mercredi 25 janvier 2023

Le monde se repliera sur toi, par Jean-Simon DesRochers, éditions Boréal

Jean-Simon DesRochers confirme son style atypique et performatif avec ce roman. Ses courtes histoires qui s'enchevètrent les unes aux autres donnent ici un roman kaleidoscopique qui, curieusement, réussit à capter notre attention sans toutefois susciter de vives émotions.

Chaque personnage en emmène un autre. En 3 ou 4 pages, on a un tableau de la vie d'une personne reliée, de près ou de loin, à celle dont il était question dans le tableau d'avant et à celle qui suivra. Et ainsi de suite. C'est ainsi qu'on fait le tour du monde deux fois, via un tas d'endroits, où se parlent un tas de langues, et où se vivent des tas de situations. J'appelle ça "un roman de geek".

DesRochers parle de lieux pas nécessairement connus, fait des citations dans plusieurs langues, enchaine décors et personnages jusqu'à ce qu'une boucle se fasse, puis il repart dans une autre direction pour revenir ensuite aux personnages de départ. C'est par cette technique qu'il m'avait fasciné une première fois avec La canicule des pauves, et m'avait fait peur à en refermer le livre avant la fin avec Les inquiétudes, tome 1. Cette fois, il m'étonne moins, mais réussit quand même à capter mon attention. Le procédé est efficace. Cet auteur est un grand raconteur.

Toutefois, avec tous ces personnages qui ne font que passer, on développe peu de sentiments pour eux. Il y a quelque chose de clinique dans cette écriture, pas nécessairement froide, mais pas nécessairement chaude non plus. On veut voir où on ira ensuite, et comment, un peu comme on enchaîne les tableaux sur un jeu vidéo, ou même, comme on zappe d'une chaine à l'autre un soir où la télé hypnotise sans nous faire pleurer ni rire.

Attention le procédé demande une certaine concentration. Si on le reprend après un certain temps, il nous faut revenir un peu en arrière pour comprendre où on est, et pourquoi.

Tout ça fait un roman hors norme, mais facile à lire, captivant, mais sans nous faire perdre le souffre, coloré mais sans nous aveugler.

mercredi 4 janvier 2023

Rang de la dérive, par Lise Tremblay, éditions Boréal

C'est comme si quelqu'un de votre entourage proche vous faisait une révélation, vous informait d'une chose que vous auriez préféré ne jamais savoir. Entre la tristesse, la peur, l'émoi et la surprise, vous êtes désemparés. C'est le sentiment que je retiens de ma sortie du Rang de la dérive.

Écrivaine majeure que j'adore, Lise Tremblay me jette ce livre à la figure en me disant de me débrouiller avec lui. J'en ressort avec des émotions mêlées, sans avoir nécessairement pris de plaisir à le lire. Mais reste une intense fascination pour ces portraits de femmes qui ont en commun de vivre une fin de relation alors qu'elle sont en moyenne au début de la soixantaine.

Adroite dans son écriture, Lise Tremblay nous fait nous rendre compte qu'il est aussi difficile de lire la honte que d'en parler. Parce qu'il s'agit beaucoup de ça, mais aussi de réveils brusques ou les femmes racontées dans chacune des cinq nouvelles sortent de relations où un homme a pris trop de place. Quoi qu'il en soit, les constats que chacune font sont lourds. Sans parler de vies gâchées, elles constatent que de recommencer à zéro n'st pas si simple.

Bref, comme une confidence qu'on aurait préféré ne pas recevoir, ce livre ne laisse pas indifférent. Facile à lire, comme tout ce qu'écrit cette excellente autrice, il se révèle quand même d'une froideur presque clinique.

Devrait-on parler d'un public cible, dont je ne suis pas? Pas nécessairement. Ce serait condescendant, mais surtout méprisant. Ces portraits de personnes sans fards nous entourent sans aucun doute sans qu'on le sache ou sans qu'on veuille le savoir. Lise Tremblay nous les mets en pleine face, et on dira ce qu'on voudra, mais c'est réussi. J'ai préféré ses ouvrages antérieurs, mais peut-être que c'est celui-là qui m'aura le plus marqué.

Faut le faire.

lundi 2 janvier 2023

La shéhérazade des pauvres, par Michel Tremblay, éditions Leméac/Actes sud

C'est comme si Michel Tremblay avait fait un cadeau à ses lecteurs de longue date en ressortant un de ses anciens et illustres personnages. Il n'en fait pas moins un fleur au temps présent par la présence d'un autre personnage de notre époque, et c'est tout à son honneur.

C'est du bon, du beau Michel Tremblay, avec de l'amertume à la puissance 10, de l'auto-dénigrement, des moments magiques et grandioses, des épiphanies, des haines viscérales, et beaucoup de respect. Je l'ai lu d'une traite, et j'en aurais pris encore.

Premier ahurissement: Hosanna s'est retiré de la vie publique depuis presque 50 ans, et il vit toujours. Un apprenti journaliste l'a retracé et l'interroge sur son passé connu. Car si le connu a fait la part belle au personnage, l'inconnu le relègue à quelque chose de beaucoup moins beau, voir même, de scrap. En voulant se faire raconter un passé glorieux, le jeune enquêteur découvre un présent sans envergure et défait.

On pourrait croire à du "c'était mieux avant", mais non. On est plutôt devant du "j'ai pas pu". Ce manque d'envergure est récurrent chez cet auteur qui a sû raconter à sa manièere, à s'en faire aduler ou détester, l'histoire populaire de son coin de planète. De la fierté, oui, Claude, dit "Hosanna" en a encore, mais pas autant que de l'admiration, tant pour ce qui est (le jeune journaliste) que pour ce qui a été (lui et ses vieux amis). Chez Michel Tremblay, on se compare beaucoup avec plus grand que soi. On regarde par toutes les fenètres et on fuit les miroirs. C'est ce que chacun vivra, l'intervieweur et l'intervieuwé, le temps de quelques jours à se raconter.

Le cadeau à ses vieux fans, Tremblay le fait en bouclant la boucle au sujet d'une scène majeure d'Il était une fois dans l'Est, un film de son fidèle acolyte André Brassard, dont le scénario met en scène des personnages cultes de Tremblay, dont l'innefable Hosanna, Sandra, Manon, et bien d'autres. Vous ne les connaissez pas? Pas grave, vous verrez le fin de l'histoire autrement. Peut-être même la trouverez-vous encore plus belle parce qu'au bout du récit de cette shéhérazade des pauvres, il y a beaucoup de rêves, d'amour et de liberté, la vraie, celle nous fait nous sentir bien parmi les autres, celle qui nous pousse par en avant.

Un réel plaisir.