dimanche 10 octobre 2021

Kukum, par Michel Jean, éditions Libre Expression

Lire un livre parce que beaucoup de gens m'en ont parlé me fait le commencer avec appréhension. Sans snober la sagesse populaire, disons que j'ai toujours préféré faire mon chemin tout seul. J'ai donc commencé Kukum dans cet état d'esprit, en embarquant difficilement.

Celle qui se raconte a 15 ans. Orpheline adoptée par un couple qu'elle appelle "mon oncle et ma tante", elle vit dans un petit village naissant, au bord du lac Saint-Jean. Un Innu passe souvent par la rivière voisine sur son canot. Elle s'intéresse à lui et bientôt, elle le mariera pour le suivre. On est à la fin du 19e siècle, les Innus passent l'été dans un village de tentes et l'hiver dans les bois, on nord du lac Saint-Jean, en remontant la rivière Péribonka. Elle vivra une nouvelle vie apprendra la langue, fera des enfants, bref, elle deviendra elle-même innue.

Bien que grande parce que rare, l'histoire est racontée sobrement. Très sobrement, et c'est là où j'ai eu un peu de difficulté, au début du livre. J'espérais plus d'emphase. Mais quand même, l'avancée de cette femme, les descriptions des épisodes lents de sa vie, et du mode de vie de sa nouvelle communauté ont capté mon attention. Bien que sobre, tout y est. Puis, j'ai été happé, parce que j'ai compris.

Michel Jean connaît son sujet puisque c'est la vie de son aïeule qu'il raconte. La parole qu'il lui donne est tout à fait crédible, vraie. Au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, la narratrice constate les changements, quand même assez drastiques, que son peuple aura à subir. Elle prend position, donne son opinion, toujours aussi sobrement. On parle souvent de cette histoire du choc des civilisations vécu entre les peuples autochtones et les colons blancs. On en parle de toutes les façons, d'où les débats. Quelles que soient les positions, ces histoires soulèvent les passions, font se poser des questions, provoquent des doutes. Or, avec Kukum, on a quelque chose de nouveau, et c'est là où réside la force et le génie de ce livre: le ton.

Cette sobriété, loin d'être neutre, est communicatrice. C'est l'histoire de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'hommme qui a vu l'ours racontée par celle qui a vraiment vu l'ours. Ce point de vue, ce ton, nous donnent un regard complètement nouveau sur cette dure époque vécue par les communautés innues, et par le fait même, celles des autres premières nations américaines.

Rempli de faits historiques propres à la région racontée, Kukum est un témoignage éloquent raconté de façon à ce que tous puissent le lire... à tête reposée. L'auteur a su garder une ligne vraiment pas évidente où l'émotion se transmet le plus naturellement du monde sans grands déploiements ni grandes scènes épiques. La narration se fait tout doucement, subtilement, comme un témoignage, comme l'Histoire se déploie, avec les conclusions qu'on en tire chacun de notre côté. N'empêche, on en sort ému.

Le succès populaire de Kukum est bien mérité et on lui souhaite, comme le peuple qu'il raconte, de durer et de prendre sa place dans l'Histoire.

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