lundi 25 juillet 2022

Ton absence n'est que ténèbres, par Jon Kalman Stefansson, éditions Grasset

J'ai d'abord cru que je lirais mon ¨moins bon Jon Kalman Stefansson". Je me perdais entre les personnages et les époques, tout s'entremêlait, chacun racontait son histoire, bref, mon auteur préféré me faisait travailler, je m'apprêtais à être déçu. Mais ce qu'il y a avec un auteur préféré, c'est qu'il puise son encre et ses mots directement dans votre cerveau. Ou dans vos veines, c'est selon, que vous soyez cérébral ou sanguin, et vous finissez par être embarqués.

Quatre époques sont racontées dans ce livre, avec pour fil conducteur un narrateur dont on ne sait pas trop qui il est. Or voilà, il ne sait pas qui il est lui-même, et on découvre que les gens dont il raconte les histoires se découvrent eux aussi à travers les histoires des autres ou de celles dans les quelles ils se retrouvent. Et tout ce joli fatras se lisse au fil des pages et au bout du compte, on fait le lien.

Peu d'auteurs décrivent aussi bien l'être humain que Jon Kalman, et la façon dont il s'y prend relève presque de l'acrobatie. Oui, on parle beaucoup de poésie dans ses oeuvres, parce qu'il raconte comme d'autres composent des chansons, avec des refrains et des couplets, mais aussi des images, et cette fois, plus que toute autre fois dans ses autres livres, beaucoup de musique.

Cet auteur maitrise l'art de faire des liens entre les choses et les êtres les plus incongrus et de Nick Cave à Morrissey, vous passez de Zola à Piaf, au rap, des vers de terre, vous vous vous retrouvez ensuite à une table bourgeoise aux fumets délicats.

Ton absence n'est que ténèbres est sans doute le livre le plus triste et beau de l'oeuvre de son auteur. Il y a plusieurs morts, et des amours aussi puissants que furtifs. La puissance de cette écriture, ce sont aussi des scènes d'une demie page, environ, où quelqu'un meurt dans un accident dans les bras d'un autre en lui disant: ne me laisse jamais tomber, une mère abandonne son bébé de 3 mois en le passant à quelqu'un au dessus d'une table, un enfant est livré par un facteur, et j'en passe. Ce n'est pas tragique, mais puissant, comme les moments forts d'une symphonie où chaque musiciens participe à une montée dramatique, avant de faire place au piano solo, qui vous parle ensuite tout bas.

Bon, ben voilà, c'est comme ça que je réussis de parler de Jon Kalman Stefansson, cet Islandais qui nous raconte son pays comme s'il contenait toute l'Histoire de la la Terre, et qui nous fait, cette fois-ci, le plaisir de publier la playlist de son récit à la fin du livre. Pour ma part, on parle ici de quelque chose de parfait, en ajoutant à tout ça l'irréprochable traduction d'Éric Boury. Chaque mot est poli, frotté, luisant, bien choisi.

Si vous n'avez jamais lu cet auteur, ne commencez pas avec ce livre-ci. Commencez plutôt avec Entre ciel et terre ou Et pourtant les poissons n'ont pas de pieds. Puis vous viendrez à celui-ci, et vous en aurez, j'en suis certain, la même impression que moi.

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