samedi 31 décembre 2022

Les poules des prairies partent en tournée, par Dawn Dumont, éditions Hannenorak

C'est l'histoire des aventures d'une troupe de danseurs improbables et sans confiance en eux qui découvrent le monde, le succès, et qui, à travers tout ça, se découvrent eux-mêmes. C'est excellent, souvent dérangeant, drôle et presque burlesque, sans longueurs. Avec son style direct et naturel, Dawn Dumont fait découvrir l'univers des communautés autochtones canadiennes comme on ne l'a jamais raconté, sans victimisation, mais aussi sans filtre bien pensant.

Les danseurs sont des Cris de la Saskatchewan, on est en 1972. Ils ont l'occasion d'aller présenter des pans de leur culture sur des scènes européennes. Mais tout, dans ce qui leur arrive, est erratique. La planification n'est pas leur lot, les leaders de la troupe s'en occupent du mieux qu'ils peuvent, parce que chaque personnage a sa part d'improvisation dans un monde où ils ne sont visiblement pas à leur place.

La beauté de ce bouquin est que l'autrice réussit magistralement à décrire ces malaises. Chacun ces Indiens (c'est ainsi qu'ils se définissent dans l'époque où ils évoluent) trainent des blessures, des inconforts, des lubies qui les font se trouver différents des autres. Qu'il soit en groupe ou seuls face à la foule, chaque personnage se retrouve à un certain moment face à un dilemme: faire comme les autres ou rester soi-même, avec ou sans compromis.

Ces questionnements sont habilement amenés dans des scènes captivantes. Dawn Dumont fait vivrre toutes sortes de choses à ses personnages, qui naviguent entre la décoverte de soi, le retour douloureux dans le passé, la honte, la fierté, mais aussi le désir, très présent tout au long du livre.

Les poules... se lit facilement. Encore ici, la traduction en français nord-américain de Daniel Grenier facilite la lecture, bien que parfois, on pourrait peut-être trouver que c'est un peu "trop", particulièrement dans les excès de langage de quelques personnages. Je me demande même si le traducteur n'a pas fait, comme moi, certains parallèles entre l'écriture de Dawn Dumont et celle d'auteurs québécois qui racontent des histoires populaires, à la manière de Michel Tremblay, qu'on ressent parfois, à travers la traduction.

Mais qu'importe, tous les personnages sont adorables parce que vulnérables. Chacun a sa part de bon et de méchant, de perdant et de héros. À la fin du livre, on comprend encore mieux la réalité d'aujourdfhui de ce peuple, de ce qu'il a vécu, de ce qui l'a fait, mais aussi, défait. Culture, traditions, religion, mais aussi modernité et affirmation de soi: tout y est pour que ce périple nous captive.

Une autre belle réussite de Dawn Dumont.

mardi 6 décembre 2022

J'étais un héros, par Sophie Bienvenu, éditions du Cheval d'août

Je parle probablement de mon autrice québécoise préférée. En tout cas elle l'est depuis que j'ai terminé ce troisième livre d'elle. Sophie Bienvenu, c'est pour moi la voix la plus claire que je puisse lire. Rien n'interfère entre chacun de ses mots et les émotions que je ressens. Ah que ce livre était beau. Et pourtant y'a des scènes là dedans qui m'ont solidement chaviré.

Comme dans ses autres livres, Sophie Bienvenu donne la parole à un personnage vulnérable, à quelqu'un qui s'est auto-saboté et qui le sait. Brisé mais conscient, Yvan se sait décompté. L'alcool lui a scrappé le foie, mais aussi sa vie. Ne lui reste plus qu'une coloc amoureuse de lui, et sa fille à lui, qui s'est éloignée depuis longtemps. Il en fera sa seule bouée de sauvetage, si sauvetage il y a.

Deux scénarii se croisent: celui où Yvan va vers sa fille, et celui ou c'est l'inverse. Dans les deux cas, on entre dans la tête d'Yvan comme on pourrait le suivre sur une rue, le voir, le regarder. La force de Sophie Bienvenu, c'est un regard généreux et ouvert, une rare compréhension du monde. Y'a de ces gens, comme cette autrice, que je voudrais observer pendant qu'elle observe les gens. Je lui envie cette connaissance fine de l'âme humaine.

La relation père-fille décrite ici est difficile. Ls non-dits et le manque de confiance en soi prennent toute la place. Enfin, non, pas toute, parce qu'aussi, il y a là une tendresse stupéfiante. Malgré tout ce qui arrive de dur ou de triste, il flotte toujours un air de deuxième chance, quelque chose comme de l'amour qu'on ne veuet pas voir, mais qu'on ressent. C'est vraiment très fort comme sentiment, tout au long du livre.

J'étais un héros se lit comme une conversation avec un être cher. La langue est simple, les mots et les images aussi, mais c'est immense en même temps, comme les personnages, comme quiconque peut l'être si on pose un regarde bienvellant sur lui.

Sophie Bienvenu est une grande autrice.