jeudi 11 janvier 2018

La bête à sa mère, par David Goudreault, éditions Stanké

C'est l'histoire de la personne que vous avez le plus détestée depuis que vous êtes en âge de rencontrer des gens. Vous l'avez peut-être croisé deux minutes, une partie d'une journée, ou dans le contexte du travail, allez savoir. C'est un personnage absolument détestable: pas beau, négligé, arrogant, il vous donnera l'impression de tout savoir. Si vous êtes une femme, il vous draguera assez salement. Nerveux, il vous donnera une impression de "ne pas être très clair". Si on vous en parle, c'est inévitablement en mal. Personne n'en veut.

C'est ce personnage qui se raconte dans la Bête à sa mère. Il se décrit, vous raconte sa vie et vous dit ce qu'il en pense, de sa vie, des gens, de vous, et ce n'est absolument pas banal.

Outre ses frasques de larcins en tous genres, de fuites et de petites violences ordinaires, on découvre, et c'est là où réside le principal tour de force, ce que le bonhomme a en tête. À force de le connaître, on en vient à constater que le garçon, bien qu'il agisse comme tel, n'est pas totalement con. Curieux, il emmagasine l'information comme peut-être un geek aurait pu le faire dans un contexte de développement normal. En fait, on constate que le gars aurait pu avoir du talent, qu'il lit, qu'il sait reconnaître quelqu'un qui ne sait pas écrire et qu'il est, finalement, un talent gaspillé.

En fait, ce livre se joue dans les premières pages, où le personnage raconte son enfance, qu'il a passé de famille d'accueil en famille d'accueil dès l'âge de cinq ans. Le garçon s'est fait tout seul, selon ses principes et ses interprétations à lui, et ça donne ce que ça donne: un être en mode survie qui n'a aucun respect pour rien mais qui sait se débrouiller, et ce, à tout prix.

Goudreault est un travailleur social. Ça se voit. On imagine facilement que son personnage regroupe un peu de plusieurs des gens qu'il a côtoyé. C'est sans doute dans cette expérience de rencontres qu'il a puisé les deux traits particuliers du personnage de son livre qui feront le titre: les bêtes, la mère. Il fait d'abord une habile démonstration qu'il est toujours satisfaisant de s'attaquer à plus petit que soi, d'où la relation singulière de son personnage avec les animaux de compagnie. Tantôt tenté de les dominer, tantôt exaspéré par l'attention qu'ils reçoivent, une attention que lui n'a jamais reçu, il en fera ses boucs émissaires, et ils prendront une certaine place dans sa vie à un moment donné. Par le fait même, l'auteur en fera aussi autant de miroirs dans lesquels on voit son personnage, sauvage, mal élevé mais aussi et surtout, abandonné. Parce que sa grande quête, c'est aussi de retrouver sa mère. Cette obsession le mènera au plus bas et lui donnera aussi une raison de vivre.

La Bête à sa mère, c'est Tarzan réinventé. David Goudreault y fait la magistrale démonstration de ce qu'un humain laissé seul face à lui-même peut devenir dans un monde qui, quel qu'il soit, sera toujours pour lui une véritable jungle, où la seule chose à faire, et ce coûte que coûte, c'est de survivre. Et tout ça, il faut le souligner, n'est pas vulgaire. On pourrait s'y attendre, avec un tel personnage. Mais non. C'est cru comme histoire, oui, mais la narration ne s'embourbe pas dans les sacres et les disgrâces verbales. Pas besoin. Les aventures du pauvre gars parlent par elles mêmes. La forme (l'écriture) n'a rien de spectaculaire mais le fond (l'histoire) est magistrale.

Amoureux d'histoires d'amour, d'amitiés fleuries et de licornes s'abstenir. Amateur de réalité augmentée, vous serez gâtés. On parle ici, d'un nouveau grand auteur.

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