mardi 13 mars 2018

Le séducteur, par Jan Kjaerstad, éditions Monsieur Toussaint Louverture

Le titre vous fait peut-être penser à quelque chose de vaguement sentimental ou de macho, alors que la page couverture pourrait vous faire vous imaginer un ouvrage léger ou gentil. Ce sont des leurres. Le séducteur de Jan Kjaerstad est un roman geek, extraverti et ambitieux.

Geek

Dans cette véritable histoire le la Norvège moderne, l'auteur raconte l'histoire d'un personnage né dans les années 50, jusqu'aux années 90. Réalisateur de documentaires sur de grands personnages norvégiens, ce personnage et ses sujets deviennent prétexte à une grande rétrospective de l'histoire de ce pays modeste, mais ô combien singulier. Tout amateur du genre ne pourra qu'être complètement happé. C'est complet, documenté et fort bien raconté. J'avais parfois l'impression de lire Mathieu Enard avec ses mille et une références historiques et musicales. J'ai souvent googlé en lisant le Séducteur, et j'y ai fait de belles découvertes.

Extraverti

À travers son personnage, Kjaerstad raconte donc son pays. Avec l'un, il dépeint l'autre, et par de savants tableaux, l'un devient victime et tributaire de l'autre. Cette façon de raconter un peuple est extrêmement originale, et on imagine facilement qu'elle aura su déranger un public cible, qu'on imagine norvégien, qu'on perçoit comme originellement modeste, réservé et peu enclin à l'auto-congratulation. (Tiens, ça me rappelle un autre petit peuple du même genre mais sur un autre continent, ça.). Parce que ce personnage de réalisateur décide de montrer des visages de l'histoire de son peuple à travers des documentaires grandioses qui brassent la cage et suscitent un immense intérêt. Or, tel n'était pas le cas jusque là, en Norvège, pays du grand fleuve tranquille, qui commençait tout juste à s'éveiller, depuis quelques décennies. Le peuple, comme l'homme, réalise que toute une planète grouille autour de lui, et c'est la grande ouverture. La Norvège s'ouvre sur le monde, notre bonhomme découvre le sien, fait des liens, constate et comprend ce qui l'entoure. Il sort, va à la rencontre des autres, bref, il dérange un peu. Le peuple, comme l'homme, brasse, bouge, et tous n'avancent pas à la même vitesse. Bref, cette histoire est fortement extravertie par rapport à son contexte, et pour cette seule constatation, ça en fait, là encore, un objet très original.

Ambitieux

L'histoire du personnage au coeur de ce roman est vaste. Il ne s'agit pas d'un roman d'action, plein de poursuites et de rebondissements, mais d'un portrait en milliers de détails, avec toutes les palettes de couleur qu'on puisse imaginer. Le narrateur du livre est un personnage inconnu, un espèce d'observateur neutre qui dit vouloir raconter l'homme en question pour qu'on le réhabilite, parce que, il faut le dire, le livre commence par la découverte du corps inanimé de sa femme dans sa maison au retour d'un voyage d'affaires. Ce qui ressemble donc à une intrigue au le départ se transforme plutôt en un genre d'encyclopédie où l'on va d'une époque à l'autre, d'un personnage à un autre, d'incise en incise, pour revenir à ce qu'on racontait 30 pages plus loin, et ainsi de suite.

Disons-le, c'est parfois difficile à suivre. Cet hommage à l'imagination stimule énormément la nôtre avec des personnages tantôt hyper forts et colorés, ou tantôt beiges et un peu inutiles. N'en demeure pas moins que l'exigence de certains passages vaut le coup. On fait, quelques pages plus loin, des trouvailles où art, sexualité et tolérance prennent une grande place, et c'est fort bien raconté.

Un livre actuel et vintage en même temps, qui vante le plaisir de découvrir, d'être curieux et d'éviter le repli sur soi, avec beaucoup de mots, mais une ambition noble. Plusieurs adoreront le Séducteur.