Voici un roman époustouflant où l'amour et le deuil dévorent, comme Saturne. Allez, à vos recherches: Saturne, comme Mars et Jupiter, c'est d'abord un personnage. Reste que rarement Éros et Thanatos se sont aussi bien complétés qu'ici.
Dans la première partie de ce livre, la narratrice raconte l'exil d'Algérie de la famille de son père et leur installation en Normandie. Drame précurseur. Propriétaires de cliniques médicales privées, les parents ont fui un pays rendu bouleversé par une guerre sale où leurs efforts pour aider ceux qui avaient besoin de leurs services se sont avérés vains.
Rendus en France, l'empire médical explose. La famille déjà aisée, devient encore plus riche. Second drame: des deux fils, un a des dispositions et des intérêts pour la médecine, l'autre pas. Le premier est le favori, l'autre le mouton noir. C'est lui qui deviendra le père de la narratrice. Il mourra dans la trentaine, elle avait une quinzaine de mois.
L'histoire devient alors celle de souvenirs racontés par d'autres. Ces souvenirs racontent la passion d'un jeune homme de bonne famille qui rencontre une belle jeune femme mystérieuse à l'aura scandaleux. La belle famille la déteste, ils s'aiment, c'est torride, sulphureux, intense. Jusqu'ici, on croit avoir déjà vu ça, mais arrivent ensuite les souvenirs de la narratrice elle-même en seconde partie: elle a vingt-cinq ans et son oncle la rejoint pour lui apprendre qu'elle hérite suite au décès de sa grand-mère. C'est à partir de là que l'orpheline de père vivra le deuil de celui qu'elle n'a jamais connu.
Cette descente aux enfers vous bouscule comme un vent d'ouragan. La jeune femme est seule et sa famille plus disfonctionnelle que jamais. On entre dans le récit d'un délire lucide renversant, écrit avec une justesse telle que ce livre a réussi à être court alors que comme tant d'autre, il aurait pu se répandre sur des centaines de pages. L'écriture de Sarah Chiche est d'une clarté rare, déstabilisante. Ce récit pourrait nous attirer vers le bas comme un vortex et on en ressort troublé, saisi, mais curieusement bien. Parce que ce récit parle du deuil comme de quelque chose de nécessaire, tellement que ce personnage de la narratrice le vit a posteriori, de son plein gré, par elle-même. Son deuil est libérateur et même si on a mal avec elle, on comprend, et si on comprend, c'est que ce livre est vraiment très bien écrit.
Saturne montre combien il est parfois difficile de se trouver, de se libérer, tant de soi que des autres et de son passé, de ses souveirs. C'est un récit héroïque, mais sans l'habituelle tapage qui accompagne habituellement de genre d'ouvrage. C'est franchement réussi.
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