J'aurais dû aimer ce livre, pour toutes sortes de raisons, mais son évocation me transporte d'un malaise à l'autre. J'ai poussé un soupir de soulagement en le terminant. Or, ce livre a créé l'événement. Et pour cause: Philippe Lançon est un écrivain et journaliste qui a survécu à l'attentat de Charlie Hebdo. Parmi ses multiples blessures, une balle lui a fracassé la mâchoire. Dans ce livre, il raconte, le juste avant, le pendant et l'après attentat. Et il le raconte bien. Lançon écrit bien, finement, brillamment. Mais moi là-dedans? Je me dis que soit je suis passé à côté ou soit, au contraire, il m'est rentré dedans. Malaise.
D'abord, l'auteur se raconte et se présente en relatant sa journée, celle de l'attentat, avant qu'il ne survienne. Pour se définir et pour raconter, Lançon décrit des objets, présente de gens et relie des émotions à chacun ainsi qu'aux souvenirs.
Évidemment c'est très personnel et bien entendu, c'est écrit au "je". C'est à travers toute cette introspection qu'il nous emmène jusqu'à l'événement lui-même. Peut-être est-ce une question de personnalité, mais je n'avais pas hâte d'arriver là. Or, sur ce point, j'avais tort. Avec lui, on vit un cauchemar éveillé, violent, horrible, du point de vue de l'émotion bien plus que de la froide et pragmatique réalité. Ses sensations enveloppement les chocs physiques, ce qui rend cette portion du livre douloureuse, oui, mais humaine parce qu'émotionnelle, presque irréelle. Et pourtant...
"Émotion" est un mot qui définit bien ce livre. La suite des choses ne sera qu'émotions, sensations, évocations. En décrivant sa longue période d'hospitalisation, Lançon continue à nous alléger nos souffrances en nous référant aux gens qui l'entourent, aux choses, à ses expériences passées. C'est là où, croirais-je, le roulis du train dans lequel il nous fait monter nous emporte et nous berce ou nous dérange jusqu'à nous exaspérer.
Pourtant j'aime lire. Lançon aussi. Il lit énormément pendant sa convalescence, souvent les mêmes passages de livres qui vont de Proust à Mann en passant par Kafka. J'aime la musique, j'en ai besoin pour vivre. Lançon aussi. Dans sa chambre d'hôpital, qui devient son milieu de vie, presque sa maison, il écoute les Variations Goldberg, et beaucoup de Bach, et d'autres classiques. Dans un environnement sans télé et sans téléphone, le patient qu'il est devenu a opté pour les musiques et les mots qu'il aimait pour s'évader. J'aurais bien fait pareil, tiens. Mais pourquoi j'ai trouvé que c'était trop, trop e livres, trop de musique? C'est bizarre...
Sa convalescence s'est déroulé de chirurgies en chirurgies. C'est qu'il fallait lui refaire la moitié du visage et un bras. On comprendra que les personnes qui se sont occupées de lui ont pris une importance capitale pour lui. L'hommage rendu au personnel soignant est à la mesure du drame qu'il a traversé avec eux. Mais il en est une qui prendra une grande place: sa chirurgienne. Elle contribuera à lui refaire le visage et ils développeront ensemble une belle complicité soignant/soigné. On croira même à l'amitié. Et il y a aussi son frère, toujours présent, genre d'ange gardien insoupçonné, et sa conjointe, et son ex. C'est beaucoup de monde et pas. Lançon nous dévoile tous les sentiments qu'il leur porte. Tous. C'est beaucoup.
Bon Ce gars-là a vécu une tragédie pire que tout ce qu'on peut imaginer et il a le talent pour en parler, alors il en parle sur un ton très personnel, de la confidence, il a bien le droit. Il faut du talent pour écrire comme ça, et ça rejoindra sans doute plusieurs lecteurs. Suis-je insensible, méchant ou terrifié si à la fin je n'en pouvais plus, si j'ai terminé ce livre délivré de lui?
Les récits du genre sont rares. On parle ici de sensibilité à l'extrême, de lucidité malgré la douleur et, c'est criant, de courage. Je me suis parfois dit, au fil des pages du Lambeau, que Lançon avait écrit ce livre pour les siens, ses pairs journalistes, ses nombreux amis. "Mais non, voyons, c'est plus que de l'auto-fiction", me suis-je souvent dit. Bon, me voilà qui parle de moi. Comme lui...
Philippe Lançon a écrit Le lambeau pour tous, incluant moi. Grâce à lui, j'ai vécu quelque chose de dur par personne interposée, avec son langage à lui, ses idées, ses interprétations à lui. C'est peut-être mieux ainsi. Moi, aurais-je pu? Je sais pas. Je lui lève mon chapeau, m'incline devant les prix qu'il a reçus (le Femina, prix spécial du Renaudot, mais pas le Goncourt, comme plusieurs le lui auraient souhaité), et incite ceux qui aiment les livres-événements à mettre la main dessus. Il ne vous laissera pas indifférent.
PS: j'ai l'habitude de mettre la photo de l'auteur lorsque j'en parle pour la première fois. Pas ici. Parce qu'au-delà de l'image, il y a les mots, il en est le meilleur exemple. Respect, Philippe Lançon.
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