lundi 28 septembre 2020

Extases, tome 2 - Les montagnes russes, par Jean-Louis Tripp, éditions Casterman


C'est l'histoire de la vie de jeune adulte d'un gars intense et qui se définit par sa sexualité. Si, déjà, ce mot vous fait sourciller, sachez tout-de-suite que cette bande dessinée se définit très bien par ses deux composantes: "bande" et "dessinée". 

Si le jeu de mot est facile, le propos du livre ne l'est pas pour autant. Par "facile", je veux dire "léger" ou "superficiel". On n'est pas là. Tripp n'est pas le dernier venu en matière d'édition et ça paraît. S'il sait manifestement dessiner (j'adore ses dessins), il sait aussi raconter, d'autant plus que ce qu'il raconte, c'est lui.

J'ai encore le préjugé que la littérature érotique tombe presque toujours inévitablement dans la vacuité, ou même, j'y reviens, à une certaine facilité, ce qui a souvent pour effet de me lasser. Loin de me choquer, les propos érotiques faciles m'ennuient ou m'exaspèrent. Mais ici, j'ai souvent ri, et lorsque c'était le cas, ce n'était pas par dérision. C'était plutôt le ton, l'atmosphère. Tripp raconte ses aventures comme s'il s'adressait à un ami, sur un ton très décomplexé. Ça nous donne un livre très intérieur, où angoisses et remises en question chevauchent (encore un jeu de mot facile...) aventures sexuelles et relations sociales.

On raconte rarement la vie sous l'angle de la sexualité. Et pourtant, quoi qu'en diront les prudes, elle nous définit tous. Or, pour toutes sortes de raisons, on a utilisé cet aspect de la vie pour contrôler les consciences... avec les résultats que l'on sait. Le gars qui se raconte ici est manifestement "libéré", au sens où on l'entend lorsqu'il s'agit de vie sexuelle. Et pourtant, y'a quelque chose qui ne marche pas. Ses relations ne durent pas, et il ne peut se contraindre à vivre seul. Or, au fil de ses rencontres, il aura une épiphanie...


Bon, d'accord, cette fin ne vous chavirera pas. Ce qui vous touchera, et je pèse mes mots, c'est bien sur les planches hallucinantes parce que souvent tellement belles. Si vous n'aviez jamais vraiment vu par le détail des relations sexuelles dessinées, mais BIEN dessinées, Jean-Louis Tripp vous l'offre ici de la meilleure façon qui soit. Vous rougirez peut-être, mais ne serez pas dégoutés. 

Cet auteur est aussi un dessinateur hors pair et ce deuxième volume de sa série Extases (je ne savais pas qu'il y avait un premier, mais bon, c'est pas vraiment grave) est juste assez long pour qu'il vous fasse passer quelques heures d'un divertissement beau, bon, drôle, touchant, et surtout raconté avec une justesse rare en matière d'érotisme.

À lire et à regarder... si votre moi profond vous le permet.

mercredi 23 septembre 2020

Smith & Wesson, par Alessandro Baricco, éditions Gallimard

Il fallait seulement mon amour inconditionnel de Baricco pour m'emmener sur le chemin peu fréquenté de la lecture d'une pièce de théâtre. On est assez loin de Novecento, pianiste, son autre pièce puisqu'on a ici des dialogues. et non un monologue. On reste toutefois dans l'univers Baricco, avec des personnages décalés, à part du monde, trop ci ou pas assez ça, à qui il arrive des choses qui ne pourraient sortir que de l'imagination débordante d'Alessandro Baricco.

Ça se passe à Niagara. Smith, qui arrive en ville, va cogner à la porte de Wesson, un personnage local, connu pour sa relation particulière avec la tumultueuse rivière et ses chûtes. Le visiteur est un météorologue. Il fait des prévisions météorologiques en se basant sur des observations faites jour donné pendant les années suivantes. Il collectionne donc les mémoires des gens pour savoir quel temps il faisait un tel jour il y a x années. On reconnaît bien là une quête à la Baricco... 

Référé par une tenancière locale, il vient donc à la rencontre de Wesson, et les deux jasent, se présentent. Arrive un troisième personnage, lui aussi référé aux deux premiers, par la même tenancière locale. C'est par ce troisième personnage qu'on aura une autre présentation des deux personnages d'origine. Qui sont-ils vraiment? C'est en le découvrant que ce troisième personnage proposera aux deux autres d'embarquer dans un projet de fous.

Avec les mots de Baricco, c'est souvent drôle, du tac au tac. L'onirisme qui parfume ses romans s'exprime ici vers la fin de la pièce. Le dénouement a tout pour être tragique, mais guidé par les propositions de l'auteur, on sera mené doucement sur une route pourtant bien cahoteuse. Bref, quelle histoire.

J'ai toutefois lu ce texte comme je lis des romans. Je n'aurais peut-être pas dû. Peut-être devrait-on lire une pièce de théâtre tout du long, en un seul jet, comme on assiste au spectacle, ce que je n'ai pas fait. Si ça avait été le cas, j'aurais sans doute été aussi imprégné des décors incroyables de Baricco qu'à la lecture de ses romans. Dans cette pièce, où que les décors suggérés sont quand même assez nombreux, j'ai eu l'impression de manquer quelque chose, l'essence, même, de la pièce.

Tiens, par exemple, ce titre vous a inspiré un thème, avouez-le.  À moi aussi. Smith & Wesson, tout de même... Pourtant, à part une mention anecdotique à un certain moment, le nom des deux personnages apparaît comme une coïncidence. Voilà, c'est sans doute ça qui m'a échappé. Je devrais peut-être le relire. À vous de découvrir dans quelle direction Baricco, le tendre, voulait tirer.

mardi 15 septembre 2020

L'homme rouge et l'homme en noir, par Kim Leine, éditions Gallimard


Voici l'histoire de la relation entre les Européens venus coloniser le Groenland au début du 18e siècle et les premiers habitants de ce territoire. Cette histoire, imaginée par l'auteur, est basée sur des personnages qui ont vraiment existé. Maîtrisé, enlevant du début à la fin, hallucinant, ce roman est remarquable pour plusieurs raisons. Amateurs d'aventures, de sagas, d'histoire, de sociologie, d'anthropologie et de bonnes histoires bien écrites passeront des heures sur le bout de leur chaise à lire ces plus de 600 pages renversantes.

Kim Leine connaît manifestement son sujet. Il a habité plusieurs années au Groenland, en Norvège et au Danemark, les trois territoires couverts par ses personnages. On commence à Copenhague avec le roi Frederik IV du Danemark, et on termine avec un des descendants survivants d'une union entre indigènes et colonisateurs. Entre les deux, on suit les destins d'Européens qui se sont retrouvés là de leur plein gré ou totalement contre, et de Groenlandais spectateurs et acteurs d'une entreprise hasardeuse, risquée, et mortelle pour la plupart de ses protagonistes.

Le paysage a beau être froid, l'écriture de Leine n'en sont pas moins brûlante. Raconteur d'histoire, il se distingue des auteurs nordiques que j'ai lus jusqu'ici par un style moins onirique, voir même parfois carrément hyper-réaliste. Il nous décrira un paysage en quelques lignes, sans trop s'y attarder. Le froid, la rigueur, la dureté, on la ressentira plutôt à travers ses personnages, et c'est là le principal tour de force de ce livre. Il assimile carrément l'environnement aux êtres humains. Dites-vous bien qu'à ces latitudes, si les hivers sont froids, les étés, aussi courts soient-ils, sont fous et sans doute vécus bien plus intensément que nulle part ailleurs sur la planète. Ainsi sont les personnages de L'homme rouge et l'homme en noir: intenses.

Comme l'indique le titre, deux personnages sont au coeur de ce récit épique, mais ils sont loin d'être seuls. Autour d'eux (ils étaient pourtant bien peu dans la colonie danoise du Groenland), on comprend vite qu'en situation de danger constant, les survivants sont les plus forts. Mais d'où vient la force? Elle peut provenir du corps, oui, mais aussi de l'esprit, et ce, quelle que soit son intention. Croire fait vivre, et les premiers missionnaires présents en terre d'Amérique en sont la démonstration. Si eux ont survécu, combien ont dû mourir pour qu'ils parviennent à leurs desseins? Ici, c'est le luthérianisme qui fera figure de poison. Les catholiques et les puritains anglais ayant déjà beaucoup donné dans ces histoires, ça nous change quand même assez agréablement de ce qu'on a lu jusqu'ici.

Mais l'agréable, dans ce livre, c'est l'histoire, l'épopée, les ratées, les désastres. Et à travers tout ça, se faufilent des réussites, petites mais incroyables. 

Certaines scènes sont dures, très dures. Rappelez-vous seulement que l'époque a eu son lot d'épidémie et que la médecine était tout sauf efficace. Leine en décrit ici les résultats sans aucun filtres. Il le fait de la même façon en décrivant les intentions personnelles de personnages dont l'histoire n'a reconnu qu'une réussite sociale. Il est intéressant d'imaginer quelles fins personnelles ont motivé les plus grandes réalisations jugées comme publiques. 

Je trouve intéressant de préciser qu'il y a quelques semaines seulement, les statues d'un des personnages principaux de ce livre étaient vandalisées au Groenland et au Danemark. Comme quoi le phénomène est mondial, et qu'il est extrêmement intéressant, pour tout lecteur curieux, de comprendre ce qui aurait pu mener à de telles révisions des perceptions.

Ce troisième livre de Kim Leine est certainement son meilleur, bien que les deux précédents, dont Les prophètes du fjord de l'éternité, m'aient captivé tout autant. Cette fois, j'avoue avoir été subjugué par la force, la rigueur et l'habileté de ce conteur inspiré par l'Histoire mais aussi, et surtout, par l'humain, dans ce qu'il a de meilleur et de pire.

Le sujet vous rebute? C'est dommage, parce que dès les premières pages, vous seriez happé. Vraiment!