mardi 28 décembre 2010

Point Oméga, par Don DeLillo, Éditions Actes Sud


Je connais peu don DeLillo mais l'ai rapidement placé sur un piédestal. J'avais terminé "White Noize" avec une heureuse impression de réconciliation avec les États-Unis et tout ce que leurs médias et leur production culturelle audiovisuelle a de désagréable et de mesquin. Enfin un Américain parlait de lui, des siens, avec une vue critique de l'intérieur. Non, tout le monde n'était pas beau, bon, un peu bébête mais eh, une bonne pâte, après tout, on peu bien lui pardonner ses frasques, tiens! Il a tué 20 personnes dans le film? Pas grave, car grâce à lui, le bien a triomphé. Ce triste scénario est loin de DeLillo où les catastrophes sont ambiantes, en arrière, et bien présentes que l'on ouvre la porte ou non.

Ici, un ancien diplomate vis reclus dans sa cabane dans le désert. Un cinéaste va le rejoindre pour faire un film sur lui parce qu'il a des révélations à faire sur la guerre en Irak et tout un tas de trucs sur les relations internationales. Ok, je vous vois venir: ce livre est sorti en français en septembre 2010. Oui, c'est sorti avant que WikiLeaks devienne un sujet de prédilection pour les médias. Roman prémonitoire? À vous de juger. J'ajouterai seulement qu'un troisième personnage s'ajoutera au duo et qu'un événement survenu à l'un des trois remettra en question la vie de tous les autres. À travers ça, un homme se tape un film de Hitchcock dans une version lente qui fait s'étirer le film sur 24 heures.


Point Oméga est très court. Même pas 150 pages. Fort, il vous laissera sur une curieuse impression, sur quelque chose d'inachevé, de persistant, d'une épée de Damoclès qui nous est peut-être commune.

Attention! Les romans de Don DeLillo n'ont rien d'un James Bond. Il ne s'agit pas non plus d'un roman policier. Un bon romancier sait situer l'action là où il le faut, et c'est d'autant plus respectable lorsqu'il s'agit d'une seule action, d'un seul événement précis autour duquel tourne toute l'histoire.

Vous ne connaisssez pas DeLillo et désirez le connaître? Commencez par lire White Noize (Bruits de fond, Stock, 1986 ou Babel, 2001) puis glissez sur Point Oméga.

lundi 6 décembre 2010

Le sel, par Jean-Baptiste Del Amo, Éditions Gallimard

Après Une éducation libertine, son premier roman, qui m'avait profondément retourné, j'attendais le prochain Del Amo impatiemment. Le peu que j'en avais entendu ou lu semblait confirmer le talent. J'ai donc entrepris cette chronique familiale sur les chapeaux de roues, si l'on puisse en dire autant pour un lecteur.

Un couple à Sète, en France. Il était pêcheur. Il est mort depuis peu. Sa veuve a invité ses trois enfants à dîner. Le prétexte est bon pour se souvenir. Embarquent les souvenirs de la mère, de l'ainée, du second et du benjamin. Le père était dur, la mère, effacée. Tous vivent bien maintenant, mais en a-t-il été de leur enfance? Chacun en a sur le coeur, évidemment. Qui n'en n'a pas contre ses parents, sa famille? Mais voilà, tout n'a pas été dit. Tout est là, dans les non-dits.

Je crois qu'il est possible de lire un livre dans l'appréhension, avec un regard de travers, et de ressentir cet étrange malaise qu'on éprouve, adolescent, à regarder un film d'horreur. On est fasciné, on veut parfois fermer les yeux pour évacuer une scène et pourtant non, On regarde. Le Sel n'a rien de l'horreur mais tout pour vous faire mal. Cette chronique familiale n'est pas commune par son histoire, mais peut très certainement ramener n'importe quel lecteur à ses démons, soient-ils tout petits ou trop présents. Del Amo joue avec les sentiments comme un menuisier manie le marteau. Ce livre est un long crescendo qui commence de façon presque banale pour se terminer dans ce qu'on pourrait appeler "un silence assourdissant". Stupéfiant.

Dans le style, je ne saurais reprocher à Jean-Baptiste Del Amo le choix d'aucun mot. Bien sur, ses descriptions ont parfois un air très balzacien. La mer, ici, prend toutes les couleurs, tous les sons, toutes les odeurs. Je suis rarement un fervent des descriptions longues, mais ici, elles prennent tout leur sens.

Les trois enfants rendus dans la quarantaine de ce bouquin vous poursuivront longtemps. Et leur mère aussi. Quant à l'autre, je n'en parle même pas. Oubliez tous vos clichés du départ et attendez-vous aux révélations les plus fortes de là où vous vous en attendiez le moins.

Ai-je vraiment besoin de dire que je vous le recommande? Mais attention, déconseillé à qui vit un mauvais coton. Ce livre n'est pas noir, mais il contient suffisamment de couleurs pour déstabiliser qui a perdu ne serait-ce qu'un peu l'équilibre.


Note de fin d'article: à partir de maintenant, je tenterai de mettre aussi une photo de l'auteur, histoire de démocratiser un peu des gens dont on ne connaît trop souvent que les noms. On est dans un univers d'images ou on ne l'est pas... enfin. Merci, internet!

lundi 8 novembre 2010

Dans les veines ce fleuve d'argent, par Dario Franceschini, Éditions L'Arpenteur


Laissez-moi vous présenter d'abord la Mer des mots. Elle est entourée de contrées où des auteurs pas nécessairement connus mais souvent immenses, savent décrire les plus petites choses des plus jolies précisions. C'est un coin du monde où les histoires, millénaires ou futuristes, sont si teintées de sentiments humains, d'impressions, de désirs, de métaphores aussi englobantes que le plus grand et gros Minautore que vous ayez jamais imaginé, que rien n'y est jamais banal, voir ennuyant. Cette mer est baignée de Khadra et de Pamuk est leurs sensibilités aux autres, de Saramago et de sa brillante ironie, de Mendoza et des beaux fous. De l'autre côté, on retrouve les Tabuschi, Barrico, Eco et maintenant Franceschini. J'introduis ainsi "Dans les veines ce fleuve d'argent" parce qu'encore une fois, un auteur méditerranéen m'a jeté par terre.

Avouez que si on pense aux réalisations artistiques de cette région du monde, on ne pense pas à sa littérature au premier coup. Et pourtant! Tous les auteurs précités écrivent comme combien d'autres ont peint. Avec Franceschini, on a là un coup de pinceau impressionniste. D'une histoire toute simple, il crée un tableau limpide et beau à donner envie de se rouler dedans.

Un homme dans la cinquantaine se lève un bon matin avec l'intention d'aller répondre à une question posée par un ami il y a trente ans plus tôt. Déjà, avec un tel thème, on est fixé. On a une quête, un chemin à parcourir et quelque chose d'un peu fou. Or, l'histoire se raconte au temps des lavandières, ces charrettes et des bacs. Tout est lent, patient, aussi prend-t-on la peine de se parler, de se raconter. C'est ce que feront chacun des personnages que Primo, notre grand questionneur, rencontrera ans son voyage. Au titre, on aura compris que le chemin de Primo suit un fleuve. Petit à petit, ce dernier prendra toute la place. D'histoires en histoires, on sentira très distinctement l'amour et le respect que l'auteur a pour le Pô et toute la puissance qu'il devait alors représenter.

Et pourtant cette histoire est courte. Mais combien elle est dense! Un village qui s'arrête de parler à chaque jour, à une heure précise, parce qu'une femme y pleure sur le bord de sa fenêtre, un homme qui fait livrer des boîtes pleines de paille à sa vielle mère, heureuse de recevoir ces paquets parce qu'elle y retrouve l'amour fragile "qu'on ne voit ni peut dessiner" que lui envoie son fils, un cheval au milieu du fleuve qui laisse l'eau monter sans bouger comme s'il savait qu'il allait mourir, tous ces personnages vous suivront longtemps. Ils sont beaux et uniques.

Touchant, captivant, beau comme une huile de maître, traduit amoureusement par Chantal Moiroud, devenez Italien pour quelques heures et vivez, en même temps, quelques pages de bonheur grâce à Dario Franceschini.

Incontournable.

mardi 2 novembre 2010

La Pureté, par Vincent Thibault, Éditions Hamac


Voici un recueil de nouvelles aux accents japonais. Si les lieux sortent parfois du pays du soleil levant, les personnages ont tous la nationalité. Les fans de l'esprit nippon devraient apprécier.

Pour qui n'a pas de particulière fascination pour cette culture, ce recueil laissera pantois. La première nouvelle a quelque chose d'un poème en prose au bout duquel je me suis senti un peu con, n'ayant pas vraiment compris. À moins que je ne me sois pas imprégné de l'atmosphère. Les autres nouvelles, d'une nature plus conventionnelle, flottent avec les métaphores. Souvent charmant, jamais ennuyant pour autant, j'avoue toutefois ne pas avoir été transcendé.

La Japon a été très à la page ces dernières années avec les aikus. Quantité de recueils traduits en français ont été publiés. Pour en avoir lus certains, j'ai ressenti un certain malaise devant ce qui me semblait être une mauvaise traduction d'un esprit qui était tout aussi mal rendu. Je n'irai pas jusqu'à dire que le même phénomène se retrouve dans La Pureté, mais encore là, je me retrouve avec le triste constat d'avoir fait le tour de quelque chose sans avoir été invité à y entrer. L'écriture est sobre, souvent belle, et donne l'envie d'aller plus loin, d'atteindre un genre de nirvana que j'ai presque atteint avec la dernière nouvelle. Un moine bouddhiste japonais émigré au Québec y partage le deuil de parents Québécois qui viennent de vivre le suicide de leur adolescent. Là j'ai capté une tendresse de l'âme, un caractère touchant. Pour le reste, je ne saurais me prononcer plus précisément.


À recommander pour qui connaît bien l'esprit d'Extrême-Orient ou désire en découvrir une parole originale, rédigée par une plume québécoise.

lundi 27 septembre 2010

Imperial Bedrooms, par Bret Easton Ellis, Éditions Knoff


L'homme est dans la quarantaine. Scripteur de films à succès, il mène sa vie entre New York et L.A. Il a tout fait, tout vécu. Sa vie est une succession de réceptions mondaines, de lignes de coke, de pilules pour dormir, de gin et de vodka. Le mec n'est pas sympathique et côtoie des gens pas sympathiques. C'est l'Amérique perverse, glamour au cube, celle qui fascine, la raison de vivre de tout un monde, du média à potins à la ménagère qui les lit avidement. Le décor est campé. On est dans le monde de Bret Easton Ellis.

Cet auteur, jugé atypique par quantités de critiques prétendument "propres et bien élevés", est connu pour ses scènes gores, tant pornographiques que bourrées d'hémoglobine, de violence décuplée. Dans "Imperial Bedroom", ce décor est en fond de scène. Des gens meurent ou disparaissent autour du personnage principal sans pour autant que l'on soit témoin de chacun de ces méfaits. Monté en crescendo, l'atmosphère se tend à mesure que Clay, notre auteur dandy, accumule les avertissements, que la panique s'empare de lui et qu'il se sente menacé du même sort que les pauvres victimes. À qui la faute?

Si on pouvait autrefois l'associer à Stephen King, il serait de mise de ranger maintenant Easton Ellis du côté des auteurs de polars. Bien sur, ça peut encore choquer les vieilles tantes et le style n'est pas tellement plus affable qu'avant, mais Imperial Bedrooms a le mérite, s'il en est un, d'être l'oeuvre la plus "accessible" de ceet auteur reconnu pour ses frasques tant littéraires que personnelles. On est loin de Lunar Park et de sa maison hantée et loin de Glamourama ou de American Psycho et de ses scènes de torture. Ici, les personnages de son premier roman, Less than Zero, évoluent dans le monde du superficiel, marque de commerce de Easton Ellis, et c'est bien. Pas éclatant, non, mais bien.

Pas aussi percutant que ses ouvrages précédents, Easton Ellis rend intéressant, ici encore, une histoire où tous sont du côté des méchants, tout en critiquant le moins subtilement du monde une société du vide où tout est risible, factice et pathétique. Ne serait-ce que pour ça, franchement, ça change vachement de la littérature française.

Pour le côté "américain désillusionné" qu'un certain rigorisme a édulcoré avec la montée de la droite, pour la part de rêve que contient le monde du cinéma, mis à mal par un réalisme qui en choque plusieurs, Bret Easton Ellis est essentiel à la littérature américaine. Imperial Bedrooms constitue assurément une belle occasion de s'initier à son oeuvre pour qui ne l'aurait pas encore fait.

Je me suis tapé l'édition originale en anglais. La version en français devrait être en librairie bientôt si ce n'est pas déjà fait. Je n'ai rien trouvé de probant à ce sujet sur le Net. Je soulignerai que les versions antérieures de ses livres étaient fort bien traduites. Vous m'en reparlerez, tiens.

dimanche 5 septembre 2010

La trajectoire, par Stéphane Libertad, Éditions du Hamac


Les histoires de dépaysement pleuvent. Et comme la pluie, c'est souvent triste. Je suis d'une terre d'accueil où les récits du genre se multiplient avec les années. Le plus souvent, le sujet trime dur, fait face à divers types d'incompréhension, passe de regrets en désillusions, se bat puis voit la lumière. Le peuple ou le pays d'accueil joue souvent le mauvais rôle, du pourvoyeur de barrières, du miroir aux alouettes. Vous me trouvez cynique... Je le suis. Pas que toutes ces histoires se perdent dans le misérabilisme et le pathétique, mais peu s'en faut. Reste qu'on reconnaît le courage, la persévérance de qui nous raconte ses misères et qu'on bout du compte, on critique positivement l'ouvrage.

Combien de fois un Français aura-t-il raconté sa venue au Québec? Je l'ignore. Le plus souvent, de tels récits passeront par l'anecdotique, les bourrades et les clins d'oeil. On n'imagine pas un Français terrifié à l'idée de gagner l'Amérique, et surtout pas la francophone. On n'imagine pas l'Européen dépourvu ni même perdu, alors on rit de ses frasques et de ses surprises et on passe vite à autre chose. Stéphane Libertad a eu la brillante idée et surtout le talent de passer outre à tout ça. On dirait plutôt un récit de voyage qu'une histoire d'immigration. En soit, déjà, on en aime l'originalité.

Un Français gagne le Québec. Je n'ajouterai rien d'autre à l'histoire que je vous la laisserai lire tout aussi avidement que je l'ai avalée. Écrit comme une lettre, voire comme un blogue, La Trajectoire est beaucoup plus un récit qu'un roman, comme indiqué en page couverture. Ce récit comporte des bribes d'une vie toute simple où les décisions sont aussi dures à prendre que dans une vie sédentaire, où les relations sont aussi improbables que dans n'importe quel continent qui se respecte, seulement, l'auteur a su rendre vif ce qui aurait pu être plat, vivant ce qui aurait pu être anodin, original ce qui aurait pu être commun.

Il faut du talent pour raconter au présent. Libertad s'y prend très bien. Son récit nous ramène à ce que, du pays, de la famille, du conjoint ou même de l'enfant, rien ni personne ne pourra nous remonter, nous faire confiance, nous pousser autant que... soi-même. De tels regards sur soi et sur les autres sont rares. Celui-ci est très certainement à suivre.

Dernier propos sur La Trajectoire: la quatrième de couverture parle d'une écriture "qui dérange". Terme galvaudé par excellence, le "dérangement" en question n'a rien du pamphlet sulfureux ou du règlement de compte en public. À tout le moins peut-on dire de Libertad qu'il ne se formalise pas du politiquement correct et écrit sans fioritures. Sans déranger aucunement, il arrange, plutôt, et transforme sa lecture en de très agréables moments qu'on aimerait continuer avec lui autour d'un café ou d'un demi.

Excellente découverte chaudement recommandée... et à éviter si vous souhaitez être... dérangé.

lundi 30 août 2010

Infrarouge, par Nancy Huston, Éditions Actes sud/Leméac


Bon. Attaquons le sujet de front. J'ai abordé "Infrarouge" avec un horrible préjugé, de quoi être banni de vos esprits à tout jamais: Nancy Huston, c'est de la littérature féminine. Hey, oh, attendez, je parle ici d'un préjugé de départ!

Jusqu'ici, j'avais lu Dolce Agonia et surtout entendues plusieurs entrevues et lus plusieurs textes sur elle. Nancy Huston séduit, très assurément, et sa parole est digne d'attention. Rarement aie-je entendu de mauvais commentaires à son sujet. Avec raison. La dame écrit bien, juste, et franchement, tout comme elle parle. Les histoires qu'elles proposent ne m'ont toutefois jamais particulièrement attiré. À lire Infrarouge, qu'une critique quasi dithyrambique et la recommandation d'amis m'ont incité à me procurer, j'ai compris pourquoi.

Une quarantenaire, montréalaise d'origine exilée à Paris pars en voyage de quelques jours avec son père et sa belle-mère. Le père en question est d'origine juive. Intellectuel bien de son temps, il a été du mouvement LSD et vit une retraite ordinaire. Bien sur, il est torturé. En littérature française, généralement, si un personnage est d'origine juive, il possède de fortes chances d'être torturé. Et ainsi va sa descendance. C'est un fait.

La dame a eu plusieurs amants et ne s'est jamais vraiment fait chier du côté sexuel. Elle a tout vécu avec plusieurs. Là, elle s'offre une petite pause avec papa et belle-maman. Oedipe n'étant jamais bien loin, le prétexte sera trop excellent pour ressasser le passé.

Le récit du voyage, de la rencontre de deux univers autrefois unis et maintenant séparés par l'âge, par le temps, est fascinante. Rien n'est facile, tous marchent sur des oeufs toujours malgré toute la bonne volonté du monde. On s'aime mais on ne se reconnaît plus. Les parents perdent le leur lustre auprès de leurs enfants, et ces enfants rendus vieux sont atterrés par le pathétisme de la vieillesse de la génération qui les précède.

Ceci dit, le personnage principal, la quarantenaire en question, a une "amie intérieure" avec qui elle cause, d'où les constants flashbacks sur des histoires de son passé: des amants, des naissances, des relations parentales et beaucoup, beaucoup d'allusions au sexe, comme un refuge, une raison d'exister, de se dire qu'elle a un corps, un caractère, un "moi" bref, déjà, ça sent l'analyse psychologique. Puis survient le fin du fin en la matière: la fameuse description de rêves, inévitablement suivis de conversations avec l'amie intérieure en question.

Bon. Les rêves. Ça m'a inévitablement rappelé Siri Hustveldt dans "Élégie pour un Américain". C'est beau, sensible, bien écrit et puis soudain, paf!, ça tombe dans l'auto-psychanalyse. J'y suis allergique. Les références à la psychothérapie on ceci d'intouchable et d'incontestable qui me rappelle les sournois commentaires d'ordre religieux que contenaient les ouvrages d'autrefois. Ces références inhibent l'imagination, elles donnent un cadre à notre pensée, à notre propre interprétation des personnages. Je trouve ça harassant, doctrinal. Ça m'énerve.

Maintenant, quant à dire s'il s'agit d'une caractéristique de la littérature féminine, j'ouvre ici le débat.

Dommage quand même. Nancy Huston sait décrire. Ses mots glissent facilement entre le chaud et le froid et passent bien. Malheureusement, cette incursion dans le monde rendu trop commun de l'interprétation psychanalytique des personnages m'a peu touché. Pas que c'est mauvais, loin de là.

C'est juste un gros "ah non pas encore..."

dimanche 29 août 2010

La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler, par Michel Folco, Éditions Stock


Ah, Folco! On se le procure maintenant sans lire la quatrième de couverture. On le prend tel quel et cette fois-là, on lui aura même pardonné un titre juste assez long pour qu'on puisse s'en rappeler difficilement... sauf de la dernière partie, bien entendu.

N'est pas donné à qui le veut de faire naître un personnage réel d'un univers fictif. On aura souvent lu des histoires fictives de personnages réels qui concernent le plus souvent des gros noms. Jésus et Hitler (drôle de couple) sont de ceux-là. Schmidt s'est essayé avec succès sur les deux. Au Québec, Beauchemin a romancé Jésus, en Espagne, Mendoza y est allé de son grain de sel. Ceux-là sont récents. On n'imagine même pas combien ont alors dû le faire avant.

Et maintenant, Folco.

Il fait descendre Hitler des Tricotin. Idée intéressante qu'il avait déjà annoncé dans l'excellentissime "Même le mal se fait bien". Donc, on a ici un personnage méconnu dans sa jeunesse mais combien connu pour ses affres d'adulte. Nous nous sommes tous fait une idée d'hitler. En fait, rares sont les personnages historiques à autant faire l'unanimité dans l'opinion publique. C'est là, sans nul doute, où résidait le défi que Folco s'était donné: le personnifier ailleurs que dans le pan de l'Histoire qu'il incarne, le déplacer dans des décors de carton pâte parmi d'autres personnages dont chacun se sera fait une idée. Or, ces personnages, on les connaît: lourdauds, débonnaires, souvent cyniques, jamais inutiles. Alors comment introduire un visage connu parmi ce cirque?

Folco le fait bien, à sa manière, dans ses mots. Fort heureusement d'ailleurs, parce que si les mots sont justes et les regards tout aussi acerbes qu'avant, les frasques sont peut-être ici un peu moins rocambolesques qu'elles avaient l'habitude de l'être. Le pauvre Adolf ne l'a pas facile, non, et ses traits de caractères ne sont pas sans rappeler ceux de ses aïeux fictifs. Toutefois, ses aventures sont plus lentes. Ce cinquième épisode de la saga des Tricotin s'avère à mon sens le moins théâtral. Bon, on portera encore à rire, quoi que là encore, on est peut-être un peu déçu que Folco ait recours aux pets pour y parvenir, formule qu'il utilise dans les deux premiers tiers du livre pour l'oublier dans le dernier. On réfléchira aussi sur le désir, sur l'influence des mères, aussi. En fait, on croirait quasiment Freud en arrière-scène tellement le pauvre Adolf est tourmenté. Notons au passage une référence au père de la psychanalyse absolument délectable, "à la Folco", qui pimente une histoire goûteuse, mais pas autant qu'avant.

Il y aurait beaucoup à dire sur "La jeunesse mélancolique...", encore qu'on n'a plus à présenter son auteur. Je laisse aux fans en discuter sur des forums qui doivent porter sur son oeuvre. Je laisse aussi aux critiques le soin de dire qu'ils ont encore aimé. Donnerions-nous déjà à Folco le Bon Dieu sans confession? Je vous le demande.

Pour ma part, je reste sur ma faim... et me demande bien ce qui suivra ça, Monsieur Folco!

jeudi 15 juillet 2010

Entre ciel et terre, par Jon Kalman Stefansson, Éditions Gallimard


"Les soirées d'hiver sont longues chez-nous, elles tendent l'obscurité entre les sommets des montagnes, les enfants s'endorment et alors l'agitation retombe, nous avons le temps de lire, le temps de réfléchir".

L'Islande, il y a environ une centaine d'années. C'était ça. Un monde qu'on a maintenant peine à imaginer. Comme on ne pourrait comprendre qu'un pêcheur meurt d'avoir voulu lire un poème sans avoir lu Entre ciel et mer. Comme on ne pourrait imaginer pire peine que celle de la perte d'un ami en ces temps rustres, en cet endroit où les gens se font rares. Un monde sans rien où il nous est difficile de penser que les mots, les histoires et la musique peuvent prendre place.

Dès les premières pages, vous tanguerez. C'est une histoire de gens simples qui ne connaissent rien d'autre qu'eux mêmes et quelques livres. Des gens qui vivent dans un silence où des mots vous retournent, où l'appel des pêcheurs est retenti par un air de trompette à 3h du matin sur une plage froide d'Islande en mars, où marcher est plus dangereux que naviguer.

Et ces mots: "Nulle chose ne m'est plaisir en dehors de toi". Ça vous suit partout. rien que de les écrire et j'en ai la chair de poule. Des mots qui ne s'adressent pourtant à personne, mais qui sont beaux de leur seule résonance dans un futur où on pourrait enfin les dire.

Je ne saurais exprimer toute la beauté de ce livre. Peut-être réside-t-elle dans la narration, unique en son genre. Elle n'est ni au "je" ni au "il", mais au "nous". Et quand on comprend enfin qui raconte, qui est ce choeur, alors on s'enfonce encore plus dans les peurs et les joies de Barour, de Sesselja, de Porvaldur, de Geirpruour, et d'autant de noms qui nous emmènent là où sans doute nous ne sommes jamais allé.

J'avais déjà entendu parler de la quantité d'écrivains par habitants de de fruit accroché au cercle polaire qu'est l'Islande, mais jamais n'avais-je rien lu qui en provenait. Merci au traducteur, Éric Boury, dont les mots sont justes et beaux comme ce qu'il décrit, comme les gens que Stefansson raconte. Les traducteurs de l'islandais au français ne doivent pas courir les rues. Quelle chance que nous, francophones, puissions en disposer d'un excellent! Merci aussi à mon libraire pour cette inqualifiable recommandation sans laquelle je n'aurais jamais mis la main sur ce livre, sans laquelle je n'aurais jamais fait ce beau voyage.

Un livre rare que trop excluront par peur de l'hiver et de la morne réputation d'une îlot gelé. À ceux-là je dis "tant pis". Ils manqueront une des plus belles histoires des dernières années. Ils manqueront une occasion de constater combien la poésie réside derrière les yeux du lecteur lorsque l'écrivain sait bien tourner les mots pour qu'il en soit ainsi, au bout du compte, avec un grand bonheur.

Exceptionnel.

dimanche 27 juin 2010

L'horizon, de Patrick Modiano, Éditions Gallimard


Avez-vous parfois l'impression de "passer à côté d'un livre" même en l'ayant lu? Je me sens comme ça avec ce Modiano. En fait, peut-être s'agit-il d'un phénomène qui risque de prendre des allures de récurrence. Faudra le lire encore. Ce n'est que ma deuxième lecture d'un auteur ma foi très prolifique. Et comme la première fois (avec Dora Bruder) j'ai la persistante impression d'avoir lu quelque chose d'excellent sans l'avoir ressenti.

Et pourtant le style est là, la structure est parfaite. On passe d'un temps à l'autre en un paragraphe et si on est déstabilisé, on se remet aussitôt sur les pieds. Modiano sait tenir son lecteur, lui appliquer les ceintures de sécurité nécessaires à ses récits en montagnes russes. Et pourtant c'est tout en douceur, tout en formulations belles, aux accents d'un Dubois ou d'un Malkine, par exemple.

Alors bon, comment ça s'fait qu'en le refermant, je n'avais pas, comme ça m'arrive souvent, l'envie de vite me procurer un autre de ses ouvrages? Pourquoi je n'étais pas touché, ou à tout le moins envoûté par cette histoire qui traverse le temps, où deux personnages sont reliés par leurs fuites respectives de quelqu'un d'autre? Les deux sont fragiles, ils ont peur, n'osent à peu près rien et se replient à la moindre alerte. Discrets, c'est comme s'ils ne voulaient pas trop exister, juste un peu. Puis ils s'évaporent, comme ça allait de soi avec de si évidentes modesties sur deux pattes. Vous voyez? C'est franchement pas mauvais, mais pourtant...

J'ai toujours cru que lire était une question de temps. Un livre traversera une époque de notre vie et la marquera parce qu'il rejoindra une émotion comprise, vécue dans le moment où il arrive. Un autre passera plutôt inaperçu parce que l'émotion est lointaine, et pourtant, l'avoir lu 6 mois, un ans plus tôt ou plus tard, il aurait été percutant.

En tant que lecteur, je crois qu'il faut parfois s'avouer ces choses avant que de tomber dans la critique facile.

Tiens, c'est mon tour de tomber dans la modestie. Ah ben dis donc, chapeau Modiano. Ça n'a peut-être pas été si vain que ça, cet Horizon.

dimanche 20 juin 2010

Décès de José Saramago


Je viens d'apprendre le décès de José Saramago.

Ma tristesse vient de ce qu'il n'écrira plus.

J'ai découvert cet écrivain portugais sur le tard avec ses histoires métaphoriques, immenses, pleines de génie et d'ironie: la Lucidité, l'Aveuglement, les Intermittences de la mort, et plus récemment, le Voyage de l'éléphant.

Cet auteur est rapidement devenu l'un de mes préférés à cause de son intelligence, de sa faculté de nous faire rire et de nous retourner profondément en quelques pages. Ses histoires requestionnaient habilement l'organisation du monde en considérant la perspicacité du lecteur. Lire Saramago est bon pour l'esprit. Il l'aère.

À qui n'a pas connu cet auteur unique, je suggère de commencer par la Lucidité. Mais il y a d'autres avenues, quantité d'autres ouvrages. Quelques-uns dont énumérés dans cet article du Devoir, un quotidien québécois, où Odile Tremblay résume bien la carrière de José Saramago.

samedi 5 juin 2010

Invisible, de Paul Auster, éditions Actes Sud/Leméac


Le thème du roman dans le roman n’est pas nouveau, sauf s’il est amené par Paul Auster. Je ne vois pas de meilleure façon pour vous présenter Invisible.

Parlons d’abord d’un roman noir, pas tant dans sa forme que dans son esprit. Parce qu’il s’agit ici d’un noir luisant, réfléchissant, celui qui nous ramène à nos propres démons intérieurs. En terminant Invisible, le lecteur est en droit de se demander comment serait sa vie s’il laissait aller la sombre partie de lui-même. On en a tous une non?

La plupart des personnages des romans de Paul Auster nous réfèrent “au pire”, sans pour autant donner dans l’horreur. Or ici et plus que jamais, Auster provoque. Il provoque fort. J’en imagine plusieurs qui seront tentés de refermer ce livre à certains passages. Et pourtant je ne parle pas de sang et de tripes, ni de porno hard core. Non. Il ne s’agit que de scènes, d’idées en fait, considérées comme taboues. Là comme ailleurs, il nous ramène à nos principes, à nos fantasmes, à nos limites. Et pourtant, on ne peut que se rendre jusqu’au bout du livre, parce que si on est d’abord choqué, on devient rapidement fasciné. L’écriture, le monde de Paul Auster, tout ça nous enveloppe, nous prend et nous donne l’envie d’aller vite voir ce qu’il en ressort de cette histoire de poupées gigognes où tout ce qui arrive n’est peut-être pas arrivé, où tout ce qui est raconté pourrait pourtant être vrai... sans l’être.

Paul Auster est essentiel à notre temps. Géant de la littérature américaine, on ne sent pourtant aucune prétention à impressionner dans ses livres. Que de l’intelligence, vive, sournoise même, et cette intention manifeste de provoquer. Il est heureux que Paul Auster vive en Amérique: Il en décrit si bien les travers.

Bizarrement, les derniers récits de Paul Auster ne m’ont pas marqués. Jamais ne m’aura-t-il ennuyé ou même déçu. Seulement aurai-je oublié certaines de ses histoires. Or, celle-ci me restera en mémoire. Dans le genre du roman sombre, Invisible est, et de loin, l’un des plus captivants que j’aie lu jusqu’ici.

Ah, et surtout ne pas oublier de souligner l’excellente traduction de Christine Le Boeuf. Ayant vécu plusieurs frustrations en la matière ces derniers temps, je tiens à souligner la qualité de celle-ci. Traductrice fidèle à Auster depuis des années, Le Boeuf sait pertinemment comment rendre la langue de Paul Auster. Chapeau.

Procurez-vous le tout de suite.

jeudi 13 mai 2010

L'appartement du clown, par Vic Verdier, Éditions XYZ


Ce que j’aime de lire, c’est que ça me permet de me divertir et d’apprendre. J’apprend sur des choses, des gens et parfois des époques. Ici, j’ai appris et constaté des choses sur mon époque.

L’appartement du clown, c’est le roman chevaleresque version 2010. Vous vous souvenez que Don Quichotte était un fada des romans du genre? On le comprend. Il y trouvait là les modèles du temps, l’inspiration. Puis vinrent les comtes de Monte-Cristo, les Dartagnan, puis l’existentialisme où on se posait des questions en restant tout de même très digne. Maintenant, ce sont les Begbeder, en France et les Dompierre, au Québec, qui mettent en scène les nouveaux chevaliers. Autour de leurs personnages principaux, le monde est fou, mais eux se posent des questions et survivent. À leur manière, ils sont forts et justes.

Dans l’Appartement..., le narrateur et personnage principal a même son nom sur la page couverture à titre d’auteur. C’est une étape au-dessus de la fiction. “Je n’existe pas mais c’est comme si”! Intéressant. L'auteur/personnage s'adresse au lecteur en l'interpellant directement : "Toi, lecteur..." etc. Forme originale qui en dérangera certains et en fera sourire d'autres.

Ce personnage, Verdier, est dans la vingtaine. Nouvellement célibataire, il découvre la vie libre dans un nouvel appartement. Les événements le mènent dans le Plateau/Mile End, un quartier qui lui sied bien et où il fréquentera quelques lieux cultes que les plus montréalais seront reconnaître. Verdier vit bien, a du succès avec les filles, un boulot dans la documentation et joue du piano comme on a toujours eu envie d’en jouer. Épicurien à la puissance dix, il saura distinguer un cahors d’un chablis, saura reconnaître une bonne huile d’olive, sait choisir son café, et on ne se surprendra pas qu’il ait fait du camping sur la côte américaine à 15 ans. Ses amis ou colocataires boivent du Chivas, bref, Verdier est un gagnant. S’il parle d’yeux changeants avec les humeurs, il parlera... des siens! Or, quand on découvre la vie, peu importe l’âge, on vit des désillusions. Ce roman raconte les siennes. C’est là où se trouve le portrait d’une époque précise, celle de l’après 11 septembre, relaté dans cette histoire, et d’une classe pour qui cet événement a constitué une sorte de fin du monde, d’un monde qu’ils croyaient jusque là invulnérable.

Bien écrit, d’un style vivant, où les courriels font partie de la vie, l’Appartement du clown peint le portrait d’un monde peut-être peu connu de certains, peut-être familier pour d’autres. Ce sont les aventures d’un mec qu’on connaît peut-être, un gars pour qui la vie est généreuse et qui le sait. Pas de fioritures ici: un choix de l’auteur ou de l’éditeur fait en sorte que les jurons bien québécois (les tabarnak, calisse, est.) ne sont pas écrit tout du long. Verdier est de bonne famille!

On pourrait reprocher à L’Appartement... que le gai soit beau et aux prises avec la drogue, que le Latino soit mêlé aux gangs de rue et que la bête de sexe soit mulâtre. Ce ne sont pas des clichés, mais une vision de la vie d’un personnage intéressant et de ce temps, dont on ne se surprendrait pas que ses aventures se terminent, lui aussi, par la formule : “... ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants”. Quoi que...

À découvrir.

dimanche 25 avril 2010

L'homme sans passé, par Robert Crais, Éditions de Poche - Thriller


L’occasion m’a été donnée de lire un thriller, dans la plus pure facture (sorti en 2007). Je ne connaissais pas Robert Crais et j’ai découvert une machine à écrire qui a sorti plusieurs titres dont quelques-uns ont été portés à l’écran... j’ai envie d’ajouter “comme tant d’autres” mais bon, je retiendrai ici mon préjugé. Le genre a depuis toujours ses fans inconditionnels, j’en ai déjà lu d’excellents mais là, franchement, j’ai eu l’impression désagréable d’être englué de sucre et de beurre fondu à la fin de ce roman.

Bien sur, le personnage principal est un flic, bien sur, il est un peu rustre, mais c’est un bon gars, allez, il sait pousser des craques bien senties même si le pauvre a un passé bien torturé. L’histoire tourne d’ailleurs autour de ce fait singulier. Un mec se fait tuer en prétendant dans son agonie que le personnage principal est son fils, d’où l'implication de ce dernier dans une enquête qui n’est pas la sienne parce qu’il cherche le papa qu’il n’a jamais eu. Ses collègues enquêteurs et spécialistes de tout acabit de la découverte d’indices sont encore plus grossiers, et son fidèle acolyte a un petit quelque chose de Rambo au grand coeur. Rien de nouveau, quoi.

L’histoire se passe à L.A. Y’a des gens glauques, des endroits glauques et des scènes glauques mais ne vous en faites pas, le personnage principal vit aussi les affres de l’amour avec un grand “A”. Si ce bouquin était un film, on aurait sans doute une impression de déjà vu du début à la fin et on sortirait de la salle en baillant.

Reste enfin la traduction. Les dialogues de petits truands sont traduits dans un argot franco-français qui me fait me rappeler les westerns spaghettis traduits en Europe dans les années ‘70. Pour un Québécois, c’est lourd, voir invivable, et ça enlève le petit peu de crédibilité que l’intrigue aurait pu avoir. Encore une fois, je soulève le cas de traductions mal adaptées. En fait, j’en suis à me demander si certains bouquins ne devrait pas avoir la mention “traduit en français européen”, de la même façon qu’on verra parfois des mentions du genre “anglais américain, anglais irlandais, anglais britannique” lorsqu'il est question de la lingua franca de notre temps.

Mais un thriller reste un thriller, et on se demande toujours si c’est le Colonel Mustard qui a tué avec une corde dans la salle de billard... ou pas. Rien de perdu donc, mais c’est à peine amusant, à moins d’être un inconditionnel du genre.

dimanche 18 avril 2010

D'autres couleurs, par Orhan Pamuk, Éditions Essais Gallimards


J'ai récemment dû quitter un ami. C'est l'impression que j'ai ressentie à la fin de la lecture de ce recueil de courts textes d'Orhan Pamuk. Rare que je lis de tels recueils. En fait, j'avoue m'être fait prendre. Trop heureux de mettre la patte sur un nouveau Pamuk, que j'avais tant aimé avec Neige, j'ai arraché le bouquin de l'étal de ma librairie préférée sans même en consulter le quatrième de couverture, ni même prêter quelque attention que ce soit à la maison d'édition.

L'écrivain Turc y recueille tout plein de courts textes écrits à diverses occasions, ou parus dans des magazines, ou rédigés pour être lus devant un auditoire, etc. Au début, on y découvre des textes sur le plaisir d'écrire, le bonheur de raconter des histoires. Excellent choix de l'éditeur comme entrée en matière. Pamuk s'exprime si simplement et d'un phrasé si sympathique qu'il nous prend dès les premières pages. Bien que j'aie à avouer avoir sauté quelques pages portant sur des bouquins ou des auteurs qui m'intéressent moins (Dostoievski; eh oui, le bon vieux Dostoi, moi, pour tout vous dire, ça m'a jamais vraiment parlé), ou autres, j'ai re-plongé et me suis surpris à découvrir la Turquie, un pays que je ne connaissais pas. Il fait bon découvrir un peuple par la pensée plutôt que par l'imagerie ou le simple guide de voyage, et d'autant plus si le guide est sans prétention, intéressé à vous intéresser.

Les essais dits "intellectuels" peuvent tomber dans le soporifique ou la prise de tête si écrits par de prétendus intellectuels. Dans le cas où la réflexion est suscitée par un auteur qui ne se dit capable que d'écrire des romans, on a plutôt l'impression d'écouter ou même de participer à une conversation autour d'un café. Franc avec vous, je lirais de tels recueils régulièrement. C'est un peu comme un coup de téléphone d'un ami, un petit 10-15 minutes sur un sujet qu'on n'avait pas prévu et que notre interlocuteur sait rendre intéressant. "Priceless", comme le disent si bien les mercantiles...

Vivement un nouveau Orhan Pamuk sur les rayons!

dimanche 7 mars 2010

Le Temps vieillit vite, par Antonio Tabucchi, Éditions Gallimard, récits


Le Temps vieillit vite et son auteur m’ont fait réaliser combien important il me faut considérer mon état d’esprit tant pendant la lecture qu’après. On parle souvent de “lecture de vacance”, pour un ouvrage ou de “littérature de gare” pour un autre. En fait, qu’importe ce qu’on en dit, l’important, me semble-t-il est ce qu’on en vit.

Je m’étais tapé récemment un vieil ouvrage de Antonio Tabucchi avec Piazza d’Italia et ses envols de fenêtres, et bien avant, le si joli Tristano meurt. Aussi partais-je avec de grandes attentes pour ce recueil de nouvelles.

Des nouvelles, c’est souvent un sac de bonbons qu’on déguste un par un, surtout si on les connaît. Cette fois-là, j’ai sans doute tout bouffé trop rapidement. Pas que c’était sans saveur, mais le monde onirique de Tabucchi mérite d’arrêter le temps pour en savourer toutes les arômes, ce que je n’ai pas fait. La série de tableaux a défilé et bizarrement, il ne m’est rien resté en sortant. Tabucchi écrit avec des images très fortes et j’imagine qu’il faille peut-être avoir tout lu, ou à tout le moins avoir traversé plus que deux de ses ouvrages, comme je l’ai fait, pour savoir capter l’essence d’un recueil de nouvelles.
Or c’est quand même là tout l’univers des européens: du Kundera, du Saramago, du Barrico en même temps sur une plage italienne, à Berlin, à Tel-Aviv.

Faudra que j’y retourne. Bon d’accord, j’y reviendra pendant mes vacances.

dimanche 21 février 2010

Et que le vaste monde poursuive sa course folle, par Colum McCann, Éditions Belfond


McCann, c'était d'abord Les saisons de la nuit, une des plus belles oeuvres que j'aie jamais lues, avec une scène particulière qui m'est restée imprégnée bien profondément dans le cortex. Puis vint Dancer, l'excellent récit du danseur Noureyev, puis le décevant Zoli, où McCann a lâché les USA et tout particulièrement New York pour l'Europe de l'Est. Avec "Et que le vaste monde...", on retourne à New York. Et c'est bien.

Colum McCann, c'est un peu le Ken Loach de la littérature. Ses histoires racontent des gens qui souffrent, des pour qui la vie est dure. D'aucuns crieront au misérabilisme. Je n'irai pas jusque là parce que par-dessus la misère de ses personnages, McCann décrit les plus beaux décors en noir et blanc. D'écriture forte, il s'est mérité je ne sais plus combien de prix avec "Et que le vaste monde..." en 2009. Ça se comprend. Ce livre est aussi puissant que Les saisons de la nuit. McCann est revenu. Exit Zoli.

Dès le début, c'est un peu d'Irlande, puis le Bronx des années 70. Ouvrages à plusieurs voix, on y découvre plusieurs histoires qui tournent autour du même événement, celui du fildeferiste qui traverse le World Trade Center sur son fil d'une tour à l'autre en 1974. On est envoûté, ça y est, McCann est bel et bien revenu jusqu'à ce que... patatras! Tout s'écroule. De toutes les voix qui s'expriment, l'une d'elles vient de la rue du Bronx, avec sa personnalité et son langage, ses mots particuliers. Or, la traduction française efface tout. Bon d'accord, je ne suis pas Français. J'imagine que ça joue. Les mots d'argots ici utilisés me sont inconnus et franchement, j'avais la désagréable impression d'un western doublé dans un studio parisien. Insupportable. Comme quoi la traduction est un art et ici, le travail n'a été fait que pour un public très ciblé, européen. Aucun Québécois ne s'y retrouvera. Jamais vécu ça avant.

C'était au milieu du livre environ. Une fois ce chapitre terminé, les autres voix reviennent, lisibles, mais j'étais tellement plein d'appréhensions que j'ai difficilement repris le fil de l'histoire. Or c'est joli, tendre et dur, mais voilà, je déteste dire ça, mais j'aurais dû le lire en anglais. Je le saurai pour la prochaine fois... à moins que l'éditeur réserve à l'écriture de McCann un traducteur pour un public francophone d'Amérique. Qu'on me permette d'en douter.

Première fois, peut-être, que je subis en lecture les affres de la mondialisation. Triste et frustrant.

dimanche 31 janvier 2010

La canicule des pauvres, par Jean-Simon Desrochers, Éditions Herbes rouges


Je ne suis certainement pas le premier à parler de la Canicule des pauvres au Québec. Phénomène médiatique depuis sa sortie, le premier roman de Jean-Simon Desrochers a de quoi faire parler de lui.

Certaines oeuvres viennent ponctuer le temps dans la vie d’un peuple. Au Québec, celle de Michel Tremblay a marqué les années 70 avec les Chroniques du Plateau Mont-Royal. On y parlait de la vie de gens qu’on préférait savoir enfouis dans le grenier de nos pensées, de choses qu’on sait qu’elles existent mais qu’on ne peut pas voir. Christian Mistral en a bousculé plusieurs ensuite dans les années 80 avec sa faune d’irrécupérables.

Depuis environ 15 ans, on découvre plusieurs auteurs d’ailleurs venus s’installer ici. Ces nouvelles voix nous ont parlé d’où ils viennent, et comment ils sont arrivés. L’exotisme de leurs histoires nous a touché, leur vulnérabilité, puis leur réussite acquise à force de batailles. Même chose avec les misères des riches et autres aventures à questionnement générationnel. On dirait que c’est la norme.Or, avec le temps, ces histoires deviennent courantes. Pas inintéressantes pour autant, elle font peu à peu oublier un autre présent, celui effacé de gens qui nous entourent, qui ont toujours fait d’une ville une ville, ceux qui étaient là avant et y sont encore, la base, quoi. Or un sous-sol, c’est pas joli. Si on enlève le maison et qu’il ne reste que la cave, ce qu’on voit est ordinaire, fatigué, voué à l’abandon, mais fort. Cette cave enfouie a quand même portée une jolie maison. On lui a marché dessus, la maison est partie mais la cave, elle, est toujours là. Voilà, à mon sens, l’essentiel des personnages de la Canicule des pauvres. Race: pas important. Sexe: pas important. Statut social: pas important. Ne compte que l’oubli, pas celui qu’on s’est donné, mais celui qu’on doit supporter.

Jean-Simon Desrochers n’écrit pas nécessairement finement, mais avec beaucoup de sensibilité et énormément de justesse. Si certains personnages nous semblent un peu clichés à première vue, on comprendra leur nécessité au fil de leur histoire. Ce gars-là est un chroniqueur, un observateur aguerri.

Des scènes à la fin de ce livre sont belles à couper le souffle. La dernière note de ce roman symphonique se termine en point d’orgue, une suggestion de renouveau. Et pourtant la mort y est omniprésente, mais rarement un livre ne m’aura paru plus vivant que la Canicule des pauvres.

Les critiques auront beaucoup parlé de scènes pornographiques et même assez gores. Normal. Si ces critiques sont conquis, c’est qu’ils décrivent là un univers qu’ils ne connaissent pas, incluant les scènes ci-haut décrites, mais pourtant réelles, crues mais pas choquantes pour autant. Ces univers existent, mesdames et messieurs. La seule chose, c’est que “ces gens-là” ne vivent pas les mêmes frustrations que les beaux quartiers, voilà tout. Lorsqu’on n’a rien, le cul, on n’hésite pas à s’en servir puisque c’est tout ce qu’on a.

Notons aussi les “autres” personnages, à commencer par cette canicule, mais aussi l’édifice où vit cette faune et cette flore humaine. L’auteur remarquera justement que ces édifices à logements quelconques, souvent parmi les moins âgés de la ville, sont souvent ceux qui nous semblent maintenant les plus vieux, les plus brisés. Il faut les regarder très attentivement pour les trouver beaux. C’est sans doute là où naît la poésie d’une ville, beaucoup plus que dans les beaux quartiers ou dans les banlieues tristes.

Je suis tombé amoureux de ce livre (J’allais ajouter “littéralement” mais bon. On est si vite accusé de “cliché” de nos jours...). Ses personnages me suivront longtemps. Puisse Jean-Simon Desrochers nous déranger encore souvent.

dimanche 17 janvier 2010

Artefact, par Maurice G. Dantec, éditions Albin Michel


Première partie: un homme dans le World Trade Center le 11 septembre 2001 (tiens, encore?). Catastrophe. Il survit et plus encore, il s'évade. Il sauve au passage la vie d'une petite fille. Intéressant. Il prend la petite fille sous sa houlette et se rend avec elle jusqu'au nord du Québec où il ira rejoindre son "vaisseau-mère". Car l'homme est un extra-terrestre. Ça se terminera sur un "grand boulevard" de Labrador City. Bon.

Deuxième partie: Un hommme s'éveille dans une chambre d'hôtel. Il a oublié son passé. Dans sa chambre, il y a une vieille machine à écrire. Intéressant. L'homme devient la machine à écrire, la machine à écrire devient l'homme, et tous deux gambadent dans une ville ou le jour est la nuit et la nuit est le jour. D'accord.

Troisième partie: un homme fera périr des gens qui méritaient de mourir en leur faisant subir des supplices atroces jusqu'à détruire des villes à l'arsenal nucléaire. Cet homme est le frère du diable. Voilà.

Divertissant vous dites? On dirait, oui.

Je n'avais jamais lu Dantec. Je connaissais l'homme de réputation et je cultivais une certaine hâte à le découvrir. Un concours d'événements m'a fait tomber sur Artefact, paru en 2007. Ce sera suffisant, merci.

D'accord qu'un écrivain défie les standards actuels. D'accord aussi qu'il fasse se suivre trois histoires sans fil conducteur. La violence gratuite, ok. On a vu ça avec Brett Easton Ellis par exemple et c'était excellent. Qu'un auteur règle ses comptes avec la société en lui opposant ses principes, fussent-ils calqués sur une croyance religieuse, oui, pourquoi pas. Si le discours se tient et fait réfléchir, je veux bien. En fait je me suis dit tout ça en lisant Artefact et rien n'est aboutit. Dantec décrit des atrocités, part dans les limbes à dix mille lieues du plus désopilant délire du plus stone des poètes contemporains, multiplie les mots savants, invente des mots et oh, j'oubliais, pour faire "hype", donne des titres anglais à ses chapîtres.

Le flou, l'anarchique peuvent savoir me plaire s'ils ont une fin. Ici, c'est d'abord n'importe quoi pour se terminer dans le vide. Si Dantec écrit pour faire parler de lui, bravo, c'est réussi. Mais ce livre n'est rien. Qui trop embrasse mal étreint, Monsieur Dantec. Artefact n'est pas horrible, ni ennuyant. Il est tout simplement inutile.

lundi 11 janvier 2010

Le voyage de l'éléphant, par José Saramago, Éditions du Seuil


Ne vous semble-t-il pas qu'un des plus beau compliment qu'on puisse vous faire, c'est de vous faire confiance? Et qu'ainsi vous vous sentiez plus fort, ou meilleur, ou tout simplement capable. Lire Saramago, c'est constater qu'un écrivain nous fait confiance, nous sait assez perspicace pour apprécier ses mots pourtant choisis, assez tenace pour apprivoiser sa ponctuation revisitée. Lorsqu'on lit Saramago pour la première fois, on se dit: "Ouf, je pourrai pas, c'est beaucoup trop érudit". Mais si on tient bon, on se surprendra à sourire, puis à rire, puis à penser, à s'imaginer ce qui pourrait bien arriver si ses histoires étaient vraies, à se demander où il est allé chercher tout ça.

Une amie d'origine portugaise me disait qu'il écrivait dans une langue un peu vieille mais très belle et très riche. Aussi puis-je constater combien la traduction de Geneviève Leibrich est fidèle. L'esprit subtil, hyper fin, allumé de Saramago donne le plus souvent dans la métaphore. Ses habitués penseront ici à L'Aveuglement où toute une ville devient aveugle, à La lucidité où un pays s'abstient de voter, et à L'Intermitence de la mort où cette dernière décide de ne plus sévir dans un autre pays. Peu importe l'interprétation qu'on y donne, toujours, José Saramago nous happe dans un monde paralèle où le "peut-être" donne froid dans le dos ou donne carrément le vertige en s'ouvrant sur un monde de possibilités auquel on n'aurait jamais pensé.

Avec Le voyage de l'éléphant, l'écrivain portugais nous amène dans le passé et nous fait voyager de Lisbonne à Vienne en compagnie d'un éléphant, de son cornac indien, et de leurs accompagnateurs, soient-ils des soldats portugais ou la cour de l'archiduc d'Autriche en déplacement. Ce dernier reçoit un éléphant en cadeau du roi du Portugal qui profite du séjour de l'Autrichien dans l'Espagne voisine pour y convoyer l'animal... et tout ce qui va avec, et tout ça, en plein 16e siècle. Ce qui pourrait sembler banal ne l'est pas, et ce qui pourrait être compliqué devient simple et beau. Les peurs ressenties par certains équivalent bien celles de notre temps, et les idées préconçues, et l'inconnu qui effraie mais qui fait pourtant grandir.

Ce voyage traverse non seulement l'Europe, mais aussi la tête d'un des meilleurs écrivains de ce temps. Saramago, via une histoire d'il y a cinq siècles, passe ses messages sur l'anglicisation du monde, sur les bienfaits et les méfaits des technologies, écorche au passage la "bienveillante" église catholique, une de ses têtes de turc préférées, et nous fait remarquer à travers tout ça la surprenante beauté du monde. Faut l'faire.

Je ne saurais décrire ce que raconte José Saramago. C'est trop joli, trop bien dit, trop essentiel, pour que quiconque ne s'en passe. Si vous ne connaissez pas encore cet auteur et que vous désiriez le faire, offrez-vous Le voyage de l'éléphant. Vous verrez, c'est très confortable et vraiment dépaysant.