mardi 12 octobre 2021

Les étés souterrains, par Steve Gagnon, éditions L'instant même, collection L'Instant scène

C'est du théâtre, mais ça pourrait aussi être un long poème en prose ou un monologue sous forme de récit. Quoi que ce soit, c'est complètement bouleversant et fichument beau.

J'avais vu la pièce dès que les salles de théâtre ont accueilli leurs premiers spectateurs après le long confinement de l'hiver 20-21. Ce texte de Steve Gagnon était mis en scène par Édith Patenaude et joué par Guylaine Tremblay, comédienne de grand talent, parfaite pour rendre les multiples facettes de ce texte aussi dense que léger, et aussi doux que fort. Séduit, j'ai acheté le texte en sortant de la salle, chose que je n'avais jamais faite avant. C'était une excellente idée. Les producteurs devraient faire ça plus souvenet: mettre le texte de la pièce à la disposition des spectateurs en sortant.

Une femme est en vacances dans sa maison de campagne en Provence. Elle parle avec des amis. Prof de littérature au Québec, elle se raconte. Son récit est entrecoupé de scènes où le même personnage est dans un autre temps et un autre espace, dans un centre de soin où on sent bien que rien ne va plus pour elle.

Ce personnage est un moulin à paroles qui se connaît bien. Elle sait qu'elle parle beaucoup et ne se sent pas plus mal pour autant. Ayant une opinion sur tout, elle exprime le plus souvent sans aucun filtre ses idées, ses impressions, ses émotions. Bien qu'avec un seul personnage, ceux à qui elle s'adresse sont très présents. Elle nomme souvent ses amis, son amant, sa fille. Entière et sincère, elle exprime, parfois maladroitement, son amour pour chacun. Au début, comme tout personnage du genre, elle nous tape un peu, mais rapidement, on sent sa fragilité, mais surtout, son honnêteté, et on l'aime tellement qu'on ne voudrait plus qu'elle s'arrête de parler.
Les étés souterrains est un hommage à l'amour, l'amitié et la sincérité. On aime ce personnage parce qu'elle n'a rien de faux et qu'elle avance droit devant, même si certains peuvent se faire un peu bousculer à son passage. Mais la femme qui se dit forte et fière se sait aussi atteinte d'un mal qui, elle le sait aussi, l'emportera plus rapidement qu'elle l'aurait voulu.

Ce texte de Steve Gagnon se lit sans peine d'un bout à l'autre. On l'aime comme on aime être en présence d'une personne aimée. Il faut être très doué pour mélanger autant d'émotions en si peu de mots.

Bien sûr, ayant vu la pièce, j'entendais parler le personnage. Mais même sans la voix, je suis certain qu'elle saura vous séduire, et ce même si vous n'avez que rarement lu des textes écrits pour le théâtre. Celui-là se lit bien, la langue est belle et simple, sans prétention, mais d'une force qui vous va droit au coeur.

Pourvu qu'on reprenne la pièce... et que Steve gagnon nous prépare d'autres choses à lire!

dimanche 10 octobre 2021

Kukum, par Michel Jean, éditions Libre Expression

Lire un livre parce que beaucoup de gens m'en ont parlé me fait le commencer avec appréhension. Sans snober la sagesse populaire, disons que j'ai toujours préféré faire mon chemin tout seul. J'ai donc commencé Kukum dans cet état d'esprit, en embarquant difficilement.

Celle qui se raconte a 15 ans. Orpheline adoptée par un couple qu'elle appelle "mon oncle et ma tante", elle vit dans un petit village naissant, au bord du lac Saint-Jean. Un Innu passe souvent par la rivière voisine sur son canot. Elle s'intéresse à lui et bientôt, elle le mariera pour le suivre. On est à la fin du 19e siècle, les Innus passent l'été dans un village de tentes et l'hiver dans les bois, on nord du lac Saint-Jean, en remontant la rivière Péribonka. Elle vivra une nouvelle vie apprendra la langue, fera des enfants, bref, elle deviendra elle-même innue.

Bien que grande parce que rare, l'histoire est racontée sobrement. Très sobrement, et c'est là où j'ai eu un peu de difficulté, au début du livre. J'espérais plus d'emphase. Mais quand même, l'avancée de cette femme, les descriptions des épisodes lents de sa vie, et du mode de vie de sa nouvelle communauté ont capté mon attention. Bien que sobre, tout y est. Puis, j'ai été happé, parce que j'ai compris.

Michel Jean connaît son sujet puisque c'est la vie de son aïeule qu'il raconte. La parole qu'il lui donne est tout à fait crédible, vraie. Au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, la narratrice constate les changements, quand même assez drastiques, que son peuple aura à subir. Elle prend position, donne son opinion, toujours aussi sobrement. On parle souvent de cette histoire du choc des civilisations vécu entre les peuples autochtones et les colons blancs. On en parle de toutes les façons, d'où les débats. Quelles que soient les positions, ces histoires soulèvent les passions, font se poser des questions, provoquent des doutes. Or, avec Kukum, on a quelque chose de nouveau, et c'est là où réside la force et le génie de ce livre: le ton.

Cette sobriété, loin d'être neutre, est communicatrice. C'est l'histoire de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'hommme qui a vu l'ours racontée par celle qui a vraiment vu l'ours. Ce point de vue, ce ton, nous donnent un regard complètement nouveau sur cette dure époque vécue par les communautés innues, et par le fait même, celles des autres premières nations américaines.

Rempli de faits historiques propres à la région racontée, Kukum est un témoignage éloquent raconté de façon à ce que tous puissent le lire... à tête reposée. L'auteur a su garder une ligne vraiment pas évidente où l'émotion se transmet le plus naturellement du monde sans grands déploiements ni grandes scènes épiques. La narration se fait tout doucement, subtilement, comme un témoignage, comme l'Histoire se déploie, avec les conclusions qu'on en tire chacun de notre côté. N'empêche, on en sort ému.

Le succès populaire de Kukum est bien mérité et on lui souhaite, comme le peuple qu'il raconte, de durer et de prendre sa place dans l'Histoire.