samedi 31 décembre 2022

Les poules des prairies partent en tournée, par Dawn Dumont, éditions Hannenorak

C'est l'histoire des aventures d'une troupe de danseurs improbables et sans confiance en eux qui découvrent le monde, le succès, et qui, à travers tout ça, se découvrent eux-mêmes. C'est excellent, souvent dérangeant, drôle et presque burlesque, sans longueurs. Avec son style direct et naturel, Dawn Dumont fait découvrir l'univers des communautés autochtones canadiennes comme on ne l'a jamais raconté, sans victimisation, mais aussi sans filtre bien pensant.

Les danseurs sont des Cris de la Saskatchewan, on est en 1972. Ils ont l'occasion d'aller présenter des pans de leur culture sur des scènes européennes. Mais tout, dans ce qui leur arrive, est erratique. La planification n'est pas leur lot, les leaders de la troupe s'en occupent du mieux qu'ils peuvent, parce que chaque personnage a sa part d'improvisation dans un monde où ils ne sont visiblement pas à leur place.

La beauté de ce bouquin est que l'autrice réussit magistralement à décrire ces malaises. Chacun ces Indiens (c'est ainsi qu'ils se définissent dans l'époque où ils évoluent) trainent des blessures, des inconforts, des lubies qui les font se trouver différents des autres. Qu'il soit en groupe ou seuls face à la foule, chaque personnage se retrouve à un certain moment face à un dilemme: faire comme les autres ou rester soi-même, avec ou sans compromis.

Ces questionnements sont habilement amenés dans des scènes captivantes. Dawn Dumont fait vivrre toutes sortes de choses à ses personnages, qui naviguent entre la décoverte de soi, le retour douloureux dans le passé, la honte, la fierté, mais aussi le désir, très présent tout au long du livre.

Les poules... se lit facilement. Encore ici, la traduction en français nord-américain de Daniel Grenier facilite la lecture, bien que parfois, on pourrait peut-être trouver que c'est un peu "trop", particulièrement dans les excès de langage de quelques personnages. Je me demande même si le traducteur n'a pas fait, comme moi, certains parallèles entre l'écriture de Dawn Dumont et celle d'auteurs québécois qui racontent des histoires populaires, à la manière de Michel Tremblay, qu'on ressent parfois, à travers la traduction.

Mais qu'importe, tous les personnages sont adorables parce que vulnérables. Chacun a sa part de bon et de méchant, de perdant et de héros. À la fin du livre, on comprend encore mieux la réalité d'aujourdfhui de ce peuple, de ce qu'il a vécu, de ce qui l'a fait, mais aussi, défait. Culture, traditions, religion, mais aussi modernité et affirmation de soi: tout y est pour que ce périple nous captive.

Une autre belle réussite de Dawn Dumont.

mardi 6 décembre 2022

J'étais un héros, par Sophie Bienvenu, éditions du Cheval d'août

Je parle probablement de mon autrice québécoise préférée. En tout cas elle l'est depuis que j'ai terminé ce troisième livre d'elle. Sophie Bienvenu, c'est pour moi la voix la plus claire que je puisse lire. Rien n'interfère entre chacun de ses mots et les émotions que je ressens. Ah que ce livre était beau. Et pourtant y'a des scènes là dedans qui m'ont solidement chaviré.

Comme dans ses autres livres, Sophie Bienvenu donne la parole à un personnage vulnérable, à quelqu'un qui s'est auto-saboté et qui le sait. Brisé mais conscient, Yvan se sait décompté. L'alcool lui a scrappé le foie, mais aussi sa vie. Ne lui reste plus qu'une coloc amoureuse de lui, et sa fille à lui, qui s'est éloignée depuis longtemps. Il en fera sa seule bouée de sauvetage, si sauvetage il y a.

Deux scénarii se croisent: celui où Yvan va vers sa fille, et celui ou c'est l'inverse. Dans les deux cas, on entre dans la tête d'Yvan comme on pourrait le suivre sur une rue, le voir, le regarder. La force de Sophie Bienvenu, c'est un regard généreux et ouvert, une rare compréhension du monde. Y'a de ces gens, comme cette autrice, que je voudrais observer pendant qu'elle observe les gens. Je lui envie cette connaissance fine de l'âme humaine.

La relation père-fille décrite ici est difficile. Ls non-dits et le manque de confiance en soi prennent toute la place. Enfin, non, pas toute, parce qu'aussi, il y a là une tendresse stupéfiante. Malgré tout ce qui arrive de dur ou de triste, il flotte toujours un air de deuxième chance, quelque chose comme de l'amour qu'on ne veuet pas voir, mais qu'on ressent. C'est vraiment très fort comme sentiment, tout au long du livre.

J'étais un héros se lit comme une conversation avec un être cher. La langue est simple, les mots et les images aussi, mais c'est immense en même temps, comme les personnages, comme quiconque peut l'être si on pose un regarde bienvellant sur lui.

Sophie Bienvenu est une grande autrice.

dimanche 27 novembre 2022

Le chemin d'en haut, par J. P. Chabot, éditions Le Quartanier

Ce roman d'un nouvel auteur québécois m'a ravi. C'est superbement écrit, avec des dialogues efficaces et des ambiances finement décrites.

Un habitant de Montréal revient dans sa région natale, le Bas-St-Laurent, pour le décès accidentel de ses deux parents qu'il n'avait pas fréquenté depuis longtemps. En plus de la mort absurde de ses parents, le personnage principal se questionnera sur leur héritage, sur ce qu'il reste d'eux, mais aussi, de lui.

Habilement menés, l'histoire raconte en même temps le présent et le futur du personnage, à travers un autre personnage qui lui fait d'étranges prophéties. Mais si ces visions de l'avenir étaient une évidence? Est-ce qu'une prophétesse exerce son pouvoir en ressentant le désir de son client, et par le fait même, lui raconte ce qu'il veut bien qu'il entende? C'est en tout cas l'impression que j'en ai tirée.

Fataliste, cette histoire en est surtout une qui raconte bien ces contrées de plus en plus étrangères que sont les régions éloignées des grands centres. Ici, rien d'extraordinaire, sauf, si on gratte un peu, des douleurs qui n'ont jamais été dites et qui ont été plus ou moins devinées. Les vies y sont simples, comme les gens, ce qui les rend extraordinaires pour qui n'en soupçonne plus vraiment l'existence, comme quelqu'un qui revient.

En fait, Chabot raconte ici les conséquences du laisser-aller, qu'il soit vécu personnelement ou socialement. On le devinera, ces conséquences sont rarement positives, à moins qu'on l'assume. Laisser aller, c'est tout lâcher, souvent tout arrêter, sans qu'il soit question de faire confiance à qui que soit, ni même à soi-même. Mais raconté à la façon de J. P. Chabot, on se laisse facilement porter.

La langue parlée est particulièerement bien rendue, sans chichis et sans fioritures. Cet auteur maitrise les mots et rend une histoire somme toute triste en quelque chose de captivant.

On pourrait se perdre un peu aux trois-quart du livre jusqu'à ce qu'on s'aperçoive qu'on est en train de vivre les histoires prédites quelques pages plus tôt. Le procédé est périlleux, mais l'auteur s'en sort bien avec une fin touchante qui nous confirme ce dont on se doutait bien, mais qu'on ne voulait pas qui arrive à des personnages devenus sympathiques.

Belle réussite, donc, qui plaira à plusieurs, Le chemin d'en-haut se lit facilement et avec plaisir. Maintenant, on attend quelque chose d'autre de J. P. Chabot.

dimanche 20 novembre 2022

Les marins ne savent pas nager, par Dominique Scali, éditions La peuplade

Voici un roman d'aventure de plus de 700 pages dont la lecture est une aventure. Long et périlleux, original et brillant, c'est un livre qui étonne à plusieurs égards, envoute souvent et déçoit assez pour qu'il vaille la peine d'en parler.

L'histoire se déroule dans un temps passé, celui des grands bateaux à voile, dans un pays fictif au système politique et social inédit. C'est là toute l'originalité de ce livre. L'autrice a inventé une société avec des codes sociaux étonnants, parfois avangardistes, parfois originaux parce qu'ils évoquent les inégalités sociales d'une manière nouvelle, basée sur la géographie, les genres, et même l'âge. Véritable livre geek, on est presque dans un jeu de rôle, avec des réglements inventés mais efficaces, une fiction organisée. L'autrice joue habilement avec ces codes, qui bâtissent l'histoire de la vie de l'héroïne, une citoyenne du pays qui vivra toutes les possibilités, victoires et défaites, que sa société puisse offrir.

Ajoutons que le pays fictif est une île, ce qui est prétexte à la forte présence de la mer, du maritime, de l'océan. En fait, l'eau est pratiquement le personnage principal de ce livre. Là encore, le côté geek ressort, avec une connaissance fine de la navigation, du temps, des mouvements de l'eau, etc. De ce côté, c'est totalement réussi. Fictif ou pas, historique ou pas, Les marins... est d'abord un roman de la mer. Les amateurs de houle et de tempêtes seront ravis.
Je sais pas pour vous, mais pour moi, parfois, un geek, ça s'égare un peu tellement c'est dans son monde. C'est ce qui arrive parfois ici, parce qu'il arrive souvent que les descriptions de codes sociaux, d'événements historiques fictifs ou de technnicalités du monde marin durent trop longtemps. C'est là mon premier hic.

Mon deuxième concerne le côté historique, puisque l'autrice fait souvent parler ses personnages... en vieux français. S'il s'agit de mots qui ne sont plus d'usage, parce qu'oubliés abev le temps, j'aime, c'est pertinent. Mais lorsqu'arrivent des dialogues avec des expressions vaguement empruntés à une ancienne "parlure", c'est beaucoup moins efficace, voir agaçant. Des expressions comme "z'avez" ou "z'êtes" sont saupourées inégalement dans les dialogues. Si la phrase commence ainsi, elle se termine souvent sans autre expression du genre, en donnant l'impression que le personnage emprunte une façon de parler qui fait plutôt penser a Mistinguette et Aristide Bruant à Montmartre. C'est caricatural et trop inégal pour être efficace. On n'avait pas besoin de ça.

Bref, enlevez des effets de style et quelques descriptions trop détaillées et vous aurez un roman de 400-500 pages enlevant, original et réjouissant. Sinon, on a un roman de 700 pages original, souvent enlevant, avec une chute brillante, une page couverture épatante (il faut le dire), mais parfois agaçant et lourd. Peut-être qu'un petit travail d'édition supplémentaire aurait pu faire l'affaire.

dimanche 2 octobre 2022

Plaisirs (non) coupables, par Chilly Gonzales, éditions Édito

Avec le prétexte de parler d'Enya, l'artiste des années 80 qu'il décrit comme son "plaisir non coupable", Chilly Gonzales trouve une occasion de parler de lui, de son art et de ce qu'il en pense. Quand un artiste talentueux nous parle de ce qu'il fait, je suis d'accord et j'endosse tous les prétextes, aussi gros soient-ils.

Ce court livre nous révèle un geek de musique rendu à un moment de sa carrière ou la décomplexion, l'expérience et le talent reconnu entraînent l'élimination de tout filtre. C'est ainsi que le pianiste nous partage ses trips intenses comme ses dégouts en matière de musique, mais aussi d'attitude envers le showbiz, la célébrité, et le pouvoir de faire des choix. En ce seul sens, c'est fort divertissant, et ça le devient d'autant plus si on aime les interprétations de Chilly Gonzalez.

Cette courte incursion du pianiste surdoué dans le monde littéraire nous montre que s'il sait écrire, de tous ses talents, c'est la musique qui fait de lui un artise intéressant et aimé. Pas que c'est mal écrit, pas du tout. C'est juste pas aussi beau que ces albums que j'aime tant écouter lorsque, justement, je lis, ou que je veux ajouter un peu de soleil dans ma journée. La langue est bien, le ton fleuri, et les références musicales sont jouissives. Bonjour le jazz, la pop, les collaborations entre artistes. Pour qui aime la musique, ses propos sont excellents.

Quant aux références du soi-disant plaisir non coupable, qu'on me permette de supposer de l'ironie de la part d'un gars qui a décidé de prendre Chilly Gonzales comme nom d'artiste, et d'un mec d'orgine juive qui a fait un disque de Noël (ceci dit vraiment excellent).

D'un autre côté je ne me permettrai pas d'ironiser sur l'auteur des petits bijoux que sont Piano Solo I, II et III, et de bizarreries vraiment agréables comme Consumed in Key, réalisé avec Richie Hawtin, sous l'excellent label Turbo Recordings. À mon humble avis, Chilly Gonzalez est à l'origone du "nouveau classique" porté par les Ludovico Einaudi, Sofiane Pamart, Jean-Michel Blais et nombreux autres. En littérature, il ne partira pas de nouveau mouvement, mais là aussi, il saura attirer l'attention des amoureux de son art.

Si vous aimez le son, vous aimerez les mots.

lundi 26 septembre 2022

Indice des feux, par Antoine Desjardins, éditions La Peuplade

Il y avait longtemps que j'avais lu un aussi bon receuil de nouvelles. En fait, en avais-je déjà lu un aussi bon? Habituellement, dans un recueil, une nouvelle ou deux nous tape un peu ou pire, nous laisse totalement indifférent. Pas cette fois. On aurait pu croire que c'étaient les thèmes communs à chacun, mais non. J'ai accroché à la qualité des mots, de la langue et de la diversité des tons.

Deux thèmes sont communs aux sept nouvelles du recueil: la nature, et les liens. Disons franchement que ces deux fameux ingrédients auaient pu nous faire tomber dans la morale et le douceureux. Mais pas du tout. Au fil des histoire, on en vient à se demander quelles formes prendront ces liants, par où passera l'auteur pour nous ramener à ces considérations.

Le livre commence sur les chapeaux de roues avec une histoire dans laquelle certains verront une certaine violence. Mais est-ce vraiment le cas? À vous de voir. Elle est écrite comme une mitraillette (je ne l'aurais pas placée au début, mais bon, finalemenet, c'était pas nécessairement un mauvais choix), alors que dans la suivante, on tombe dans une douceur extrème, presque paralysante, avec une belle finale. Et ça va ainsi pour chaque nouvelle.

Je parle de nature plus que d'environnement pour identifier le thème principal du livre, parce qu'un arbre, des oiseaux, ou la nature toute entière, dans une nouvelle sublime sur la transformation d'une personne, deviennent le pivot autour duquel se vit une histoire personnelle ou une relation. Et ces relations sont le plus souvent issues des liens familiaux: un neveu et sa tante, deux frères, un homme et son grand-père, un couple, etc. La sauce aurait pu être trop sucrée, mais l'auteur a sû doser pour rendre chaque personnage attachant et chaque histoire prenante. Encore une fois: si le début est rude, ça devient vite tendre, sans être mou ni mielleux.

Maintenant, j'ai envie de lire Antoine Desjardins dans une longue oeuvre de fiction, pour voir quel ton il utilisera ou si, encore une fois, il saura relier des atmosphères différentes en une seule histoire. J'ai pleinement confiance.

On parle ici d'une très belle découverte des éditions La Peuplade.

mercredi 21 septembre 2022

S'adapter, par Clara Dupont-Monod, éditions Stock

Je ne me rappelle pas vraiment avoir versé autant de larmes qu'en lisant ce bouquin. Et là, je ne parle que du premier tiers! Mais quand même, les deux autres tiers ne m'ont pas laissés indifférent pour autant. Ce livre est une grande réussite.

Clara Dupont-Monod raconte la vie d'une fratrie (une fille et deux garçons) qui ont partagé une partie de leur vie avec un quatrième frère lourdement handicapé. En fait non, tous n'ont pas partagé leur vie avec lui parce que le dernier de la famille est né après le décès de celui autour de qui tourne cet incroyable récit. Chacun des protagoniste a donc vécu cette proximité à sa façon, et même sans proximité physique, vivre avec un souvenir qui ne nous appartient pas devient aussi un défi, comme pour les autres. Nous sommes, dit-on, le produit de notre environnement. Ce livre en fait la démonstration.

Au coeur de ces trois vies, il y a eu celle d'une personne différente. Or ces personnes, ce sont des frères et soeurs, dont un posthume. Sans oblitérer les parents, qui sont présents tout au long du livre, mais pas en figures principales, l'autrice dirige la lumière sur ceux qui ont dû, eux aussi, adapter leurs vies à une autre. Et ça, c'est original. Qui a vécu une situation semblable sera stupéfait de constater avec quelle justesse l'autrice raconte comment ces vies seront différentes ce qu'on pourrait appeler "le monde normal". Elle met en scène, avec des mots très simples, une écriture sans flaflas et très efficace, les dommages et les forces qui resteront à chacun.

En fait, ce roman est presque un documentaire tellement il est réaliste. Qui n'a jamais vécu une telle situation en apprendra beaucoup et sera inévitablement touché. Parfois tendre, parfois très dure, cette histoire ne laissera personne indifférent. Bien sur, on y verra une proximité, sur le thème, avec Le petit astronaute de Jean-Paul Eid, mais le ton est différent, et au contraire de la bande-dessinée, qui est axée sur le vécu des parents, on parle ici d'une autre relation, moins directe avec la personne différente, mais tout aussi concernée par l'adaptation qu'elle demande.

Bon, ça peut sembler plutôt triste comme ça, mais même les plus sensibles y trouveront leur compte parce qu'il y a, dans ce livre, plusieurs apprentissages, dont un en particulier qui dit que les joies et les peines nous font, et que si on sait bien s'adapter, allez, on saura bien faire notre vie.

À lire absolument.

lundi 12 septembre 2022

Gens du nord, par Perrine Leblanc, éditions Gallimard

J'ai probablement aimé ce roman, mais je crois ne pas l'avoir compris. Malgré que la lecture de mes impressions du précédent ouvrage de Perrine Leblanc me confirment qu'entre elle et moi, la transmission se fait mal. Bref, vous me voyez dubitatif.

Au début des années 90, en Irlande du NOrd, on commence à entrevoir la fin de ce qu'on aura appelé "les Troubles", une époque de conflit entre protestants et catholiques irlandais. Les personnages de Gens du Nord sont bien sur issus, pour la plupart, de ce coin du monde, sauf pour les deux principaux protagonistes, un Français et une Québécoise. Chacun y mène ses enquêtes, lui à titre de journaliste, et elle, de documentariste. Or, pour lui, c'est pas trop certain, parce qu'en plus d'être journaliste, il entretient des liens avec une des factions prenant part au conflit. Ça l'emmène à vivre dangereusement, dans un monde où chacun est pisté, ou suspecté, ou craint par un ou par l'autre. C'est un monde où personne n'est sûr de rien ni de personne, où personne ne se sent vraiment à sa place, bref, où tout ce qui arrive est assez difficile à comprendre.

En ce sens, l'atmosphère est réussie. Parce qu'il faut le dire, Perrine Leblanc écrit superbement bien. Ses descriptions sont précises, concises, belles. À eux seuls, les décors valent le livre. Perrine Leblanc voit tout, pense à tout. Sa force de description est assez rare.

C'est dans le scénario que je me suis perdu. À travers les relations malsaines, les violences sauvages et les haines séculaires qui pourrissent le climat du pays, l'autrice fait ressortir une histoire d'amour entre deux personnes venues d'ailleurs. Tout est inconfortable, insécure, voir même insoutenable. En fait, il y a un climat d'incertitude qui m'a comme tellement atteint que je suis resté sur mes gardes tout au long de ma lecture. Le personnage principal de la Québécoise qui fait son enquête m'a énervé, je sais pas pourquoi, et j'avoue que celui du Français m'a été peu sympathique.

Bref, pourquoi tout ça, je sais pas trop. Les climats de Perrine Leblanc, dirais-je, ne sont pas les miens. C'est dommage.

lundi 22 août 2022

Le grand monde, par Pierre Lemaitre, éditions Calmann-Levi

Regardez vos livres en français dans votre bibliothèque et essayez d'en trouver plus que 2 ou 3 dont le nom de l'auteur est plus gros que celui de son titre sur la page couverture. En anglais, c'est la norme. Pas en français. Calmann-Levi est sorti de la norme pour le livre d'un auteur dont la norme, justement, est de rester dans la sienne propre. Pierre Lemaitre reste Pierre Lemaitre. Ses fans y prendront plaisir, mais il y aura les pour et les contre.

On a su haut et fort au sortir du livre qu'il serait le premier d'une nouvelle trilogie. Ça regardait bien, surtout si on avait aimé la trilogie précédente. Alors on entame ce nouvel ouvrage plein d'attentes et on se rend compte que oui, c'est Pierre Lemaitre: les premières pages sont un vrai feu d'artifice. Cette fois il ne s'agit pas d'action, ou si peu. L'auteur décrit plutôt ses personnages: un couple d'entrepreneurs français vivant à Beyrouth à la fin des années 40 et leurs quatre enfants, tous jeunes adultes. Ajoutons la conjointe de l'un deux et le tableau est brossé: ça va barder. Mais voilà qu'au fil des pages, on ressent un malaise, puis un autre. Qu'est-ce qui se passe?

D'abord, on est dans un autre registre. Oui, les personnages sont encore assez "champ gauche". Maladroits, victimes, mais volontaires, comme dans les livres précédents de Lemaitre, ces personnages, pour certains, tombent dans une nouvelle dimension: le sordide. Et là, je parle de gore. Vraiment. D'abord, on n'est pas certain, mais quand un gars est un bon conteur... on se laisse porter mais si on est pas vraiment un fan du genre.

Puis il y a le décor. Le contexte historique est toujours bien présent, mais une partie de l'histoire se déplace dans un décor inconnu et flou, tant historiquement que... imaginativement: l'Indochine occupée par les Français. Un des personnages s'y retrouvera. La description qu'en fera l'auteur crée un drôle d'impression: c'est pas très joli, c'est à peu près invivable et la plupart des gens qui y sont sont plutôt malsains. Les Vietnamiens n'ont pas le plus beau rôle, souvent secondaire, voir accessoire. Malaise. Les Français ne sont pas plus nets non plus, mais sortis de l'imaginaire de Pierre Lemaitre, on est moins surpris de leurs comportements à eux.

Mais oui, c'est bon, et ça tient principalement à un personnage en particulier, un genre de monstre de méchanceté, de mauvaise foi et de courage comme on en a vu dans l'oeuvre antérieure de l'auteur. On aime détester ce personnage et on se surprend à nous en ennuyer dans les pages où il est question des autres.

Bref, c'est enlevant, surtout pour le côté enquête. Ajoutez à ça un gros coup de tonnerre un peu avant la fin, un genre de beau gros cadeau pour ses lecteurs fidèles et vous avez l'assurance que si vous en êtes à votre quatrième livre de Pierre Lemaitre, vous enlirez sans doute encore au moins deux autres.

lundi 25 juillet 2022

Ton absence n'est que ténèbres, par Jon Kalman Stefansson, éditions Grasset

J'ai d'abord cru que je lirais mon ¨moins bon Jon Kalman Stefansson". Je me perdais entre les personnages et les époques, tout s'entremêlait, chacun racontait son histoire, bref, mon auteur préféré me faisait travailler, je m'apprêtais à être déçu. Mais ce qu'il y a avec un auteur préféré, c'est qu'il puise son encre et ses mots directement dans votre cerveau. Ou dans vos veines, c'est selon, que vous soyez cérébral ou sanguin, et vous finissez par être embarqués.

Quatre époques sont racontées dans ce livre, avec pour fil conducteur un narrateur dont on ne sait pas trop qui il est. Or voilà, il ne sait pas qui il est lui-même, et on découvre que les gens dont il raconte les histoires se découvrent eux aussi à travers les histoires des autres ou de celles dans les quelles ils se retrouvent. Et tout ce joli fatras se lisse au fil des pages et au bout du compte, on fait le lien.

Peu d'auteurs décrivent aussi bien l'être humain que Jon Kalman, et la façon dont il s'y prend relève presque de l'acrobatie. Oui, on parle beaucoup de poésie dans ses oeuvres, parce qu'il raconte comme d'autres composent des chansons, avec des refrains et des couplets, mais aussi des images, et cette fois, plus que toute autre fois dans ses autres livres, beaucoup de musique.

Cet auteur maitrise l'art de faire des liens entre les choses et les êtres les plus incongrus et de Nick Cave à Morrissey, vous passez de Zola à Piaf, au rap, des vers de terre, vous vous vous retrouvez ensuite à une table bourgeoise aux fumets délicats.

Ton absence n'est que ténèbres est sans doute le livre le plus triste et beau de l'oeuvre de son auteur. Il y a plusieurs morts, et des amours aussi puissants que furtifs. La puissance de cette écriture, ce sont aussi des scènes d'une demie page, environ, où quelqu'un meurt dans un accident dans les bras d'un autre en lui disant: ne me laisse jamais tomber, une mère abandonne son bébé de 3 mois en le passant à quelqu'un au dessus d'une table, un enfant est livré par un facteur, et j'en passe. Ce n'est pas tragique, mais puissant, comme les moments forts d'une symphonie où chaque musiciens participe à une montée dramatique, avant de faire place au piano solo, qui vous parle ensuite tout bas.

Bon, ben voilà, c'est comme ça que je réussis de parler de Jon Kalman Stefansson, cet Islandais qui nous raconte son pays comme s'il contenait toute l'Histoire de la la Terre, et qui nous fait, cette fois-ci, le plaisir de publier la playlist de son récit à la fin du livre. Pour ma part, on parle ici de quelque chose de parfait, en ajoutant à tout ça l'irréprochable traduction d'Éric Boury. Chaque mot est poli, frotté, luisant, bien choisi.

Si vous n'avez jamais lu cet auteur, ne commencez pas avec ce livre-ci. Commencez plutôt avec Entre ciel et terre ou Et pourtant les poissons n'ont pas de pieds. Puis vous viendrez à celui-ci, et vous en aurez, j'en suis certain, la même impression que moi.

dimanche 17 juillet 2022

En automne, par Karl Ove Knausgaard, éditions Denoël

C'est difficile de décrire l'ennui. On commence un livre, on le dépose, on le recommence, on fait "ah, bon", on arrête puis on l'oublie un peu. Ça a été ça avec En automne. Pourtant, Karl Ove Knausgaard avait capté mon atention comme nul autrea avec sa série "Mon combat". J'ai aimé le détester et aimé lire ses histoires où il ne parlait que de lui, il m'a fait aimer et lire un nouveau genre. Mais là, rien de tout ça, juste de l'ennui. Mais pourquoi?

Avec En automne, l'auteur s'assieds à table avec nous avec un café et un cigarette et nous parle des petites choses qui lui passent par la tête. Le livre est fait d'une succession de courts chapites de 2 à 4 pages, pas plus, sur différents sujets: la bouche, le thermos, les oiseaux de proie, le silence, le vomi, etc: tout y passe. Knaussgard part d'une définition terre à terre de l'objet ou du concept pour en tirer une métaphore, une parralèle ou une réflexion de son cru. Parfois, on se dit " Ah tiens, c'est bon ça, Y'a un lien à faire entre ça et ça" et d'autres fois on se dit "Mais pourquoi il me raconte ça" et le plus souvent, on termine un des courts chapitres en levant les yeux au ciel ou en poussant un grand soupir de découragement. C'est même pas ironique, c'est juste ennuyant.

Et c'est Knausgaard, donc, oui, souvent, mais pas toujours, il nous parle de lui et des siens. En fait, il assume qu'on les connait, sa famille et lui. Je pousse même la réflexion jusqu'à me dire que son éditeur s'est dit que, bon, comme c'est lui et qu'on le connaît, "ben vas-y mon vieux, écrit ce que tu veux, du moment que tu parles de toi de temps en temps". C'était pas l'idée du siècle.

Bref, c'est ni bon ni mauvais, mais pas transcendant et je donnerais une note en bas de la moyenne pour une raison précise: ce livre (et sans doute la série de 4 livres, je vous laisse deviner les titres des 3 autres...) a pour prétexte son quatrièeme enfant qui va naître. Il commence le livre en lui disant quelque chose comme: je vais te raconter la vie. Eh ben non, ça marche pas comme prétexte, c'est poussif. Que l'auteur veuille nous passer des réflexions personnelles, ok. Mais qu'il prenne pour prétexte l'enfant qui va naître, non. C'est pas très gentil pour l'enfant en question, et faut pas nous prendre pour des valises. Le succès de ce livre se mesurera sans doute à la force du nom de son auteur, mais pas à sa capacité à écrire quelque chose de nouveau d'aussi bon que "Mon combat".

Bref, je me suis ennuyé, et c'est triste. Je l'aimais bien, moi Karl Ove.

lundi 6 juin 2022

La vérité sur la lumière, par Audur Ava Olafsdottir, éditions Zulma

Ça a toujours été une joie de lire cette autrice islandaise, mais pour la première fois, j'ai été peu touché. Ça devait sans doute arriver, et c'est un peu triste.

Le livre repose sur le personnage principal, une sage-femme islandaise qui se retrouve entourée, par procuration, par la vie passée et les pensées d'une grande-tante, maintenant décédée, qui a exercé la même professions qu'elle. À la mort de la vieille dame, sa descendante, qui habite maintenant son appartement, met la main sur des écrits laissés par son aïeule. Le métier exercé par les deux les emmène à se poser toutes sortes de question sur la vie, pas seulement celle des humains, mais bien de tout ce qui vit.

Plus qu'une histoire, La vérité sur la lumière est un prétexte pour philosopher, se poser des questions et y répondre, constater. C'est en tout cas l'impression que ça donne. Audur Ava s'est fort probablement incarnée dans son personnage pour porter un regard sur le monde.

L'idée d'utiliser une sage-femme est lumineuse pour parler de la vie. Or, cette femme, tout comme son aïeule dont elle suit les pas, n'a pas d'enfant. Elle nous parle peu d'elle, juste assez, et observe avec attention les vies des autres, des couples qu'elle a rencontrés, de membres de son entourage, et bien sur de celle qui lui a légué des réflexions assez disparates, mais inspirantes.

Oui, c'est inspirant, car il y a le ton d'Audur Ava, sympathique, apaisant, avec ses personnages simples, qui vivent des choses simples, et qui ressentent des sentiments qu'on a l'impression d'avoir vécu exactement de la même manièere qu'eux. C'est la force de cette autrice que de créer des personnages qui nous semblent familiers. Cette fois, cependant, un de ces personnages a trop pris de place à mon goût, jusqu'à me taper un peu sur les nerfs. Cette ancienne sage-femme disparue est sympathique elle aussi, mais entre elle et moi, le courant n'a pas passé. Est-ce un certain détachement, une hyperactivité cervicale, je ne sais pas trop en quoi ce personnage m'a exaspéré, mais c'est arrivé.

Pourtant, j'avais tout pour aimer ce livre: le ton, l'autrice, l'environnement, le sujet. Mais lire est, en bonne partie, une question de timing. Que ce soit l'époque de l'année ou de la vie du lecteur, il y a toujours une bonne part de concommitances temporelles qui font qu'un livre nous transporte... ou pas. Je ne crois pas que ce phénomène s'observe à chaque lecture, mais lorsque ça marche pas, on dirait qu'il n'y a rien à faire.

Alors je n'ai pas insisté, j'ai fini de lire La vérité sur la lumière jusqu'à la fin, sans souffrir pour autant, en me disant que le prochain d'Audur Ava sera meilleur que celui-là... pour moi, en tout cas.

Ceci dit, les fans de l'autrice devraient le lire. Il y a de fortes chances que vous l'appréciez plus que moi.

samedi 21 mai 2022

Anéantir, par Michel Houellebecq, éditions Flammarion

Ceux qui se laissent rebuter par le titre ne méritent pas ce livre. On est loin de la vision heavy metal d'un monde balayé par un armaggedon. Tellement pas. Anéantir contient plusieurs livres, une histoire, des occasions pour rire, des provocations exaspérantes et un talent rare de raconteur.

Parce qu'il s'agit de fiction. On aura beau tout dire et penser de Houellebecq, on ne pourra pas lui reprocher de nous enguirlander avec de l'auto-fiction qui parle de lui. Pas du tout. Ici encore, il prend un petit pas d'avance sur le temps pour nous montrer notre époque. Et ça marche.

On est en 2027. Paul est le proche conseiller d'un ministre important du gouvernement français. Malgré sa position enviable, Paul, qui est quand même tiré de la tête de Michel Houellebecq, se trouve donc minable, ordinaire, sans envergure. Il admire les forts, juge les plus faibles, bref, c'est un anti-héros.

La première moitié du livre est formidable. Ça parle de Paul, de son couple qui s'étiole, de son job qui ne le motive que peu, et de sa famille qui, tiens, revient dans sa vie. Son père a un ACV, que faire avec lui?

Puis vient la deuxième partie du livre où de personnelle, l'histoire prend une tournure socio-politique. Il y a des élections présidentielles et mondialement, ça brasse. Plusieurs personnages passent, aucun ne vous laissent indifférents, chacun fait sa marque, et Paul poursuit sa vie jusqu'à ce qu'arrivent les 100 dernières pages.

Ces dernières pages sont sublimes. Ce livre se termine en effet par un hommage au désir dans une tendresse indéfinissable, et c'est ici où Houellebecq surprendra le plus grand nombre. Eros et Thanatos se chevauchent de la plus belle façon qui soit. Parce que de sexe, il est question, et aussi de la mort, mais tous deux sont abordés finement, sans malaise, avec une lumière crue mais douce. C'est là où on reconnait un grand auteur.

Avec Anéantir, j'ai ri des descriptions de situations et de personnages, j'ai levé les yeux au ciel devant la description de rêves de Paul, à mon sens complètement exaspérantes, mais mises là pour me pincer, pour se moquer un peu de moi. Alors j'ai persévéré parce que si une page de Houellebecq vous énerve, 10-20 autres ensuite vous captivent. L'homme sait écrire, çca c'est indéniable.

Pour ma part, je m'incline. À elles seules, les 100 dernières pages valent tout le livre, mais l'ensemble est une peinture fictive et éclairée de notre époque. Qu'on soit d'accord ou pas avec sa vision du monde, Michel Houellebecq sait nous divertir. Il ne m'a pas choqué, juste brassé, et ma foi, ça m'a fait le plus grand bien. Vous ne l'avez jamais lu? Commencez avec ce livre-ci, et oubliez toutes les critiques. Ça vaut la peine.

Anéantir est une réussite totale.

mardi 26 avril 2022

Enlève la nuit, par Monique Proulx, éditions Boréal

Je suis sous le choc, une impression exquise. Je viens de ressentir la même émotion qu’à la fin de Chercher Sam de Sophie Bienvenu, ou de Morel, de Maxime Raymond Bock, cette forte émotion des grands livres qui non seulement vous touchent, mais vous prennent dans leurs bras.

Et pourtant je n’avais jamais lu Monique Proulx. Allez savoir pourquoi.

Son personnage a quitté sa communauté repliée sur elle-même, mais aussi sa mère, qu’il sait chagrine depuis son départ. Malgré des débuts difficiles dans ce nouveau monde, un événement le pousse à persévérer, découvrir les gens, leur langue. Avec lui, Monique Proulx utilise la naïveté d’une façon complètement différente de tout ce que vous vous en faites comme idée. Son Markus arrive intact, ouvert, sans jugement, et il s’intéressera à qui s’intéresse à lui. Il regarde le monde d’un angle qu’on oublie trop mais qui existe, celui de la volonté et du désir. Avec lui, on redécouvre Montréal, mais aussi la langue qu’il apprend avec ardeur, et l’amour, dont il découvre plusieurs côtés. Naïf, oui, mais pas passif. Pas pur non plus, mais prêt à tout. Enlève la nuit est un regard original sur ce que nous sommes devenus comme société.

Les aventures de Markus nous touchent, mais surtout, son regard sur le monde est à nul autre pareil. Quel exploit que de parler de bonnes intentions sans nous faire la morale. Chaque mot est choisi. On sourit de contentement surtout lorsqu’il est question de l’apprentissage de la langue. Proulx joue admirablement avec les mots, les expressions. Le coeur nous serre et à la fin du livre, puisqu'on est triste de quitter un ami, pour qui rien ne sera facile, mais qui saura toujours se faire aimer. Même 24 heures plus tard,je pense encore aux derniers mots du livre et j'ai la gorge qui se serre. Markus est un grand personnage.

C’est le genre de livre qui vous laisse une impression de couverture qu’une personne aimée remonte jusqu’à votre menton en vous disant de ne pas vous en faire. C’est au-delà du galvaudé « réconfortant ». C’est carrément un beau cas de confiance,un belle incarnation de l'espoir, bref, c'est presqu’un remède.

Enlève la nuit est un grand livre.

dimanche 17 avril 2022

Mononk Jules, par Jocelyn Sioui, éditions Hannenorak

L'auteur raconte la vie de son grand-oncle, un activiste autochtone dont la vie publique s'est surtout déroulée des années 40 aux années 60. Original, percutant, rassembleur, contesté mais inconnu, l'homme a été un "personnage". La découverte de sa vie en archives s'est avérée une mine d'or pour Jocelyn, le petit-neveu créatif et inspiré de Jules Sioui. Outre le personnage, ce portrait nous révèle une époque, mais surtout un pan trop méconnu de l'histoire des premières nations canadiennes. Récit, essai, documentaire: on peut classer Mononk Jules partout. On en ressort fasciné, fort de nouvelles connaissances mais aussi, et surtout, abasourdi par une finale qu'on n'avait pas vue venir qui est amenée très habilement par Jocelyn Sioui.

Pourtant, réaliser un tel portrait ne devait pas paraître évident. Sans avoir travaillé dans l'ombre, Jules a fait en sorte que ses actions soient vite oubliées, même si, de son vivant, elles ont eu une portée importante.

On constate rapidement qu'à travers les initiatives politiques eet sociales menées par Jules, Jocelyn a découvert un peuple, enfin..., DES peuples, leur situation, mais aussi, et surtout, leur silence. Ce qu'on découvre, si l'on s'intéresse un tant soit peu à l'histoire des premières nations de ce pays, c'est le silence, voir l'indifférence dans lesquels ils sont tombés dans les dernières années. Avec Mononk Jules, Jocelyn Sioui explique très efficacement comment est venu ce slience et comment on l'a entretenu. Jules a brassé la cabane et les moyens utilisés pour le faire taire valent à eux seuls le livre. On en apprend beaucoup sur les rapports dominant/dominés qui ont façonné cette partie du monde.
Jocelyn Sioui écrit sur un ton sympathique. D'entrée de jeu, il nous avertit qu'il en est à ses premières armes dans l'écriture d'un tel ouvrage, ce qui a pour effet de nous faire embarquer avec lui dans sa recherche. On le suit, on l'encourage. Certains passages demandent un peu plus de concentration, puisque les textes cités sont d'époque, et la langue, comme les mentalités, a changé. Mais ils nous ramène habilement au repos avec plusieurs photos tirées de ses archives personnelles et de celles de son personnage, en plus d'illustrations tout aussi sympathiques que ses mots à lui.

Pas besoin de se chercher une fibre de défenseur des peuples opprimés pour apprécier Mononk Jules. Pour qui aime les portraits historiques, il y a là une belle occasion de découvrir des pans cachés de l'histoire du Canada, ce qui, inévitablement, ajoute à nos connaissances d'un pays dont l'histoire est beaucoup plus trouble qu'on pourrait le penser.

Une autre belle découverte proposée par les éditions Hannenorak qui m'emmènent de surprise en surprise. Cette maison d'Édition est un bel ajout dans l'univers culturel des lecteurs francophones.

samedi 9 avril 2022

Histoire du silence, de la renaissance à nos jours, par Alain Corbin, éditions Albin Michel

C'est une entrevue avec Alain Corbin qui m'a donné envie de le lire. L'homme est excellent communicateur, érudit, mais accessible, hyper intéressant, sympathique. De l'imposant corpus dont il est l'auteur, j'ai choisi ce titre pour son sujet. L'idée d'utiliser le silence comme prétexte à un essai historique sur la société me plaisait.

En bon historien, Corbin traverse les âges en référant à quantité d'auteurs qui ont émis une opinion, ou, plus souvent encore, une description du silence, et c'est à travers ces auteurs qu'on se fait une idée de la perception de leur époque de ce que représentait le silence. Lourd, méditatif, sage, refuge, le slience a plusieurs connotations et il est intéressant de découvrir toutes les utilisations qu'on puisse en faire, ou de constater comment il peut être perçu.

Interessant, ce l'est, mais le format de cet essai historique m'a déstabilisé. Chaque chapitre aborde le sujet d'un angle différent par un long texte suivi, sans intertitre, sans sous-thèmes, rien. Ma foi , c'est un peu lourd. J'aurais espéré quelques intertitres, quelques paragraphes supplémentaires. On lit ces chapitres comme on écoute une logorrhée. L'éditeur, ici, aurait pi intervenir.

Si certains chapitres coulent de source, d'autres nous font travailler un peu. L'auteur connaît sa matière mais surtout, ses auteurs. C'est fou la quantité de gens qui sont cités. Or, si certaines citations vous enchantent, d'autres vous pèsent un peu. C'est ainsi que plusieurs références religieuses, et on parle ici de la religion catholique, m'ont semblé un peu tendancieuses. Bien sur, la religion a joué un grand rôle dans l'avancée des idées et des textes. Lorsqu'on parle de silence, on pense inévitablement à la méditation, à la contemplation. Mais voilà, si on parle de "la Renaissance jusqu'à nos jours", c'est qu'il ne s'agit que de l'Occident seulement, dont il est question en majeure partie.

Bien sur, tout ça est pertinent, savant, touffu. Mais nous sommes à une ère où les références sont multiples. Il aurait fallu préciser dans le titre le territoire choisi par l'auteur. La France, l'Europe, l'Occident, oui, mais pas seulement. J'aurait voulu autre chose venu d'ailleurs, et, habitué aux métissages de cultures, j'en ressort un peu déçu.

Mais le silence, chez Proust, Huysmans, Maeterlink, dans les tableaux de Delacroix ou de Berthe Morissot, oui, certainement, c'est intéressant. Belle interlude entre deux fictions, donc, mais mais pas d'épiphanie.

mardi 22 mars 2022

Ténèbre, de Paul Kawczak, éditions La Peuplade

On associe souvent Eros et Tanathos: vie et mort, érotisme et douleur. Ce livre en fait une démonstration. Dans Ténèbre, la vie lente et confortable d'Européens aisés de la fin du 19e siècle se transforme en mort longue et douloureuse en Afrique australe. Les rêves se transforment en cauchemar, les bonnes gens deviennent des bourreaux. Ambiance assurée.

Un géomètre est envoyé au Congo par le roi de Belgique pour délimiter les frontières de la colonie. Son parcours en deviendra un d'exploration, mais pas de ce qu'il espérait. Plutôt qu'un territoire, il découvrira la vraie nature des humains qui l'entourent, les colonisateurs, les peuples africains, les voyageurs, mais aussi l'amour et ses affres.

Ce voyage initiatique se terminera mal, on l'apprend rapidement au début du livre, et c'est là une des premières particularités de ce livre. L'histoire racontée est fascinante, les personnages sont superbes, le décor est grandiose. Reste la façon: l'écriture est remarquable, Kawczak utilise les mots de brillante façon. Quant aux tableaux décrits et l'ambiance créée, on découvre une imagination débordante et poétique. D'autres diront: lyrique. Qu'importe, tout, dans ce livre est intense. Et c'est peut-être ce qui m'a donné une impression de trop-plein.

La première partie du livre est enlevante. Kawczak décrit l'Afrique encore vierge que commence à violer les colonisateurs européens. Mes mots sont choisis. Ceux de l'auteur aussi. Il utilise plusieurs analogies pour raconter l'emprise de l'Occident riche sur l'Afrique naïve et offerte. Plusieurs scènes parlent, parfois crument, parfois par allusions, des horreurs vécues par les populations exploitées par les nouveaux arrivants. Il est clair que la colonisation du Congo ne s'est pas fait dans les meilleures intentions, l'auteur nous le montre en décrivant des pertes: de sens commun, d'amour-propre, de liberté, et de pudeur. L'érotisme est partout, et plus le livre avance, plus il prend de la place. Eros et Tanathos s'unissent jusqu'à s'entrelacer et finir par prendre toute la place dans une fin saisissante, mais malheureusement pas aussi forte et elle que le début du livre et certaines autres scènes.

Enfn voilà, Ténèbre, se distingue, c'est certain, par un auteur qui sait manier les mots, tellement qu'on croirait parfois que le livre a été écrit écrit par un auteur de l'époque qu'il décrit. C'est toutefois son contenu qui m'a déstabilisé. Je dois avouer avoir perdu une certaine foi avant la fin. J'ai crû au mélodrame, mais non, c'était pas ça. Malgré le titre et la couverture du livre, qui ne m'attiraient pas particulièrement, j'avais espéré queluqes lumières, suscitées par les critiques élogieuses envers le livre. J'ai bien vu ces lumières dans la description de l'époque et des lieux, mais les ténèbres des sentiments ont éteint mes espoirs. C'était trop pour moi. Érotisme et mort ne m'ont pas attirés, enfin pas cette fois.

Paul Kawczak mérite toutefois d'être lu. J'espère qu'il reviendra avec un nouveau titre pour voir où son talent d'écriture pourra encore le mener.

dimanche 6 mars 2022

Perles de verre, par Dawn Dumont, éditions Hannenorak

Lire deux livres d'une même autrice en très peu de temps est toujours un peu risqué. On peut s'en lasser. Mais si le contraire arrive, on en demande encore plus. C'est ce qui m'arrive avec Dawn Dumont.

On pleure pas au bingo et Perles de verre sont liés par un personnage qui pourrait être le même. Juste pour ça, j'apprécie déjà Dumont pour ce côté espiègle. La narratrice du premier pourrait bien être un personnage du second.

Alors que On pleure pas... était raconté au "je", Perles de verre l'est à la troisième personne. Nellie est une jeune avocate dont le monde rapproché est constitué de trois amis, deux d'enfance et un autre qui s'ajoutera à l'université. Des deux amis d'enfance, un a toujours été un flirt, puis un amant, et possiblement un amoureux. Mais rien n'est évident, dans cette relation, comme d'ailleurs celles entre les quatre amis.

Il y a beaucoup de "possibles" dans la vie de Nellie, elle qui se bat contre les "impossibles". Nerd, mais sociable, ambitieuse mais sans confiance en soi, rien n'est simple dans sa vie. Et dans celle de ses amis non plus, dont on pourrait dire qu'ils sont des gens "ordinaires". Mais ils ne sont pourtant pas sans histoires, de celles qui ne rendent pas la vie facile non plus. Pourtant, certains d'entre eux réussiront à porter leur carrière vers l'avant alors que ce sera tout le contraire pour les autres.

Dawn Dumont raconte ces quatre vies comme une conteuse. Ce sont les chroniques de jeunes adultes qui ont grandi dans des résèrves autochtones de la Saskatchewan dans les années 80 et qui sont devenus ce que des années, voir des décennies de désintéressement envers ont fait de la société autochtone actuelle. Dumont raconte des vies de petites jobs ramassées ici ou là, d'alcool omniprésent, de sentiments mal gérés, de violence petite, mais constante, issue de partout: de soi envers soi, de ses proches et par dessus tout, de la société qui les entoure. Par ces portraits de gens dans leur environnement, à travers leurs aventures et leurs conversations, Dumont rend compte d'une société qui se cherche, pour qui tout est difficile. Ces gens sont déracinés dans leur propre pays.

Ces portraits donnent un livre plein d'action, de dialogues puissants, de scènes touchantes et parfois violentes. Elle nous pousse au gré des vents, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. La suite des événements racontés est parfois aléatoire et ce qui pourrait déstabiliser le lecteur fait partie de l'expérience. Ces gens ont une vie d'opportunités, ils sont poussés par le vent, changent d'idée ou de situation au fil des événements et des jours. Ainsi va l'écriture de Dawn Dumont. Ce livre est vif, parfois dur, très dur, mais plein d'une bonté dont on ne s'explique pas l'existence malgré les obstacles et les embuches.

Dawn Dumont est devenue une autrice importante pour le Canada. Son traducteur, Daniel Gauthier, y est pour beaucoup dans la transmission de ses textes en français. Sa lecture est facile, son style est enlevant. Si on rit moins que dans On pleure pas au bingo, on en sort avec le même sentiment d'attachement envers les personnages, qu'on voudrait encorager, ou aider.

Un vrai beau coup de coeur pour cette autrice.

dimanche 20 février 2022

Crossroads, par Jonathan Franzen, éditions Penguin Random House

On dit souvent d'auteurs qu'ils "aiment leurs personnages", ce qui donne souvent des portraits tout en douceur. Jonathan Franzen, lui, aime nous montrer à quel point ils peuvent être détestables, même les plus innocents. Il est comme un chat qui joue avec un oiseau, en le tuant doucement, l'air de rien. C'est ce qui rend ses livres aussi passionnants.

La famille Hildebrant vit en banlieue de Chicago en 1973. Le père est pasteur, la mère, femme de pasteur qui s'ennuie, et ils ont quatre enfants. Le plus vieux a 20 ans. Les autres sont en pleine adolescence, sauf le plus jeune. L'excercice du ministère du pasteur se passe difficilement, puisqu'un autre pasteur, plus jeune, travaille dans la même communauté. Sa notoriété deviendra enviable grâce à son animation d'un groupe de jeunes populaire dans le quartier, Crossroads. Bien vite, ce jeune pasteur deviendra concurrent du pasteur Hildebrant. La guerre fera rage entre les deux et pendant ce temps, les enfants Hildebrant vivront leur émancipation, le plus souvent aux détriments de leur père et de leur mère, qui elle, n'est pas en reste non plus en matière de volonté de changer de vie.

Jonathan Franzen nous dresse un portrait d'une famille américaine moyenne, en nous les montrant non seulement dans leur présent, mais en nous expliquant aussi d'où ils viennent, ce qui les a influencé, et ce qui les influence encore. Toujours, partout, on sentira le désir de chacun de se faire aimer, l'omniprésente considération de l'opinion des autres, la représentation de soi dans la société.

On le comprendra: la religion y joue un grand rôle. Elle se veut un soutient, une base, une référence, mais voilà, les temps changent et les enfents ne sont plus là. Mais quand même, c'est une société où les hommes se sentent investis d'une mission de tout diriger, mais on dirait que ça marche moins que ça marchait avant...

Pour désinhiber ses personnages, l'auteur utilise un procédé audacieux: les psychotropes. L'histoire contient trois scènes où des personnages font l'usage de drogues. Quoi que vous imaginiez, vous vous trompez certainement. Ces scènes sont tout bonnement... hallucinantes et révélatrices, chacune pour des raisons et dans des contextes différents. Ajoutez à ça des dialogues avec des répliques aussi acérées qu'une lame de rasoir, et une connaissance fine de l'âme d'un peuple qui ne sait plus trop où il est rendu.

Crossroads est un divertissement complètement réussi. Franzen fait encore la preuve qu'il sait expliquer la classe moyenne blanche en fouillant dans ses placards, ses jardins secrets et ses pensées profondes. C'est troublant, féministe (à mon seuls) et on en veut encore.

Vivement la traduction en français!

dimanche 16 janvier 2022

On pleure pas au bingo, par Dawn Dumont, éditions Hannenorak

J'ai rarement ri aussi souvent et d'aussi bon coeur qu'en lisant ce livre. Et j'en suis d'autant plus ravi que j'ai constaté, en terminant cette première oeuvre de Dawn Dumont, que j'ai vraiment ri pour plusieurs raisons, et pas une seule. Intelligent, sensible, allumé, ce livre est une bouffée d'air frais pour plusieurs raisons.

Je sais pas pour vous, mais plusieurs choses me font rire. Soyons francs d'entrée de jeu: rire des autres figure en haut du palmarès, et parmi "les autres", il y a soi. Rire de soi est tout un art, qui vient avec une certaine confiance et un public très ciblé. Or, Dawn Dumont nous raconte ici des morceaux de son enfance avec une forte dose d'autodérision, une dose tellement forte qu'elle en mettra plusieurs mal à l'aise, et ce même si elle ne nous connaît pas.

Il faut dire que cette enfance se passe dans une communauté autochtone de la Saskatchewan. Cette réalité teinte tout le livre, mais pas que. Il y a aussi l'époque, les années 80. Dawn Dumont se raconte à travers les lieux, l'époque et à travers elle. Vous me direz que c'est rien de nouveau parce que l'auto-fiction, depuis quelque temps, c'est très "in". Et pourtant, la façon Dawn Dumont est unique.

Son personnage principal, c'est elle, enfant et adolescente. Geek, téméraire, casse-pied, sensible, deuxième d'une famille de 5 enfants, elle est entouré de ses soeurs et de son frère, de ses parents, et de ses multiples cousins. Ses histoires sont autant d'anecdotes qu'on raconte lorsqu'on est entre amis autour d'une table et qu'on se rappelle des choses de notre enfance. C'est cru, sans filtre, mais d'un naturel presque désarmant.
Loin du misérabilisme, l'autrice témoigne de sa vie dans une famille autochtone de l'époque avec, oui, l'alcoolisme, la violence entre enfants, l'ostracisation entre communautés, tout ça y est, mais c'est amené comme autant d'épices qui relèvent un plat. Parce que d'abord et avant tout, ce livre est la chronique d'une enfant/ado nord-américaine qui est racontée, avec ses clichés, ses peurs, ses angoisses, mais aussi ses rêves, ses découvertes, ses amours, ses haines. Le racisme et la pauverté surviennent aux moments où vous vous en attendez le moins, souvent en vous faisant rire. On rit jaune, en fait, on se surprend parfois à rire des situations incroyables décrites, et c'est justement tout le charme et l'intelligence de ce livre.

C'est parfois dur, parfois remplie d'amour. Vértable hommage à sa famille, cette oeuvre de Dawn Dumont expose crument une réalité qu'on connaît sous le spectre de nos clichés ou d'initiatives faussement bienveillantes qui voudraient faire appel à notre pitié. Là, on a le portrait vu de l'intérieur, un regard intelligent, sagace, crédible.

Immense attention à porter à l'excellente traduction de Daniel Grenier en français, disons... nord-américain. Dialogues et termes de ce coin de planète sont portés par les bons mots. Un Européen y sera totalememnt dépaysé, un nord-méricain s'y retrouvera pleinement. Quel excellent choix de traducteur.

Vivement d'autres choses de Dawn Dumont, que j'ai adoré pour son écriture vive, drôle, oui, mais brillante, et socialement efficace parce qu'elle nous éveille à une réalité qu'il fait bon voir sous de nouveaux yeux, les siens.

Une question pour la fin: sur la couverture, on indique "roman"? Vraiment? Pourquoi pas un récit? Est-on dans la fiction romanesque ou dans le récit personnel? La seconde option me semble plus juste. Comme c'est bizarre.

mardi 4 janvier 2022

Morel, par Maxime Raymond Bock, éditions Le Cheval d'août

Dans la vie d'un lecteur, je vois chaque livre comme un événement. Et comme dans la vie, certains événements restent en mémoire et on se rend compte avec le temps combien ils ont été déterminant. C'est certainement ce qui va m'arriver avec Morel, qui relate les événements de la vie d'un Montréalais entre les années 1930 et 2000, environ.

Une majeure parite du décor n'existe plus. Il s'agit de quartiers qui s'étendaient le long du fleuve, à la hauteur des quartiers Centre-Sud et Hochelaga. Juste pour cette découverte, le livre en vaut la peine.

Maxime Raymond Bock connaît son sujet sur le bout de ses doigts. En plus de raconter une histoire originale, il nous livre des informations sur des métiers, des lieux, et des descriptions si détaillées de vies passées dans des quartiers disparus qu'on dirait qu'il y a lui-même vécu.

Ce qui rend ce livre si remarquable, c'est aussi la finesse des portraits. L'auteur ne nous décrit à peu près pas son personnage physiquement, mais à la fin du livre, on connaît ses bons comme ses mauvais côtés. Bock nous montre d'où vient Morel, et comment ça se poursuivra pour ceux qui le suivront. L'écriture est dense et les quelques dialogues juste à point. Les descriptions sont grandioses et les sentiments exprimés sont si bien amenés qu'ils vous traversent en même temps que les personnages.

Plusieurs critiques font font un lien entre l'histoire de Morel et le présent en retenant le contexte de relocations, d'évictions de à répétition et d'embourgeoisement de la ville. Bien que ces tableaux prennent une place importante dans ce roman, s'attarder sur eux seuls me semble réducteurs. L'événement déterminant de ce livre est le deuil d'un proche. Il faut en effet être embourgeoisé pour ne voir dans ce roman qu'un équivalent à la crise du logement actuelle. Oui, la perte de ses logis et de ses biens pèse à Morel, mais celle des siens lui est encore plus lourde à porter.

Morel contient des portraits de gens peints par des scènes belles ou violentes mais toujours puissantes et très évocatrices: une enfant au visage lové dans le cou de son père dans le métro, l'apprentissage du flirt après un divorce, un voyage en campagne pour des urbains, la toute puissance des compagnies et de l'argent, l'éducation qui sort un enfant de la violence. Morel est constitué de tout ça, d'émotions fortes et de beaucoup de têtes baissées pour parer les coups. Morel est plein de frustrations, de hargne contenue, et d'amours incalculables. L'humain transcende les choses. De la ville, on voit les infrastructures, mais rarement parle-t-on de ses batisseurs. Maxime Raymond Bock le fait ici avec un talent sans pareil.

Un livre sur un tel sujet attirera inévitablement des commentaires politiques. J'ajoute le mieu en avançant que le roman de Maxime Raymond Bock décrit une portion de l'histoire de Montréal avec un procédé qui en déstabilisera plusieurs. On parle ici d'un procédé rendu rare avec le temps, qu'on pourrait qualifier de l'exact contraire du mépris.

Je vois peu d'équivalents à Morel dans tout ce que j'ai lu. J'ai parfois pensé aux Plouffe, de Roger Lemelin, pour la justesse des tableaux d'époque, aux Chroniques du Plateau Mont-Royal, de Michel Tremblay, pour les décors du Montréal d'antan, mais on est ailleurs avec Morel, et c'est pour ça qu'il faut le lire.

Souhaitons d'autres livres de Maxime Raymond Bock. Je conseille celui-ci aux amants de belle littérature, à qui connait ou a déjà entendu parler de la ville de Montréal, à qui l'habite, à qui l'a choisie. Qui que vous soyez là-dedans, vous en ferez, une nouvelle fois, la découverte.