mercredi 2 février 2011

La bascule du souffle, par Herta Müller, éditions Gallimard


Suggestion de mon libraire. D'entrée, ceci donne le ton. Si le spécialiste recommande, c'est sans doute que c'est bon. Or oui, la Bascule du souffle tient du livre rare, mais...

Herta Müller a remporté le Nobel de littérature en 2009. On imagine alors la voix puissante. À mon sens, pour remporter un prix littéraire international, il faut certainement être percutant pour rejoindre toutes les cultures du monde. Voilà un ouvrage qui se qualifie ainsi: percutant. Un jeune homme d'origine allemande vit en Roumanie. Après la 2e Guerre, il est déporté, avec d'autres congénères, vers un camp de travail russe. Le crime: avoir été d'origine allemande pendant la guerre. La Bascule du souffle est un récit au "je" qui décrit cinq années de vie au camp. Lui et quelques autres s'en sortiront et reviendront chez-eux. Ce retour, dans le dernier quart, devient le point culminant du récit.

Car voilà, il s'agit d'un texte fort et d'une sensibilité difficile à décrire. Par "sensibilité", j'entends ici l'éveil à tout ce qui se vit, se ressent. Le narrateur partage avec nous un genre d'hyper-conscience de ce qu'il vit, de ce que les autres font, et cette hyper-conscience le sauvera sans doute. Prendre conscience des désirs des autres, de l'odeur du vent, des rêves, en fait, de chaque chose qui existe, surtout lorsqu'on n'a presque rien, rend la vie moins lourde. Aussi, dans ce livre, chaque mot devient important. Le seul titre, très beau et lourd d'un sens qu'on met du temps à découvrir, en est la preuve. Or voilà, ces mots, parfois, voir même souvent, m'ont perdu.

J'ai d'abord crû qu'il s'agissait du ton, me disant que l'esprit allemand m'était sans doute juste assez éloigné pour que je me perde un peu dans le sens des pensées du narrateur. Ça ne coulait pas de source. Je relisais parfois un paragraphe ou toute une page. N'en demeure pas moins que même en avançant difficilement, j'appréciais. Puis, à force d'accrochages, j'ai rejeté la faute ailleurs: la traduction.

À sentir la force de ce texte de loin sans vraiment la vivre, j'ai compris que le fond me convenait mais pas la forme. Je m'explique. On parle ici de la vie dans un camp de travail. Tout y est sale, industriel, gris, même si parfois, comme je le disais, le narrateur va chercher les couleurs là où on ne s'y attend pas. N'empêche. Dans cet univers de travail, de dureté, de laideur, j'ai trouvé anormal de buter sur autant de mots. L'univers était connu, mais pas le lexique. J'ouvre le livre au hasard et je tombe sur des mots du camp: un chalis, des parpaings, un terril, du mâchefer. Oui ces mots existent. Oui, sans doute, ce sont les bons pour désigner ce qu'ils désignent. Or, ces mots ne m'appartiennent pas. J'ai cherché quelques uns de ces mots pour me rendre compte que je nommais les objets qu'ils désignent autrement, qu'il en a toujours été ainsi et que je ne suis pas plus con pour autant. J'ai lu suffisamment de livres pour faire la différence entre une traduction accessible et une autre trop ampoulée. Est-ce là une question de culture nationale, de classe sociale ou simplement de vocabulaire personnel? À vous de juger. Je pencherais du côté de la première option.

Je vis à Montréal, une ville où la traduction est une industrie florissante. Ma vie quotidienne est pavée de textes traduits, aussi puis-je distinguer un travail de forme académique d'un autre rendu plus actuel. À moins que les opinions sur la traduction d'oeuvres cinématographiques soient en train de rejoindre la littérature? Est-ce une question d'accent, d'environnement, de société? Peut-être. J'ouvre le débat.

Un livre fort, donc, et très beau, mais ardu.

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