samedi 31 mai 2025

Abel, par Alessandro Baricco, éditions Gallimard

La publicité dit : un western métaphysique. Mais non. C'est un grand mot pour vous faire peur. Abel est un western spaghetti, du Sergio Leone en livre, du Ennio Morricone en mots. Les Italiens racontent les westerns comme Homère a raconté le monde avec Ulysse, en le magnifiant et en créant des dieux imaginaires. Et c'est divinement bon.

Abel est un shérif. Si on lui demande ce qu'il fait, il répond: je tire. C'est l'as du pistolet. Il a trois frères, une soeur et une mère, une cavalière réputée, qui les a quittés jeunes. Son amoureuse s'appelle Hallelujah et il ne peut s'empêcher de penser à elle dans tout ce qu'il fait. Abel a un maître, un as du tir aveugle, qui lui parle d'Aristote et de philosophie. Un jour, sa fratrie dispersée se réunit pour aller sauver leur mère qui va se faire pendre. Qu'arrivera-t-il à Abel et à chacun des personnages singuliers de sa fratrie?

Dans les livres de Baricco, il y a toujours au moins un personnage qui prétend avoir vécu une vie de légende. Alors ce personnage fabrique sa propre histoire, et tous ceux qui l'entourent deviennent eux aussi légendaires. Avec Abel, on atteint l'apogée. Ce shérif est un as, il exécute les truands, c'est un amoureux fou, et il vénère son maître. Tous ceux qu'ils croisent sont incroyables. Chacun a une histoire qui s'ajoute à celle d'Abel, qui devient de plus en plus fascinant.

Baricco est un magicien du conte. Ce livre est un hommage aux histoires, aux légendes, à ce qu'on veut croire parce que ça a l'air trop beau pour être vrai. Mais les légendes sont des histoires qui n'existent pas, et Baricco nous le rappele dans un avant dernier chapitre qui, à mon sens, est une pièce de littérature à lui tout seul. Juste à y penser et j'en ai encore des frissons et les larmes aux yeux.

Je suis un fan fini de Baricco et avec Abel, je le retrouve dans toute sa splendeur. Vous avec aimé Baricco? Vous voulez le connaitre? Abel vous attend. Il est sublime, tenez-vous le pour dit.

lundi 19 mai 2025

La beauté de Cléopâtre, de Mustapha Fahmi, éditions La peuplade

Prenez un récit historique, ajoutez-y une bonne dose de philosophie, une généreuse portion d'amour de la littérature, placez le tout dans un format qui essemble à de la poésie, et vous obtenez une oeuvre captivante, réconfortante et originale avec un excellent goût de "revenez-y". Il faudra que je lise encore Mustapha Fahmi.

C'est ma première lecture de ce spécialiste de l'oeuvre de Shakespeare. Il part de sa connaissance fine (je dirais plutôt: son amour) de deux pièces, Antoine et Cléopâtre, et Jules César, pour tirer de leurs thèmes des propos sur les perceptions de soi et des autres, le pouvoir, et aussi et surtout, la place de la beauté dans nos vies.

Avec Mustapha Fahmi, l'histoire d'Antoine et de Cléopâtre est passionnante. Il décrit les passions qui ont déchiré deux personnages plus grands que nature et les situations politiques et personnelles qui ont ont rendus leurs vies épiques et historiques. Raconté par Shakespeare, ce récit devient universel parce qu'il ne raconte pas juste l'histoire de deux personnes, mais celle de nos interactions avec le monde qui nous entoure. Ce récit parle de la force la plus puissante: rester soi-même, vivre sa vie à 100% et croquer dedans à pleines dents. J'ai trouvé ça lumineux.

Réparti en de courts chapîtres qui s'étirent entre une et quatre pages maximum, ce livre se lit comme on le fait d'un recueil de poésie, morceau par morceau, en s'arrêtant pour faire durer une pensée ou une image mentale suggérée par l'auteur.

C'est tout un défi de rendre un livre de réflexion aussi captivant, sans pour autant tomber dans le mièvre ou le new age kitsch. Mustapha Fahmi écrit simplement pour nous partager ses connaissances. Il réussit aussi à nous faire nous rendre compte de plein de choses sur les relations et les personnalités, celles des autres et la nôtre. Un vrai plaisir de lecture.

Bref, il faut rendre à César ce qui appartient à César: La beauté de Cléopâtre est un beau livre qui plaira à une majorité de lecteurs. Il faut vraiment que je lise d'autres oeuvres de Mustapha Fahmi.

dimanche 11 mai 2025

Le temps des sucres, par Martine Desjardins, éditions Alto

C'est ce qu'on en a dit qui m'a fait me tourner vers ce livre. Plusieurs ont parlé en bien de cette histoire qui vogue entre l'étrange et l'horreur. Ok. J'assume: je serai le badboy.

Mais quand même, il faut commencer par dire que Martine Desjardins écrit fabuleusement bien. L'histoire qu'elle nous raconte coule sans un mot de trop. Ses sectons courtes permettent de reprendre son souffle et sa langue est celle d'une excellente conteuse.

J'ai justement pris ce livre pour un conte, à la limite de la fable. Oui, c'est dans le registre de l'étrange et du glauque. Rien pour faire des cauchemars, mais assez pour ressentir parfois du dégout. Les personnages sont "gros": un urbain, dans tout ce qu'il y a de plus urbain (beaux vêtements, amateur d'épiceries fines, de petits cafés, végé, etc,) s'amène dans un village en plein bois pour y rencontrer une branche inconnue de sa famille. Les personnages sont rustres, dans tout ce qu'il y a de plus rustres: taiseux, antisociaux, violents, chasseurs, braconiers, carnivores, etc. Tous les personnages sont masculins. On est dans un monde de gars où les femmes ne sont rien, l'autrice prend souvent la peine de le rappeler.

Le décor est menaçant pour l'urbain désorienté. Les arbres semblent se liguer contre lui, l'habitation familiale est aussi rustre que ses habitants, et l'alimentation n'a rien de léger. Dans l'érablière familiale, un arbre fait figure de patriarche qui cache un être mi naturel et monstrueux à figure féminine emprisonné sous les racines depuis des centaines d'années.

J'ai perçu ce conte comme une collection de métaphores: les hommes qui imposent leur violence à la nature, l'héritage ancestral malsain, la nature vengeresse, l'irrespect de la part féminine. Martine Desjardins n'y va pas par quatre chemins pour nous montrer comment elle perçoit le monde. Disons que c'est pas tellement positif, mais surtout... c'est gros. J'ai parfois eu l'impression d'un conteur qui me racontait quelque chose comme la chasse-galerie ou l'arche de Noé pendant le déluge.

Je n'étais peut-être pas disposé pour cet univers-là, ou je ne possède tout simplement pas les clés pour entrer de plein pied dans un tel univers sans trouver ça exagéré. Bref, vous me voyez dubitatif pour un livre fort bien écrit, mais au scénario pas assez subtil à mon goût.

dimanche 4 mai 2025

Bristol, par Jean Echenoz, éditions de Minuit

Imaginez une histoire avec juste des personnages secondaires. C'est du genre de Jean Echenoz de nous raconter les choses d'une manière différente. Entoucas, c'est comme ça que j'ai perçu ce Bristol et que je m'en suis délecté, parce qu'une fois encore, Jean Echenoz ne m'a pas déçu, avec peut-être juste un petit "mais"...

Je croyais que c'était la ville, en Angleterre. Mais non. Bristol, c'est un homme. Il vit à Paris et réalise des films qui ont peu de succès. Sa vie est ordinaire, ses projets, les gens qui l'entourent aussi mais... c'est Jean Echenoz, donc, rien ne sera ordinaire. Ça commencera sur un drame vécu dans l'indifférence, on passera par des jours de tournages plus ou moins bâclés au Botswana, et ça se terminera... avec l'air inévitablement dubitatif du lecteur. D'ou mon petit "mais". Mais qu'importe la chute, lire Échenoz, c'est un plaisir qui se vit une page après l'autre.

Vraiment, Jean Échenoz ne m'a jamais déçu. C'est celui qui vous raconte une histoire comme si son souvenir lui parvenait au fur et a mesure: "Il est arrivé ça... ah mais j'y pense, avant il est arrivé ça aussi... oh mais ça me fait penser à ça". Et ça va ainsi jusqu'à la fin. Ce sont des histoires qu'on lit avec un sourire amusé par ce style débonnaire, familier et tellement sympathique, rempli de personnages qui n'ont l'air de rien, mais qui se retrouvent dans des scènes souvent hilarantes, toujours divertissantes.

Je ne peux m'empêcher de faire un lien avec la façon de raconter de Pierre Lemaitre. Les deux captent mon attenton avec la même magie. Échenoz y va toutefois avec des histoires plus courtes, mais qui ne manquent pas de punch.

Pas que ce soit léger, mais lire Jean Échenoz l'été, c'est fortement recommandé, que ce soit cette fiction, ou un de ses magnifiques et courts récits biographiques, comme Ravel, Courir, (Émile Zatopek) ou Des éclairs (Nicolas Tesla). À découvrir, si ce n'est pas déjà fait!