mardi 26 avril 2022

Enlève la nuit, par Monique Proulx, éditions Boréal

Je suis sous le choc, une impression exquise. Je viens de ressentir la même émotion qu’à la fin de Chercher Sam de Sophie Bienvenu, ou de Morel, de Maxime Raymond Bock, cette forte émotion des grands livres qui non seulement vous touchent, mais vous prennent dans leurs bras.

Et pourtant je n’avais jamais lu Monique Proulx. Allez savoir pourquoi.

Son personnage a quitté sa communauté repliée sur elle-même, mais aussi sa mère, qu’il sait chagrine depuis son départ. Malgré des débuts difficiles dans ce nouveau monde, un événement le pousse à persévérer, découvrir les gens, leur langue. Avec lui, Monique Proulx utilise la naïveté d’une façon complètement différente de tout ce que vous vous en faites comme idée. Son Markus arrive intact, ouvert, sans jugement, et il s’intéressera à qui s’intéresse à lui. Il regarde le monde d’un angle qu’on oublie trop mais qui existe, celui de la volonté et du désir. Avec lui, on redécouvre Montréal, mais aussi la langue qu’il apprend avec ardeur, et l’amour, dont il découvre plusieurs côtés. Naïf, oui, mais pas passif. Pas pur non plus, mais prêt à tout. Enlève la nuit est un regard original sur ce que nous sommes devenus comme société.

Les aventures de Markus nous touchent, mais surtout, son regard sur le monde est à nul autre pareil. Quel exploit que de parler de bonnes intentions sans nous faire la morale. Chaque mot est choisi. On sourit de contentement surtout lorsqu’il est question de l’apprentissage de la langue. Proulx joue admirablement avec les mots, les expressions. Le coeur nous serre et à la fin du livre, puisqu'on est triste de quitter un ami, pour qui rien ne sera facile, mais qui saura toujours se faire aimer. Même 24 heures plus tard,je pense encore aux derniers mots du livre et j'ai la gorge qui se serre. Markus est un grand personnage.

C’est le genre de livre qui vous laisse une impression de couverture qu’une personne aimée remonte jusqu’à votre menton en vous disant de ne pas vous en faire. C’est au-delà du galvaudé « réconfortant ». C’est carrément un beau cas de confiance,un belle incarnation de l'espoir, bref, c'est presqu’un remède.

Enlève la nuit est un grand livre.

dimanche 17 avril 2022

Mononk Jules, par Jocelyn Sioui, éditions Hannenorak

L'auteur raconte la vie de son grand-oncle, un activiste autochtone dont la vie publique s'est surtout déroulée des années 40 aux années 60. Original, percutant, rassembleur, contesté mais inconnu, l'homme a été un "personnage". La découverte de sa vie en archives s'est avérée une mine d'or pour Jocelyn, le petit-neveu créatif et inspiré de Jules Sioui. Outre le personnage, ce portrait nous révèle une époque, mais surtout un pan trop méconnu de l'histoire des premières nations canadiennes. Récit, essai, documentaire: on peut classer Mononk Jules partout. On en ressort fasciné, fort de nouvelles connaissances mais aussi, et surtout, abasourdi par une finale qu'on n'avait pas vue venir qui est amenée très habilement par Jocelyn Sioui.

Pourtant, réaliser un tel portrait ne devait pas paraître évident. Sans avoir travaillé dans l'ombre, Jules a fait en sorte que ses actions soient vite oubliées, même si, de son vivant, elles ont eu une portée importante.

On constate rapidement qu'à travers les initiatives politiques eet sociales menées par Jules, Jocelyn a découvert un peuple, enfin..., DES peuples, leur situation, mais aussi, et surtout, leur silence. Ce qu'on découvre, si l'on s'intéresse un tant soit peu à l'histoire des premières nations de ce pays, c'est le silence, voir l'indifférence dans lesquels ils sont tombés dans les dernières années. Avec Mononk Jules, Jocelyn Sioui explique très efficacement comment est venu ce slience et comment on l'a entretenu. Jules a brassé la cabane et les moyens utilisés pour le faire taire valent à eux seuls le livre. On en apprend beaucoup sur les rapports dominant/dominés qui ont façonné cette partie du monde.
Jocelyn Sioui écrit sur un ton sympathique. D'entrée de jeu, il nous avertit qu'il en est à ses premières armes dans l'écriture d'un tel ouvrage, ce qui a pour effet de nous faire embarquer avec lui dans sa recherche. On le suit, on l'encourage. Certains passages demandent un peu plus de concentration, puisque les textes cités sont d'époque, et la langue, comme les mentalités, a changé. Mais ils nous ramène habilement au repos avec plusieurs photos tirées de ses archives personnelles et de celles de son personnage, en plus d'illustrations tout aussi sympathiques que ses mots à lui.

Pas besoin de se chercher une fibre de défenseur des peuples opprimés pour apprécier Mononk Jules. Pour qui aime les portraits historiques, il y a là une belle occasion de découvrir des pans cachés de l'histoire du Canada, ce qui, inévitablement, ajoute à nos connaissances d'un pays dont l'histoire est beaucoup plus trouble qu'on pourrait le penser.

Une autre belle découverte proposée par les éditions Hannenorak qui m'emmènent de surprise en surprise. Cette maison d'Édition est un bel ajout dans l'univers culturel des lecteurs francophones.

samedi 9 avril 2022

Histoire du silence, de la renaissance à nos jours, par Alain Corbin, éditions Albin Michel

C'est une entrevue avec Alain Corbin qui m'a donné envie de le lire. L'homme est excellent communicateur, érudit, mais accessible, hyper intéressant, sympathique. De l'imposant corpus dont il est l'auteur, j'ai choisi ce titre pour son sujet. L'idée d'utiliser le silence comme prétexte à un essai historique sur la société me plaisait.

En bon historien, Corbin traverse les âges en référant à quantité d'auteurs qui ont émis une opinion, ou, plus souvent encore, une description du silence, et c'est à travers ces auteurs qu'on se fait une idée de la perception de leur époque de ce que représentait le silence. Lourd, méditatif, sage, refuge, le slience a plusieurs connotations et il est intéressant de découvrir toutes les utilisations qu'on puisse en faire, ou de constater comment il peut être perçu.

Interessant, ce l'est, mais le format de cet essai historique m'a déstabilisé. Chaque chapitre aborde le sujet d'un angle différent par un long texte suivi, sans intertitre, sans sous-thèmes, rien. Ma foi , c'est un peu lourd. J'aurais espéré quelques intertitres, quelques paragraphes supplémentaires. On lit ces chapitres comme on écoute une logorrhée. L'éditeur, ici, aurait pi intervenir.

Si certains chapitres coulent de source, d'autres nous font travailler un peu. L'auteur connaît sa matière mais surtout, ses auteurs. C'est fou la quantité de gens qui sont cités. Or, si certaines citations vous enchantent, d'autres vous pèsent un peu. C'est ainsi que plusieurs références religieuses, et on parle ici de la religion catholique, m'ont semblé un peu tendancieuses. Bien sur, la religion a joué un grand rôle dans l'avancée des idées et des textes. Lorsqu'on parle de silence, on pense inévitablement à la méditation, à la contemplation. Mais voilà, si on parle de "la Renaissance jusqu'à nos jours", c'est qu'il ne s'agit que de l'Occident seulement, dont il est question en majeure partie.

Bien sur, tout ça est pertinent, savant, touffu. Mais nous sommes à une ère où les références sont multiples. Il aurait fallu préciser dans le titre le territoire choisi par l'auteur. La France, l'Europe, l'Occident, oui, mais pas seulement. J'aurait voulu autre chose venu d'ailleurs, et, habitué aux métissages de cultures, j'en ressort un peu déçu.

Mais le silence, chez Proust, Huysmans, Maeterlink, dans les tableaux de Delacroix ou de Berthe Morissot, oui, certainement, c'est intéressant. Belle interlude entre deux fictions, donc, mais mais pas d'épiphanie.