lundi 29 janvier 2018

Borealium Tremens, par Mathieu Villeneuve, éditions La Peuplade

Un homme revient dans son Saguenay-Lac-St-Jean natal pour prendre possession d'un legs: une terre au nord du Lac St-Jean, dans le secteur de la rivière Péribonka. Du Saguenay où ils vivent, il emmène avec lui son frère et sa blonde pour prendre possession de la maison abandonnée des ancêtres et de la terre en friche, voisine d'une tourbière inhospitalière.

Le projet semble ne semble réaliste que pour le principal protagoniste. Tous tentent de le décourager, et les raisons de manquent pas pour le dissuader de réaliser son désir de retour à a terre mais aussi, de l'écriture d'un roman qui raconte... l'aventure d'un mec qui repend la maison et la terre de ses ancêtres malgré les reproches de son entourage. Bon. Vous voyez un roman dans le roman? Pas exactement. Quoi que...

Le nouveau propriétaire va donc contre vents et marées, un passé de désordres psychologiques, des rumeurs de malédiction familiale et l'opprobre du voisinage ayant des vues sur la propriété des lieux. Il se bât contre tous, et c'est dur. Malgré leur désapprobation, son frère et sa blonde, une amie d'enfance, se mettent à l'ouvrage avec lui. Mais voilà qu'au fil du temps, l'initiateur du projet ne fait rien pour s'aider en buvant immodérément. Mais il s'obstine, malgré les messages peu encourageants de témoins du passé des lieux qu'il tente de reconquérir. Puis d'autres personnages s'ajoutent, issus du passé.

Passé et présent font bon ménage dans la langue de Mathieu Villeneuve. Excellent conteur, fin observateur, sa description des lieux et de toute la région vaut n'importe quelle brochure socio-touristique du coin. On ressent facilement les vents de canicule et ceux d'hiver, les odeurs de terre et d'humidité, la poussière, les sons des oiseaux et de la scierie voisine, tellement qu'on en redemande. Certains auteurs sont parfois si forts dans la mise en scène qu'il ne leur suffit que d'une histoire simple à travers ça pour réussir un grand livre. Dans Borealium Tremens, à travers ces superbes descriptions, se déploie une histoire qui, elle, laisse un peu perplexe. Comme leur environnement, les personnages sont durs et intenses. Très intenses, S'il s'agissait d'un film, on croirait que les acteurs sur-jouent. Plus l'histoire avance, plus l'intrigue s'enfonce, comme les personnages, dans une atmosphère de fin du monde, ou de fin d'un monde, jusqu'à ce que commence la fin, qui durera tout le dernier tiers du livre. On se retrouve vite dans un genre proche de la symphonie heavy metal, videoclip à l'appui, où canicules, feux et inondations se succèdent.

Magnifiquement écrit, ce livre contient plusieurs belles idées qui donnent ses lettres de noblesse au Nord inhospitalier où il se déroule. Côté scénario toutefois, on assiste à un difficile mélange de genres, surtout vers la fin du livre. Pas inintéressante, la jonction de la réalité du personnage avec ses rêves avait effectivement un potentiel. On a déjà vu ça, un roman dans un roman, et c'est toujours périlleux. On dirait que l'auteur l'a compris, et c'est pourquoi il s'y adonne seulement en fin de livre. Le résultat m'a laissé dubitatif, mais je suis convaincu qu'il plaira à plusieurs. Intense, mais pas saugrenu, ce Borealium Tremens est ce que d'aucuns appelleront un "ovni littéraire" qui, même s'il ne semble pas tout à fait au point, nous fait nous demander avec envie ce que Mathieu Villeneuve écrira encore.

Vivement une autre histoire dans un lieu hors du commun, mais avec un dénouement un peu moins... un peu plus... enfin, vous voyez?

lundi 15 janvier 2018

L'habitude des bêtes, par Lise Tremblay, éditions Boréal

C'est mon troisième roman de Lise Tremblay et ce ne sera pas le dernier. La lire, c'est comme de se faire faire dire "Ça va bien aller" par une personne qu'on aime après une crise d'angoisse. C'est ainsi que je me sens depuis que j'ai terminé son livre et j'en voudrais encore.

Saguenéenne, Lise Tremblay est une des plus scandinaves des auteurs québécois. Son écriture est épurée, calme, un peu froide et elle va doit au coeur. Ses personnages ont toutes ces qualités sauf une: ils ne sont pas calmes, enfin pour la plupart. Tous vivent leurs angoisses à l'orée d'un parc, dans une petite communauté aux contreforts d'un village où le rythme suit celui de la forêt qui l'entoure. Gens simples, leurs préoccupations proviennent de leurs interactions avec leurs proches. Qu'est-ce qu'un tel pensera de ça? Que dira un autre si je fais ça?, etc. Or, de telles préoccupations peuvent devenir des obsessions lorsque que rien ni personne n'est là pour pour aider à relativiser ce qui vous semble une montagne. Votre idée fixe, qui parait bien mince pour les autres, surtout ceux qui ne vivent pas les mêmes préoccupations que vous, devient bientôt une mur qui semble infranchissable. C'est ce que vivra un des personnages de ce livre d'une auteure qui connaît bien les gens dont elle parle.

Les bêtes, et donc, la chasse, remuent les habitudes tranquilles des habitants du village, aujourd'hui comme avant. C'est un dentiste à la retraite qui raconte cette histoire. Il est venu de Montréal s'établir au Saguenay justement en raison de son amour de la saison de chasse, qui, avec le temps, s'est muée en un besoin de refuge dans son chalet devenu résidence principale, où il vit avec son chien. Ses voisins deviennent peu à peu ses proches alors que sa famille, son ex-femme et sa fille, eux, s'éloignent.

De ces personnages, deux verront venir la mort, ce qui inclut son chien, et une autre vivra une nouvelle vie. Le narrateur vivra ces débuts et ce recommencement entouré de ces gens simples dont les interactions font penser à celles d'une meute de loups, pas dans le sens du méchant loup, mais dans celui de l'animal sauvage dont le seul but est de vivre, et bien souvent, de survivre.

Lise Tremblay écrit comme certains savent qu'ils attireront l'attention en parlant bas plutôt qu'en élevant la voix. Sage, droit et sensible, son style me saisit à chaque fois. Loin des actions enlevantes, elle sait fait ressortir la splendeur de la lenteur, la profondeur des décors les plus simples, et les plus belles sensibilités des gens les plus renfrognés. Avec le Saguenay comme décor, on se dépayse dans un rythme de vie qu'on craint et qu'on envie en même temps grâce à l'immense talent de cette auteure de plus en plus incontournable.

jeudi 11 janvier 2018

La bête à sa mère, par David Goudreault, éditions Stanké

C'est l'histoire de la personne que vous avez le plus détestée depuis que vous êtes en âge de rencontrer des gens. Vous l'avez peut-être croisé deux minutes, une partie d'une journée, ou dans le contexte du travail, allez savoir. C'est un personnage absolument détestable: pas beau, négligé, arrogant, il vous donnera l'impression de tout savoir. Si vous êtes une femme, il vous draguera assez salement. Nerveux, il vous donnera une impression de "ne pas être très clair". Si on vous en parle, c'est inévitablement en mal. Personne n'en veut.

C'est ce personnage qui se raconte dans la Bête à sa mère. Il se décrit, vous raconte sa vie et vous dit ce qu'il en pense, de sa vie, des gens, de vous, et ce n'est absolument pas banal.

Outre ses frasques de larcins en tous genres, de fuites et de petites violences ordinaires, on découvre, et c'est là où réside le principal tour de force, ce que le bonhomme a en tête. À force de le connaître, on en vient à constater que le garçon, bien qu'il agisse comme tel, n'est pas totalement con. Curieux, il emmagasine l'information comme peut-être un geek aurait pu le faire dans un contexte de développement normal. En fait, on constate que le gars aurait pu avoir du talent, qu'il lit, qu'il sait reconnaître quelqu'un qui ne sait pas écrire et qu'il est, finalement, un talent gaspillé.

En fait, ce livre se joue dans les premières pages, où le personnage raconte son enfance, qu'il a passé de famille d'accueil en famille d'accueil dès l'âge de cinq ans. Le garçon s'est fait tout seul, selon ses principes et ses interprétations à lui, et ça donne ce que ça donne: un être en mode survie qui n'a aucun respect pour rien mais qui sait se débrouiller, et ce, à tout prix.

Goudreault est un travailleur social. Ça se voit. On imagine facilement que son personnage regroupe un peu de plusieurs des gens qu'il a côtoyé. C'est sans doute dans cette expérience de rencontres qu'il a puisé les deux traits particuliers du personnage de son livre qui feront le titre: les bêtes, la mère. Il fait d'abord une habile démonstration qu'il est toujours satisfaisant de s'attaquer à plus petit que soi, d'où la relation singulière de son personnage avec les animaux de compagnie. Tantôt tenté de les dominer, tantôt exaspéré par l'attention qu'ils reçoivent, une attention que lui n'a jamais reçu, il en fera ses boucs émissaires, et ils prendront une certaine place dans sa vie à un moment donné. Par le fait même, l'auteur en fera aussi autant de miroirs dans lesquels on voit son personnage, sauvage, mal élevé mais aussi et surtout, abandonné. Parce que sa grande quête, c'est aussi de retrouver sa mère. Cette obsession le mènera au plus bas et lui donnera aussi une raison de vivre.

La Bête à sa mère, c'est Tarzan réinventé. David Goudreault y fait la magistrale démonstration de ce qu'un humain laissé seul face à lui-même peut devenir dans un monde qui, quel qu'il soit, sera toujours pour lui une véritable jungle, où la seule chose à faire, et ce coûte que coûte, c'est de survivre. Et tout ça, il faut le souligner, n'est pas vulgaire. On pourrait s'y attendre, avec un tel personnage. Mais non. C'est cru comme histoire, oui, mais la narration ne s'embourbe pas dans les sacres et les disgrâces verbales. Pas besoin. Les aventures du pauvre gars parlent par elles mêmes. La forme (l'écriture) n'a rien de spectaculaire mais le fond (l'histoire) est magistrale.

Amoureux d'histoires d'amour, d'amitiés fleuries et de licornes s'abstenir. Amateur de réalité augmentée, vous serez gâtés. On parle ici, d'un nouveau grand auteur.

lundi 8 janvier 2018

Le sous-majordome, par Patrick Dewitt, éditions Alto

L'auteur des Frères Sisters revient nous confirmer que ça spécialité, c'est l'ambiance étrange. Très théâtral, ce Sous-majordome mélange des dialogues à la Beckett dans un décor à la Kafka avec une histoire à la Lewis Caroll.

On parle ici d'une histoire très dense. C'est qu'il s'en passera des choses dans la vie du petit Lucien, parti assez jeune de son village pour aller travailler au château d'un riche baron, dans un autre village assez éloigné pour qu'il lui faille s'y rendre en train. On est fixés dès les premières pages sur le type de personnages qu'on y rencontrera. Comme une Alice dans un pays pas vraiment merveilleux mais vraiment étrange, Lucien nous semblera bien souvent le seul être "normal". Sa mère, même, craint un peu, et contribue à faire débuter le livre sur les chapeaux de roue. Puis, vient le voyage en train, avec d'autres personnages, et suivent les rencontres du majordome, du baron, de villageois et de bien d'autres êtres étranges.

Les descriptions des endroits et des gens m'ont souvent ramené aux ambiances de films aux personnages bédéèsques, comme le Delicatessen de Caro et Jeunet, par exemple. Ces personnages sont forts même dans leur modestie. Tranchants, sans fioritures, chacun a d'abord l'air destiné à ne jouer qu'un seul rôle, le sien, dans sa propre bulle, sans trop d'empathie pour les autres. Pourtant, à force de rencontres, l'empathie et même l'amour feront surface pour Lucien. Le roman en devient alors un d'apprentissage, non seulement des choses de l'amour, mais aussi de la vie, du sens qu'elle peut avoir pour chacun, et dieu sait que le manque de sens est justement ce qui en marque plusieurs...

Le Sous-majordome est truffé de scènes délirantes en des lieux vraiment très singuliers. Le château à lui seul vaut son pesant d'or, mais aussi un autre endroit, situé dans la campagne environnante, où se passeront d'autres scènes autour desquelles tournera tout le livre. Souvent étourdissant parce que bouillonnant de rebondissements, on sort de ce livre en se disant qu'il aurait pu en constituer 2 ou 3 tellement l'histoire ou le caractère de chaque personnage est riche.

Ce livre contient toutefois un important bémol puisque plusieurs de ses pages, particulièrement vers la fin, contiennent de grossières erreurs d'éditions. Mots dédoublés, manquants ou phrases carrément illisibles laissent parfois supposer une révision mal faite ou une date de tombée un peu exigeante pour le traducteur ou le réviseur. Ceci n'empêche pas la lecture du livre, mais l'évidence de ces erreurs laissent un peu perplexe. En espérant que l'éditeur n'ait pas simplement décidé de laisser passer, que ce n'était pas si grave. Oui, ce l'est. Et c'est dommage aussi, car il s'agit ici d'un excellent texte qu'on a un peu barbouillé.

Reste que le Sous-majordome confirme le talent de Patrick Dewitt, qui est en train de faire sa marque avec un style unique. On en veut encore des comme ça... mais bien traduit, et révisé!

mercredi 3 janvier 2018

Les producteurs, par Antoine Bello, éditions Gallimard

C'est une société dont les membres, disséminés à travers le monde, contribuent à élaborer des fausses nouvelles qui, une fois lancées dans l'actualité, contribueront à rendre le monde meilleur. Troisième d'une série de trois, cet ouvrage a tout un côté visionnaire. Campé dans l'actualité des dernières années (mais attention, pas de la dernière année, les amateurs de Trump seront déçus...), cette histoire intelligente a tout pour faire réfléchir.

On y suit le personnage principal dans l'évolution de certains "dossiers" de l'organisation, dont il devient un des dirigeants. Il y est entre autres question de la montée et de la chute de Sarah Palin comme candidate à la vice-présidence américaine, de la marée noire du Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique et d'autres récits inventés et couverts par les médias, dont un en particulier, dont l'ambition est particulièrement remarquable.

Ces "faiseurs d'histoires" utilisent les médias sociaux et traditionnels pour faire circuler leurs scénarios, dont ils contrôlent l'interprétation. L'idée est fascinante. On a là, en fait, des genres de nouveaux super-héros, mais geeks et discrets plutôt que musclés et ostentatoires. Fouillé parce que bien documentée, l'histoire des Producteurs est presque trop belle pour arriver... et c'est ce qui m'est entré en tête, sans ne plus en sortir, à partir de la réalisation du scénario final, qui deviendra l'aboutissement de la trilogie. Dommage, mais pourtant...

Et pourtant, ça plait. Les trois livres d'Antoine Bello sont traduits en plusieurs langues. Écrits sobrement, ils contiennent juste assez d'intrigues amoureuses pour ajouter le sucre nécessaire à un produit à succès. Pas que ce soit trop, non, mais il y a là comme un passage obligé où les deux personnages principaux, un homme et une femme, en viennent à se flirter. Pour ma part, c'est décevant parce que trop prévisible, ce qui n'est pourtant pas le cas du reste de l'intrigue.

Rédigé à la manière d'un scénario de film, Les Producteurs contient plusieurs dialogues, souvent savoureux, avec de belles pointes d'ironie. En fait, l'invention même de cette histoire constitue en elle-même une fameuse ironie sur notre monde de communications, de détournement d'opinions, et d'opinions tout court. Big Brother n'est pas loin, mais dans ce cas-ci, il a le beau rôle.

Un bon divertissement, truffé de bonnes occasions de réfléchir sur la place qu'occupent les médias dans notre vie.