mardi 4 janvier 2022

Morel, par Maxime Raymond Bock, éditions Le Cheval d'août

Dans la vie d'un lecteur, je vois chaque livre comme un événement. Et comme dans la vie, certains événements restent en mémoire et on se rend compte avec le temps combien ils ont été déterminant. C'est certainement ce qui va m'arriver avec Morel, qui relate les événements de la vie d'un Montréalais entre les années 1930 et 2000, environ.

Une majeure parite du décor n'existe plus. Il s'agit de quartiers qui s'étendaient le long du fleuve, à la hauteur des quartiers Centre-Sud et Hochelaga. Juste pour cette découverte, le livre en vaut la peine.

Maxime Raymond Bock connaît son sujet sur le bout de ses doigts. En plus de raconter une histoire originale, il nous livre des informations sur des métiers, des lieux, et des descriptions si détaillées de vies passées dans des quartiers disparus qu'on dirait qu'il y a lui-même vécu.

Ce qui rend ce livre si remarquable, c'est aussi la finesse des portraits. L'auteur ne nous décrit à peu près pas son personnage physiquement, mais à la fin du livre, on connaît ses bons comme ses mauvais côtés. Bock nous montre d'où vient Morel, et comment ça se poursuivra pour ceux qui le suivront. L'écriture est dense et les quelques dialogues juste à point. Les descriptions sont grandioses et les sentiments exprimés sont si bien amenés qu'ils vous traversent en même temps que les personnages.

Plusieurs critiques font font un lien entre l'histoire de Morel et le présent en retenant le contexte de relocations, d'évictions de à répétition et d'embourgeoisement de la ville. Bien que ces tableaux prennent une place importante dans ce roman, s'attarder sur eux seuls me semble réducteurs. L'événement déterminant de ce livre est le deuil d'un proche. Il faut en effet être embourgeoisé pour ne voir dans ce roman qu'un équivalent à la crise du logement actuelle. Oui, la perte de ses logis et de ses biens pèse à Morel, mais celle des siens lui est encore plus lourde à porter.

Morel contient des portraits de gens peints par des scènes belles ou violentes mais toujours puissantes et très évocatrices: une enfant au visage lové dans le cou de son père dans le métro, l'apprentissage du flirt après un divorce, un voyage en campagne pour des urbains, la toute puissance des compagnies et de l'argent, l'éducation qui sort un enfant de la violence. Morel est constitué de tout ça, d'émotions fortes et de beaucoup de têtes baissées pour parer les coups. Morel est plein de frustrations, de hargne contenue, et d'amours incalculables. L'humain transcende les choses. De la ville, on voit les infrastructures, mais rarement parle-t-on de ses batisseurs. Maxime Raymond Bock le fait ici avec un talent sans pareil.

Un livre sur un tel sujet attirera inévitablement des commentaires politiques. J'ajoute le mieu en avançant que le roman de Maxime Raymond Bock décrit une portion de l'histoire de Montréal avec un procédé qui en déstabilisera plusieurs. On parle ici d'un procédé rendu rare avec le temps, qu'on pourrait qualifier de l'exact contraire du mépris.

Je vois peu d'équivalents à Morel dans tout ce que j'ai lu. J'ai parfois pensé aux Plouffe, de Roger Lemelin, pour la justesse des tableaux d'époque, aux Chroniques du Plateau Mont-Royal, de Michel Tremblay, pour les décors du Montréal d'antan, mais on est ailleurs avec Morel, et c'est pour ça qu'il faut le lire.

Souhaitons d'autres livres de Maxime Raymond Bock. Je conseille celui-ci aux amants de belle littérature, à qui connait ou a déjà entendu parler de la ville de Montréal, à qui l'habite, à qui l'a choisie. Qui que vous soyez là-dedans, vous en ferez, une nouvelle fois, la découverte.

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