mardi 22 janvier 2019

Asta, par Jon Kalman Stefansson, éditions Grasset

S'élever. Pas se distinguer, juste s'élever. Et s'élever simplement, au-dessus de rien ni de personne. Juste se tenir la tête haute. Voilà toute l'essence de ce livre formidable.

"Mais il y a si peu de choses qui ne soient pas des erreurs ici-bas. Au contraire, les vérités du coeur ne font pas toujours bon ménage avec celles du monde. C'est cela qui rend la vie incompréhensible. C'est notre douleur. Notre tragédie. La force qui fait notre lumière."

Ouf. Ceci conclue (presque) le livre. Il résume bien la vie d'Asta, une femme née quelque part au milieu du dernier siècle, mais aussi celle de son père, Sigvaldi. Les deux ont passé leur vie sans trop faire de vagues, ils ont aimé, beaucoup, mais alors qu'ils avancent dans la vie, ils se demandent s'ils l'ont bien fait: aimer. Or à voir leurs vies respectives, on se demande pour eux si on les a bien aimé. Peut-on bien reproduire ce qu'on a mal appris?

Les histoires de chacun se chevauchent et se croisent inévitablement. Mais rien n'est facile pour eux, surtout pas pour Asta. Pourtant on ne parle pas ici de misère et vraiment pas de misérabilisme, mais disons que dès le départ, c'était mal parti. Pourtant, ce livre s'ouvre sur une scène qui surprend avec une scène d'amour en feux d'artifices. Plus que l'acte, il y a le contexte et ma foi, c'est vraiment puissant dès le départ. Pour avoir lu souvent Jon Kalman, il a écrit, avec Asta, plus de scènes sexuelles que jamais auparavant, mais là aussi, plus que les actes, il y a tout ce qui y mène, ce qui l'entoure. Jon Kalman a ce don extrêmement rare de donner vie à une scène immobile et de faire d'une scène d'action un décor, un endroit, même. J'hésite à parler de poésie, le cliché que la plupart en ont risquent de vous faire sourciller. La poésie, ici, à mon sens, c'est de donner une possibilité multiple de sens à ce qu'on lit. Cet écrivain nous fait nous ouvrir la tête, les yeux, le coeur. Il nous élève en décrivant le silence, une montagne, une commissure de lèvres.

Avec Asta, l'écrivain islandais aborde le temps présent pour la première fois avec certaines scènes où passent les abondants touristes en Islande, Facebook et Twitter. Mais c'est peu puisque comme les personnages, les époques se chevauchent, tout en douceur, sans nous perdre, mais en nous tenant en haleine puisque cet auteur sait aussi nous faire nous demander qui parle. Histoire racontée par plusieurs narrateurs, si certains sont facilement identifiables, d'autres le sont moins, ce qui ajoute encore à la force de ce texte aussi puissant que beau. Et... ah oui, il y a dans Asta, comme dans les derniers romans de Jon Kalman, beaucoup de musique. De Nina Simone à Nick Cave, plusieurs mélomanes seront ravis.

Chapeau bas pour la superbe traduction d'Éric Boury qui m'a fait regretter de ne pas avoir dévoré Asta en un seul morceau, en un seul jour, pour s'en imprégner encore plus fort.

Si vous n'avez jamais lu Jon Kalman et que vous commencez avec Asta, au début, vous serez un peu perdus, mais pas choqués. Juste pas certains de voir où ça vous mènera. Puis, une fois, Sigvaldi tombera d'un escabeau et plus tard, la plus belle lettre que vous n'ayez jamais lu vous arrivera, à vous comme pour Asta, de Barcelone et vous souhaiterez de tout votre coeur que ça se termine bien pour elle. Mais bon... faites-en la découverte par vous-même. Vous ne serez absolument pas déçus.

Quel superbe livre. Il me suivra longtemps.

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