On est à Copenhague en 1782. Morten Falk vient de Norvège, contrée vassale du Danemark, pour faire des études dans la grande ville. Il aurait voulu faire médecin, mais on a décidé qu'il sera pasteur. Ici commence l'apprentissage, tant e la vocation que de la vie, de la ville. Les portraits de l'homme et des gens qui l'entourent ne sont pas piqués des vers et celui de la ville est saisissant. Le début de ce livre est presqu'un reportage en direct de l'Histoire. La vie dans les villes, à cette époque, c'était pas du gâteau, mais comme maintenant, c'était aussi une école, une arène. À peu de choses près, je revivais l'incroyable atmosphère du Paris décrit dans Une éducation libertine de Jean-Baptiste Del Amo. C'est cru, précis, et tellement vrai qu'on en sens les odeurs.
Falk découvre la vie et ses études s'en ressentent. Disons qu'il pousse l'exploration un peu loin... jusqu'à son engagement pour la mission. Déjà à cette époque, le Danemark s'essayait à la colonisation du Groenland. On s'y transporte, dans un village de mission sur la côte ouest. Y vivent quelques Danois, des autochtones et plusieurs métis. C'est le début d'un tableau ni plus moins extraordinaire. Imaginez: on est au nord du nord, dans les années 1780. Un bateau débarque à peu près une fois par année, chargé de certaines vivres, mais quant au reste...
Falk s'occupera da sa mission, mais là encore, il découvrira les rapports humains sous un autre jour, celui de la proximité, du manque, et aussi, et surtout, du mélange des cultures. Dans ces conditions, tout ce qu'on a connu: la fierté, la justice, et même l'amour, sont à redéfinir. Tout ça dans le cadre des connaissances et des préjugés du temps.
Bref la vie est dure. On va d'une scène spectaculaire à l'autre, bien que la plupart se déroulent dans des habitations rudimentaires. Leine vous tient par la mais dans sa visite guidée du lieu. Il nous montre tout, partout, sans censure ni retenue. On pourrait croire à quelque chose de violent: ce l'est, mais pas dans le sens de "gore". Jamais n'aie-je lu quelque chose d'aussi dur, une ambiance,un lieu. C'est carrément dur. Attention, il ne s'agit pas de "difficile" non plus, parce qu'à travers tout ça, il y en a qui sont dans leur élément... Certains personnages sont si beaux...
Arrivent, pour ce qui doit tenir dans environ un quart du livre, les personnages de la communauté des prophètes du fjord de l'Éternité, et là on passe d'un livre fascinant à un récit fabuleux. Imaginez une utopie dans un environnement pareil. Imaginez contre quoi et contre qui il faut se battre pour imposer un style de vie qui n'est pas basé sur le commerce ou sur la soumission aux religions ou à l'envahisseur. C'est déjà difficile en 2015. Imaginez dans les environ de 1785, au Groenland....
Les prophètes... est écrit sobrement, fort heureusement. La traduction fait le travail (malgré d'assez nombreuses fautes dans l'édition) pour présenter une histoire incroyable. Cet auteur danois présente là une oeuvre majeure, tant pour son contenu historique que social. Si certaines scènes sont difficiles à supporter, c'est parce qu'on perdra des personnages aimés ou qu'on entrera dans antichambres qui ne nous sont pas souvent ouvertes. Une opération à froid, une chasse à la baleine, une traversée en mer, un incendie, et j'en passe: on les vit tous. D'autres scènes nous ferons entrer dans un silence lourd, un paysage euphorisant, ou un échange de regard qui nous retourne complètement.
La fin des Prophètes... est dantesque, rien de moins, et à la fin de l'épilogue, on est tout sauf froid. Pas bouleversé, mais saisi. Pour ma part, j'avais l'impression de terminer un voyage marquant.
Un livre dur, mais superbe. Une épopée où les héros ne sont pas nécessairement beaux et vertueux, mais forts, parce que vivants.
Époustouflant.
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