lundi 28 juillet 2014

N'oublie pas s'il te plait, que je t'aime, par Gaétan Soucy, éditions Notabilia

Je crains toujours un peu les oeuvres posthumes. Elles comprennent généralement des textes inachevés complétés par d'autres auteurs. Ces complétions ont beau faire bonne figure, on se dit toujours que c'était pas X, Y ou Z et au bout du compte, si on n'est pas triste, on est déçu.

Ici, le texte principal est de Gaétan Soucy. Lorsqu'on me demande qui sont mes auteurs préférés, qu'importe le nombre, j'y glisse toujours Gaétan Soucy. Ses livres La petite fille qui aimait trop les allumettes et Music-Hall figurent parmi mes plus beaux plaisirs de lecture à vie. Soucy écrivait violemment, très crument, et avec une intelligence rare. Son décès rapide a eu le malheur de ne pas me surprendre. D'un auteur aussi fougueux, on s'attendait presque à une fin tragique, en ce que la mort l'a quand même emporté assez jeune (55 ans).

Son texte est une lettre. C'est celle écrite par un professeur de collège à son étudiante. Enfin c'est là une manière de voir le texte parce qu'il s'agit aussi de la lettre qu'un amoureux éconduit adresse à son ex-amante quelque six mois après leur rupture abrupte qui a suivi une relation courte mais forte et intense de quelques mois. Le prétexte de la lettre est une rencontre fortuite de quelques minutes des deux ex au sortir d'un autobus. L'auteur en est resté troublé, profondément tourmenté, et pour remettre de l'ordre dans ses pensées, il lui écrit, à elle, qu'il soupçonne être dans le même état que lui.

On dit que Soucy n'a pas pu terminer la réponse de la jeune fille. Aussi ne fait-elle que deux pages et nous laisse-t-elle un peu sur notre faim. Or, l'éditeur a eu l'idée d'offrir à quatre auteurs, deux hommes et deux femmes, de rédiger la réponse en question, selon leur interprétation propre de la missive de l'auteur. Comme continuation d'oeuvre inachevée il s'agit, à mon sens, d'une brillante idée. Chacun des quatre textes de réponse possède bien sur une style qui lui est propre, mais l'ensemble m'a surpris pour une chose: tous vont dans la même direction. Si le ton diffère, la fin, sans différer totalement d'un texte à l'autre, mène à chaque fois à la même constatation. Je ne sais trop si l'éditeur avait prévu ça, mais on se dit à la fin du livre qu'on aurait quand même aimé qu'un d'eux aille dans la direction opposée, que je n'identifierai pas ici, parce que ces textes, comme celui de Soucy, sont excellents.

Je ne saurais dire que je ne connais rien aux mots d'amour. Lorsqu'on lit beaucoup, on en croise souvent, bien souvent à notre insu, qui partent dans toutes les directions. Ceux de Soucy n'ont rien de mièvre. Je les dirais très "caractériels". Peut-être, ai-je lu, cette lettre est-il inspirée d'un fait véritablement vécu par lui. C'est sans doute vrai parce que ses mots n'ont rien d'inventé. Tous, autant que nous sommes, n'avons pas nécessairement écrit une telle lettre d'amour ou de rupture un jour, mais à tout le moins en avons-nous élaboré une dans notre tête, ou un discours, à un certain moment donné. On se souvient de sa portée, de la force du sentiment qui nous habitait à ce moment, tellement que d'y penser même longtemps après nous chavire encore un peu. Tel est le cas avec ce texte de Soucy. C'est sincère et le propos va droit au but. Maintenant, a-t-il plu, a-t-il blessé ou est-il tombé dans l'indifférence? À vous de voir, comme l'ont fait Sylvain Trudel, Catherine Mavrikakis, Pierre Jourde et Suzanne Côté-Martin.

J'avoue un faible pour la réponse de Catherine Mavrikakis, pour la construction du personnage qu'il y a dans ces quelques pages. Mais attention, les autres réponses aussi valent la peine. À vous de vous identifier à celle de votre choix.

N'oublie pas s'il-te-plait... est un genre de coup de poing ludique qui pourrait, je l'espère, donner le goût de lire Gaétan Soucy. Si vous souhaitez le découvrir, commencez par La petite fille qui aimait trop les allumettes. Vous en ressortirez tout aussi sonné, sinon plus.

Merci, Gaétan Soucy. Mission accomplie.

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