mercredi 16 janvier 2019

Rêves de machines, par Louisa Hall, éditions Gallimard, collection Du monde entier

Rêves de machines est un roman choral où plusieurs narrateurs d'époques différentes racontent leur histoire. Le lien entre chacun: l'intelligence artificielle. L'idée et la forme pour traiter de ce nouveau sujet à la mode m'a plu. Il est original de remonter jusqu'aux années 50 pour aller à la rencontre des premiers penseurs et même concepteurs, puis aux années 80. Ce qui l'est moins, par contre, c'est de projeter dans un temps pas trop éloigné une interprétation de ce vers quoi mènera l'intelligence artificielle. Les dystopies sont, me semble-t-il, souvent des prétextes pour donner une version personnelle de ce qui pourrait arriver sur tel ou tel sujet. Ça ressemble à une certaine morale, à un "Je vous aurai averti". Tel est un peu le cas ici, et c'est dommage, mais la forme de ce livre demeure originale, ce qui pourrait plaire à plusieurs.

Il y a plusieurs niveaux dans ce livre, d'abord par leurs narrateurs, mais aussi par le style par lequel on apprend leur histoire. Il y a des lettres, des conversations sur des sites de chat, un journal personnel, et des mémoires personnelles. Chaque narrateur est relié au développement d'une poupée parlante et artificiellement intelligente. On aura la version du premier programmateur d'un programme qu'un autre utilisera quelque trente ans plus tard pour tenter une première expérience. C'est deux-là sont particulièrement intéressants quoi qu'il nous faille lire les lettres d'un de ces narrateurs en italique: je n'ai pas vraiment compris pourquoi, et j'avoue que lire de pleines pages en italique me déplait.

Parmi les narrateurs qui appartiennent au futur, on y compte le concepteur des fameuses poupées, une jeune fan de ces poupées, et une poupée elle-même. Chacun raconte là où leur proximité avec ce nouveau produit les a menés. Reste le journal d'une jeune Anglaise en partance pour l'Amérique au 17e siècle, dont les écrits ont plus tard servi à alimenter des bases de données servant à élaborer des conversations.

Tout ça est intéressant. Ce propos sur un sujet qui pourrait sembler aride est, je le redis, franchement original. Or, le livre n'est pas si long, malgré la richesse du sujet et la quantité d'intervenants, ce qui fruste un peu, certaines histoires ayant mérité d'être développées. Et comme tout roman avec différentes voix, on trouve que certaines résonnent mieux pour nous, alors que d'autres nous tapent un peu. C'est l'effet qu'a eu sur moi le journal personnel de la future colonisatrice américaine, que j'ai trouvé un peu décalé par rapport aux autres narrateurs.

On peut toutefois intégrer ce dernier témoignage aux autres dans une perspective plus large puisque Rêves de machines nous donne aussi à penser sur nos relations avec le monde extérieur. À quel point sommes-nous victime des événements? Comment se sentent ceux qui font, créent ou provoquent ces événements? Les questions sont intéressantes, mais il me semble que l'auteur distingue trop rapidement les Bons des Méchants. Vous me direz que ce procédé a fait ses preuves depuis longtemps lorsque vient le temps de raconter une histoire. Oui, bien sur, mais ça peut manquer parfois de subtilité, ce qui m'agace un peu.

Bien écrit, bien traduit, on se surprend toutefois de la traduction du titre original (Speak) par Rêves de machines. Celui en anglais me semble beaucoup mieux convenir.

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