vendredi 27 juin 2025

Tout le monde aime Clara, par Daniel Foenkinos, éditions Gallimard

C'est l'histoire de gens dont la vie est ordinaire, et qui se trouvent à vivre quelque chose d'extraordinaire. Comment assumer une vie qui change ou qui va changer? L'angoisse qu'on ressent mène-t-elle nécessairement au pire? Faut-il attendre devant la peur du changement ou se lancer dedans? Et s'il faut se lancer, quand le faire?

C'est ce que j'ai retenu de ma première histoire signée David Foenkinos, une histoire qui ressemble à une fable. Les résumés qu'on fait de ce livre se limitent à l'histoire du personnage cité en titre, et à mon sens, ce n'est là qu'une partie de l'histoire, parce qu'il y a vraiment plusieurs choses qui se passent dans ces quelque 200 pages: des fatalités, des banalités, des drames, dont un en particulier, et des éveils. On ressent plusieurs émotions.

J'y suis d'abord entré tranquillement, puis j'ai été capté parce que très ému. Après, paf!, l'auteur m'a fait tomber dans quelque chose que je n'avais pas vu venir et j'ai frôlé l'immense déception. Mais avec brio, un personnage que je croyais secondaire est venu brasser les cartes et a capté mon intérêt pour la dernière partie du livre.

La fin m'a laissé assez bouche bée. Une seule expression me venait à l'esprit pour la définir: eau de rose. Mais attention, il s'agit de la vraie eau de rose, de l'eau pure cueillie sur une vraie rose, pas la cheap qu'on achète en pharmacie. C'est une fin sans catastrophe ou sans calme après la tempête, comme dans la plupart des romans. On vit quelque chose de beau, qui laisse une impression de bien être, et c'est agréablement désabilisant. D'où mon interprétation très personnelle de "l'eau de rose".

Ben oui, j'avais jamais lu David Foenkinos. Je ne sais pas ce qui m'a emmené à lire ce livre-là, mais je crois être entré dans son monde par une porte secrète qui me portera à lire autre chose de cet auteur. Tout le monde aime Clara est un livre différent qui, sans vous tourner sens dessus-dessous, vous donne de belles heures de lecture.

Si ses histoires ont toutes cette même aura, j'achète David Foenkinos.

dimanche 15 juin 2025

Polaroids du frère, par Grégoire Delacourt, éditions Albin Michel

C'est de l'auto-fiction, et ça frappe fort. Et c'est d'autant plus incroyable que ce qui nous bouleverse, au-delà de l'histoire d'un personnage (le frère de l'auteur), c'est de vivre avec l'auteur comment il a découvert et réalisé toute l'ampleur de cette histoire avant de nous la faire lire.

Grégoire Delacourt n'a pas vu son frère pendant 30 ans. Ce frère meurt tragiquement peu de temps après leurs retrouvailles. Son décès révèle une détresse que ceux qui restent (l'auteur et sa soeur) découvrent peu à peu. Le dévoilement de cette détresse est au centre de ce récit. Une détresse, ça se voit facilement, mais ça se perçoit mal. D'où ça vient? Est-ce récent ou enfoui dans le passé? Est-ce une façon de se faire remarquer ou une vraie douleur profonde? C'est ce que Grégoire Delacourt partage avec nous. On avance avec lui, et comme lui, on est bouleversé et vraiment touché. On l'aurait été si cette histoire avait été inventée, mais de savoir qu'elle est vraie nous chamboule encore plus.

Cette histoire pas comme les autre est pourtant racontée toute en douceur, par de courts paragraphes ou chapitres, les fameux "polaroïds". Non, ce n'est pas un descriptif de photos. Une seule fois, il y en aura un, un vrai polaroïd. Ce sera un des moments touchants de ce livre. L'écriture est simple, limpide et émouvante.

On avance donc avec des histoires parallèles:, celle de l'enfance de la fratrie, celle du décès de l'un d'eux, et celle de la période qui la suit. On va de l'une à l'autre sans se perdre, et nos sentiments évoluent en même temps que ceux de l'auteur.

Grégoire Delacourt nous informe qu'un de ses plus récents livres raconte une portion de sa vie à lui. Je ne l'ai pas lu, mais on le devine assez percutant, sachant que la portion de vie en question raconte une enfance blessée. Tout ça lui revient en pleine face avec ce nouvel épisode de sa vie. Ça ne laisse pas indifférent, je vous le jure.

Bref, c'est de l'auto-fiction sans bling-bling et sans nostalgie douceureuse. C'est une histoire "rentre dedans" fort bien racontée par un écrivain qui sait nous garder captif. Un beau moment de lecture, dur, mais superbe.

samedi 31 mai 2025

Abel, par Alessandro Baricco, éditions Gallimard

La publicité dit : un western métaphysique. Mais non. C'est un grand mot pour vous faire peur. Abel est un western spaghetti, du Sergio Leone en livre, du Ennio Morricone en mots. Les Italiens racontent les westerns comme Homère a raconté le monde avec Ulysse, en le magnifiant et en créant des dieux imaginaires. Et c'est divinement bon.

Abel est un shérif. Si on lui demande ce qu'il fait, il répond: je tire. C'est l'as du pistolet. Il a trois frères, une soeur et une mère, une cavalière réputée, qui les a quittés jeunes. Son amoureuse s'appelle Hallelujah et il ne peut s'empêcher de penser à elle dans tout ce qu'il fait. Abel a un maître, un as du tir aveugle, qui lui parle d'Aristote et de philosophie. Un jour, sa fratrie dispersée se réunit pour aller sauver leur mère qui va se faire pendre. Qu'arrivera-t-il à Abel et à chacun des personnages singuliers de sa fratrie?

Dans les livres de Baricco, il y a toujours au moins un personnage qui prétend avoir vécu une vie de légende. Alors ce personnage fabrique sa propre histoire, et tous ceux qui l'entourent deviennent eux aussi légendaires. Avec Abel, on atteint l'apogée. Ce shérif est un as, il exécute les truands, c'est un amoureux fou, et il vénère son maître. Tous ceux qu'ils croisent sont incroyables. Chacun a une histoire qui s'ajoute à celle d'Abel, qui devient de plus en plus fascinant.

Baricco est un magicien du conte. Ce livre est un hommage aux histoires, aux légendes, à ce qu'on veut croire parce que ça a l'air trop beau pour être vrai. Mais les légendes sont des histoires qui n'existent pas, et Baricco nous le rappele dans un avant dernier chapitre qui, à mon sens, est une pièce de littérature à lui tout seul. Juste à y penser et j'en ai encore des frissons et les larmes aux yeux.

Je suis un fan fini de Baricco et avec Abel, je le retrouve dans toute sa splendeur. Vous avec aimé Baricco? Vous voulez le connaitre? Abel vous attend. Il est sublime, tenez-vous le pour dit.

lundi 19 mai 2025

La beauté de Cléopâtre, de Mustapha Fahmi, éditions La peuplade

Prenez un récit historique, ajoutez-y une bonne dose de philosophie, une généreuse portion d'amour de la littérature, placez le tout dans un format qui essemble à de la poésie, et vous obtenez une oeuvre captivante, réconfortante et originale avec un excellent goût de "revenez-y". Il faudra que je lise encore Mustapha Fahmi.

C'est ma première lecture de ce spécialiste de l'oeuvre de Shakespeare. Il part de sa connaissance fine (je dirais plutôt: son amour) de deux pièces, Antoine et Cléopâtre, et Jules César, pour tirer de leurs thèmes des propos sur les perceptions de soi et des autres, le pouvoir, et aussi et surtout, la place de la beauté dans nos vies.

Avec Mustapha Fahmi, l'histoire d'Antoine et de Cléopâtre est passionnante. Il décrit les passions qui ont déchiré deux personnages plus grands que nature et les situations politiques et personnelles qui ont ont rendus leurs vies épiques et historiques. Raconté par Shakespeare, ce récit devient universel parce qu'il ne raconte pas juste l'histoire de deux personnes, mais celle de nos interactions avec le monde qui nous entoure. Ce récit parle de la force la plus puissante: rester soi-même, vivre sa vie à 100% et croquer dedans à pleines dents. J'ai trouvé ça lumineux.

Réparti en de courts chapîtres qui s'étirent entre une et quatre pages maximum, ce livre se lit comme on le fait d'un recueil de poésie, morceau par morceau, en s'arrêtant pour faire durer une pensée ou une image mentale suggérée par l'auteur.

C'est tout un défi de rendre un livre de réflexion aussi captivant, sans pour autant tomber dans le mièvre ou le new age kitsch. Mustapha Fahmi écrit simplement pour nous partager ses connaissances. Il réussit aussi à nous faire nous rendre compte de plein de choses sur les relations et les personnalités, celles des autres et la nôtre. Un vrai plaisir de lecture.

Bref, il faut rendre à César ce qui appartient à César: La beauté de Cléopâtre est un beau livre qui plaira à une majorité de lecteurs. Il faut vraiment que je lise d'autres oeuvres de Mustapha Fahmi.

dimanche 11 mai 2025

Le temps des sucres, par Martine Desjardins, éditions Alto

C'est ce qu'on en a dit qui m'a fait me tourner vers ce livre. Plusieurs ont parlé en bien de cette histoire qui vogue entre l'étrange et l'horreur. Ok. J'assume: je serai le badboy.

Mais quand même, il faut commencer par dire que Martine Desjardins écrit fabuleusement bien. L'histoire qu'elle nous raconte coule sans un mot de trop. Ses sectons courtes permettent de reprendre son souffle et sa langue est celle d'une excellente conteuse.

J'ai justement pris ce livre pour un conte, à la limite de la fable. Oui, c'est dans le registre de l'étrange et du glauque. Rien pour faire des cauchemars, mais assez pour ressentir parfois du dégout. Les personnages sont "gros": un urbain, dans tout ce qu'il y a de plus urbain (beaux vêtements, amateur d'épiceries fines, de petits cafés, végé, etc,) s'amène dans un village en plein bois pour y rencontrer une branche inconnue de sa famille. Les personnages sont rustres, dans tout ce qu'il y a de plus rustres: taiseux, antisociaux, violents, chasseurs, braconiers, carnivores, etc. Tous les personnages sont masculins. On est dans un monde de gars où les femmes ne sont rien, l'autrice prend souvent la peine de le rappeler.

Le décor est menaçant pour l'urbain désorienté. Les arbres semblent se liguer contre lui, l'habitation familiale est aussi rustre que ses habitants, et l'alimentation n'a rien de léger. Dans l'érablière familiale, un arbre fait figure de patriarche qui cache un être mi naturel et monstrueux à figure féminine emprisonné sous les racines depuis des centaines d'années.

J'ai perçu ce conte comme une collection de métaphores: les hommes qui imposent leur violence à la nature, l'héritage ancestral malsain, la nature vengeresse, l'irrespect de la part féminine. Martine Desjardins n'y va pas par quatre chemins pour nous montrer comment elle perçoit le monde. Disons que c'est pas tellement positif, mais surtout... c'est gros. J'ai parfois eu l'impression d'un conteur qui me racontait quelque chose comme la chasse-galerie ou l'arche de Noé pendant le déluge.

Je n'étais peut-être pas disposé pour cet univers-là, ou je ne possède tout simplement pas les clés pour entrer de plein pied dans un tel univers sans trouver ça exagéré. Bref, vous me voyez dubitatif pour un livre fort bien écrit, mais au scénario pas assez subtil à mon goût.

dimanche 4 mai 2025

Bristol, par Jean Echenoz, éditions de Minuit

Imaginez une histoire avec juste des personnages secondaires. C'est du genre de Jean Echenoz de nous raconter les choses d'une manière différente. Entoucas, c'est comme ça que j'ai perçu ce Bristol et que je m'en suis délecté, parce qu'une fois encore, Jean Echenoz ne m'a pas déçu, avec peut-être juste un petit "mais"...

Je croyais que c'était la ville, en Angleterre. Mais non. Bristol, c'est un homme. Il vit à Paris et réalise des films qui ont peu de succès. Sa vie est ordinaire, ses projets, les gens qui l'entourent aussi mais... c'est Jean Echenoz, donc, rien ne sera ordinaire. Ça commencera sur un drame vécu dans l'indifférence, on passera par des jours de tournages plus ou moins bâclés au Botswana, et ça se terminera... avec l'air inévitablement dubitatif du lecteur. D'ou mon petit "mais". Mais qu'importe la chute, lire Échenoz, c'est un plaisir qui se vit une page après l'autre.

Vraiment, Jean Échenoz ne m'a jamais déçu. C'est celui qui vous raconte une histoire comme si son souvenir lui parvenait au fur et a mesure: "Il est arrivé ça... ah mais j'y pense, avant il est arrivé ça aussi... oh mais ça me fait penser à ça". Et ça va ainsi jusqu'à la fin. Ce sont des histoires qu'on lit avec un sourire amusé par ce style débonnaire, familier et tellement sympathique, rempli de personnages qui n'ont l'air de rien, mais qui se retrouvent dans des scènes souvent hilarantes, toujours divertissantes.

Je ne peux m'empêcher de faire un lien avec la façon de raconter de Pierre Lemaitre. Les deux captent mon attenton avec la même magie. Échenoz y va toutefois avec des histoires plus courtes, mais qui ne manquent pas de punch.

Pas que ce soit léger, mais lire Jean Échenoz l'été, c'est fortement recommandé, que ce soit cette fiction, ou un de ses magnifiques et courts récits biographiques, comme Ravel, Courir, (Émile Zatopek) ou Des éclairs (Nicolas Tesla). À découvrir, si ce n'est pas déjà fait!

mardi 29 avril 2025

Poudre à danser, par Stéphane Lafleur, éditions L'Oie de Cravan

J'ai voulu le lire parce que j'aime les surdoués, comme une Anaïs Barbeau-Lavalette (réalisatrice et autrice) ou un Marc Séguin (peinte, réalisateur et auteur). Pour Stéphane Lafleur, ce sont des films, un groupe de musique dont je suis un fan fini, et maintenant, un auteur et (on le savait), un poète. J'ai donc eu envie de vivre l'univers d'Avec pas d'casque sur papier. C'était ça, oui, mais peut-être pas autant que je l'aurais cru.

C'est certain que les attentes sont hautes lorsqu'un parolier publie des textes. On s'attend à ressentir le même vibrato en lisant ses mots qu'en écoutant ses chansons. Et pourtant, Poudre à danser (j'aime trop ce titre) ne contient pas des paroles de chansons, mais de simples strophes tirées de son univers, de sa tête, bref, on reconnait Stéphane Lafleur.

C'est parfois piquant et le plus souvent tendre. Une majorité de ces textes sont écrit au "tu". Alors on les imagine sortis de la vie quotidienne, et on se les approprie facilement. Agréables à lire, les poèmes de Lafleur font sourire ou touchent, mais chaque fois, mon dieu que c'est court. Chaque poème est hyper court, 7 ou 8 lignes max, parfois seulement trois, et certaines lignes ne contiennent parfois pas plus de 2 ou 3 mots.

Au final, le petit lecteur de poésie que je suis dû transformer la Poudre à danser en Boîte à bonbons, en les prenant un à la fois et en faisant durer chacun le plus longtemps possible. Puisqu'ils étaient si courts, on aurait dit que les textes ne me donnaient pas assez de temps pour les apprécier. Mes émotions de lecteur étaient là, mais à fleur de peau, en superficie, bref, pas profondément.

Stéphane Lafleur m'a donc fait travailler, je ne m'y attendais pas. Ça n'empêche pas que je l'ai quand même reconnu à travers ses mots, et je confirme que j'aime toujours son univers, sa tête, bref, oui, j'ai reconnu Stéphane Lafleur. Donc, malgré les petites frustrations ici et là, oui, j'ai aimé sa Poudre à danser.

dimanche 20 avril 2025

Sirop de poteau, par Francis Ouellette, VLB éditeur

C'est un type d'écriture spectaculaire qui raconte un milieu populaire, sans subtilité et avec une belle poésie facilement abordable. J'ai ri de grand coeur et j'ai refermé le livre les yeux dans l'eau. Avec de petites ellipses philosophiques dans lesquelles j'ai aimé me perdre par moments, Sirop de poteau a confirmé la place de Francis Ouellette parmi mes nouveaux auteurs préférés.

Dans ce deuxième livre, l'auteur raconte un personnage important de son premier. Il le met ici au centre de son histoire, en faisant graviter autour de lui le petit monde de son quartier montréalais de Centre-Sud. Encore une fois, c'est réussi. Le style est le même que dans Mélasse de fantaisie, la vie y est dure et toutes les émotions sont à fleur de peau. Dépaysement assuré.

Ouellette a un talent indéniable pour écrire la langue parlée. C'est fait avec justesse, sans la condescendance que d'autres peuvent avoir en marquant certaines expressions par de trop gros traits. Ici, les dialogues prennent une tournure imagée lorsqu'il le faut, même dans les mots du narrateur, qu'on associe rapidement à l'auteur lui-même.

Il va sans dire que le succès de Francis OUellette réside aussi dans une nostalgie bien assumée. Pas que la condition difficile des gens décrits est à envier, pas du tout. On pense plutôt à certains lieux mytiques du Montréal des années 60, 70 et 80, comme le Cabaret du Lion d'Or et le fameux Vieux-Munich. Les descriptions de ce dernier lieu valent le livre à elles seules. Je lisais ça dans le bus et les gens me regardaient rire avec des airs intrigués, c'est tout vous dire.

Mais tous n'aimeront pas ce Sirop de poteau, principalement parce que l'auteur ne censure ni ses personnages si l'époque dans laquelle ils évoluent. Ça résulte en de nombreuses situations où les différences entre les sexes créent de l'injustice et de la violence, et où des propos vulgaires font partie du quotidien. Âmes sensibles, s'abstenir. Reste que cette histoire vous raconte le Montréal le plus montréalo-montréalais qui soit. Vous verrez apparaître des personnages malheureusement obscurcis par le temps comme Denis Vanier et surtout, la sublime Josée Yvon et son aura, que Ouellette reconstitue avec brio.

Un Sirop de poteau de grand crû!

jeudi 3 avril 2025

Un avenir radieux, par Pierre Lemaitre, éditions Calmann Levy

Entre un début étonnant d'une violence qui laisse dubitatif et une fin en feux d'artifice qui nous met sur le bout de notre siège, Pierre Lemaitre déploie sa galerie de personnages aussi ahurissants les uns que les autres dans une histoire de famille de fous et une autre d'espionnage en parralèle. Franchement, depuis Aurevoir là-haut, c'est un de ses meilleurs.

Ce gars-là écrit du cinéma. Des scènes d'actions succèdent à d'autres où on est tout retourné parce que touché. Ses décors sont diverssifiés. Ici, on est en 1959, entre les Paris et Prague d'alors, et ses personnages sont incroyables. Les trois enfants de la famille Pelletier tournent autour de leurs parents, leurs conjoint(e)s ajoutent leurs couleurs, et les petits enfants prennent leur place. Tous sont les victimes d'un autre, leurs immenses faiblesses et leurs forces insoupçonnées les rendent tous divertissants, sans exeption. Mention spéciale pour un couple, celui de l'ainé, Jean, et sa femme Geneviève, un personnage qui fera l'histoire de la littérature tant on aime trop la détester, et quant à ses enfants... ouf! Mention spéciale aux personnages féminins qui, à mon sens, sont les plus porteurs. Quel brio de l'auteur d'avoir inventé ces gens-là.

Il est certain que Lemaitre traine ses personnages, ou à tout le moins certains d'entre eux, depuis maintenant 6 livres. Y'a quelque chose de Balzac, c'est bien certain, mais pas que. Ceci dit, comme pour Balzac, c'est facile de se plonger dans son oeuvre à partir de n'importe quel livre de cette rocambolesque saga à travers le 20e siècle. Avec Un avenir radieux, les amateurs d'enquête seront ravis. Pour ma part, cette portion du livre n'a pas été ma préférée... jusqu'à ce que vienne les dénouements de la fin. Je lève mon chapeau à l'auteur de polars qu'est aussi Lemaitre. J'ai adhéré, j'ai ri, et jai été ému aux larmes.

À la fin du livre, l'auteur cite ses sources et ses inspirations, parmi lesquelles figure John Le Carré. C'est tout dire.

Bref, Un avenir radieux est tout un divertissement. Vous me voyez ravi, et je vous le recommande fortement.

mardi 11 mars 2025

Quand je ne dis rien je pense encore, par Camille Readman Prud'homme, éditions L'Oie de Cravan

L'avenir nous le dira, mais à mon sens, c'est une pépite. J'ai hâte de voir comment ce livre, ou à tout le moins l'impression qu'il m'a faite, me restera en tête. En tout cas, le bien que j'en ai lu est justifié.

C'est de la poésie qui rassemble des pensées bien concrètes et qui tournent autour de la perception de ce qui nous entoure et de comment ceux qui nous entourent nous perçoivent. Les réflexions de l'autrice sont si justes qu'il me semble que ce recueil tient autant de la philosophie que de la poésie. Ses pages parlent des trop et des silences des autres, de ce qui nous emporte, et de ce qu'on garde pour soi. On se joint à ses réflexions, on se met à sa place. Pour ma part, cette lecture m'a fait me regarder dans le monde, voir quand et pourquoi je fais parfois trop de bruit, ou lorsque je devrais parler plutôt que de me taire.

Car il est beaucoup question de la parole, celle qu'on échange, qu'on entend et qu'on suppose. Cet univers plus près du son que de la lumière m'a sans doute beaucoup rejoint. Et pourtant, l'autrice parle souvent de "rejoindre le noir", qui apparaît souvent comme un refuge, et pas nécessairement négatif.

La force de cette posée est aussi son accessibilité. Je le recommanderais à plusieurs qui, comme moi, lisent (trop?) peu de poésie, ne serait-ce que pour les réflexions et le bien qu'elles procurent.

J'avais besoin d'une pause, j'ai pensé à un livre de poésie et celui-là m'est arrivé avec beaucoup d'à propos. Pas besoin de vous dire que je le recommande vivement.

Maintenant, je me permets de souhaiter lire une histoire racontée par Camille Readman Prud'homme, avec la même sensibilité et le même regard porté sur des personnages que celui qu'elle pose sur elle et le monde qui l'entoure. Ce serait assurément hyper agréable à lire.

samedi 8 mars 2025

Jour de ressac, par Maylis de Kerangal, éditions Verticales

Gros coup de coeur pour une autrice que je ne connaissais pas. Une enquête est prétexte à une femme de retourner sur son enfance et son adolescence mais surtout, dans sa ville d'origine. Du coup, ce livre devient un hommage à la ville en question, qui devient le personnage principal, et c'est superbe.

La ville, c'est Le Havre, un grand port sur la Manche qui a la particularité d'avoir été détruit pendant la Deuxième guerre mondiale. Sa reconstruction en a fait une ville avec une réputation peu enviable d'être moche, bétonnée, industrielle, et qui plus est, battue par le vent et la pluie. Perso, rien qu'avec ça, c'était bien parti. Assez des grandes capitales.

Sachant que le livre était bâti autour d'une enquête, le pas-vraiment-fan de polars que je suis avait ses appréhensions. Mais celle enquête m'a parue douce, originale, et son dénouement m'a beaucoup touché.

Tout ça est porté par une écriture hyper sensible aux autres et à ce qui les entoure. Maylis de Kerangal a un don incroyable pour décrire des lieux. Ici, les décors créent les personnages. C'est comme si les personnages vivaient un résultat de leur environnement. On a donc du gris, de la rudesse, mais celle des éléments, pas des gens. Et comme ces éléments sont naturels, les personnages le sont aussi. Ce naturel se sent partout, de la patience résiliente d'un policier jusqu'à l'accueil empathique d'une tenancière de bar pourtant réservée. Quels beaux personnages.

Mais là encore, d'une marche sur un quai battu par les vagues, la pluie et le vent, jusqu'à une conversation dans une auto qui traverse une autoroute pendant que le jour se couche sous la pluie (encore), les décors m'ont complètement emportés. L'autrice nous prend par la main pour redécouvrir la ville de son enfance avec nous, et c'est un réel plaisir.

Bon, ceci dit, de Kerangal est de celles qui se laissent aller parfois avec des phrases qui s'étendent sur presque deux pages. Au début, on manque un peu de souffle, mais à force, une fois qu'on a trouvé son rythme, ça se lit bien.

Vous aurez de belles heures de lecture pendant ce Jour de ressac.

dimanche 16 février 2025

Une histoire silencieuse, par Alexandra Boilard-Lefebvre, éditions la peuplade

Belle réussite d'un livre d'une remarquable orginalité. Enquête, essai, roman: tout va à cette histoire familiale qui m'a touché par sa sensibilité et le respect qu'elle porte aux personnages.

L'histoire d'une femme décédée à 29 ans dans les années 1970 est recréée par l'enquête menée tout récemment par sa petite-fille. On découvrira un décès dont la cause a été camouflée. La cause de ce camouflage fait partie de l'enquête. Quant à la cause de la mort, c'est au lecteur d'en tirer ses conclusions.

Pour mener son enquête, l'autrice est allée à la rencontre de ceux qui ont connue sa grand-mère. On comprend qu'après autant d'années, les souvenirs sont flous, les impressions aussi. Pour raconter son histoire, elle enregistre des conversations et nous décrit des photos. Le traiment de ces deux procédés fait toute l'originalité du livre.

Les conversations sont retranscrites presque mot pour mot, et le difficile exercice d'écrire la langue parlée est réussi avec brio. Les conversations sont écrites comme on le fait de poèmes, en phrases courtes où les idées alternent parfois sans transition, comme dans notre tête, comme lorsqu'on raconte quelque chose et qu'on ajoute des incises, lorsque parler nous fait nous rappeler de choses qui nous reviennent soudainement. Ces retranscriptions auraient pu être lourdes ou caricaturales, mais pas du tout. Il y a dans ce procédé beaucoup de sensibilité et de respect des témoins qui prennent la parole. L'autrice a interrogé son papa, ses tantes, des amies de la défunte, et c'est passionnant.

Quant aux photos, Boilard-Lefebvre les décrit tant par le contenu que par le contenant. Comme pour les souvenirs racontés, le passage du temps efface aussi des détails qu'il nous faut deviner et là encore, pour le lecteur, c'est tout à fait prenant.

Cette histoire est un portrait hyper-réaliste d'une société et d'une époque. Aux environs des années 1960, au Québec, on se cherchait beaucoup. Un lourd passé commençait à s'estomper, mais tout n'était pas encore terminé. Les pressions sociales étaient encore fortes, et avec elles les non-dits, les jugements. La femme racontée en aura été victime, mais d'autres aussi, dans sa famille, à commencer par sa propre mère.

Passionnant, touchant et d'une sincérité désarmante, cette Histoire silencieuse est chaudement recommandée.

lundi 10 février 2025

L’irréparable, par Pierre Samson, éditions Héliotrope

Parcours ordinaire et difficile qui se termine mal. Ceci résume ce livre et ma lecture de ce livre.

L’homme qui se raconte achève une carrière de chargé de cours universitaire. Ce spécialiste des manuscrits anciens a la soixante amère. Le monde entier lui tappe sur les nerfs. Professionnellement, c’est l’horreur. C’est guère mieux personnellement. Gay et célibataire, il crache son venin sur son tout ce qui bouge.

Les personnages gays atypiques pullulent en littérature et celui-là est du lot, mais je le mettrais au-dessus de la pile. L’auteur lui donne une parole d’une condescendance hallucinante, avec des phrases interminables et des mots choisis d’un lyrisme assommant. Au début, on se dit que la figure de style fera son temps, mais non. Tout le livre est écrit dans ce genre pédant et amer. Parfois, on sourit. Tant d’aigreur donne souvent de drôles d’images. Mais bon…

Ce gars qui se voit flétrir porte autant d’attention à l’allure des autres qu’à la sienne. Jamais n’aie-je lu autant de descriptions physiques aussi détaillées. Un gars au gym ser décrit sur 2 pages, une collègue de travail passera au tordeur sur plus encore, et le malaise est immense.

Aux trois-quart du livre, une situation fera espérer une enquête, mais la fin tragique en accéléré laisse pantois. J’ai terminé L’irréparable, dans un état désagréable de « tout ça pour ça ».

Attentes non rencontrées. Décevant.

#editions_heliotrope #litteraturequebecoise #livrequebecois #jelisquebecois #instalivres #bookstagramqc

dimanche 2 février 2025

Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, livre deuxième, par Emil Ferris, éditions Monsieur Toussaint Louverture

Il faut inévitablement être confortable pour lire un aussi gros livre. Malgré tout, il nous coupera un peu la cuisse ou nous fatiguera le bras qui le retient. Mais ça dure à peine le temps d'une page, parce qu'à sa lecture, on est ailleurs le temps de le dire, et on oublie tout, même nous petites douleurs.
C'est fou combien les dessins d'Emil Ferris sont beaux. Ce faux cahier de croquis aux dessins remplis d'ombres me captive. J'ai lu et parcouru des yeux ce deuxième tôme goutte à goutte, lentement, par épisodes, avec délectation.

Au-delà des dessins fabuleux, l'histoire racontée est encore plus remarquable. Avec le Chicago des années 1960 pour décor, Ferris fait vivre à son héroïne des aventures rocambolesques à travers une galerie de personnages bouleversants, déstabilisants et merveilleux. Ce sont ces personnages qui m'ont fasciné le plus. L'action se passe dans le monde interlope et mafieux d'un quartier où les monstres existent dans le regard de ceux qui les côtoient, à commencer par l'héroïne elle-même, qui se voit comme un monstre. Et que dire de son frère...

Dans ce 2e tôme, plus encore que dans le premier, l'autrice plonge dans le non-conventionnel. Celles et ceux qui sont vus comme des monstres sont en fait les plus beaux personnages, alors que ce sont ceux qui les jugent qui sont les vraies horreurs. On est beaucoup dans le "celui qui le dit, c'est lui qui l'est".

Et que dire de l'art dont il est beaucoup question dans ce livre. De fréquentes scènes qui se dérouent au musée d'art de la ville m'ont fait découvrir des artistes américains du 20e siècle que je ne connaissais pas. En plus d'une histoire enlevante, l'autrice nous emmène à googler à tout bout de champ pour découvrir tel tableau ou tel artiste, et chaque fois, c'est hyper intéressant.

Emil Ferris aime ses monstres, leur environnement glauque, leurs vulnérabilités mais aussi, et surtout, l'immense courage qui les fait s'accepter comme ils sont. L'oeuvre de cette autrice est on ne peut plus actuelle et essentielle. Moi, en tout cas, je l'adore, et je suis très heureux de savoir qu'il y aura un autre tôme qui suivra celui-là.

Si vous n'avez pas lu le premier tôme, je le recommande fortement avant la lecture du premier. Il est tout aussi beau, fantastique et brumeux que le deuxième, que vous aurez certainement envie de lire à la suite du premier.

Quelle oeuvre magistrale.

dimanche 19 janvier 2025

Ordures! Journal d'un vidangeur, par Simon Paré-Poupart, Lux éditeur

Le livre a été difficile à se procurer. Indisponible dans plusieurs librairies de la ville pendant longtemps, c'était bon signe. Le lire a été un vrai plaisir.

Avec Ordures!, Simon Paré-Poupart est d'abord chroniqueur. Il raconte les aléas du métier de vidangeur dans la région monréalaise. On imagine le métier difficile, et on n'imagine pas qu'on puisse l'apprécier. L'auteur casse ce préjugé. Certains s'attachent à cette tâche. Les raisons sont diverses parce que les personnages qui exercent le métier sont, eux aussi, diversifiés. L'auteur dresse une liste époustouflante de portraits d'ébouheurs, vidangeurs, helpers, appelez-les comme vous voulez. On est ici dans la marge de la société, oui, et il est rare qu'on nous raconte avec autant d'aplomb ce monde qui prend rarement la parole.

En lisant Ordures!, je me suis senti comme lorsque je lisais mes premiers bouquins sur la nature sauvage ou sur des pays étrangers. Je découvrais un monde nouveau, tout en réalisant que ça existait vraiment. C'est le cas ici. Ce monde que je ne connais pas se déploie juste à côté de moi, dans ma rue, dans ma ville. Il faut lire un livre comme celui-là pour constater à quel point nous vivons dans des bulles étanches.

L'autre tour de force de Paré-Poupart, c'est de faire aussi de son livre un essai où ses prises de position sont tout à fait à propos. D'abord, pour son monde à lui, celui de ses collègues de travail, un monde pour qui il réclame un respect bien mérité, surtout après l'avoir aussi bien présenté.

Ensuite, il faut souligner son regard perçant sur le monde des déchets, et par le fait même, sur notre société dont le modèle repose sur la consommation non-stop. Ses réflexions sont percutantes, mais aussi, indiscutables: le gars sait de quoi il parle. Une telle parole possède une valeur que des personnages politiques et publics ont perdu. Des arguments aussi concrets font du bien, d'autant plus que c'est très bien raconté. Vivement d'autres auteurs comme celui-là pour nous raconter ce que nous sommes. Vivement d'autres prises de parole de Simon Paré-Poupart.

samedi 11 janvier 2025

Madeleine et moi, par Marc Séguin, Leméac éditeur

Marc Séguin parle au "je" en nous introduisant un essai sur le monde de l'art contemporain par le récit d'un coup de foudre ressenti pour l'oeuvre du peintre Ozias Leduc, décédé en 1955. Qu'un artiste actuel s'intéresse à un autre donc les oeuvres les plus connues ornent des églises a de quoi étonner. C'est cette rencontre qui m'a intrigué. Elle cachait autre chose, qui s'est avéré tout aussi intéressant, sinon plus.

Séguin utilise ce prétexte, qui a tout pour soulever la stupéfaction de ses pairs du milieu artistique, pour justement parler du milieu des arts de notre époque. En fait, l'auteur nous parle de son métier / vocation / art, appelez ça comme vous voudrez. Les techniques, les contraintes, les doutes, les accomplissements: c'est un véritable reportage sur la création. Pour qui, comme moi, s'y connaît peu, c'est vraiment passionnant, d'autant plus qu'il porte un regard très lucide sur tout ce qui entoure sa vie d'artiste.

Là aussi, toutes les émotions sont au rendez-vous. On perçoit une certaine amertume envers des aspects du marché de l'art, des questionnements sur son enseignement, mais aussi une admiration respectueuse envers des professions connexes, comme par exemple pour un historien de l'art ou des conservateurs.

La force de cette oeuvre est sa capacité à vulgariser un sujet qu'on trouve trop souvent hors de notre portée, lorsque des artistes semblent se parler entre eux. Ici, le ton de Séguin est celui du gars qui te raconte sa job et son monde à travers des anecdotes et des bribes de sa vie récente.

Et comme, au bout du compte, cette vie et cet art font de lui ce qu'il est, il nous séduit en nous racontant sa passion pour un autre peintre, et son obsession pour une de ses oeuvres en particulier. C'est alors qu'un autre talent de Marc Séguin, celui de conteur, entre en jeu, et l'histoire nous empreigne juste assez pour qu'on ressente son coup de foudre.

Belle découverte que ce court essai.