mardi 31 août 2021

Saturne, de Sarah Chiche, éditions du Seuil

Voici un roman époustouflant où l'amour et le deuil dévorent, comme Saturne. Allez, à vos recherches: Saturne, comme Mars et Jupiter, c'est d'abord un personnage. Reste que rarement Éros et Thanatos se sont aussi bien complétés qu'ici.

Dans la première partie de ce livre, la narratrice raconte l'exil d'Algérie de la famille de son père et leur installation en Normandie. Drame précurseur. Propriétaires de cliniques médicales privées, les parents ont fui un pays rendu bouleversé par une guerre sale où leurs efforts pour aider ceux qui avaient besoin de leurs services se sont avérés vains.

Rendus en France, l'empire médical explose. La famille déjà aisée, devient encore plus riche. Second drame: des deux fils, un a des dispositions et des intérêts pour la médecine, l'autre pas. Le premier est le favori, l'autre le mouton noir. C'est lui qui deviendra le père de la narratrice. Il mourra dans la trentaine, elle avait une quinzaine de mois.

L'histoire devient alors celle de souvenirs racontés par d'autres. Ces souvenirs racontent la passion d'un jeune homme de bonne famille qui rencontre une belle jeune femme mystérieuse à l'aura scandaleux. La belle famille la déteste, ils s'aiment, c'est torride, sulphureux, intense. Jusqu'ici, on croit avoir déjà vu ça, mais arrivent ensuite les souvenirs de la narratrice elle-même en seconde partie: elle a vingt-cinq ans et son oncle la rejoint pour lui apprendre qu'elle hérite suite au décès de sa grand-mère. C'est à partir de là que l'orpheline de père vivra le deuil de celui qu'elle n'a jamais connu.

Cette descente aux enfers vous bouscule comme un vent d'ouragan. La jeune femme est seule et sa famille plus disfonctionnelle que jamais. On entre dans le récit d'un délire lucide renversant, écrit avec une justesse telle que ce livre a réussi à être court alors que comme tant d'autre, il aurait pu se répandre sur des centaines de pages. L'écriture de Sarah Chiche est d'une clarté rare, déstabilisante. Ce récit pourrait nous attirer vers le bas comme un vortex et on en ressort troublé, saisi, mais curieusement bien. Parce que ce récit parle du deuil comme de quelque chose de nécessaire, tellement que ce personnage de la narratrice le vit a posteriori, de son plein gré, par elle-même. Son deuil est libérateur et même si on a mal avec elle, on comprend, et si on comprend, c'est que ce livre est vraiment très bien écrit.

Saturne montre combien il est parfois difficile de se trouver, de se libérer, tant de soi que des autres et de son passé, de ses souveirs. C'est un récit héroïque, mais sans l'habituelle tapage qui accompagne habituellement de genre d'ouvrage. C'est franchement réussi.

dimanche 15 août 2021

Le petit astronaute, par Jean-Paul Eid, éditions la Pastèque

Attention de vous faire avoir par Le petit astronaute. C'est le genre de livre qui peut sournoisement vous emmener là où vous ne vouliez pas nécessairement aller. Vous en serez avertis.

Pour ma part, je l'avais apporté dans un parc un beau dimanche après-midi où la lecture d'une bd promettait de belles heures langoureuses. Rendu environ aux deux-tiers du livre, j'ai dû rebrousser chemin à la maison. J'ai peut-être eu l'air d'être terrassé par une allergie. C'est, en tout cas, ce que je me plais à croire.

Je me sais sensible, mais ne suis pas de ceux qui ont le sanglot facile. Or m'en voilà terrassé par Jean-Paul Eid, incapable de me sortir de ce livre et sentant bien que j'allais bientôt attirer l'attention. Je dois donc me faire violence et refermer le livre sur ses superbes images pour aller le terminer à l'abri dans mon salon.

Pourtant, Le petit astronaute n'ai rien de misérabiliste, de pleurnichard ou de vaguement romantique. C'est l'histoire, simple, d'une famille dont un membre, le petit frère, sera à jamais différent des autres. Racontée par sa grande soeur, l'histoire est touchante parce que pas prétentieuse, humaine, et saupoudrée de juste assez d'onirisme pour mettre du beau, du superbement beau, dans une histoire qui aurait pourtant toutes les raisons d'être dure et difficile à vivre.
Regarder la société à travers les yeux d'un enfant, oui, on a vu ça souvent, mais la regarder à travers un personnage qui retourne dans son enfance est original. Sensible, le scénario reste lucide et ne tombe pas dans le "trop". C'est sans doute ce pourquoi j'ai tant été chaviré: les mots sont bien choisis. Quand aux dessins, les couleurs sont aussi tendres que les esprits, les rues et ruelles de Montréal sont belles, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Les personnages sont justes, clairs, les décors parlent presqu'autant qu'eux tellement ils sont beaux.

Bref, tout est limpide dans cette oeuvre superbe, réussie et touchante comme rarement j'en ai lue. Une bd pour tous, même les gros durs. Vivement une autre de Jean-Paul Eid, qui, soit dit en passant, a basé cette histoire sur la sienne. On en est d'autant plus touché.

dimanche 8 août 2021

Apeirogon, par Colum McCann, éditions Harper Perennial

Roman, essai, chronique, encyclopédie: voici un livre inclassable sur un sujet casse-gueule par exellence: Israël et la Palestine aujourd'hui. J'ai hésité longtemps. Ce confilt dure depuis si longtemps et retient si souvent l'attention des médias qu'il semble bien loin le jour où on en fera un divertissement. C'est en tout cas l'appréhension que j'avais en le commençant, comme si je connaissais déjà l'histoire et sa fin. Mais le défi est relevé avec brio par un écrivain au sommet de son art. Ce livre est intéressant à plusieurs égards.

L'auteur prend tous les moyens qu'un livre puisse offrir pour capter notre attention. Il raconte d'abord deux histoires, celle d'un Israélien, et celle d'un Palestinien. Les deux se connaissent. Ils parcourent le monde ensemble pour témoigner de leurs histoires respectives, différentes mais semblables: tous deux ont perdu une enfant dans un attentat. Chacun à des époques différentes. Leurs témoignages constituent une bonne partie de ce livre et c'est totalement captivant.

Mais autour de ces deux histoires, McCann raconte ce coin de Terre, pas tant son histoire que ce qu'il est maintenant. On en apprend alors sur ce carrefour de routes d'oiseaux migrateurs, des propriétés de l'eau de la Mer morte, de l'assèchement du fleuve Jourdain, des checkpoints autour de Jérusalem, de la gestion de l'eau dans les villes Palestiniennes et les colonies israéliennes, des minbärs, de la guerre de 6 jours... et sur chacun de ces sujets, et plusieurs autres, c'est passionnant. Au fur et à mesure qu'on avance, on veut en apprendre plus et le livre devient un genre de Wikipédia sur un univers qu'on croyait connaître et dont on ne soupçonnait même pas la réalité.

Le livre est séparé en courts chapîtres/paragraphes numérotés qui montent jusqu'à 1000 pour reescendre à zéro. Un paragraphe peut parfois être une phrase. Cet effet de style est assez spectaculaire et, à mon sens inutile. La force du récit donne à Apeirogon une force incomparable, un genre d'apparence de livre idéal qu'on n'aurait pas eu besoin de séparer ainsi.

Au centre du livre, résident les témoignages tels que les 2 premiers personnages les livrent lors de leurs conférences. C'est extrèmement touchant. Ces réquisitoires parlent de paix, bien entendu, et c'est à partir de là où on voit de quel côté penche la balance, tant celle du parti que prend l'auteur que de celui qu'est en train de prendre l'Histoire. Je vous laisse deviner qui, des parties israéienne ou palestienne, prend le blâme, mais qu'importe, ce livre/chronique sur ce coin troublant du monde vous aidera à vous en faire une opinion.

Les pères de jeunes filles tuées, leurs mères, l'histoire récente de leurs familles, leur environnement, leur école, leurs idoles, leur pays, tout y est. Écrit par un écrivain plutôt qu'un journaliste rend sans doute la chronique plus poignante, plus émotive, et c'Est tant mieux.

Je n'ai pas tout aimé de Colum McCann, mais Apeirogon est au moins l'équivalent de Let the great world spin (Et que le vaste monde poursuive sa course folle), le premier livre que j'ai lu de lui et que j'ai tant aimé. En vous le procurant, découvrez ce qu'est un apeirogon, ce qu'est Israêl, la Palestine et ce que la littérature contemporaine a de meilleur à donner. Quels bons moments il vous fera passer.

Apeirogon est traduit en français et est publié chez Belfond éditeur.