dimanche 5 septembre 2010

La trajectoire, par Stéphane Libertad, Éditions du Hamac


Les histoires de dépaysement pleuvent. Et comme la pluie, c'est souvent triste. Je suis d'une terre d'accueil où les récits du genre se multiplient avec les années. Le plus souvent, le sujet trime dur, fait face à divers types d'incompréhension, passe de regrets en désillusions, se bat puis voit la lumière. Le peuple ou le pays d'accueil joue souvent le mauvais rôle, du pourvoyeur de barrières, du miroir aux alouettes. Vous me trouvez cynique... Je le suis. Pas que toutes ces histoires se perdent dans le misérabilisme et le pathétique, mais peu s'en faut. Reste qu'on reconnaît le courage, la persévérance de qui nous raconte ses misères et qu'on bout du compte, on critique positivement l'ouvrage.

Combien de fois un Français aura-t-il raconté sa venue au Québec? Je l'ignore. Le plus souvent, de tels récits passeront par l'anecdotique, les bourrades et les clins d'oeil. On n'imagine pas un Français terrifié à l'idée de gagner l'Amérique, et surtout pas la francophone. On n'imagine pas l'Européen dépourvu ni même perdu, alors on rit de ses frasques et de ses surprises et on passe vite à autre chose. Stéphane Libertad a eu la brillante idée et surtout le talent de passer outre à tout ça. On dirait plutôt un récit de voyage qu'une histoire d'immigration. En soit, déjà, on en aime l'originalité.

Un Français gagne le Québec. Je n'ajouterai rien d'autre à l'histoire que je vous la laisserai lire tout aussi avidement que je l'ai avalée. Écrit comme une lettre, voire comme un blogue, La Trajectoire est beaucoup plus un récit qu'un roman, comme indiqué en page couverture. Ce récit comporte des bribes d'une vie toute simple où les décisions sont aussi dures à prendre que dans une vie sédentaire, où les relations sont aussi improbables que dans n'importe quel continent qui se respecte, seulement, l'auteur a su rendre vif ce qui aurait pu être plat, vivant ce qui aurait pu être anodin, original ce qui aurait pu être commun.

Il faut du talent pour raconter au présent. Libertad s'y prend très bien. Son récit nous ramène à ce que, du pays, de la famille, du conjoint ou même de l'enfant, rien ni personne ne pourra nous remonter, nous faire confiance, nous pousser autant que... soi-même. De tels regards sur soi et sur les autres sont rares. Celui-ci est très certainement à suivre.

Dernier propos sur La Trajectoire: la quatrième de couverture parle d'une écriture "qui dérange". Terme galvaudé par excellence, le "dérangement" en question n'a rien du pamphlet sulfureux ou du règlement de compte en public. À tout le moins peut-on dire de Libertad qu'il ne se formalise pas du politiquement correct et écrit sans fioritures. Sans déranger aucunement, il arrange, plutôt, et transforme sa lecture en de très agréables moments qu'on aimerait continuer avec lui autour d'un café ou d'un demi.

Excellente découverte chaudement recommandée... et à éviter si vous souhaitez être... dérangé.

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