dimanche 14 avril 2024

Mon sous-marin jaune, par Jon Kalman Stefansson, Christian Bourgois éditeur

Qu'est-ce qu'on serait si on n'avait pas découvert la lecture et si on ne connaissait pas le plaisir des mots? Qu'est-ce qu'on deviendrait si on n'avait pas d'imagination, aucune imagination, rien, si on n'avait que le réel? L'imagination donne un sens au réel, et c'est exactement de ce dont il est question dans ce livre.

Jon Kalman parle de lui. Il nous raconte comment des événements marquants ont fait de lui ce qu'il est devenu. Ces événements sont tragiques, et pour passer à travers, le petit bonhomme et l'adolescent qu'il est devenu s'est réfugié dans un monde onirique, n'existant que dans sa tête. Alors on embarque avec lui.

Le voyage est rapidement turbulent, car dès l'âge de 7 ans, les événements se bousculent. Mais pour nous éviter de nous blesser, cet auteur incroyable nous offre des protections bizarres: les histoires qu'il se raconte avec des personnages hétéroclytes. Au début, on est complètement déboussolé. De Paul McCartney à Simon & Garfunkel, en passant par le Dieu de l'Ancien testament qui boit comme un trou et les défunts d'un cimetierre qui viennent passer du temps avec lui, on se perd avec lui entre le réel et l'irréel. Mais toujours, en trame de fond, on a l'histoire du petit garçon qui vit dans un monde où les mots sont rares. Alors il les remplace par des émotions. Et comme ses mots d'auteur: c'est très fort.

Qui n'a jamais lui Jon Kalman Stefansson ne saura pas trop ce qu'il lit, à moins qu'il soit sensible à la poésie, aux mots superbes, aux images inondées de lumière et aussi, particulièrement depuis ses derniers livres, aux trames sonores approfondies. Qui a beaucoup lu Jon Kalman Stefansson, comme moi, comprendra au fil de ce Sous-marin jaune que l'auteur nous donne là la clé de tout son univers, d'où proviennent les ambiances et les personnages de ses livres antérieurs. On se sent devenir intime avec lui. Au début ça m'a intimidé, mais à force, je me suis rendu compte que c'était un peu come si Emmanuel Carrère réécrivait un de ses nombreux livres auto-biographiques on y ajoutant de la poésie: c'est hyper personnel, mais tout en douceur.

Je suis sorti bouleversé par ce livre, de scènes où un proche de l'auteur, qui vient pourtant de mourir, le prie de ne plus jamais vivre sans lui, où un aveugle se fait décrire des vagues alors qu'il est dans une barque sur la mer.

De plus en plus, je réaise que Jon Kalman Stefansson, doublé de son trop précieux traducteur Éric Boury, est une de mes plus belles raisons d'avoir appris à lire.