jeudi 20 février 2020

Corps conducteurs, par Sean Michaels, éditions Alto

Du Leningrad des années 20 au New York des années 30, Corps conducteurs offre un voyage exceptionnellement réussi entre fiction, histoire, amour, espionnage mais surtout, la découverte d'un personnage tellement charmant qu'il en est rare.

Léon Termen a existé. Tout comme le thérémine, son invention la plus connue. Clara Rockmore, celle à qui Léon écrit ce roman formidable a aussi existé. Tout comme Lénine, Staline, Béria, Gershwin, Glen Miller et tous les personnage fabuleux qui feront leurs entrées et leurs sorties sur la scène fabuleuse de la vie de Léon.

Fabuleuse, sa vit le fut, mais pas heureuse pour autant. Inventeur russe menant une vie tranquille à Petrograd, bientôt renommée Léningrad, Léon est catapulté dans le monde par son invention qui mélange champs électriques et musique. Fascinées par l'objet, mais aussi par le talent de cet inventeur hors pair, les autorités russes font du bonhomme un ambassadeur du génie créatif soviétique. Ce succès l'emmène jusqu'à New York où sa carrière prends un essor à la mesure du développement de la ville et du pays où, finalement, il passe un certain temps.

Mais malgré tout l'époque est trouble et Léon est russe, et par le fait même, toujours un ambassadeur de son gouvernement... même si ça ne parait pas toujours. Célébré pour ses succès dans son pays d'adoption, Léon sera rattrapé par la réalité, en fait, par sa réalité propre, celle de son origine russe, et celle de son intelligence, deux réalités que son état lui remettra en pleine face de façon assez brutale.

À travers les aventures incroyables de Léon, se trame l'histoire de deux décennies où années folles et préludes de guerre se sépareront entre deux mondes mythiques du temps: le New York du swing et des boîtes de nuit et le Léningrad des laboratoires et des chimères du communisme. Aussi décevants l'un que l'autre, le capitalisme des uns et le communisme des autres contribueront à la descente de Léon.

Car c'est l'histoire d'une victime, une vraie victime: d'un homme de talent qu'on a utilisé, d'une naïveté immense dont on a profité sans scrupules. ON est loin, ici, du misérabilisme ou de la victimisation. Le personnage de Léon est attachant, c'est là une remarquables réussites de Sean Michaels. Le scénario est parfait. Il dose tous les genres littéraires avec un équilibre qui rendra cette histoire captivante pour tous les types de lecteurs. Corps conducteurs est l'histoire de quelque chose de tragique adouci par l'humanité d'un créateur. Comme quoi au-delà de la technique et des politiques, il y a le talent brut qui, lui, demeure indestructible.

Chapeau bas à la traductrice Catherine Ledoux. La sensibilité, l'humour et la dureté des personnages et des situations se rendent jusqu'à nous sans filtre. Sean Michaels nous offre un hommage au talent créatif, à une époque, mais aussi à la musique et aux sons, et que vos affinités ne rejoignent qu'un seul de ces éléments, vous apprécierez le mélange de chacun dans cette belle histoire. Certaines scènes sont lumineuses, particulièrement dans la dernière partie du livre, là où pourtant le fil de l'histoire ne nous laisse pas deviner de telles scènes.

Qui est Clara Rockmore? Qu'arrivera-t-il de si tragique à l'inventeur Léon Thérémine? À lire à tout prix, et à offrir à quelqu'un qui ne lit pas souvent et à qui ont veut faire découvrir les joies de la lecture. Et ah, tiens, que pensez-vous d'un petit avant goût... vidéo? Le son, l'allure... et le personnage tiré du roman, tout ça donne un excellent avant goût de Corps conducteurs.

mercredi 12 février 2020

Les abysses, par Biz, éditions Leméac

Le hasard m'a fait lire deux livres de suite où le personnage principal est en prison. Avec Jean-Paul Dubois, on était à la prison de Bordeaux, à Montréal. Avec Les abysses, on se retrouve à Port-Cartier, sur la Côte-Nord. Il faut dire que le crime présumé du personnage créé par Biz est autrement plus lourd que celui du Goncourt 2019. Et il y a plus: pas de Montréal ici. On est à Baie-Comeau, et par extension, sur la Côte-Nord, une région québécoise trop peu connue. Vous vouliez changer de décor? Biz vous en donne l'occasion. Et pas juste un peu.

Comme pour les dernières choses que j'ai lues de lui, Biz nous entraîne dans les profondeurs de l'âme humaine et du désarroi avec des personnages qui n'ont pourtant rien de menaçant. Ici, une jeune fille vit avec son père à Baie-Comeau, la mère étant décédée à la naissance de l'enfant. Bien sur, les deux ne l'ont pas eu facile, mais leur vie a, jusqu'ici, été somme toute ordinaire. Mais qu'est-ce qui a pu mener le père dans un pénitencier à sécurité maximum? Sa fille, rendue seule et dont la vie dépérit à force d'avoir à endurer les conséquences de ce qui lui a enlevé son père, va lui rendre visite de temps à autre en prison. Elle aussi le voit dépérir. Les deux vont mal. Autour d'eux, la société d'une petite ville suis son cours avec tout ce que ça implique de vivre en région... ce qui aura inévitablement un impact sur ce qu'il leur reste à vivre, comme sur ce qu'ils ont vécu, d'ailleurs.


À peu près au milieu du livre, on retourne dans le passé pour vivre ce qui les a mené là. Avec un des personnages en prison, on devine assez aisément qu'on aura affaire à un drame. À ce drame, Biz ajoute une enquête policière. Sans prendre toute la place, cette enquête occupera un espace du récit que j'ai moins aimé, parce que plus classique avec ses policiers classiquement sagaces et les concours de circonstances qui meublent toujours une enquête policière. Là n'est pas la force du livre.

Les abysses de Biz, c'est d'abord un environnement, comme d'ailleurs tout ce qu'il décrit. Cet auteur a justement le talent de décrire. Ses mots sont efficaces, tranchés. Québécois jusqu'aux tréfonds, Biz a un total contrôle sur l'environnement qu'il décrit. Sa documentation est vivante et pas seulement didactique. On sent que s'il nous parle d'un endroit, c'est qu'il l'a vécu en même temps que de l'avoir senti. Quant à sa nationalité et tout ce que ça concerne de politique et de social, il y a toujours une petite référence à tout ça dans ses récits, référence parfois subtile, qui fait la signature du personnage public qu'est devenu cet auteur intelligent.

Si on sourit en lisant Biz, c'est par la vérité criante de ses personnages qui nous ramènent souvent à des faits qu'on a souvent vécu. Il n'est pas donné à tous les auteurs de savoir décrire le réel. Biz le fait bien.

Plus je lis Biz, plus je l'aime, même si je sais qu'il ne plaira pas à tous. Son écriture est très crue. Ici, avec Les abysses, le fond auquel il touche, c'est celui des choses les plus simples, des gens qui nous entourent, du monde apparemment immobile qui peut déraper. Comme nous, d'ailleurs. On a l'air de rien, comme ça, mais on a tous, autant que nous sommes, le potentiel pour se retrouver dans les abysses comme aux plus hauts sommets. L'éventualité de se retrouver à l'aune ou l'autre de ses extrémités est effrayante, et c'est ce qu'il nous raconte ici.

dimanche 2 février 2020

Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, par Jean-Paul Dubois, éditions de l'Olivier

J'ai lu la presque entièreté de ce livre en me demandant si je me trompais. Ce questionnement est devenu intéressant lorsque je me suis rendu compte qu'il m'avait permis de me terminer le livre.

"C'est un Goncourt, me disais-je. Alors pourquoi plus je le lis, moins je l'aime?" Je crois avoir compris une fois le livre terminé. Voici pourquoi.

L'histoire ici racontée se passe en majeure partie au Québec. L'écrivain français raconte l'émigration d'un Français qui traversera l'Atlantique pour retrouver son père, qui a suivi le même chemin avant lui. L'expat en question s'enracinera aisément dans sa terre d'accueil. On remarque là les atomes crochus que l'auteur nourrit envers ce bout de terre où, dit-on, il passe beaucoup de temps.

Mais tout ça se terminera plutôt mal parce que le narrateur raconte son histoire de la prison de Bordeaux, à Montréal, où il purge sa peine. Ce livre est donc le récit de ce séjour en prison en même temps que celui de la vie du narrateur où on passera de Toulouse à Montréal via le Danemark et Thetford Mines, au Québec. Un famille franco-danoise, une conjointe amérindienne (bien que l'auteur en parle plutôt comme une indienne), des personnages québécois avec ces noms de rues de Montréal (Lorimier, DuLaurier) et d'autres anglos-canadiens avec des noms exotiques construiront le récit.

Bon. Voilà pour l'essentiel de l'histoire. Quand à la façon dont c'est raconté...

J'ai mis plus de temps qu'à l'habitude entre le moment où j'ai terminé ce livre et mon article de blogue où j'en parle. Je me suis dit qu'avec le temps, je me remettrais de ma première impression, que j'aurais oublié les clichés enjolivés par l'écriture fine de Jean-Paul Dubois. J'ai pensé qu'avec le temps, un sentiment désagréable que je n'avais pas vécu depuis longtemps tant en littérature qu'en toute autre forme de rapports, s'évaporerait. Ce sentiment, c'est celui de se faire raconter des généralités bancales par un Européen débarqué chez-vous comme dans une ancienne colonie, cette petite condescendance cousue de fil blanc qui vous fait vous demander si on se moque de vous ou si votre interlocuteur est tout bonnement naïf, bref, ce malaise, cette déception... ben voilà, tout est dit.

Le narrateur de Jean-Paul Dubois est en prison au Québec. Il partage sa cellule avec un Hell's Angels amateur de motos. Au Québec, ce personnage est bien connu. C'est le truand par excellence, l'incarnation du hors-la-loi, du tueur, de tout ça. Or, lui donner la parole dans une langue qui n'est pas la sienne, comme le fait Dubois, fait décrocher tout lecteur ayant déjà vu défiler ce type de personnage sur son écran de télé ou dans son journal quotidien. Pour un lecteur Européen, comme parallèle, essayez d'imaginer un film comme la Haine ou Les misérables avec un casting s'exprimant avec un phrasé de Neuilly... Bon oui, bien sur, il y a quelques expressions "typiques" ici et là et puis ouais, fallait que tous les lecteurs comprennent, bien entendu...

Mais ce seul personnage est bien peu si on pense à tous ces éléments préfabriqués qui ont réussi à éblouir le jury du prix Goncourt 2019. Que la conjointe du narrateur soit amérindienne, bon, ok, pourquoi pas. Ç'auait pu être un pesonnage riche, fort. Mais vu du côté ouest de l'Atlantique, on se demande un peu pourquoi Dubois parle "d"indiens" lorsqu'il parle du peuple de ce personnage. Est-ce intentionnel ou simplement une image qui colle encore aux fameux grands espaces que le livre traversera régulièrement en hydravion? Ah, les grands espaces canadiens... Tiens, parlant d'espace, allons à Thetford Mines, où se déroule une partie de l'histoire. On est à la fin des années 70, début 80. Un épisode marquant de l'Histoire de cette partie du monde passe d'ailleurs par là en trois coups de cuillère à pot, bref en un ou deux paragraphes. Bon, disons que ce n'est pas là la spécialité de l'auteur. Dubois excelle plutôt dans les descriptions d'un orgue électronique, d'un moteur d'avion ou de l'architecture d'un édifice patrimonial. Bon, c'est vrai que sa description d'une église de Thetford Mines ressemble étrangement à celle du Répertoire du patrimoine culturel du Québec, mais bon... coïncidence, il faut croire.

Et le Danemark. Même là, y'a quelque chose du même ingrédient... Le père du narrateur est Danois. Alors pour coller à l'esprit de l'auteur, sa ville d'origine est... tout au bout du Danemark, là où y'a pas plus danois. Regardez bien sur la carte du pays, allez tout au nord, c'est Skagen. Ben voilà, ÇA, c'est danois, non? Eh bien notre personnage vient tout droit de là! Bon. Vous me direz que j'exagère, mais pris dans le contexte des autres coins tournés rondement de cet ouvrage, celui-là m'a tout autant exaspéré.

Une importante tempête de verglas? Ah oui, c'est très canadien, ça. Il faut du froid. Alors voilà, on en a une, une tempête de verglas, dans ce livre, à la suite de laquelle d'importantes coupures de courant auront de graves conséquences sur les habitants et les bâtiments. Ça tombe bien, parce que le Québec a justement vécu la même chose à la fin des années 90. Bon, ici, ça se passe une dizaine d'années plus tard, mais c'est pas grave. Le jury du Goncourt doit pas connaître cet autre épisode tragique de ce pays si pittoresque... C'est un détail...

Je pourrais en dire plus, d'un livre finement écrit par un écrivain brillant qui m'a pourtant donné l'impression d'un ouvrage bâclé et truffé de facilités charmantes pour un public déjà fan de l'auteur. Il y a là soit beaucoup de naïveté, soit une incompréhension choquante qui me laissent toutes deux pantois. Les injustices vécues par les personnages, leurs luttes, je les ai bien vues, mais niet, nada, rien: je n'ai pas été touché. Quelle tristesse.

Je n'ai pas envie de recommander cette oeuvre de Jean-Paul Dubois et ne comprends pas qu'on lui ai attribué le prix le plus prestigieux du monde littéraire francophone. Oui, certains passages, principalement ceux vécus dans la France des fameuses années autour de 1968, sont captivants, mais au final, on a aussi une flopée de petites imprécisions sur d'autres parties de l'histoire qui m'ont outrageusement agacé. Mis ensemble, ces bémols discréditent toute l'oeuvre. C'est vraiment très, énormément, immensément décevant.