous parle pas de pauvreté, mais de corruption, de laxisme et d'autres clichés du genre qui m'ont agacé.

Et y'a la fin, l'apothéose, où, comme dans ce que j'avais lu de lui précédemment, le réel et l'imaginaire s'entremêlent. Bon, ça peut passer comme concept, mais dans cette histoire, on va jusqu'à tomber dans une histoire d'ange et de vagues pouvoirs de rédemption, le genre de choses qui font qu'en tant que lecteur, si ça m'est présenté sans trop de profondeur, eh bien ça risque fort de me laisser plutôt perplexe.

Oui, Dantec a l'air d'écrire dans un état proche de l'Arizona, pour ne nommer que celui-là... Qu'il le fasse ou non, on s'en fout. Le résultat est qu'il aligne bien les mots, nous tient en haleine, mais lorsqu'il divague, là, il me perd. Va pour les clichés, va pour les batailles qui s'enlignent sur 4 ou 5 pages, mais tout ça pour sauver l'âme d'un mec mort et qui n'a pas encore atteint un genre de style d'on sait pas trop... de concept de paradis... j'suis pas certain.

Dantec et moi, on dirait que ça colle pas. Rien pour le détester, mais rien encore pour me convaincre.

lundi 12 mars 2012

Freedom, par Jonathan Franzen, éditions Harper Collins


Ma suite américaine s'est poursuivie. Mais là j'en ai assez. J'ai besoin d'histoires, de voyages, de rêves. Or la littérature américaine actuelle ne produit surtout pas de rêves. Au contraire elle les détruit. Elle ne suscite pas les rencontres, mais les décourage. Et pourtant c'est bon. Comme ce "Freedom" qui n'est pas beau mais bon, pas du tout avenant, mais puissant.

"Freedom", liberté. S'il y a un mot qui a la vie dure ces jours-ci... Et je ne parle pas du point de vue absolutiste de quelque dictature hégémonique qui soit, non. Je parle de celle qu'on invoque justement (ou injustement, c'est selon...) pour combattre ces mêmes dictateurs d'ailleurs, ou pire, les méchants détracteurs du libre droit de "faire ce qu'on veut". Vous me voyez venir? Discours libertarien vs discours écologique, droite vs gauche. Oui, Freedom, c'est tout ça, mais vu d'en bas, vu du peuple américain.

Qu'est-ce qui nous happe? Pourquoi on suit un courant? Comment on a pu être assez vulnérable pour "embarquer" dans quelque chose? Était-on libre de le faire? En fait, par cette histoire d'une petite famille du Minnesota, Franzen montre comment la liberté, son concept même, dépend des autres, d'une comparaison. On est toujours libre de quelque chose ou de quelqu'un et on ne l'est pas pour les mêmes raisons. Prenez cette famille; chacun interagit un sur l'autre, et aussi leurs amis proches, des gens qu'on a "choisis". On devient, en fait, ce que les autres veulent faire de nous... à moins d'être libre. Et les être libres seraient-ils les plus forts? Et la liberté, est-ce acquis ou inné?

L'écriture de Franzen est dense, et est entrecoupée de dialogues comme seuls les grands auteurs savent le faire. Ces dialogues sont très filmiques. En fait tout le livre l'est. Mais comme l'histoire ici racontée s'étend sur une bonne trentaine d'années, on espère bien que le cinéma n'osera pas la dénaturer en la racourcissant à 90 minutes ou à peu près. On va d'une époque à l'autre et d'un personnage à l'autre au fil des pages. Le père, la mère, le fils et un ami de la famille prennent le dessus. Vaches, hypocrites, veules, peureux, on se prend bientôt à tous les aimer. Si au départ on la sent nunuche et on le sent complètement fucké, on devine plus tard que tel n'est pas le cas pour chacun. La bonne vieille façade américaine, celle du souriant "Hi how are you?" cache des histoires enfouies souvent depuis plusieurs générations. Et ça, creuser ça, c'est palpitant. Toutefois, lorsqu'on constate le résultat... on a les États-Unis d'aujourd'hui, et là on a tendance à déprimer...

Portrait d'une nation, Franzen a dû rejoindre une corde extrêmement sensible des Américains avec cette histoire. En lisant Freedom, j'avais l'impression d'être dans un party de famille où quelqu'un parle aux autres avec des inside jokes grinçantes et justes que seules les victimes peuvent comprendre et auxquelles ils ne peuvent répondre publiquement tellement la salve est intense.

En fait, Freedom est comme ses personnages: un faux-semblant. Sous ses allures d'intellectuel, ce livre est une bitch épouvantable.

À lire parce qu'on en parlera longtemps.

mercredi 1 février 2012

Sunset Park, par Paul Auster, éditions Actes Sud/Leméac


D'entrée de jeu, ce blogueur doit avouer qu'il passe un sapré bel hiver. Fruits du hasard ou résultat d'une expérience de lecteur qui commence à donner des résultats, mes derniers choix se sont tous avérés heureux. Celui-là aussi, mais différemment des autres. Plus jouissif, dirais-je.

La lecture de Paul Auster m'a d'abord fait réaliser que cette période bénie est en majeure partie due à des auteurs des États-Unis. J'en suis surpris. Agréablement. Ce Sunset Park, son histoire et sa tournure m'ont aussi permis de constater combien un autre livre m'habite encore, soit celui de James Frey (The Last Testament of the Holy Bible). J'en ai retrouvé quelques effluves jusque dans ce Paul Auster.

J'ai en fin réalisé, en commençant ce livre, que j'avais oublié la plupart des derniers Auster. J'en ai regardé les titres, et mis à part Le livre des illusions et longtemps avant, Tombouctou, je n'avais retiré de la lecture des oeuvres de ce grand nom qu'un plaisir momentané, qui ne restait à peu près pas. Ironique, lorsqu'on constate que Sunset Park se termine justement sur une note suggérant que rien, jamais rien, n'équivaut au moment présent.

Sunset Park se résume en l'histoire d'un homme à la fin de la vingtaine qui, après avoir fuit sa famille reconstituée et les parts de vérités qui allaient avec elle, retourne auprès des siens par la force des événements. C'est ce personnage central qui m'a ramené à James Frey, le personnage typique Américain: l'air de rien, bon mec, pas méchant mais un peu gauche, a des choses à se reprocher, mais bon, comment lui en vouloir, il a un bon fond. Et il se battra et on lui souhaite la victoire. Or ici, le méchant, c'est aussi lui, dans sa façon de se voir. Et pourtant, comme le Ben Zion Avrohom de James Frey, ceux qui l'entourent ont besoin de lui, chacun pour ses propres raisons. Ces autres personnages sont quant à eux très "New York" de ce siècle: un éditeur, une grande actrice, une artiste mal assumée, des partisans des valeurs humaines opposés au mercantilisme ambiant. C'est pas "Occupy Wall Street" comme propos, mais on comprend pourquoi ce courant est parti de cette ville. Éclairant.



Paul Auster sait peindre de très beaux portraits de ses personnages. D'une façon commune à plusieurs auteurs new-yorklais contemporains, il en fait le tour jusqu'au tréfonds de leur âme. Rien de superficiel ici. On comprend leurs tourments autant que leurs talents. Ce qui pourrait taper parce que trop descriptif devient essentiel avec Paul Auster dans la mesure où plus on en apprend sur chacun, plus on les aime, on veut les défendre. Et si on s'attend à une fin plus ou moins catastrophique, on espère au moins que chacun s'en sortira. Les méchants dont on veut l'élimination sont, comme pour le personnage principal, la mauvaise part de chacun dont on souhaite qu'ils se débarrassent.

Je terminerai en citant le quatrième de couverture appelé ici "Le point de vue des éditeurs":

"Avec ce roman sur l'extinction des possibles dans une société aussi pathétiquement désorientée qu'elle est démissionnaire, Paul Auster rend hommage à une humanité blessée en quête de sa place dans un monde interdit de mémoire et qui a substitué la violence à l'espoir".

Et bien je suis contre. Ce point de vue est emprunté et tartiné d'une guimauve sucrée à la déprime ambiante à laquelle on essaie de faire carburer des consommateurs de toutes sortes de biens incluant des livres. Ce Paul Auster est beau parce qu'optimiste. Il présente des gens pour qui le désir de vivre provient d'eux mêmes et des gens qui les entourent et qu'ils aiment. Non c'est pas évident de se rendre compte qu'on aime quelqu'un. Ni de s'aimer, soi. Mais c'est en découvrant sa vraie nature qu'on réussit aussi à toucher celle de l'amour, l'universel, pas l'exclusif. Oubliez donc ce quatrième de couverture. Les éditeurs n'ont pas nécessairement le meilleur point de vue sur leurs auteurs. On en a ici la preuve.

Ah oui, je l'ai lu en français. Pas mal traduit, mais ça ne me convient pas. L'auteur fait parfois référence au monde du baseball, et les termes traduits d'un français européen... ouf! Oui, un peuple francophone connaît cette matière depuis une bonne centaine d'années parce que vivant sur le continent américain, mais bon, hein, ils sont si peu... Pourquoi les consulter? Et que dire, lorsqu'on est Québécois, quand on découvre ce que sont des "oignons frits en beignets". Hi-la-rant, et très mal traduit. Dommage, mais rien pour casser le rythme. Le livre reste bon.

On contraire des précédents, je me souviendrai certainement de ce Paul Auster, et le recommande fortement.

mardi 17 janvier 2012

La tristesse des anges, par Jon Kalman Stefansson, éditions Gallimard


Bouleversement dans la vie du blogueur. Épisode majeure lorsque votre étoile change. La mienne me suivait depuis une bonne quinzaine d'années. Elle était italienne, ses planètes alignaient les Soie, Océan Mer, Châteaux de la colère, etc. J'aime encore Barrico, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Toutefois, maintenant, je ne vois pas qui pourra mieux me rejoindre que Jon Kalman Stefansson. Après deux livres, je ne puis dire combien il est grand. Il est juste trop près de moi pour que je le sache précisément.

J'ai d'abord lu Entre ciel et terre il y a presque deux ans. C'était un été de canicule. Je n'en revenais pas, tant du temps que je vivais que de ce que je lisais. J'en ai déjà parlé sur ce blogue. Puis je suis allé en Islande. Une fois rendu là, j'ai constaté que c'était un livre qui m'y avait poussé et que c'était bien.

Ce second titre de l'auteur islandais n'avait pourtant rien pour me plaire. Vous savez, moi, les anges, le New Age, la dentelle... pas trop. Mon libraire m'a simplement dit que c'était meilleur qu'Entre ciel et terre. Je trouvais son engouement justement un peu trop... trop. Maintenant, c'est moi, sans doute, que vous trouverez trop... trop.

Les personnages qui terminaient Entre ciel et terre sont réunis là où on les avait laissés, avec "le gamin", rescapé de beaucoup de douleur après la perte de son meilleur ami. Là, il vit, il découvre des choses puis le voilà qui doit suivre Jens le Postier. Celui-là s'est donné comme défi de livrer des colis à des endroits impossibles à traverser en ce temps de l'année. Faudra marcher, grimper des montagnes et traverser des bras de mer, des fjords. Le gamin, qui connaît la mer, ira avec celui qui connaît la terre. Ils marchent. Parlent peu, le vent et les souvenirs le font à leur place. Puis ils marchent encore, font des rencontres, et quelques mots s'ajoutent, de rares mots, comme autant de gouttes d'eau dans un désert. Quelques espoirs se pointent, quelques histoires se racontent par bribes, mais encore, il faut marcher, et le temps, ça ne s'arrange pas. La tempête ne s'arrêtera pas, alors il faut non seulement se rendre, mais aussi survivre. Détracteurs de tout ce qui est sous 0C, de gel et de froidure: s'abstenir.

Or le livre avance, eux aussi. Leur but n'est toujours pas atteint et le livre achève. Qu'arrivera-t-il? Ça se terminera comment? Alors on perd le souffle, Littéralement. Pendant trois ou quatre pages Puis on rebondit, et puis... à vous de voir.

Je m'y connais peu en poésie, voir presque pas. C'est un genre qui me rejoint peu. En fait peut-être que j'aimerais, qui sait, mais bon, je n'ose pas. Jon Kalman Stefansson est-il poète? Je ne sais pas. Mais s'il en parle, lorsqu'il l'évoque la poésie, s'il l'effleure seulement, on y croit, on en veut, on se dit qu'on a manqué quelque chose. C'est ainsi que la neige devient la tristesse des anges, que des montagnes de roche chantent sous le regard d'un postier taciturne. Ce ne sont pas là des actions, ou, devrais-je dire, des métaphores à la con. Non. Ce sont simplement des façons de dire les choses, une façon de décrire. L'écriture de Stefansson a quelque chose de grand, de fort et de silencieux. C'est le Nord écarlate, la vie contre la mort, le doux en opposition au dur. Les personnages et l'environnement sont rustres, la vie y est dure mais autour et à travers ça, il y a des mots qui passent justement comme des anges. Des mots de la tête et du coeur, mélangés, ça donne des maladresses rendues belles, de petits désirs rendus gros comme des péchés mortels, et des personnages simples et reclus encore plus grand et forts que tout ce qu'ils affrontent. On lit, on lit, et on ne veut pas que ça se termine.

Ne pas oublier de mentionner la traduction d'Éric Boury. Les mots choisis sont trop beaux pour ne pas être salués. En fait, on lit trop de mauvaises traductions. Un tel livre nous fait nous en rendre compte. Je ne sais rien de la langue islandaise, mais je perçois le plus clairement du monde la qualité tant de la langue que de l'esprit en lisant un tel texte. Traduire une langue avec aussi peu de locuteurs que l'islandais est pour moi une oeuvre au moins aussi grande que celle d'écrire une telle histoire dans quelque langue que ce soit. Bravo, donc, tant à l'auteur qu'à son traducteur.


Anecdote pour qui lira La tristesse des anges: j'ai terminé ce livre en début de soirée. Bien sur, ça m'a suivi. Je me suis couché et dans la nuit, une forte tempête de vent m'a empêché de dormir. Je me suis éveillé en pleine nuit avec en tête les dernières scènes de La tristesse des anges. C'était un mauvais rêve éveillé, le vent était vrai, ma peur aussi, mais les images que j'avais en tête, ça, je ne savais plus trop. Depuis, j'ai commencé un autre livre qui, jusqu'ici, se passe en Floride. Et pourtant j'ai encore la tête dans l'Islande d'un hiver du 19e siècle. C'est comme un long fondu enchaîné de deux couleurs pas tellement complémentaires. Quelle drôle d'impression.

Jon Karlman Stefansson, donc, notez le nom. Pour le plaisir de lire quelque chose qui, si vous embarquez, vous portera longtemps. C'est beau, je vous l'assure.

Incontournable.