lundi 19 novembre 2018

L'abîme, par Kim Leine, éditions Gallimard

Deux jumeaux danois s'en vont en guerre.Jeunes, ils quittent leur terre natale pour s'engager en tant que volontaires pour lutter aux côtés de ceux qui combattent les bolchéviques dans la guerre civile en Finlande. On est en 1918, le monde est dans un état lamentable, et les deux jeunes gens aussi.

Leur mère est morte il y a longtemps. Ils en gardent un souvenir romantique. Leur père n'a trop que faire d'eux et se félicite de leur courage. Il s'installera confortablement, prendra une bonne qui prendra une certaine place, et dont il s'entichera du fils.

Puis les jumeaux reviendront, et ainsi ira le cours de leur existence, marqué par ce qu'ils ont vécu. D'aucuns diront qu'ils deviendront des êtres abjects, alors que d'autres les verront plutôt se transformer en personnages respectables. Héros ou brutes, ou les deux? Voilà tout l'Univers de Kim Leine.

Ce second livre est à l'image de l'excellent Prophètes du fjord de la liberté, où le bien sublime côtoie le mal extrême dans un récit historique où les lieux sont aussi mystérieux que les époques.

D'une violence rare mais vraiment pas gratuite, l'écriture de Leine est tranchante et superbement efficace. L'époque est si bien rendue que le livre devient rapidement un documentaire sur une période et un lieu qui nous était inconnus et qu'on s'étonne de découvrir avec fascination. Or ce qui fascine n'est pas toujours beau, et c'est là où excelle Leine, car bien qu'il nous brasse, il ne nous blesse pas pour autant. Bien sur, les adeptes du politiquement correct n'aimeront pas. Qu'il soit dit qu'on fume ici cigarette sur cigarette, qu'on baise souvent, qu'on tue aussi atrocement qu'une guerre puisse le permettre, et que les bons deviennent parfois des goujats. On est loin d'un fleuve tranquille.

L'histoire des frères Gottlieb est celle d'une époque, mais aussi un portrait de ce qu'est un monde sans amour. L'histoire est celle de gens qui cherchent toute leur vie de ce dont ils ont manqué. On ne peut qu'imaginer des résultats douloureux, car qui a souffert sait faire souffrir. Des deux frères, on en suivra surtout un. Avec lui, on traversera l'Europe des années 20, surtout l'Allemagne et le Danemark, mais aussi la France, la Suède. La période est trouble, les personnages aussi, et encore une fois, c'est littéralement enlevant. Ce qui ressemble au début à une chronique se transforme, pour la dernière partie du livre, en un thriller bien ficelé bien que peut-être un peu moins original puisqu'on est rendu aux temps de l'occupation nazie, période décrite tant et tant. Mais le décor est différent. Leine prend Copenhague comme les auteurs Français l'ont fait pour Paris, en décrivant la ville par le détail, en allant presque jusqu'à mythifier certains endroits ou événements.

Qui aime compléter une telle lecture par des références à des cartes (de la ville de Copenhague) ou des références historiques (sur l'occupation nazie et la résistance danoise) passera comme moi un excellent moment dans ce livre dur, touffu et fouillé. S'il s'attarde sur certains événements, Leine en évacuera d'autres tout aussi facilement. Aussi un premier lecteur de son oeuvre sera surpris de constater qu'on passe rapidement d'un lieu à un autre, ou d'un personnage à un autre assez rudement. C'est là le côté non-conventionnel de l'écriture de ce Norvégo-danois que j'aime de plus en plus.

Rude, limpide, dense et prenant, L'abîme me donne déjà l'envie d'un nouveau Kim Leine, ne serait-ce que pour savoir où il nous emmènera, et avec qui, bien qu'on sache déjà comment: brutalement.

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