mardi 22 juin 2021

Fin de combat, par Karl Ove Knausgaard, éditions Denoël

Rarement le titre d'un livre aura aussi bien convenu à l'auteur qu'à ses lecteurs. En tout cas, en tant que lecteur, en tournant la dernière page, c'est à dire la 1405e de ce sixième tôme de Mon combat, je me suis dit quelque chose comme "ouf, j'ai réussi". Et pourtant, pas tout à fait. J'ai dû sauter entre 300 et 400 pages. Ben voyons...

Mais pourtant, dès les 300-400 premières pages, j'étais encore happé par la machine Knausgaard alors qu'il raconte que le premier livre de cette série va bientôt sortir et qu'il l'a fait lire à toutes les personnes qui y sont mentionnées: frère, mère, famille, conjointe, amis, etc. Et voilà qu'un de ses oncles ne le prend pas,mais pas du tout. Karl Ove angoisse, se demande pourquoi il a écrit ça, se questionne, se torture, s'explique, se justifie... puis, de ma culpas en auto-justifications, le roman se transforme en essai. Bienvenue dans un livre où l'éditeur a dit à son auteur: "tu fais ce que tu veux".

Bon, c'est rare qu'un roman devienne un essai pour redevenir un roman à la fin. C'est probablement tout aussi rare qu'un lecteur soit prêt à assumer ce deux pour un. Généralement, lorsqu'on se choisit un essai, c'est que le sujet nous intéresse ou nous attire. Ici, c'est l'auteur qui nous l'impose. C'est audacieux, mais risqué.

Au début de son essai, Knausgaard part du débat réalité vs fiction. Bon ok, mais pour expliquer sa théorie, il se (re?)transforme en critique littéraire en commentant un poème écrit il y a quelques décennies qui, à son avis, résume bien ses propos.

J'ai bien essayé, mais voilà. J'ai flanché. J'en pouvais plus. C'était rasant, barbant, plate. Alors j'ai avancé les pages, cherchant le changement de sujet, ce qui finit bien par arriver alors que cette fois, il nous raconte un épisode de la vie d'Adolf Hitler à travers un livre écrit par un gars l'ayant connu (Hitler, pas Knausgaard) entre 16 et 18 ans. Ma foi, c'est intéressant, et on reconnaît bien là notre Karl Ove qui réussit encore à nous faire lire quelque chose qu'on aurait bien pu se jurer de ne jamais parcourir des yeux. C'est provoquant, mais divertissant. On apprend la genèse du personnage, la fameuse période où Hitler a été refusé à l'école des Beaux-Arts de Vienne, tout ça vu à travers le regard d'un autre... et les explications de Knausgaard.

Puis on repart dans une autre direction sur le "je" dans la littérature, le "moi", le "soi" le "tout ce qui, au bout de 4 ou 5 pages, m'en a fait sauter une bonne centaine d'autres". Autre légère nausée.

Et puis on revient à notre époque, avec les trois enfants et le couple. Karl Ove écrit son 3e ou 4e tôme, ça va, ça va pas, on l'aime, on le déteste, et aussi, et surtout, il redevient ce qu'il était pour nous: un chroniqueur de sa vie. La fin du livre, c'est à dire les 300 dernières pages, environ, est hallucinante puisqu'il y raconte, avec une acuité et une précision remplie de malaises les phases de bipolarité vécues par sa conjointe.

On se sent bizarre en sortant du 6e tôme de plus de 1400 pages de Mon combat. C'est un sentiment aussi inclassable que cette oeuvre, quelque chose qu'on est content d'avoir vécu, ou lu, mais qu'on ne recommencerait pas.

Bravo, Karl Ove Knaussgard. Fallait le faire.

jeudi 3 juin 2021

La patience du lichen, par Noémie Pomerleau-Cloutier, éditions La Peuplade Poésie

Jusqu'ici, mes choix en matière de poésie sont excellents. Soit j'ai la main heureuse, soit je suis un (nouveau) fervent lecteur de poésie. Un troisième confirmera peut-être tout ça, mais ce deuxième a eu tout pour me plaire.
D'abord, La patience du lichen est un fabuleux guide de voyage. On y suit l'autrice au fil d'une traversée des communautés de la Basse-Côte-Nord, entre Kegaska et Blanc-Sablon. Chaque chapître a le titre d'un village et presque chaque page contient le portrait d'une personne rencontrée. Noémie Pomerleau-Cloutier raconte en effet avec une sobriété de mots son périple à travers les histoires que les habitants du lieu lui ont raconté.

Le tour de force de ce livre réside d'abord dans ce peu de mots. On est stupéfaits que d'une quizaine de courtes phrases, environ, qui sont autant le strophes de quelques mors seulement on puisse se faire le portrait d'une personne, d'un épisode antérieur de sa vie et de sa situation actuelle. Les bons mots mènent directement aux bonnes émotions, tellement qu'on se demande presque, en terminant le livre, si on ne vient pas de terminer un livre d'images.

Doux, calme, sans aucune prétention, ce recueil se lit page après page ou, pour les plus avides, un chapitre (ou village) après l'autre. C'est fou de constater combien un recueil de poèmes vous impose un rythme. Au début, on trébuche un peu justement parce qu'on n'a pas encore trouvé ce fameux rythme mais une fois qu'on y est, on s'étonne de constater combien chaque mot, chaque strophe est clair. Et c'est d'autant plus étonnant que des portions de texte sont écrites en anglais et en innu.

Pour ce livre, en tout cas, pas de questionnements exisentiels, pour ma part en tout cas. Je veux dire par là que jamais je ne me suis demandé ce que l'autrice voulait dire. À la fin de chaque page, on a une idée limpide, un portrait juste. Du bonheur de retrouver sa terre à la tristesse de voir les autres partir, en passant par la nostalgie ou le le simple fait de vivre le moment présent, chaque portrait, chaque situation nous ramène à une émotion connue. C'est une écriture très sensible et franche.



Vivement recommandé pour tout lecteur féru de poésie ou novice en la matièere, j'ajouterais comme public cible toute personne désireuse de faire connaître son coin de pays par l'entremise d'une chroniqueuse poète. Quelle façon originale et franchement efficace de donner l'envie de parcourir un territoire. Décideurs, proposez à Noémie Pomerleau-Cloutier un périple dans votre arrière-pays. En tout cas, pour ma part, j'irais bien passé quelques jours, voir quelques semaines en Basse Côte-Nord... en lisant de la poésie.

Quelle belle réussite!