Gudbergur Bergsson est un auteur islandais, né en 1932. Bien que sa bibliographie soit imposante, c'est là son second ouvrage qui ait été traduit en français. Éric Boury, traducteur aussi de Jon Kalman Stefansson, entre autres, nous l'a transmis. .
Non, c'est pas jojo. Avec un tel titre, on ne s'attend pas à rire. Ce court ouvrage est dur et triste, mais absolument pas rébarbatif. Bien au contraire. Cette voix est très juste pour parler d'une réalité que notre société fait tout, absolument tout pour nous faire oublier. Bergsson fait mal, mais plutôt que de nous faire souffrir, il nous apprend..
Un homme est couché dans son lit. On le devine âgé. Il peine à se lever, il somnole, on le croit qui rêve, mais non, il ressasse des souvenirs tout en constatant le présent: il est seul, sa campagne est récemment entrée dans la mort.
Les derniers jours vécus par sa compagne constituent le fil conducteur des souvenirs du narrateur. Plus qu'un deuil, en fait, l'homme raconte la vieillesse, tant la sienne que celle de la défunte, mais aussi d'autres gens qui l'ont entouré. La mort des autres lui fait prendre conscience de la sienne. Voila ce autour de quoi tournent ses pensées, son existence, tant son passé que son futur, si court soit-il. Vieillir, nous montre-t-il, c'est prendre conscience de la mort, et pas juste de la sienne. D'où le titre, sans doute.
J'ai rarement entendu parler de la vieillesse de cette façon. On dirait le récit d'un soldat en plein coeur d'une bataille. Ça ressemble au récit de Stalingrad raconté de l'intérieur dans Les Bienveillantes, de Jonathan Littel. Rien, ici, n'est enjolivé ou coloré de quelconque façon. C'est cru, parfois choquant parce dit tel quel. Vieillir fait mal au narrateur et aux personnages qui l'entourent. Il y a quelque chose de cruel à constater que plus rien ne va.
La narration est simple et belle. On est vite happé par le narrateur, on est dans son esprit et on a mal. Les malaises s'accumulent, la tristesse aussi. Mais il s'agit d'une belle tristesse parce que racontée doucement, au rythme lent des déplacements du vieillard. Le propos même du narrateur fait en sorte qu'il nous est difficile d'être empathique à son égard. Accepter de mourir est une chose, accepter de vieillir en est une autre, aussi ne nous est-il pas naturel de "comprendre" les descriptions qu'un vieux fait à propos d'autres que lui qui, à l'évidence, verront la mort avant lui. Y'a quelque chose au fond de nous qui fait en sorte qu'on ne veut pas savoir ça, on dirait. Et pourtant...
La langue de Bergsson est belle, très nordique en ce qu'elle part parfois dans le monde parallèle des pensées en même temps qu'une action très concrète se déroule. La lecture exige toutefois beaucoup de calme puisqu'on entre, en tout cas pour ma part, dans un monde très peu connu. Aussi faut-il quelque concentration pour bien saisir la portée des propos du narrateur.
Triste et beau, dur et utile, Deuil de Gudbergur Bergsson ne devrait pas vous effrayer. Il m'a aidé à saisir ce que d'autres entrevoient peut-être, à moins qu'ils ne le vivent de la même façon. Peut-être ressortirai-je ce livre plus tard à quelque époque à venir de ma propre vie.
Un beau livre d'apprentissage sur la fin d'un monde, le sien.
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1 commentaire:
Jamais entendu parler ni de l'auteur, ni de son roman. Le thème du deuil n'est pas nouveau. Ta façon d'en parler et la manière crue, sans fard d'envisager le deuil qu'il semble y avoir dans ce roman m'ont convaincu. Je viens de le commander chez mon libraire. Merci pour le tuyau!
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