lundi 29 février 2016

Chemin Saint-Paul, de Lise Tremblay, éditions Boréal

L'auteure raconte les fins de vie de ses deux parents. Personnages différents qui n'ont pas vécu leur vie de la même façon bien qu'ils l'aient vécus ensemble, chacun a donné ce qu'il avait à ses enfants.

Que nous reste-t-il de ce que nos parents nous ont donné? C'est une question qu'on se pose à différents moments de notre vie. Ici, Lise Tremblay fait ce bilan au moment du décès de son père. Récit très personnel, il touche non seulement par son propos, mais aussi par sa forme.

C'est le deuxième livre de Lise Tremblay que je lis, et cette fois encore, je m'étonne de son écriture droite, dans le sens de "droit au but". Ici, peu de poésie ou d'envolées, mais une écriture pragmatique et simple qui, me semble-t-il, ajoute à la proximité qu'on peut imaginer avoir avec l'auteure. On croirait entendre quelqu'un assis derrière nous dans le bus au restaurant, en train de raconter une anecdote récemment vécue.

Et au même titre que ses parents qui l'ont faite, Lise Tremblay raconte, dans un livre pourtant court, des épisodes de la vie de ses parents qui les ont faits, eux aussi, chacun de leur côté. Ces histoires nous donnent à penser sur l'hérédité et nous font nous demander jusqu'à quel point nous ne sommes pas aussi le produit de notre environnement. C'est enfin un portrait de la vieillesse qu'une certaine pudeur, à moins qu'il ne s'agisse de rectitude politique (ou sociale, on voit ça comme on veut...) nous empêche souvent de regarder en face. Meurt-on comme on a vécu? Si oui, ça voudrait dire quoi?

Enfin, Chemin Saint-Paul contient aussi des pans de l'histoire québécoise, de l'histoire populaire, en fait, celle qui s'est vécue dans l'ombre mais qui, même si elle n'a pas fait de bruit, a quand même contribué à faire de ce peuple ce qu'il est devenu.

Un rare récit très personnel qui ne tombe pas dans l'introspection ennuyeuse, et dont certains passages sauront toucher tout le monde.

mardi 9 février 2016

10:04, de Ben Lerner, éditions McClelland & Stewart

Se raconter, c'est tout un art. Combien s'y essaient avec des résultats décevants parce qu'ennuyants, décalés, égocentriques, ou carrément inutiles. Aussi, lorsque ça réussit, ça cartonne. C'est ce qui est récemment arrivé avec le Norvégien Knaussgard. Me voici, avec Ben Lerner, face à ce qui ressemble le plus à ça.

Il est toujours assez stupéfiant de se surprendre soi-même à aimer un livre qui nous apparait à mille lieux de ce qu'on a l'habitude d'aimer. Et pourtant, si on aime un livre comme 10:04, c'est qu'on aime se faire raconter des choses. Et quelles choses? Qu'importe. Du moment que c'est bien raconté.

Le narrateur de ce livre habite New-York. L'inverse est aussi vrai: New-York l'habite. Célibataire dans la trentaine, il passe le plus clair de son temps avec sa meilleure amie qui, pour une raison que je ne vous dirai pas, décide qu'elle veut un enfant de lui, mais par fécondation in vitro. En même temps, le mec en question, enseignant et écrivain ayant connu un certain succès avec sa dernière parution, a une petite amie qu'il voit de temps en temps, une fille du milieu des arts, vaporeuse, distante mais présente en même temps.

Le narrateur fréquente aussi aussi des amis du milieu littéraire. Bref, ça fait beaucoup de monde, mais toujours, avec le personnage principal. Et tout ce beau monde est new-yorkais, mais alors là vraiment, et on a des opinions sur tous et sur tout, et on se pose des questions sur soi, un peu sur les autres aussi, mais surtout sur soi.

Bien sur, on pense à Woody Allen, parce que ça sent souvent la névrose, le "trop de ci" ou le "pas assez de ça". Puis surviennent, ici et là, des histoires racontées par d'autres qui, on le constatera, feront partie d'un livre que le narrateur est en train d'écrire, à moins que ce ne soit le contraire?

Lorsqu'on lit un peu sur Ben Lerner, on ose croire que sa vie ressemble à celle du personnage de ce livre. Aussi est-on souvent en train de se demander si ce qu'on lit est "vrai" ou " raconté". Rempli de scènes de la vie quotidienne, 10:04 captive par sa linéarité, comme si notre regard était happé par quelqu'un qui passe dans la rue, ou par un voisin, dans le métro, et qu'on le fixait involontairement, hypnotisé par quelque chose qu'on ignore. Ce type d'écriture m'attire irrésistiblement. On dirait un hyper-réalisme qui dépasse le journal écrit ou le carnet de voyage. Un tel livre transforme le lecteur en voyeur et c'est cette transformation qui me fascine.

Certaines scènes de 10:04 se passent lors des ouragans qui ont récemment passé par New-York, inondant quelques zones. Je dois dire que j'ai souvent ri pendant ces scènes et d'autres aussi, comme celle où le gars doit aller faire un don de sperme pour la fécondation à venir. Et c'est sans compter d'autres scènes très touchantes, dont certaines, brillantes, où la présence d'un enfant contaminé par les névroses des grands qui l'entourent nous donnent à penser sur beaucoup de choses.

Paru en 2014 dans sa langue d'origine, 10:04 n'est pas traduit en français. Seul son roman précédent, Au départ d'Atocha (que je n'ai pas lu), l'est. Bien qu'un peu docte par endroits, l'écriture de Lerner est très abordable et le style atypique de cet auteur américain mérite qu'on le lise dans sa langue d'origine. Très Américain, mais pas comme les Américains. Si ça vous titille, laissez-vous tenter!

dimanche 7 février 2016

Il était une ville, par Thomas B. Reverdy, éditions Flammarion

S'il est une ville qui mérite d'être racontée à notre époque, c'est bien Détroit, qui constitue le décor, tout à fait glauque et déglingué, de ce roman.

Le personnage principal est un Français qui y est parachuté par son entreprise pour y coordonner le début d'un projet industriel. C'est louche, puisqu'on est à la veille de la crise de 2008. C'est ce que le mec constate, lui qui revient tout juste d'un projet dont on l'a retiré en Chine, parce que ça n'allait pas. Mais il s'installe dans sa nouvelle ville et nous la fait découvrir avec son oeil d'expatrié. C'est déjà fort intéressant, mais avec quelques "mais". J'y reviendrai.

En parallèle, on a l'histoire d'une petite gang de jeunes d'un quartier de la ville, à peine sortis de l'enfance. Familles non-traditionnelles, milieux défavorisés, ils trainent dans les rues et s'amusent bien en profitant du vide ambiant, jusqu'à ce qu'un événement les pousse à fuguer dans un endroit vraiment particulier. Traitée avec beaucoup de finesse, cette partie du livre se distingue par une sensibilité particulière, un regard différent et très touchant sur l'enfance.

Puis apparaît un policier, victime, administrativement parlant, de ce qui arrive à sa ville. Celui-là amènera au livre, déjà étonnant pour le tableau qu'il nous dresse d'une ville d'une ville en déclin, une enquête policière qui ajoute une couche de noir supplémentaire à un livre aux couleurs déjà pas mal foncées.

Il était une ville n'est pas pour autant un livre noir, mais gris avec, en son centre, une pointe de lumière amenée par une aventure que vivra le personnage principal. L'utilisation de Détroit et de ses quartiers qui s'écroulent aurait pu tomber dans le cliché, mais son utilisation, sauf exception, nous porte plutôt à réfléchir sur une échelle plus grand que celle de la seule ville de Détroit. Et si c'était plus qu'une ville qui était en train de s'écrouler? C'est en tout cas ce qu'on se dit en terminant ce livre, qui se termine pourtant sur une constatation porteuse: et malgré tout ça, la vie continue. Reverdy écrit bien et amène parfois des réflexions très justes à travers les yeux de ses personnages. Son livre est celui d'un observateur attentif et sans aucun doute fasciné par ce qu'il se passe là. C'est aussi le regard d'un Européen sur un pan récent de l'histoire d'un côté du monde qui est de moins en moins Nouveau... et c'est là où apparaissent quelques bémols.
Attention, mes petits reproches ne seront sans doute appuyés que par les lecteurs vivant, comme moi, du même côté du monde que la ville de Détroit. Re-attention: petite alerte "ah-les-grands-espaces-recouverts-de-neige". Vous me voyez venir? L'oeil européen sur l'Amérique, surtout celui de qui s'en éprend, comporte toujours les mêmes bons vieux clichés. Et si l'auteur se laisse emporter plus ou moins naïvement, ça peut exaspérer un peu le lecteur nord-américain. Ainsi une scène ou le personnage principal traverse la frontière et va au Canada pour s'acheter un manteau chaud dans une boutique "spécialisée dans les expéditions polaires et la chasse à l'ours". On parle ici de Windsor, Ontario... Bon. Pour les Européens, si je voulais faire image, je dirais que c'est comme si un visiteur, arrivant en France par l'Espagne, cherchait à se procurer un ticket pour visiter la tour Eiffel dans un bar tabac de Perpignan. C'est foncièrement possible, mais extrêmement peu probable qu'il en trouve un, vous trouvez pas?

Puis cette scène, qui reviendra parfois, où les enfants jouent dans un champ un peu à l'écart de la ville, à être des... cowboys et des indiens. Or, on est quelque part autour de 2008. Oui, bon, il est possible que de petits Américains jouent encore aux cowboys et aux indiens et se prennent pour des Sioux (encore les Sioux, toujours les Sioux...), mais qu'on me permette de supposer qu'il sont vraiment, mais alors là vraiment très peu nombreux. Mais bon...

Outre ça, ce livre est très fort, très sensible aussi, mais aussi très dur, et ce surtout dans une scène, en fait dans la seule scène vraiment très dure, très violente, à la limite du supportable, qui, par son unicité, contribue à faire de ce livre un objet franchement étonnant.

Pour un regard nouveau sur notre époque et une écriture droite et sensible... et un beau voyage dans l'Amérique profonde: recommandé.